Karl
Marx et Friedrich Engels [1843-1850] Le parti de classe Tome
III. Questions dÕorganisation Introduction
et notes de Roger Dangeville Un document produit en version numŽrique
par Mme Marcelle Bergeron, bŽnŽvole Professeure ˆ la retraite de lÕƒcole
Dominique-Racine de Chicoutimi, QuŽbec Courriel : mabergeron@videotron.ca Dans le cadre de : "Les
classiques des sciences sociales" Une bibliothque numŽrique fondŽe et
dirigŽe par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au CŽgep de
Chicoutimi Une collection dŽveloppŽe en
collaboration avec la Bibliothque Paul-ƒmile-Boulet de l'UniversitŽ du
QuŽbec ˆ Chicoutimi Site
web : http ://bibliotheque.uqac.ca/ |
Un document produit en version numŽrique par Mme Marcelle
Bergeron, bŽnŽvole,
professeure ˆ la retraite de lÕƒcole Dominique-Racine de
Chicoutimi, QuŽbec.
Courriel : mailto :mabergeron@videotron.ca
Karl Marx et Friedrich Engels [1843-1850]
Le
parti de classe
Tome
III : Question dÕorganisation.
Introduction, traduction et notes de
Roger Dangeville.
Paris : Franois Maspero, 1973, 180
pp. Petite collection Maspero, no 122.
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ƒdition complŽtŽe le 7 mai, 2007 ˆ Chicoutimi, Ville de
Saguenay, QuŽbec.
CHEZ LE MæME ƒDITEUR
Karl marx,
Friedrich engels, Le
syndicalisme, 1. ThŽorie, organisation,
activitŽ. — II. Contenu et portŽe des
revendications syndicales. Traduction et notes de
Roger Dangeville.
Karl Marx, Friedrich engels, Le parti de classe. Traduction et notes de Roger Dangeville.
Tome l. ThŽorie,
activitŽ.
Tome II. ActivitŽ
et organisation.
Tome III. Questions dÕorganisation.
Tome IV. ActivitŽs de classe. Index des noms citŽs
dans les quatre volumes. Index analytique.
Organisation, action et principes
Rgles d'organisation et synthse des principes
Transfuges d'autres classes et intŽgration
Moyens de surmonter les crises internes
1. LUTTES DE TENDANCES ET DISSOLUTION DE L'INTERNATIONALE
La ConfŽrence de Londres de l'A.I.T. (17 au
23-9-1871)
Sur l'action politique de la classe ouvrire
De l'indiffŽrence en matire politique
Le Congrs de Sonvilier et l'Internationale
RŽsolutions du Conseil gŽnŽral sur la scission dans
la fŽdŽration des ƒtats-Unis adoptŽes les 5 et 12 mars 1872
Rapport fait au Congrs de La Haye au nom du
Conseil gŽnŽral sur lÕAlliance de la dŽmocratie
socialiste
Congrs de l'A.I.T. tenu ˆ La Haye (2 au 7-9-1872)
Dernire pŽriode de la Ire Internationale
2. FUSION DU PARTI SOCIAL-DƒMOCRATE ALLEMAND
Unification du parti social-dŽmocrate allemand
3. LUTTE DE MARX-ENGELS POUR LE PARTI SOCIAL DƒMOCRATE
INTERDIT
Lettre ˆ Bebel, Liebknecht, Bracke
Lettres ˆ divers dirigeants de 1879 ˆ.1881
Formation du parti de type moderne
Le
parti de classe. Tome III. Questions dÕorganisation
Introduction
Organisation, action
et principes
Dans ce
troisime volume, nous voyons Marx et Engels conduits par le dŽveloppement des
choses ˆ affronter plus directement le problme de l'organisation, avec les
conflits d'interprŽtation des statuts et rglements, l'admissibilitŽ des
intellectuels, la centralisation, la discipline, la hiŽrarchie, la lutte de
tendances, les suspensions, les scissions, etc. Ë premire vue, il peut sembler
que c'est alors qu'ils sont au cÏur du problme, mais c'est oublier que les
questions d'organisation ne sont que l'autre face du systme des
principes, ou mieux : leur prolongement, leur point de jonction avec l'activitŽ
pratique du parti. Aux yeux de Marx-Engels, elles ne sont donc jamais neutres, ni techniques.
Le mode d'organisation doit rendre le parti capable de remplir son
r™le : s'Žlever au-dessus des catŽgories particulires, rassembler les
ŽlŽments qui proviennent des diverses couches prolŽtariennes et de la
paysannerie, ou qui dŽsertent la classe bourgeoise, etc., unifier toutes les
poussŽes individuelles et collectives, suscitŽes par la base Žconomique, et les
encadrer en vue d'atteindre les objectifs qui, pour tre communs ˆ toute la
classe ouvrire et situŽs au terme de toutes les luttes successives, dŽpassent,
en les intŽgrant, les revendications immŽdiates et les intŽrts des groupes
particuliers.
L'une des caractŽristiques premires du parti est donc la centralisation. Son
type d'organisation doit lui permettre de dŽpasser les catŽgories particulires
et d'organiser, en une synthse fŽconde, les ŽlŽments qui proviennent des
diverses catŽgories de prolŽtaires. Ce qui caractŽrise, en revanche, les
organisations opportunistes ou contre-rŽvolutionnaires, c'est qu'elles
entretiennent le fractionnement de la classe ouvrire en groupes professionnels
distincts, et embrouillent ainsi la vision du but et des intŽrts communs de la
classe. Ce fractionnement subsiste ˆ plein dans les organisations de type
fŽdŽraliste, dans lesquelles l'adhŽrent singulier n'est pas directement reliŽ
au Ç centre È ou l'est d'une manire
diffŽrente des autres adhŽrents, puisqu'il dŽpend en premier d'un organisme
ayant sa nature et son unitŽ particulires. L'appartenance ˆ tel organisme
particulier classifie et distingue les adhŽrents de l'organisme gŽnŽral. Les
syndicats qui regroupent les diffŽrents corps de mŽtiers sont fŽdŽralistes,
parce qu'ils sont une association d'associations dont chacune a son caractre
distinct : la profession des associŽs ou autre chose dans certains cas. Le
Parti travailliste anglais est une organisation de type fŽdŽraliste. Ce rŽseau
apparemment l‰che de libres organismes fŽdŽrŽs, dont chacun est autonome et
isolŽ, se rŽvle dans la pratique comme une pŽpinire de bureaucrates
irresponsables. C'est une serre chaude pour la dictature des bureaucrates, le
centre ne faisant jamais face directement ˆ la base.
Un autre type de fŽdŽralisme est celui des Jurassiens de la Ire
Internationale ou encore de Gramsci, avec son systme de conseils d'usine, dont
le seul nom Ordino Nuovo (ordre nouveau) montre le caractre formel, quasi
juridique et en tout cas artificiel. Celui-ci, ˆ l'instar des utopistes, avait
cru trouver une formule pratique et efficace d'organisation : les
travailleurs dans leur ensemble s'organisant sans peine en conseils d'usine qui
devenaient la panacŽe englobant ˆ la fois le parti prolŽtarien et l'ƒtat
ouvrier, l'action politique et la rŽvolution Žconomique. Tout Žtait dans une
seule forme. Cependant, tous ces ŽlŽments ou moments nŽcessaires de la
rŽvolution socialiste ne peuvent tre dissociŽs et surmontŽs par un moyen
artificiel : l'action Žconomique ne peut tre confondue avec l'action
politique, celle-ci ne peut se substituer ˆ celle-lˆ. Mais il y a plus
grave : le parti de classe n'est pas identifiable ou rŽductible ˆ l'ƒtat
de la dictature du prolŽtariat. Dans toutes les Žlucubrations de Gramsci, on
retrouve l'utopisme antimarxiste qui consiste ˆ affronter les problmes en
Žtablissant une splendide constitution ou un plan d'organisation et de
rŽgulation. La rŽalitŽ n'a que faire des projets codifiŽs sur papier.
C'est d'abord
dans la perspective de tout le mouvement historique, donc du programme et du
but suprme, que Marx-Engels ont toujours insŽrŽ chacune des rgles
d'organisation, et tout parti de classe doit faire de mme. La fameuse formule
de Marx selon laquelle Ç la rŽvolution (ou le parti) n'est pas une
question d'organisation È signifie qu'il n'existe aucun
Ç principe È ou rgle prŽjudicielle, dont il faudrait partir obligatoirement pour
rŽsoudre le problme. Une telle vision serait mŽtaphysique, car elle utilise
des idŽes a priori, sortes de moules sur lesquels se modlerait la dynamique
rŽelle.
Dans la pratique,
l'organisation fait charnire entre l'action et le but historique de la classe
entire, celle-ci n'Žtant pas entendue comme la somme des volontŽs, intŽrts ou
besoins immŽdiats des individus qui la composent, mais comme une collectivitŽ
agissante, ayant une spŽcificitŽ propre, des moyens d'action collectifs et un
but historique dŽterminŽ par tout le cours de l'Žconomie et de la sociŽtŽ.
Cette collectivitŽ ou classe se dŽfinit le mieux comme un seul et mme corps
aux membres diffŽrenciŽs. L'organe indispensable de la classe rŽvolutionnaire
en est le parti politique, qui regroupe dans son sein la partie la plus avancŽe
et la plus consciente du prolŽtariat, unifie les efforts des masses
travailleuses qu'il amne de la lutte pour les intŽrts de groupes ou les
rŽsultats partiels ˆ la lutte pour l'Žmancipation complte du prolŽtariat, et
du mme coup de l'humanitŽ.
Le fait que le
parti soit l'organe de conscience par excellence du prolŽtariat, et mme qu'il
en soit le centre de coordination et de direction, ne permet pas de l'assimiler
au seul cerveau de la classe. Ce serait, en effet, limiter ses fonctions et son
r™le ˆ un plan trop thŽorique et subjectif, et oublier son action concrte,
physique, par exemple dans l'insurrection et la lutte rŽvolutionnaire.
C'est seulement
en pure logique abstraite qu'il y a opposition entre le fait que le parti ne
soit qu'une mince fraction de la classe, une petite avant-garde, et qu'il
assure l'unitŽ, la conscience et l'action collective des masses innombrables
qui forment cette classe. Dans la nature, de tels organes intŽgrateurs et
moteurs sont lŽgion.
Rgles
d'organisation
et synthse des principes
Une organisation de parti solide et centralisŽe, ainsi que Marx-Engels la
dŽfinissent, ne se rŽalise pas par des procŽdŽs artificiels, mais par la
meilleure co•ncidence entre principes et action, et par une politique originale
de classe. Les organismes prolŽtariens agissent rŽvolutionnairement sur les
situations par des voies et des moyens que l'on ne peut assimiler ˆ des rgles
d'encadrement organisatif, des recettes : syndicats, coopŽratives,
conseils d'usine, cellules, comitŽs d'ouvriers et de
paysans, etc. Ce ne sont lˆ que des formes. Or, ce qui importe, c'est le
contenu des intŽrts sociaux en jeu, les forces en lutte, la direction prise
par le mouvement. Le parti prolŽtarien se distingue de tout autre parti par la
classe dont il rŽsulte, donc par le programme de sa lutte et par les mŽthodes
de son action. Le caractre rŽvolutionnaire du parti est dŽterminŽ par les rapports
de forces sociales et par les processus politiques qui en dŽcoulent.
Cette conception permet de comprendre la position pratique de Marx-Engels
vis-ˆ-vis du parti de classe ˆ travers tout son devenir, et mme dans les
pŽriodes o ils ont purement et simplement dissous l'organisation formelle du
parti.
Le parti doit Žtablir ses rgles d'organisation en sorte qu'elles permettent
une liaison continue et efficace entre l'action au sein de la classe ou de la
sociŽtŽ en gŽnŽral, et la conception thŽorique ou communisme du prolŽtariat. La
condition premire est donc que toutes les rgles organisationnelles expriment
actuellement le but du mouvement tout entier, en vue d'assurer ‑ selon
l'expression du Manifeste ‑ Ç le vŽritable rŽsultat de la lutte, qui
n'est pas le succs immŽdiat, mais l'union grandissante des ouvriers È,
gage de succs plus grands et dŽcisifs.
En consŽquence,
toute la conception de l'histoire et de l'Žconomie, avec leurs phases d'avance
et de recul, leurs hauts et leurs bas, nie, par exemple, l'idŽe qu'il faudrait
organiser le parti, en sorte que, dans n'importe quelle situation, il doive
tre une organisation de masse, c'est-ˆ-dire possŽder toujours des effectifs
trs nombreux et une trs large influence sur le prolŽtariat ‑ au moins
Žgale, sinon supŽrieure, ˆ celle des autres partis soi-disant ouvriers. Ce qui
ne contredit en rien le fait nŽcessaire que, pour conquŽrir effectivement le
pouvoir, il ne suffit pas d'avoir un vŽritable parti de classe ; il faut
encore qu'il soit numŽriquement puissant et ait acquis une influence
prŽdominante sur le prolŽtariat. Il est des situations objectivement
dŽfavorables ˆ la rŽvolution, o le rapport des forces est loin de lui tre
propice (bien qu'elles ne soient pas forcŽment ŽloignŽes de situations
favorables, puisque l'histoire Žvolue ˆ des vitesses trs diffŽrentes, comme
l'enseigne le marxisme). Vouloir alors ˆ tout prix un parti de masse, un parti
majoritaire, vouloir exercer une influence politique prŽdominante, ce serait,
comme Marx-Engels l'ont rŽpŽtŽ cent fois, notamment aux dirigeants de la
social-dŽmocratie, renoncer aux principes et aux buts du mouvement au profit
d'une politique petite-bourgeoise. Il faut dire hautement que, dans certaines
situations du passŽ, du prŽsent et sans doute de l'avenir, le prolŽtariat ou
une fraction de celui-ci a ŽtŽ, est et sera sur une position non
rŽvolutionnaire, d'inaction ou de collaboration avec l'ennemi, selon les cas,
et qu'il n'en reste pas moins, partout et toujours, la classe potentiellement
rŽvolutionnaire, dans la mesure o, dans son sein, le parti ‑ sans jamais
renoncer ˆ la moindre possibilitŽ de se manifester et de s'affirmer avec
cohŽrence ‑ sait ne pas s'engager dans la voie apparemment facile de la
popularitŽ immŽdiate qui le dŽtournerait de sa t‰che et priverait le
prolŽtariat d'un point d'appui indispensable, non seulement ˆ son action, mais
encore ˆ son existence comme classe autonome. Certes, on a dit que prŽcisŽment
quand le parti est solide sur les principes et possde une organisation saine,
il peut se permettre toutes les acrobaties dans les manÏuvres politiques. Mais
c'est oublier, d'une part, que le parti est ˆ la fois un facteur et un produit
du dŽveloppement historique et, d'autre part, que le prolŽtariat est encore
plus Žtroitement modelŽ par l'histoire.
L'expŽrience
historique a montrŽ qu'il ne suffit pas au parti de revendiquer les buts finaux
du communisme, il faut encore qu'il applique une politique concrte qui soit en
cohŽrence avec eux, voire les prŽpare. C'est une condition de son
existence : mme si la majoritŽ du prolŽtariat ‑ et, comme nous
l'avons vu, Marx dit mme tout le prolŽtariat ‑ refuse de le suivre, il
ne saurait y renoncer sans dŽgŽnŽrer, se dissoudre et trahir ce qu'il doit
tre. Le parti ne s'identifie donc, en gros ou en moyenne, que sur le terrain
rŽvolutionnaire ˆ ce que fait ou pense le prolŽtariat.
Du point de vue organisateur, ce n'est pas au sens immŽdiat le parti des
seuls salariŽs, des seuls producteurs ou des seuls ouvriers. Ce n'est pas un
parti labouriste. Le critre de recrutement n'est pas Žconomique, mais
politique, contrairement ˆ ce qui se passe pour les syndicats auxquels on
n'adhre que si l'on est salariŽ dans telle branche et qui n'exigent pas de
doctrine politique (religieuse ou philosophique) particulire. La liaison entre
syndicat ouvrier et parti rŽvolutionnaire assure ˆ ce dernier la base
prolŽtarienne immŽdiate, au sens Žconomique. D'o la
nŽcessitŽ du travail des militants politiques dans les syndicats, et
l'importance des revendications immŽdiates des masses ouvrires. Pour prŽserver
cette base de classe, le parti du prolŽtariat peut et doit refuser de se lier ˆ
certains syndicats qui, d'une part, sont ceux de classes diffŽrentes, d'autre
part, dŽfendent ouvertement des intŽrts Žconomiques et politiques diamŽtralement
opposŽs et, il faut bien l'admettre, inconciliables avec ceux du prolŽtariat
dans son ensemble.
Tout le sens de la polŽmique de LŽnine contre les partis ouvriers communistes
ou contre ceux qui prŽtendaient substituer l'Žconomie ˆ la politique est
inscrit dans la lutte contre les proudhoniens franais et les social-dŽmocrates
allemands. Marx-Engels ont dŽmontrŽ que la dictature des chefs petits-bourgeois
sur les masses se fonde aussi bien sur l'ouvriŽrisme et la bureaucratie
syndicale qui encadre les ouvriers que sur le mŽcanisme dŽmocratique,
l'appareil Žlu, qui prŽtend dicter ses idŽes et ses intŽrts, au mŽpris des
conceptions gŽnŽrales et historiques du prolŽtariat. Dans le premier cas,
l'erreur ‑ typique en France ‑c'est de crŽer, en rŽaction aux
syndicats dominŽs par les jaunes, des syndicats purs, sortes de partis auxquels
adhrent les seuls ouvriers rŽvolutionnaires. Cet expŽdient est Žgalement faux
du point de vue thŽorique. C'est confondre parti et syndicat, et sacrifier l'un
et l'autre, que d'accueillir ceux qui rŽunissent certaines conditions Žconomiques,
de par leur participation ˆ la production, sans exiger d'eux des convictions
politiques et parfois des obligations d'activitŽ qui ne peuvent tre que celles
d'un parti politique. En s'attachant au Ç producteur È, on ne rŽussit
pas ˆ dŽpasser les limites du corps de mŽtier et les intŽrts matŽriels (ou on
les g‰che en les confondant de manire immŽdiate avec les t‰ches politiques).
La mme erreur se retrouve chez certains courants trotskystes de nos jours,
ˆ savoir l'illusion de trouver la masse ou les ouvriers directement prts ˆ la
rŽvolution. Il suffirait alors de lier la satisfaction immŽdiate des poussŽes
Žconomiques avec le rŽsultat final du renversement du systme capitaliste,
comme si la voie rŽvolutionnaire Žtait rectiligne, et il n'y avait pas de saut
qualitatif en passant de l'Žconomique au politique, du syndicat au parti, des
revendications Žconomiques immŽdiates ˆ celles de la rŽvolution et du
socialisme. Il suffirait de trouver une formule de propagande ou d'agitation,
voire d'organisation, qui relie directement les conqutes limitŽes et
partielles ˆ la rŽalisation maximum du programme rŽvolutionnaire.
En fait, le parti du prolŽtariat est politique et communiste, et les intŽrts
immŽdiats, s'ils sont directs, tendent ˆ se rŽaliser dans l'Žconomie et la
sociŽtŽ capitalistes. Le renversement des intŽrts immŽdiats en intŽrts plus
lointains, socialistes, tend ˆ se rŽaliser au sein des masses lorsque la
sociŽtŽ capitaliste ne peut manifestement pas satisfaire les besoins
ŽlŽmentaires des masses, ˆ savoir dans les couches surexploitŽes ou sacrifiŽes
et dans les pŽriodes de crise et de guerre. Il est vain de chercher une recette
organisatrice permettant de lier l'inconciliable : il faut bien plut™t
relier au socialisme les poussŽes qui s'opposent au capitalisme et tendent
au-delˆ de l'actuelle forme de production et de sociŽtŽ. Au reste, la
propagande rŽvolutionnaire, voire anticapitaliste, Žchoue partout ailleurs,
sinon le jour mme, du moins dans ses rŽsultats du lendemain.
Les rgles d'adhŽsion au parti de classe ne sont pas Žconomiques, mais au
contraire spŽcifiquement politiques, parce que les critres politiques
dŽfinissent actuellement l'appartenance ˆ la classe. Dans les conditions Žconomiques
du capital et du salariat, seul le mode politique peut affirmer la rŽalitŽ
sociale, anticapitaliste, du prolŽtariat, ainsi que son action et son but
historiques, autrement dit ses intŽrts gŽnŽraux et collectifs.
Transfuges d'autres
classes
et intŽgration
Toute rgle
d'organisation est une synthse de toute la thŽorie du mouvement. Les
conditions d'adhŽsion au parti de classe ne peuvent donc tre que politiques.
Marx-Engels considrent que tout individu, de quelque classe qu'il provienne,
peut adhŽrer au communisme, et ce non seulement au dŽbut du capitalisme,
lorsque le prolŽtariat tire ses Ç ŽlŽments de culture È de l'apport
d'autres classes, mais encore Ç au moment o la lutte des classes approche
de l'heure dŽcisive, o le procs de dŽcomposition de la classe dominante, de
la vieille sociŽtŽ tout entire, prend un caractre si violent et si ‰pre qu'une
petite fraction de la classe dominante se dŽtache de celle-ci et se rallie ˆ la
classe rŽvolutionnaire, qui porte en elle l'avenir. De mme que jadis une
partie de la noblesse passa ˆ la bourgeoisie, de nos jours une partie de la
bourgeoisie passe au prolŽtariat, et notamment cette partie des idŽologues
bourgeois qui se sont haussŽs ˆ l'intelligence du mouvement gŽnŽral de
l'histoire [1]. En soi, la question des intellectuels et du r™le qu'ils peuvent
jouer est secondaire, comme l'est, au niveau politique, la question de la
provenance Žconomique des individus. L'essentiel, c'est l'adhŽsion ferme au
programme politique et social du prolŽtariat, ainsi que l'Žtablissement des
conditions du rapprochement et de la fusion complte entre les ŽlŽments
Ç ouvriers È des divers mŽtiers et catŽgories [2]. CÕest une toute petite minoritŽ d'intellectuels qui participe ˆ
cette association pour des raisons exceptionnelles, et le prolŽtariat l'utilise
dans le sens indiquŽ par Marx. Toute l'expŽrience est lˆ pour avertir que le
prolŽtariat doit se mŽfier, par des garanties organisationnelles d'ordre
tactique, du danger toujours prŽsent que ces ŽlŽments intellectuels, et avec
eux d'ailleurs les ouvriers ŽlevŽs au rang de chefs du mouvement, se transforment
en agents de la bourgeoisie dans les rangs ouvriers.
La rgle de l'adhŽsion individuelle au parti, chaque individu acceptant le
programme politique sur la base de ses opinions, prŽsente, entre autres
avantages, celui de favoriser la lutte contre l'esprit particulariste, qui est
le plus vivace et le plus dangereux chez les groupes et catŽgories, et est
suscitŽ par les conditions Žconomiques du capitalisme et Ç la concurrence
qui rena”t sans cesse entre les travailleurs È (Manifeste). Elle place les
individus isolŽs en face du parti et de son programme, et les met tous sur un
mme pied, sans distinction ni particularitŽ. En outre, cette rgle fait
ressortir clairement que chaque ouvrier est communiste, parce qu'il lutte pour
le rŽsultat final, la victoire de sa classe et la fondation d'une sociŽtŽ sans
classe, et non simplement pour l'amŽlioration de sa propre condition ou celle
de sa catŽgorie, voire celle du prolŽtariat, dans le cadre de la prŽsente sociŽtŽ.
Par ailleurs, l'utilitŽ d'intellectuels se manifeste dans le simple fait qu'il
est impossible de se passer de l'aide de thŽoriciens, d'Žcrivains et de propagandistes,
Žtant donnŽ les conditions actuelles qui donnent ˆ la classe bourgeoise le
monopole de la culture.
L'expŽrience a montrŽ que les chefs d'origine ouvrire se sont rŽvŽlŽs au
moins aussi capables que les intellectuels d'opportunisme et de trahison, et en
gŽnŽral plus susceptibles d'tre absorbŽs par les influences bourgeoises.
Nous en venons ainsi au problme des Ç chefs È, dont le point le
plus dŽlicat ne rŽside pas tant dans leur origine, prolŽtarienne ou non, mais
dans leur r™le dans l'organisation, par exemple leur qualitŽ de fonctionnaire
du parti. C'est cette dernire qui les prŽdispose d'abord ˆ s'endormir dans la
Ç routine È bureaucratique, puis ˆ se dŽsolidariser progressivement
des intŽrts rŽvolutionnaires des ouvriers, dont la vie est autrement prŽcaire
et menacŽe. Ce qui favorise au maximum le dŽveloppement nŽfaste de la bureaucratie
de parti et de syndicat, c'est l'ambiance pacifique et dŽmocratique, qui
multiplie et encourage les contacts et les compromis avec l'ƒtat existant. En
Russie, sous le tsarisme, par exemple, les Ç rŽvolutionnaires professionnels È
Žtaient pourchassŽs par le rŽgime et sa police. Le problme se posait autrement
que dans les pays bourgeois dŽveloppŽs et dans la social-dŽmocratie allemande
de la dernire pŽriode de la vie de Marx-Engels par exemple. L'erreur fatale
dans ce domaine, c'est de donner un statut particulier, voire une autonomie,
formelle ou rŽelle, ˆ un corps de fonctionnaires ou au cercle des
parlementaires dans ce qu'il faut alors appeler l'appareil du parti.
Nous arrivons
ainsi ˆ la question de l'autoritŽ et de la discipline dans le parti, donc aussi
des fractions et des scissions.
Moyens de surmonter
les crises internes
Au dŽpart, il faut encore rappeler que le parti est une organisation ˆ
adhŽsion volontaire. C'est un fait inhŽrent ˆ la nature historique des partis,
et nullement la reconnaissance d'un quelconque Ç principe È ou
Ç modle È, comme le montre d'ailleurs l'exemple de la 1re
Internationale qui admettait des sociŽtŽs ouvrires, ˆ ses dŽbuts notamment. De
fait, on ne peut obliger personne ˆ prendre la carte du parti, pas plus qu'on
ne peut instaurer un systme de conscription pour une, levŽe de communistes, ni
mme exercer une sanction contre celui qui ne se conforme pas ˆ la discipline
interne.
Il n'est pas question de dire par lˆ qu'il est dŽsirable ou non qu'il en
soit ainsi : c'est un fait, et il n'y a pas de moyens susceptibles de le
changer. En consŽquence, il n'est pas possible d'adopter la formule, certes
riche en avantages, de l'obŽissance absolue dans l'exŽcution des ordres venus
d'en haut.
Le stalinisme, hybride de parti et d'ƒtat ‑ ce qui explique ces phŽnomnes
‑, a tentŽ d'introduire une discipline mŽcanique, et a faussŽ dans
l'actuelle gŽnŽration l'idŽe de discipline et mme de parti en introduisant
dans son sein des mŽcanismes terroristes. Marx-Engels, quoique partisans de la
discipline, de l'autoritŽ et de la hiŽrarchie (pour des raisons de
centralisation de l'action et de la doctrine de la collectivitŽ du parti), sont
Žtrangers ˆ l'idŽe d'utiliser des mŽthodes de terreur idŽologique ou physique
dans le parti. Engels, par exemple, trouve la chose absurde : Ç Une
dictature prŽsuppose toujours que le dictateur ait entre ses mains une puissance
matŽrielle pour faire exŽcuter ses ordres dictatoriaux. Maintenant, tous ces
journalistes nous obligeraient s'ils voulaient bien nous dire o le Conseil
gŽnŽral a son arsenal de ba•onnettes et de mitrailleuses [3]. È Marx-Engels ont Žtabli la rgle
selon laquelle l'Internationale reprŽsente les intŽrts gŽnŽraux et historiques
du prolŽtariat de tous les pays et, de ce fait, commande ˆ l'ƒtat de la
dictature du prolŽtariat de tel ou tel pays. L'inverse est une perversion de la
nature, du r™le et des t‰ches du parti de classe.
L'inscription au parti Žtant volontaire, mme aprs la prise du pouvoir, on
ne peut considŽrer comme une juste application du centralisme organique le
maintien de la discipline ˆ l'aide de mesures violentes. Celles-ci ne peuvent
qu'tre copiŽes, jusque dans le langage, sur des pratiques constitutionnelles
bourgeoises, comme par exemple la dŽmocratie (dictature de la majoritŽ) ou le
droit du pouvoir exŽcutif de dissoudre et de reconstituer les assemblŽes Žlues.
Il en va de mme de lÕodieuse autocritique ; non seulement elle est
humiliante et dŽgradante pour les militants et lÕhonneur du parti, mais encore
elle est inefficace : le fait de se repentir et d'avouer ses pŽchŽs nÕa
jamais eu pour effet ou but, mme dans les religions, d'empcher la rŽpŽtition
des errements du pŽcheur. Apprendre de ses erreurs, comme l'enseignaient
Luxemburg et LŽnine, aprs Marx-Engels, nÕa rien de commun avec l'autocritique.
Il faut le dire et le rŽpŽter ‑ d'autant que le marxisme est profondŽment
Žtranger aux fŽtiches de la libertŽ et du libre arbitre, issus historiquement
de la rŽvolution bourgeoise ‑, le parti nÕest pas une armŽe, pas plus
quÕun mŽcanisme dÕƒtat, car dans ces organismes la part d'autoritŽ dŽrivant de
la structure hiŽrarchique est tout, celle qui provient de l'adhŽsion volontaire
n'est rien. Cela Žtant, il reste toujours au militant un moyen de ne pas
exŽcuter les ordres, un moyen auquel on ne peut opposer aucune sanction matŽrielle :
il lui suffit d'abandonner le parti.
Cela nous amne
au rglement des conflits surgis dans le parti. Il nÕest pas de discipline
mŽcanique, susceptible dÕappliquer n'importe quel ordre ou directive. CÕest un
ensemble cohŽrent d'ordres et de directives, rŽpondant au but rŽel du
mouvement, qui est susceptible de garantir le maximum de discipline,
c'est-ˆ-dire une action unitaire de tout l'organisme. En fait, certaines
directives Žmanant du centre peuvent compromettre la discipline et la soliditŽ
organisationnelle : pour cela, il suffit quelles ne soient pas cohŽrentes.
LÕexpŽrience montre que les conflits surgissent essentiellement aux Ç tournants È
que prend le parti.
LÕexpŽrience
montre que le critre de la discipline pour la discipline est adoptŽ, dans des
situations donnŽes, par les contre-rŽvolutionnaires et sert d'obstacle ˆ la
formation d'un vŽritable parti rŽvolutionnaire de classe, comme Marx-Engels
nÕont cessŽ de le rŽpŽter, notamment aux dirigeants social-dŽmocrates. Il nÕont
cessŽ de leur donner des leons sur la faon dont ils mŽprisaient toutes les mesures
formelles de contrainte dictŽes par lÕappareil du parti qui, au reste, violait
ˆ chaque fois un principe. LŽnine a ŽtŽ cent fois attaquŽ comme dŽsagrŽgateur,
violateur des devoirs envers le parti, mais nÕen poursuivit pas moins sa route
imperturbablement. Ë l'inverse, l'exemple le plus malheureux de l'application
formaliste et bureaucratique de la discipline est celui de Karl Liebknecht qui
sÕestima contraint, le 14 aožt 1914, de voter en faveur des crŽdits de guerre
pour obŽir ˆ la fraction parlementaire.
Il ne fait pas de doute quÕˆ certains moments et dans certaines situations,
dont il faut examiner au mieux la possibilitŽ de se reproduire ˆ l'avenir,
l'orientation rŽvolutionnaire s'affirme en rompant la discipline et le
centralisme hiŽrarchique de l'organisation antŽrieure. Le fil conducteur qui
relie au but rŽvolutionnaire ne peut donc jamais tre trouvŽ ‑ sur ce
point comme sur les autres ‑dans le respect formel et constant des chefs
officiellement investis. Ici comme ailleurs, le seul critre c'est la cohŽrence
avec le programme d'ensemble.
L'action et la
t‰che des organes dirigeants doivent donc tre bien dŽlimitŽes. Ici encore, ce
n'est que toute l'organisation et le programme qui doivent le faire, non dans
le sens banal et parlementaire d'un droit de consultation sur le
Ç mandat È ˆ confŽrer aux chefs Žlus dans les limites de celui-ci,
mais au sens dialectique qui considre la tradition, la prŽparation, la
continuitŽ rŽelle de pensŽe et d'action du mouvement. Les ordres que donnent
les hiŽrarchies centrales ne sont pas le point de dŽpart, mais le rŽsultat du
programme et du mouvement tout entier fonctionnant comme une collectivitŽ. Cela
n'est pas dit dans le sens platement juridique ou dŽmocratique, mais dans le
sens rŽel et historique. C'est en sachant agir dans le domaine tactique, sur
l'extŽrieur, et en s'interdisant, au moyen de normes d'action prŽcises et
respectŽes, d'emprunter des voies de traverse, et jamais par de simples credo
thŽoriques ou des sanctions disciplinaires, que l'on assure le maximum de
discipline et d'efficacitŽ.
L'Žtude et la comprŽhension des situations doivent donc tre les ŽlŽments
nŽcessaires des dŽcisions tactiques, non pour donner lieu, selon le caprice des
chefs, ˆ de surprenantes Ç improvisations È, mais pour que le
mouvement sache que l'heure est venue de passer ˆ telle action prŽvue. Nier la
possibilitŽ et la nŽcessitŽ de prŽvoir les grandes lignes de la tactique,
c'est-ˆ-dire nier que l'on puisse prŽvoir l'action ˆ exercer dans les
diffŽrentes hypothses possibles sur le dŽveloppement des situations
objectives, c'est renoncer aux t‰ches du parti, c'est Žliminer la seule
garantie que l'on puisse donner d'une exŽcution des ordres du centre dirigeant
par les militants du parti et les masses.
La tactique juste est donc celle dont l'application ‑ au tournant des
situations, lorsque le centre dirigeant n'a pas le temps de consulter le parti
et moins encore les masses ‑n'entra”ne ni dans celles-ci ni dans celui-lˆ
de rŽpercussions inattendues pouvant entraver la stratŽgie rŽvolutionnaire.
L'art de prŽvoir comment le parti rŽagira aux ordres qu'il reoit et quels
ordres entra”neront une juste rŽaction, voilˆ l'art de la tactique
rŽvolutionnaire. Elle ne peut se former que par l'utilisation collective des
expŽriences de l'action passŽe, condensŽes en rgles d'action claires. En s'en
remettant aux dirigeants pour les exŽcuter, les militants s'assurent que
ceux-ci ne trahiront pas leur charge, tout en s'engageant eux-mmes ˆ exŽcuter
totalement, d'une manire fŽconde et dŽcidŽe, les ordres qu'ils recevront du
mouvement. Le parti Žtant perfectible et non parfait, il faut sacrifier
beaucoup ˆ la clartŽ, au pouvoir de persuasion des rgles tactiques, mme si
cela entra”ne une certaine schŽmatisation. L'expŽrience a montrŽ que si le
mouvement subit un Žchec dans l'affrontement, l'Žclectisme, l'improvisation et
l'opportunisme ne sont pas capables, au contraire, de le faire sortir de ce mauvais
pas. Seul le peut un nouvel effort d'adaptation tactique ‑ plus rigoureux
‑ aux t‰ches du parti.
Un bon parti ne suffit pas ˆ produire une bonne tactique, c'est au
contraire la bonne tactique qui engendre le bon parti, et la bonne tactique est
celle que tous ont comprise et choisie ˆ partir des lignes fondamentales du
programme.
Au lieu de s'en prendre aux hommes ou aux rgles formelles, lorsque les
choses ne vont pas, la dialectique marxiste montre que si les crises
disciplinaires se multiplient au point de devenir la rgle, c'est que quelque
chose ne va pas dans le fonctionnement rŽel du parti, et trs certainement dans
l'application de son programme de principes.
Comme nous l'avons vu, les causes de conflit Žtaient inscrites dans l'organisation
mme de la Ire Internationale et avaient alors leur justification
historique. Marx lui-mme avait admis les sociŽtŽs ouvrires les plus diverses
et donc reconnu la formation de tendances et de fractions qui Žtaient des
partis dans le parti, et ce pour mieux les dissoudre. La discipline et les
scissions, avec les mŽthodes de consultation dŽmocratique pour se compter,
Žtaient tout normalement la consŽquence de cette situation. Avec le renforcement
mme de l'Internationale, du point de vue thŽorique aussi bien que pratique, la
lutte devait donc s'accro”tre en son sein, et c'est ce qui arriva avec la,
lutte contre l'anarchisme et l'exclusion de cette tendance.
Mais la constitution de fractions ne saurait tre une recette, nŽgative ou
positive, ˆ l'Žvolution du parti. Dans ce point d'organisation, comme dans tous
les autres, on ne peut juger qu'en fonction de la synthse, du programme
gŽnŽral. Si la fraction est un moyen effectif de sauvegarder l'intŽgritŽ de
tout le programme, c'est un moyen devant lequel il ne faut pas reculer, et de
fait elle conduit ˆ la constitution du parti de classe seul et unique. Ce cas
s'est prŽsentŽ aux Ç gauches È de la IIe Internationale, qui se sont
groupŽes ensuite pour former la IIIe Internationale. Lors de la
dŽgŽnŽrescence, le mme problme s'est posŽ de, nouveau [4].
Lorsque, plus
tard, le parti se forme au dŽpart sur les positions du communisme marxiste,
l'apparition et le dŽveloppement de fractions ne peut plus tre que l'indice
d'une aberrante maladie gŽnŽrale du parti, et le sympt™me d'un manque de
liaison et d'accord des fonctions vitales du parti avec ses buts finaux. On
combat le mieux cette situation en s'efforant de dŽterminer la cause de la
maladie afin de pouvoir l'Žliminer. Autrement dit, il faut Žviter l'abus des
mesures disciplinaires qui ne peuvent rŽsoudre la situation que d'une manire
formelle et provisoire. L'unique moyen pour Žliminer les conditions qui donnent
vie aux fractions et pour garantir une discipline ferme mais consciente, c'est
d'adopter un maximum de clartŽ et de franchise dans le programme et les
conditions d'adhŽsion au mouvement. Il faut donc Žviter les manÏuvres
organisationnelles qui ont trait aux doubles appartenances de parti, fusions,
constitution de fractions au sein d'autres partis, etc. Qu'on le veuille ou
non, elles brisent la continuitŽ rationnelle de dŽveloppement du parti et
minent les rgles mmes de sa vie et de son fonctionnement, autrement dit, ce ˆ
quoi se relie pour l'essentiel la discipline.
Certes,
Marx-Engels ont donnŽ leur bŽnŽdiction ˆ la fusion de leurs partisans
d'Eisenach avec les ŽlŽments lassallŽens. Mais la question n'en reste pas
moins : Žtait-ce parce que cela correspondait ˆ leurs principes et
volontŽs propres, ou parce qu'ils ratifiaient simplement le fait
accompli ? En tout cas, avant l'opŽration, Engels Žcrivait ˆ Bebel :
Ç D'aprs notre conception confirmŽe par une longue pratique, la juste
tactique dans la propagande n'est pas d'arracher ou de dŽtourner ˆ et lˆ ˆ
l'adversaire quelques individus, voire quelques-uns des membres de
l'organisation adverse, mais d'agir sur la grande masse de ceux qui n'ont pas
encore pris parti. Une seule force nouvelle que l'on tire ˆ soi de son Žtat
brut vaut dix fois plus que dix transfuges lassallŽens qui apportent toujours
avec eux le germe de leur fausse orientation dans le parti. È Et de
conclure : Ç Tout au long de notre vie, c'est toujours avec ceux qui
criaient le plus ˆ l'unitŽ que nous avons eu les plus grands ennuis et reu les
plus mauvais coups. È (Engels ˆ Bebel, 20 juin 1873).
L'une des
conclusions, non formellement Žcrite par Marx et Engels, mais qui ressort de
toute leur faon d'agir profonde et s'applique pour l'organisation de parti
moderne, fondŽe sur des principes pleinement communistes, c'est que l'absence
d'Žlections ou de vote de thses nouvelles qui bouleversent ou changent les
thses primitives et fondamentales doit conduire tout naturellement ˆ la
suppression des radiations, des expulsions ou des dissolutions de groupes
locaux, et donc de tout l'arsenal du dŽmocratisme. Si l'Žvolution du parti est
bonne, ces procŽdŽs doivent devenir toujours plus rares au sein du parti pour
finalement dispara”tre. Si c'est le contraire qui se produit, cela signifie que
le centre n'a pas correctement rempli ses fonctions, qu'il a perdu toute
influence rŽelle et qu'il peut d'autant moins obtenir la discipline de la base
qu'il l'exige plus sŽvrement. Ë plus forte raison est-ce le cas quand, au lieu
de servir ˆ sauver les principes sains et rŽvolutionnaires, ces questions
disciplinaires servent ˆ imposer les positions conscientes ou inconscientes de
l'opportunisme.
Une dernire
remarque : tous les textes suivants dŽcrivent l'activitŽ de parti ˆ
l'Žpoque o la bourgeoisie ‑ en Europe occidentale du moins ‑ est
parvenue au pouvoir. Ds lors, le prolŽtariat se multiplie dans la production
et devient la classe la plus nombreuse et dŽcisive de la sociŽtŽ. La lutte du
parti se dŽplace alors : comme l'ont fait d'abord Marx-Engels, puis
LŽnine, il faut alors lutter d'abord au sein de la classe ouvrire contre les
dŽviations, l'opportunisme et les influences bourgeois, avant de pouvoir passer
ˆ l'assaut du pouvoir bourgeois.
Le
parti de classe. Tome III. Questions dÕorganisation
Chapitre 1
Luttes de tendances et dissolution
de lÕInternationale
Art. 7 a : Dans
sa lutte contre le pouvoir collectif des classes possŽdantes, le prolŽtariat ne
peut agir comme classe qu'en se constituant lui-mme en parti politique
distinct et opposŽ ˆ tous les anciens partis formŽs par les classes
possŽdantes.
Cette constitution du
prolŽtariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la
rŽvolution sociale et de son but suprme : l'abolition des classes.
La coalition des forces
ouvrires, dŽjˆ obtenue par la lutte Žconomique, doit aussi servir de levier
aux mains de cette classe, dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses
exploiteurs.
Les seigneurs de la
terre et du capital se servant toujours de leurs privilges politiques pour
dŽfendre et perpŽtuer leurs monopoles Žconomiques et asservir le travail, la
conqute du pouvoir politique devient le grand devoir du prolŽtariat [5].
La ConfŽrence de
Londres de l'A. I. T.
(17 au 23-9-1871)
Propositions ˆ soumettre ˆ la confŽrence
par le Conseil gŽnŽral
1. Aprs la cl™ture de la confŽrence [6], aucune section ne sera reconnue comme
appartenant ˆ l'Association par le Conseil gŽnŽral et les conseils centraux des
diffŽrents pays, tant qu'elles n'auront pas versŽ au
Conseil gŽnŽra) leur contribution annuelle de 1 penny par tte pour l'annŽe en
cours.
II. a) Les
dŽlŽguŽs des pays o l'organisation rŽgulire de l'Association est pour le
moment impossible, en raison des empitements du gouvernement, sont invitŽs ˆ
proposer des plans d'organisation correspondant aux conditions particulires du
pays en question ; b) L'Association peut se reconstituer sous d'autres
noms ; c) Mais toutes les sociŽtŽs secrtes seront catŽgoriquement exclues.
III. Le Conseil gŽnŽral soumettra ˆ la confŽrence un rapport sur sa gestion
des affaires de l'Internationale depuis le dernier congrs.
IV. Le Conseil gŽnŽral proposera ˆ la confŽrence de discuter de
l'opportunitŽ d'adresser une rŽponse aux diffŽrents gouvernements qui ont
persŽcutŽ l'Internationale, et continuent de le faire ; la confŽrence doit
nommer une commission qui sera chargŽe de prŽparer cette rŽponse aprs la
confŽrence.
Tenir compte des rŽsolutions du Congrs de B‰le [7].
V. Pour Žviter des confusions, les conseils centraux des diffŽrents pays
sont priŽs de s'appeler dŽsormais conseils fŽdŽraux en ajoutant le nom du pays
qu'ils reprŽsentent ; les sections locales et leurs comitŽs doivent
s'appeler sections ou comitŽs de leurs localitŽs respectives.
VI. Tous les dŽlŽguŽs du Conseil gŽnŽral chargŽs de fonctions prŽcises
doivent avoir le droit d'assister ˆ toutes les rŽunions des conseils fŽdŽraux
et des comitŽs locaux ou sections, et d'y tre entendus, sans cependant avoir
droit de vote.
Le Conseil gŽnŽral doit tre chargŽ de sortir une nouvelle Ždition des
statuts incluant les rŽsolutions des congrs qui y ont trait ; comme en
France on ne conna”t jusqu'ici qu'une traduction franaise mutilŽe, qui a ŽtŽ
retraduite en espagnol et en italien, le Conseil gŽnŽral devra pourvoir ˆ une
traduction franaise authentique et l'envoyer Žgalement en Espagne, en Italie.
Allemand pour la Hollande.
Imprimer simultanŽment en trois langues [8].
Intervention de Marx au dŽbut de la
confŽrence
MARX : Le Conseil gŽnŽral a convoquŽ une confŽrence :
d'abord, pour se
concerter avec les dŽlŽguŽs des divers pays sur les mesures ˆ prendre pour
parer aux dangers que court l'Association dans un grand nombre de pays, et pour
mettre sur pied une organisation nouvelle, rŽpondant aux besoins de la
situation. De leur c™tŽ, les dŽlŽguŽs devront faire des propositions [9] ;
en second lieu, pour Žlaborer une rŽponse aux divers gouvernements qui ne
cessent de travailler ˆ la destruction de l'Association par tous les moyens
dont ils disposent ;
et, enfin, pour rŽgler dŽfinitivement le conflit suisse, selon la demande
de Guillaume.
D'autres questions secondaires seront certainement soulevŽes dans le cours
de la confŽrence, et devront trouver leur solution.
Le citoyen Marx ajoute qu'il sera nŽcessaire de faire une dŽclaration
publique vis-ˆ-vis du gouvernement russe qui essaie d'impliquer l'Association
dans une certaine affaire de sociŽtŽ secrte, dont les principaux meneurs sont
compltement Žtrangers ou hostiles ˆ l'Association [10].
Cette confŽrence
est privŽe, mais lorsque tous les dŽlŽguŽs seront retournŽs dans leur pays, le
Conseil gŽnŽral publiera telle rŽsolution que la confŽrence aura jugŽ
nŽcessaire de publier.
RŽsolutions de la ConfŽrence des dŽlŽguŽs,
rŽunie ˆ Londres, du 17 au 23 septembre 1871
I. Composition du Conseil gŽnŽral
La confŽrence
recommande au Conseil gŽnŽral de limiter le nombre des membres qu'il s'adjoint,
et d'Žviter que ces adjonctions ne se fassent trop exclusivement parmi des citoyens
appartenant ˆ une seule nationalitŽ [11].
II. DŽnominations des conseils nationaux ou rŽgionaux, des branches,
sections, groupes locaux et de leurs comitŽs respectifs [12]
1. ConformŽment ˆ la rŽsolution prise par le Congrs de B‰le (1869), les
conseils centraux des divers pays o l'Association internationale des
travailleurs est rŽgulirement organisŽe se dŽsigneront ˆ l'avenir sous le nom
de conseils fŽdŽraux, ou comitŽs fŽdŽraux, en y ajoutant les noms de leurs pays
respectifs, la dŽsignation de Conseil gŽnŽral Žtant rŽservŽe au Conseil central
de l'Internationale.
2. Les branches, sections ou groupes locaux et leurs comitŽs se dŽsigneront
et se constitueront ˆ l'avenir simplement et exclusivement comme branches,
sections, groupes et comitŽs de l'Association internationale des travailleurs
en ajoutant les noms de leurs localitŽs respectives.
3. Il sera donc dŽsormais dŽfendu aux branches, sections et groupes de se
dŽsigner par des noms de secte, comme par exemple les noms de branches
positivistes, mutualistes, collectivistes, communistes, etc., ou de former des
groupes sŽparatistes, sous le nom de Ç section de propagande È, etc.,
en se donnant des missions spŽciales, en dehors du but commun poursuivi par
tous les groupes de l'Internationale.
4. Toutefois, il est bien entendu que la rŽsolution n¡ 2 ne s'applique pas
aux syndicats affiliŽs ˆ l'Internationale.
III. DŽlŽguŽs au Conseil gŽnŽral
Tous les dŽlŽguŽs du Conseil gŽnŽral chargŽs de missions spŽciales auront
le droit d'assister et de se faire entendre ˆ toutes les rŽunions des conseils
ou comitŽs fŽdŽraux, des comitŽs de districts ou locaux, et des branches
locales, sans cependant avoir le droit de vote.
IV. Cotisation de 10 centimes par membre ˆ payer au Conseil gŽnŽral [13]
1. Le Conseil gŽnŽral fera imprimer des timbres uniformes, reprŽsentant la
valeur de 10 centimes chacun, dont il enverra annuellement le nombre demandŽ
aux conseils ou comitŽs fŽdŽraux.
2. Les conseils ou comitŽs fŽdŽraux feront parvenir aux comitŽs locaux ou,
ˆ dŽfaut, aux sections de leur ressort le nombre de timbres correspondant au
nombre des membres qui les composent.
3. Ces timbres seront alors appliquŽs sur une feuille du livret disposŽe ˆ
cet effet ou sur l'exemplaire des statuts dont tout membre de l'Association
doit tre muni.
4. Ë la date du 1er mars, les conseils fŽdŽraux des divers pays
ou rŽgions seront tenus d'envoyer au Conseil gŽnŽral le montant des timbres
employŽs et le solde des timbres leur restant en caisse.
5. Ces timbres reprŽsentant la valeur des cotisations individuelles
porteront le chiffre de l'annŽe courante.
V. Formation de sections de femmes
La confŽrence
recommande la formation de sections de femmes au sein de la classe ouvrire. Il
est bien entendu que cette rŽsolution ne porte nullement atteinte ˆ l'existence
ou ˆ la formation de sections composŽes de travailleurs des deux sexes [14].
VI. Statistique gŽnŽrale de la classe ouvrire
1. La ConfŽrence
invite le Conseil gŽnŽral ˆ mettre ˆ exŽcution l'article 5 des statuts
originaux relatifs ˆ la statistique gŽnŽrale de la classe ouvrire et ˆ appliquer
les rŽsolutions prises par le Congrs de Genve (1866) ˆ ce mme effet.
2. Chaque section locale est tenue d'avoir dans son sein un comitŽ spŽcial
de statistique qui sera toujours prt dans la mesure de ses moyens ˆ rŽpondre
aux questions susceptibles de lui tre adressŽes par le conseil ou le comitŽ
fŽdŽral du pays, ou par le Conseil gŽnŽral de l'Internationale. Il est
recommandŽ ˆ toutes les sections de rŽtribuer les secrŽtaires des comitŽs de
statistique, vu l'importance et l'utilitŽ gŽnŽrale de leur travail pour la
classe ouvrire.
3. Au 1er aožt de chaque annŽe, les conseils ou comitŽs fŽdŽraux
enverront les documents recueillis au Conseil gŽnŽral qui en fera un rŽsumŽ ˆ
soumettre aux congrs ou confŽrences tenus au mois de septembre.
4. Le refus par une sociŽtŽ de rŽsistance ou une branche internationale de
donner les renseignements demandŽs sera portŽ ˆ la connaissance du Conseil
gŽnŽral qui aura ˆ statuer ˆ ce sujet [15].
VII. Liaisons internationales des sociŽtŽs de rŽsistance
Le Conseil gŽnŽral est invitŽ ˆ appuyer, comme par le passŽ, la tendance
croissante des sociŽtŽs de rŽsistance (syndicats) d'un pays ˆ se mettre en
rapport avec les sociŽtŽs de rŽsistance du mme mŽtier dans tous les autres
pays [16]. L'efficacitŽ de sa fonction comme intermŽdiaire
international entre les sociŽtŽs de rŽsistance nationales dŽpendra
essentiellement du concours que ces sociŽtŽs elles-mmes prteront ˆ la
statistique gŽnŽrale du travail poursuivie par l'Internationale.
VIII. Les producteurs agricoles
Les bureaux des syndicats de tous les pays sont invitŽs ˆ envoyer au
Conseil gŽnŽral leur adresse.
1. La confŽrence invite le Conseil gŽnŽral et les conseils ou comitŽs
fŽdŽraux ˆ prŽparer, pour le prochain congrs, des rapports sur les moyens
d'assurer l'adhŽsion des producteurs agricoles au mouvement du prolŽtariat
industriel.
2. En attendant, les conseils ou comitŽs fŽdŽraux sont invitŽs ˆ envoyer
des dŽlŽguŽs dans les campagnes pour y organiser des rŽunions publiques, faire
de la propagande pour l'Internationale et fonder des sections agricoles [17].
IX. L'action politique de la classe ouvrire
Vu les
considŽrants des statuts originaux o il est dit : Ç L'Žmancipation
Žconomique de la classe ouvrire est le grand but auquel tout mouvement politique
doit tre subordonnŽ comme moyen [18] ;
Vu l'Adresse inaugurale de l'Association internationale des travailleurs
(1864), qui dit : Ç Les seigneurs de la terre et les seigneurs du
capital se serviront toujours de leurs privilges politiques pour dŽfendre et
perpŽtuer leurs monopoles Žconomiques. Bien loin de pousser ˆ l'Žmancipation
des travailleurs, ils continueront ˆ y opposer le plus d'obstacles possibles...
La conqute du pouvoir politique est donc devenue le premier devoir de la
classe ouvrire È ;
Vu la rŽsolution du Congrs de Lausanne (1867) ˆ cet effet :
Ç L'Žmancipation sociale des travailleurs est insŽparable de leur
Žmancipation politique È ;
Vu la dŽclaration du Conseil gŽnŽral sur le prŽtendu complot des
Internationaux franais ˆ la veille du plŽbiscite (1870), o il est dit :
Ç D'aprs la teneur de nos statuts, toutes nos sections en Angleterre, sur
le continent et en AmŽrique ont la mission spŽciale non seulement de servir de
centres d'organisation militante de la classe ouvrire, mais aussi de soutenir
dans leurs pays respectifs tout mouvement politique tendant ˆ l'accomplissement
de notre but final : l'Žmancipation de la classe ouvrire ;
Attendu que des traductions infidles des statuts originaux ont donnŽ lieu
ˆ des interprŽtations fausses qui ont ŽtŽ nuisibles au dŽveloppement et ˆ
l'action de l'Association internationale des travailleurs ;
En prŽsence d'une rŽaction sans frein qui Žtouffe par la violence tout
effort d'Žmancipation de la part des travailleurs, et prŽtend maintenir par la
force brutale les diffŽrences de classe et la domination politique des classes
possŽdantes qui en rŽsulte ;
ConsidŽrant en outre
Que, contre ce pouvoir collectif des classes possŽdantes, le prolŽtariat ne
peut agir comme classe qu'en se constituant lui-mme en parti politique
distinct, opposŽ ˆ tous les anciens partis formŽs par les classes
possŽdantes ;
Que cette constitution de la classe ouvrire en parti politique est
indispensable pour assurer le triomphe de la rŽvolution sociale et de son but
suprme : l'abolition des classes ;
Que la coalition des forces ouvrires dŽjˆ obtenue par les luttes
Žconomiques doit aussi servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte
contre le pouvoir politique de ses exploiteurs,
la confŽrence rappelle aux membres de l'Internationale que, dans l'Žtat
militant de la classe ouvrire, son mouvement Žconomique et son action
politique sont indissolublement unis.
X. RŽsolution gŽnŽrale relative aux pays o l'organisation rŽgulire de
l'Internationale est entravŽe par les gouvernements
Dans les pays o
l'organisation rŽgulire de l'Association internationale des travailleurs est
momentanŽment devenue impraticable par suite de l'intervention gouvernementale,
l'Association et ses groupes locaux pourront se constituer sous diverses
dŽnominations, mais toute constitution de section internationale sous forme de
sociŽtŽ secrte est et reste formellement interdite [19].
XI. RŽsolutions relatives ˆ la France
1. La confŽrence
exprime sa ferme conviction que toutes les poursuites ne feront que doubler
l'Žnergie des adhŽrents de l'Internationale, et que les branches continueront ˆ
s'organiser, sinon par grands centres, du moins par ateliers et fŽdŽrations
d'ateliers correspondant par le truchement de leurs dŽlŽguŽs.
2. En consŽquence, la confŽrence invite toutes les branches ˆ continuer
sans rel‰che la propagande des principes de notre association en France et ˆ y
importer le plus grand nombre possible d'exemplaires de toutes les publications
et des statuts de l'Internationale [20].
XII. RŽsolution relative ˆ l'Angleterre
La confŽrence
invite le Conseil fŽdŽral ˆ aviser les branches anglaises de Londres de former
un comitŽ fŽdŽral pour
Londres, lequel, aprs s'tre mis en rapport avec les branches provinciales et
les sociŽtŽs de rŽsistance (syndicats) affiliŽes, et aprs avoir reu leur adhŽsion,
sera reconnu par le Conseil gŽnŽral comme conseil fŽdŽral anglais [21].
XIII. RŽsolutions particulires de la confŽrence
1. La confŽrence
approuve l'adjonction des rŽfugiŽs de la Commune de Paris que le Conseil
gŽnŽral a admis dans son sein.
2. La confŽrence dŽclare que les ouvriers allemands ont rempli leur devoir
pendant la guerre franco-allemande.
3. La confŽrence remercie fraternellement les membres de la fŽdŽration
espagnole pour leur travail sur l'organisation de l'Internationale qui prouve
une fois de plus leur dŽvouement ˆ l'Ïuvre commune.
4. Le Conseil gŽnŽral fera immŽdiatement la dŽclaration formelle que
l'Association internationale des travailleurs est absolument Žtrangre ˆ la
prŽtendue conspiration Netcha•ev, lequel a frauduleusement usurpŽ et exploitŽ
le nom de l'Internationale.
XIV. Instructions pour le dŽlŽguŽ Outine
Le citoyen Outille est invitŽ ˆ publier dans le journal LÕƒgalitŽ (Genve)
un rŽsumŽ du procs Netcha•ev d'aprs les journaux russes et d'en communiquer
le manuscrit avant la publication au Conseil gŽnŽral.
XV. Convocation du prochain congrs
La confŽrence
laisse ˆ l'apprŽciation du Conseil gŽnŽral le soin de fixer, selon les ŽvŽnements,
la date et le sige du prochain congrs ou de la confŽrence qui le
remplacerait.
XVI. Alliance de la dŽmocratie socialiste
ConsidŽrant
Que l'Alliance de la dŽmocratie socialiste s'est dŽclarŽe dissoute (voir la
lettre au Conseil gŽnŽral, Genve, 10 aožt 1871, signŽe Joukovsky, secrŽtaire
de l'Alliance) ;
Que dans sa sŽance du 18 septembre (voir n¡ II de cette circulaire) la
confŽrence a dŽcidŽ que toutes les organisations de l'Association
internationale des travailleurs seront, conformŽment ˆ la lettre et ˆ l'esprit
des statuts gŽnŽraux, dŽsormais obligŽes ˆ s'appeler et ˆ se constituer
simplement et exclusivement comme branches, sections, etc., de l'Association
internationale des travailleurs avec les noms de leurs localitŽs respectives
attachŽs ; qu'il sera donc dŽfendu aux branches et sociŽtŽs existantes de
continuer ˆ se dŽsigner par des noms de secte, c'est-ˆ-dire comme groupes
mutualistes, positivistes, collectivistes, communistes, etc. ;
Qu'il ne sera plus non plus permis ˆ aucune branche ou sociŽtŽ dŽjˆ admise
de continuer ˆ former un groupe sŽparatiste sous la dŽsignation de
Ç section de propagande È, Ç Alliance de la dŽmocratie socialiste È,
etc., se donnant des missions spŽciales en dehors du but commun poursuivi par
la masse du prolŽtariat militant, rŽunie dans l'Association internationale des
travailleurs ;
Qu'ˆ l'avenir le Conseil gŽnŽral de l'Association internationale des
travailleurs devra interprŽter et appliquer dans ce sens l'article 5 de la
rŽsolution administrative du Congrs de B‰le : Ç Le Conseil gŽnŽral a
le droit d'admettre ou de refuser l'affiliation de toute nouvelle sociŽtŽ ou
groupe sauf appel du congrs suivant È,
la confŽrence dŽclare vidŽ l'incident de l'Alliance de la dŽmocratie
socialiste.
XVII. DiffŽrend entre les deux fŽdŽrations de la Suisse romande
1. Cet article rejette les fins de non-recevoir que le comitŽ fŽdŽral des
sections jurassiennes a fait valoir contre la compŽtence de la confŽrence. (La
rŽsolution sera publiŽe in extenso dans L'ƒgalitŽ de Genve [22].)
2. La confŽrence approuve la dŽcision du Conseil gŽnŽral du 29 juin
1870 [23].
NŽanmoins, considŽrant les poursuites auxquelles se trouve en butte l'Internationale,
la confŽrence fait appel ˆ l'esprit de solidaritŽ et d'union qui plus que
jamais doit animer les travailleurs. Elle conseille aux ouvriers des sections
jurassiennes de se rallier aux sections de la fŽdŽration romande. Dans le cas
o cette union ne pourrait se faire, elle dŽcide que la fŽdŽration des sections
dissidentes se nommera ˆ l'avenir FŽdŽration jurassienne. Elle donne avis que
dŽsormais le Conseil gŽnŽral sera tenu ˆ dŽnoncer et dŽsavouer publiquement
tous les journaux se disant organes de l'Internationale, lesquels, suivant
l'exemple donnŽ par Le Progrs et La SolidaritŽ, discuteraient dans leurs
colonnes, devant le public bourgeois, des questions qu'on ne doit discuter que
dans le sein des comitŽs locaux, des comitŽs fŽdŽraux et du Conseil gŽnŽral, ou
dans les sŽances privŽes et administratives des congrs, soit fŽdŽraux, soit
gŽnŽraux.
Note : les rŽsolutions de la confŽrence qui ne sont pas destinŽes ˆ la
publicitŽ seront communiquŽes aux conseils fŽdŽraux des divers pays par les
secrŽtaires correspondants du Conseil gŽnŽral.
Par ordre et au
nom de la confŽrence.
Signatures
Londres, 17 octobre 1871
RŽsolution de la ConfŽrence de Londres sur
le diffŽrend
entre les deux fŽdŽrations de la Suisse romande
En ce qui concerne ce diffŽrend :
1. La confŽrence doit, de prime abord, considŽrer les fins de non-recevoir
mises en avant par le comitŽ fŽdŽral des sections jurassiennes
qui n'appartiennent pas ˆ la fŽdŽration romande (voir la lettre du 4 septembre
adressŽe ˆ la confŽrence par le comitŽ fŽdŽral de ces sections [24] ).
Premire objection :
Ç Le Congrs gŽnŽral ‑ est-il dit dans cette lettre ‑
convoquŽ rŽgulirement peut seul tre compŽtent pour juger une affaire aussi
grave que celle de la scission dans la fŽdŽration romande. È
ConsidŽrant
Que lorsque des dŽmlŽs s'Žlveront entre les sociŽtŽs ou branches d'un
groupe national, ou entre des groupes de diffŽrentes nationalitŽs, le Conseil
gŽnŽral aura le droit de dŽcider sur le diffŽrend, sauf appel au congrs
prochain, qui dŽcidera dŽfinitivement (cf. point 7 des rŽsolutions du Congrs
de B‰le) ;
Que, d'aprs le point 6 des rŽsolutions du Congrs de B‰le, le Conseil
gŽnŽral a Žgalement le droit de suspendre jusqu'au prochain congrs une section
de l'Internationale [25] ;
Que ces droits du Conseil gŽnŽral ont ŽtŽ reconnus, quoique seulement en
thŽorie, par le comitŽ fŽdŽral des branches dissidentes du Jura : parce
que le citoyen Robin a sollicitŽ ˆ plusieurs reprises le Conseil gŽnŽral, au
nom de ce comitŽ, de prendre une rŽsolution dŽfinitive sur cette question (voir
les procs-verbaux du Conseil gŽnŽral) ;
Que les droits de la confŽrence, s'ils ne sont pas Žgaux ˆ ceux d'un
congrs gŽnŽral, sont en tout cas supŽrieurs ˆ ceux du Conseil gŽnŽral ;
Qu'en effet ce n'est pas le comitŽ fŽdŽral de la fŽdŽration romande, mais
bien le comitŽ fŽdŽral des branches dissidentes du Jura qui, par l'intermŽdiaire
du citoyen Robin, a demandŽ la convocation d'une confŽrence pour juger
dŽfinitivement ce diffŽrend (cf. le procs-verbal du Conseil gŽnŽral du
25-7-1871) ;
Par ces raisons :
La ConfŽrence considre la premire objection soulevŽe par la section du
Jura comme nulle et non avenue.
Deuxime
objection :
Ç Il serait, dit encore cette section, contraire ˆ l'ŽquitŽ la plus ŽlŽmentaire
de se prononcer contre une fŽdŽration ˆ laquelle on n'a pas procurŽ les moyens
de dŽfense... Nous apprenons aujourd'hui, indirectement, qu'une confŽrence
extraordinaire est convoquŽe ˆ Londres pour le 17 septembre... Il Žtait du
devoir du Conseil gŽnŽral d'en aviser tous les groupes rŽgionaux ; nous
ignorons pourquoi il a gardŽ le silence ˆ notre Žgard. È
ConsidŽrant
Que le Conseil gŽnŽral avait instruit tous ses secrŽtaires de donner avis
de la convocation d'une confŽrence aux sections des pays respectifs qu'ils
reprŽsentent ;
Que le citoyen Jung, secrŽtaire correspondant pour la Suisse, n'a pas avisŽ
le comitŽ des branches jurassiennes pour les raisons suivantes :
En violation flagrante de la dŽcision du Conseil gŽnŽral du 28 juin 1870,
ce comitŽ, comme il le fait encore dans sa dernire lettre adressŽe ˆ la
confŽrence, continue ˆ se dŽsigner comme comitŽ de la FŽdŽration romande.
Ce comitŽ avait le droit de faire appel de la dŽcision du Conseil gŽnŽral ˆ
un congrs futur, mais il n'avait pas le droit de traiter la dŽcision du
Conseil gŽnŽral comme non avenue.
Par consŽquent, il n'existait pas lŽgalement vis-ˆ-vis du Conseil gŽnŽral,
et le citoyen Jung n'avait pas le droit de le reconna”tre en l'invitant
directement ˆ envoyer des dŽlŽguŽs ˆ la confŽrence.
Le citoyen Jung n'a pas reu de la part de ce comitŽ les rŽponses aux
questions faites au nom du Conseil gŽnŽral ; depuis l'admission du citoyen
Robin au Conseil gŽnŽral, les demandes du comitŽ susdit ont toujours ŽtŽ
communiquŽes au Conseil gŽnŽral par l'intermŽdiaire du citoyen Robin, et jamais
par le secrŽtaire correspondant pour la Suisse.
ConsidŽrant
encore :
Qu'au nom du comitŽ susdit, le citoyen Robin avait demandŽ de rŽfŽrer le
diffŽrend d'abord au Conseil gŽnŽral, et puis, sur le
refus du Conseil gŽnŽral, ˆ une confŽrence ; que le Conseil gŽnŽral et son
secrŽtaire correspondant pour la Suisse Žtaient donc bien fondŽs ˆ supposer que
le citoyen Robin informerait ses correspondants de la rŽunion d'une confŽrence,
demandŽe par eux-mmes ;
Que la commission d'enqute nommŽe par la confŽrence pour Žtudier le
diffŽrend suisse a entendu le citoyen Robin comme tŽmoin ; que tous les
documents communiquŽs au Conseil gŽnŽral par les deux parties ont ŽtŽ soumis ˆ
cette commission d'enqute ; qu'il est impossible d'admettre que le comitŽ
susdit ait seulement ŽtŽ informŽ le 4 septembre de la convocation de la
confŽrence, attendu que dŽjˆ au mois d'aožt il avait offert au citoyen Malon de
l'envoyer comme dŽlŽguŽ ˆ la confŽrence,
par ces raisons, la confŽrence considre que la seconde objection soulevŽe
par la branche du Jura n'a aucun fondement.
Troisime
objection
Ç Une
dŽcision, dit-elle enfin, annulant les droits de notre fŽdŽration aurait ŽtŽ
des plus funestes quant ˆ l'existence de l'Internationale dans notre
contrŽe. È
ConsidŽrant que personne n'a demandŽ d'annuler les droits de la fŽdŽration
susdite, la confŽrence passe outre.
2. La confŽrence approuve la dŽcision du Conseil gŽnŽral du 28 juin 1870.
ConsidŽrant en mme temps les poursuites auxquelles se trouve en butte
l'Internationale, la confŽrence fait appel ˆ l'esprit de solidaritŽ et d'union,
qui plus que jamais doit animer les travailleurs.
Elle conseille aux ouvriers des sections jurassiennes de se rallier aux
sections de la fŽdŽration romande. Dans le cas o cette union ne pourrait se
faire, elle dŽcrte que la fŽdŽration des sections du Jura se nommera :
fŽdŽration jurassienne.
Elle donne avis que dŽsormais le Conseil gŽnŽral sera tenu ˆ dŽnoncer et ˆ
dŽsavouer tous les journaux, se disant organes de l'Internationale, qui, en
suivant l'exemple donnŽ par Le Progrs et La SolidaritŽ, discuteraient dans leurs
colonnes, devant le public bourgeois, des questions ˆ traiter exclusivement
dans le sein des comitŽs locaux, des comitŽs fŽdŽraux et du Conseil gŽnŽral, ou
dans les sŽances privŽes et administratives des congrs, soit fŽdŽraux, soit
gŽnŽraux.
Sur l'action
politique
de la classe ouvrire
Il est absolument impossible de s'abstenir des affaires politiques [26]. Mme les journaux qui ne font pas de
politique ne manquent pas, ˆ l'occasion, d'attaquer le gouvernement, et se
mlent donc de politique. La seule chose dont il s'agit, c'est de savoir quelle
politique on pratique et avec quels moyens ? Au demeurant, pour nous,
l'abstention est impossible. Le parti ouvrier existe dŽjˆ comme parti politique
dans la plupart des pays. Ce n'est certes pas ˆ nous de le ruiner en prchant
l'abstention. La pratique de la vie rŽelle et l'oppression politique que les
gouvernements en glace font subir aux ouvriers ‑ ˆ des fins politiques,
aussi bien que sociales ‑ contraignent les ouvriers ˆ faire de la
politique, qu'ils le veuillent ou non. Leur prcher l'abstention en matire
politique reviendrait ˆ les pousser dans les bras de la politique bourgeoise.
Plus que jamais aprs la Commune de Paris, qui a mis ˆ l'ordre du jour l'action
politique du prolŽtariat, l'abstention politique est tout ˆ fait impossible.
Nous voulons abolir les classes. Par quel moyen y parviendrons-nous ?
Par la domination politique du prolŽtariat. Or, maintenant que tout le monde
est d'accord sur ce point, on nous demande de ne pas nous mler de
politique ! Tous les abstentionnistes se nomment des rŽvolutionnaires, et
mme des rŽvolutionnaires par excellence. Mais la rŽvolution n'est-elle pas
l'acte suprme en matire politique ? Or, qui veut la fin doit vouloir
aussi les moyens ‑ l'action politique qui prŽpare la rŽvolution, Žduque
l'ouvrier et, sans elle, le prolŽtariat sera toujours frustrŽ et dupŽ le
lendemain de la bataille par les Favre et Pyat.
Cependant, la politique qu'il faut faire doit tre celle du prolŽtariat :
le parti ouvrier ne doit pas tre la queue de quelque parti bourgeois que ce
soit, mais doit toujours se constituer en parti
autonome, ayant sa propre politique et poursuivant son propre but.
Les libertŽs
politiques, le droit de rŽunion et d'association, la libertŽ de la presse ‑
telles sont nos armes. Et nous devrions accepter de limiter cet armement en
faisant de l'abstention, au moment mme o on essaie de nous en priver ?
On prŽtend que
toute action politique signifie reconna”tre l'ordre existant. Or, si ce qui
existe nous donne les moyens pour protester contre l'Žtat existant, ds lors
l'utilisation de ces moyens n'est pas une reconnaissance de l'ordre Žtabli.
Dans la plupart
des pays, certains membres de l'Internationale, en invoquant la dŽclaration
tronquŽe des statuts votŽs au Congrs de Genve, ont fait de la propagande en
faveur de l'abstention dans les affaires politiques, propagande que les
gouvernements se sont bien gardŽs d'enrayer [27].
En Allemagne,
von Schweitzer et consorts, ˆ la solde de Bismarck, ont essayŽ de raccrocher
l'activitŽ de nos sections au char de la politique gouvernementale.
En France, cette
abstention coupable a permis aux Favre, Trochu, Picard et autres de s'emparer
du pouvoir le 4 septembre. Le 18 mars, cette mme abstention permit ˆ un comitŽ
dictatorial ‑ le ComitŽ central ‑, composŽ en majeure partie de
bonapartistes et d'intrigants, de s'Žtablir ˆ Paris et de perdre sciemment,
dans l'inaction, les premiers jours de la rŽvolution, alors qu'il aurait dž les
consacrer ˆ son affermissement. En France le mouvement [de la Commune] a
ŽchouŽ, parce qu'il n'avait pas ŽtŽ assez prŽparŽ.
En AmŽrique, un
congrs, tenu rŽcemment et composŽ d'ouvriers, a dŽcidŽ de s'engager dans les
affaires politiques et de substituer aux politiciens de mŽtier des ouvriers
comme eux, chargŽs de dŽfendre les intŽrts de leur classe.
Certes, il faut
faire de la politique en tenant compte des conditions de chaque pays. En
Angleterre, par exemple il n'est pas facile ˆ un ouvrier d'entrer au Parlement.
Les parlementaires ne recevant aucun subside et l'ouvrier n'ayant que les
ressources de son travail pour vivre, le Parlement lui est inaccessible. Or, la
bourgeoisie qui refuse obstinŽment une indemnitŽ aux membres du Parlement sait
parfaitement que c'est le moyen d'empcher la classe ouvrire d'y tre reprŽsentŽe.
Il ne faut pas
croire que ce soit d'une mince importance d'avoir des ouvriers dans les
parlements. Si l'on Žtouffe leur voix, comme c'est le cas pour De Potter et
Castiau, ou si on les expulse comme Manuel, l'effet de ces rigueurs et de cette
intolŽrance est profond sur les masses. Si, au contraire, comme Bebel et
Liebknecht, ils peuvent parler de cette tribune, c'est le monde entier qui les
entend. D'une manire comme d'une autre, c'est une grande publicitŽ pour nos
principes.
Lorsque Bebel et
Liebknecht ont entrepris de s'opposer ˆ la guerre qui se livrait contre la
France, leur lutte pour dŽgager toute responsabilitŽ de la classe ouvrire dans
tout ce qui se passait a secouŽ toute l'Allemagne ; Munich mme, cette
ville o l'on n'a jamais fait de rŽvolution que pour des questions de prix de
la bire, se livra ˆ de grandes manifestations pour rŽclamer la fin de la
guerre.
Les
gouvernements nous sont hostiles. Il faut leur rŽpondre avec tous les moyens
que nous avons ˆ notre disposition. Envoyer des ouvriers dans les parlements
Žquivaut ˆ une victoire sur les gouvernements, mais il faut choisir les hommes,
et ne pas prendre un Tolain.
Les gens qui
propageaient dans le temps la doctrine de l'abstention Žtaient de bonne foi,
mais ceux qui reprennent le mme chemin aujourd'hui ne le sont pas [28]. Ils rejettent la politique aprs qu'a eu lieu une lutte violente
(Commune de Paris), et poussent le peuple ˆ une opposition bourgeoise toute
formelle, ce contre quoi nous devons lutter en mme temps que contre les
gouvernements. Nous devons dŽmasquer Gambetta, afin que le peuple ne soit pas,
une fois de plus, abusŽ. Nous devons mener une action non seulement contre les
gouvernements, mais encore
contre l'opposition bourgeoise qui n'est pas encore arrivŽe au gouvernement.
Comme le propose Vaillant, il faut que nous jetions un dŽfi ˆ tous les
gouvernements, partout, mme en Suisse, en rŽponse aux persŽcutions contre
l'Internationale. La rŽaction existe sur tout le continent ; elle est
gŽnŽrale et permanente, mme aux ƒtats-Unis, voire en Angleterre, sous une
autre forme.
Nous devons dŽclarer aux gouvernements : nous savons que vous tes la
force armŽe contre les prolŽtaires. Nous agirons pacifiquement contre vous lˆ
o cela nous sera possible, et par les armes quand cela sera nŽcessaire.
De l'indiffŽrence
en matire politique
La classe ouvrire ne doit pas se constituer en parti politique ; elle
ne doit, sous aucun prŽtexte, avoir une action politique, car combattre l'ƒtat
c'est reconna”tre l'ƒtat ‑ ce qui est contraire aux principes Žternels [29].
Les travailleurs
ne doivent pas faire grve, car dŽpenser ses forces pour obtenir une
augmentation de salaire ou en empcher l'abaissement, c'est reconna”tre le
salariat ‑ ce qui est en contradiction avec les principes Žternels de
l'Žmancipation de la classe ouvrire.
Lorsque, dans la lutte politique contre l'ƒtat bourgeois, les ouvriers ne
parviennent qu'ˆ arracher des concessions, ils signent des compromis ‑ ce
qui est contraire aux principes Žternels. Il faut donc condamner tout mouvement
pacifique tel que les ouvriers anglais et amŽricains ont la mŽchante habitude
de le faire.
Les ouvriers ne doivent pas dŽpenser leur Žnergie pour obtenir une
limitation lŽgale de la journŽe de travail, car ce serait signer un compromis
avec les patrons qui, ˆ partir de ce moment, ne les exploiteraient plus que dix
ou douze heures, au lieu de quatorze ou seize ! Ils ne doivent pas non
plus se donner le mal d'interdire lŽgalement l'emploi de fillettes de moins de
dix ans dans les fabriques, car cela n'abolit pas encore l'exploitation des
garonnets de moins de dix ans ‑ et ce serait donc un nouveau compromis
qui porterait atteinte ˆ la puretŽ des principes Žternels.
Les ouvriers doivent encore moins demander ‑ comme cela arrive aux
ƒtats-Unis ‑ que l'ƒtat, dont le budget s'Žtablit aux frais de la classe
ouvrire, assure l'instruction ŽlŽmentaire des enfants des travailleurs, car
l'enseignement ŽlŽmentaire n'est pas l'enseignement universel. Il est
prŽfŽrable que les ouvriers et les ouvrires ne sachent ni lire, ni Žcrire, ni
compter, plut™t que de recevoir l'enseignement d'un ma”tre d'Žcole de l'ƒtat.
II vaut mieux que l'ignorance et un travail quotidien de seize heures
abrutissent la classe ouvrire, plut™t que les principes Žternels soient
violŽs !
Si la lutte politique assume des formes violentes, et si les ouvriers
substituent leur dictature rŽvolutionnaire ˆ la dictature de la bourgeoisie,
ils commettent le terrible dŽlit de lse-principe, car, pour satisfaire leurs
misŽrables besoins profanes de tous les jours, pour briser la rŽsistance des
classes bourgeoises, ne donnent-ils pas ˆ l'ƒtat une forme rŽvolutionnaire et
transitoire, au lieu de rendre les armes et d'abolir l'ƒtat.
Les ouvriers ne doivent pas former des syndicats de tous les mŽtiers, car
ce serait perpŽtuer la division du travail telle qu'elle existe dans la sociŽtŽ
bourgeoise, cette division du travail qui morcelle la classe ouvrire ne
constitue-t-elle pas le vŽritable fondement de leur esclavage ?
En un mot, les ouvriers doivent croiser les bras et ne pas dŽpenser leur
temps en agitations politiques et Žconomiques, car elles ne peuvent leur
apporter que des rŽsultats immŽdiats.
Ë l'instar des bigots des diverses religions, ils doivent, au mŽpris des
besoins quotidiens, s'Žcrier avec une foi profonde : Ç Que notre
classe soit crucifiŽe, que notre race pŽrisse, mais que les principes Žternels
restent immaculŽs ! È Comme de pieux chrŽtiens, ils doivent croire en
la parole du curŽ et mŽpriser les biens de ce monde pour ne penser qu'ˆ gagner
le paradis (lisez, au lieu de paradis, la liquidation sociale qui, un beau
jour, doit avoir lieu dans un coin du monde ‑ personne ne sachant qui la
rŽalisera, ni comme elle se rŽalisera ‑, et la mystification est en tout
et pour tout identique).
Dans l'attente de la fameuse liquidation sociale, la classe ouvrire doit
se comporter avec dŽcence, comme un troupeau de moutons gras et bien
nourris ; elle doit laisser le gouvernement en paix, craindre la police,
respecter les lois et servir de chair ˆ canon sans se plaindre.
Dans la vie
pratique de tous les jours, les ouvriers doivent tre les serviteurs les plus
obŽissants de l'ƒtat. NŽanmoins, dans leur for intŽrieur, ils doivent protester
avec la dernire Žnergie contre son existence et lui attester le profond mŽpris
qu'ils ressentent pour lui en achetant et en lisant des brochures qui traitent
de l'abolition de l'ƒtat. Ils doivent se garder d'opposer ˆ l'ordre capitaliste
d'autre rŽsistance que leurs dŽclamations sur la sociŽtŽ future dans laquelle
cet ordre maudit aura cessŽ d'exister.
Nul ne contestera que si les ap™tres de l'indiffŽrence politique s'Žtaient
exprimŽs de manire aussi claire, la classe ouvrire ne les ežt envoyŽs
aussit™t ˆ tous les diables. En effet, elle se serait sentie insultŽe par des
bourgeois doctrinaires et des aristocrates dŽchus, assez sots et ingŽnus pour
lui interdire tout moyen rŽel de lutte, alors qu'elle doit prendre dans
l'actuelle sociŽtŽ mme toutes les armes pour son combat, les conditions
fatales de lutte ayant le malheur de ne pas cadrer avec les rveries
d'idŽologues que nos docteurs en science sociale ont exaltŽes, jusqu'au sŽjour
des bŽatitudes, sous le nom de LibertŽ, Autonomie et Anarchie.
D'ores et dŽjˆ, le mouvement de la classe ouvrire est si puissant que ces
sectaires philanthropes n'ont plus le courage de rŽpŽter pour la lutte
Žconomique les grandes vŽritŽs qu'ils ne cessent de proclamer sur le plan
politique. Ils sont trop pusillanimes pour les appliquer aux grves, aux
coalitions, aux syndicats, aux lois rŽglementant le travail des femmes et des
enfants ou limitant la journŽe de travail, etc.
Voyons maintenant dans quelle mesure ils peuvent en appeler aux vieilles
traditions, ˆ l'honneur, ˆ la probitŽ et aux principes Žternels.
Ë une Žpoque o les rapports sociaux n'Žtaient pas encore assez dŽveloppŽs
pour permettre ˆ la classe ouvrire de se constituer en parti politique, les
premiers socialistes (Fourier, Owen, Saint-Simon, etc.) ont dž fatalement se
borner, ˆ imaginer une sociŽtŽ modle de l'avenir, et condamner toutes les
tentatives entreprises par les ouvriers en vue amŽliorer leur situation
actuelle : grves, coalitions, actions politiques [30]. Mme s'il ne nous est pas permis de
renier ces patriarches du socialisme, comme il n'est pas permis aux chimistes
de renier leurs pres, les alchimistes, nous devons nous garder de retomber
dans les erreurs qu'ils ont commises et que nous serions impardonnables de
renouveler.
Toutefois, trs vite ‑ en 1839 ‑, lorsque la lutte politique et
Žconomique de la classe ouvrire prit un caractre dŽjˆ tranchŽ en Angleterre,
Bray ‑ l'un des disciples d'Owen et l'un de ceux qui, bien avant
Proudhon, avaient dŽcouvert le mutualisme ‑ publia un livre : Labour's
Wrongs and Labour's Remedy (Ç Les Maux du travail et les remdes du
travail È).
Dans l'un des chapitres sur l'inefficacitŽ de tous les remdes que l'on
veut obtenir par la lutte actuelle, il fit une amre critique de toutes les
agitations Žconomiques aussi bien que politiques de la classe ouvrire
anglaise. Il condamna l'agitation politique, les grves, la limitation des
heures de travail, la rŽglementation du travail des femmes et des enfants dans
les fabriques, parce que tout cela ‑ ˆ ses yeux ‑, au lieu de faire
sortir des conditions actuelles de la sociŽtŽ, nous y entra”ne et en rend les
antagonismes encore plus intenses.
Et maintenant, venons-en ˆ, l'oracle de nos .docteurs en science sociale, ˆ
Proudhon. Alors que le ma”tre avait le courage de se prononcer avec Žnergie
contre tous les mouvements Žconomiques (grves, coalitions, etc.) qui Žtaient
contraires aux thŽories rŽdemptrices de son mutualisme, il encourageait par ses
Žcrits et son action personnelle la lutte politique de la classe ouvrire [31]. En revanche, ses disciples n'osrent pas
se prononcer ouvertement contre le mouvement. Ds 1847, lorsque apparut la
grande Ïuvre du ma”tre, Systme des contradictions Žconomiques ou philosophie
de la misre, j'ai rŽfutŽ ses sophismes contre le mouvement ouvrier. Toutefois,
en 1864, aprs la loi Ollivier qui accordait aux ouvriers franais si
chichement le droit de coalition, Proudhon revint ˆ la charge dans son livre De
la capacitŽ politique des classes ouvrires, qui fut publiŽ quelques jours
aprs sa mort.
Les attaques du
ma”tre plurent tellement ˆ la bourgeoisie que le Times, lors de la grande grve
des tailleurs de Londres en 1866, fit ˆ Proudhon l'honneur de le traduire afin
de condamner les grŽvistes par les propres paroles de Proudhon. En voici
quelques exemples. Les mineurs de Rives-de-Gier s'Žtant mis en grve, on fit
appel ˆ la troupe pour leur faire entendre raison, et Proudhon de
s'Žcrier : Ç L'autoritŽ qui fit fusiller les mineurs de Rives-de-Gier
se trouvait dans une situation malheureuse. Mais elle agit comme le vieux
Brutus qui, partagŽ entre ses sentiments de pre et son devoir de consul, dut
sacrifier ses enfants pour sauver la RŽpublique. Brutus n'hŽsita pas et la
sociŽtŽ n'a pas osŽ le condamner [32]. È
De mŽmoire de prolŽtaire on ne se souvient pas qu'un bourgeois ait hŽsitŽ ˆ
sacrifier ses ouvriers pour sauver ses intŽrts. Quels Brutus que ces
bourgeois !
Ç Non, il n'existe pas plus un droit de coalition qu'il n'y a un droit
d'exaction, de brigandage, de rapine, un droit d'inceste, d'adultre [33]. È
Mais quels sont les principes Žternels au nom desquels le ma”tre lance ses
abracadabrants anathmes ?
Premier principe Žternel : Ç Le taux de salaire dŽtermine le prix
des marchandises. È
Mme ceux qui n'ont aucune notion d'Žconomie politique et ne savent pas que
le grand Žconomiste bourgeois Ricardo, dans son livre, Principes d'Žconomie
politique, paru en 1817, a rŽfutŽ une fois pour toutes cette erreur commune,
mme ceux-lˆ sont au courant du fait que l'industrie anglaise peut donner ˆ ses
produits un prix plus bas que n'importe quel autre pays, bien que les salaire
soient relativement plus ŽlevŽs en Angleterre que dans aucun autre pays
d'Europe.
Deuxime principe Žternel : Ç La loi qui autorise les coalitions
est tout ˆ fait illŽgale, anti-Žconomique et est en contradiction avec tout
ordre et toute sociŽtŽ. È En un mot, Ç elle s'oppose au droit Žconomique
de la libre concurrence È.
Si le ma”tre avait ŽtŽ moins chauvin, il se serait demandŽ comment il se
fait qu'il y a quarante ans dŽjˆ on ait promulguŽ en Angleterre une loi sur les
fabriques si contraire aux droits Žconomiques de la libre concurrence, et qu'ˆ
mesure que se dŽveloppe l'industrie, et avec elle la libre concurrence, cette
loi destructrice de tout ordre et de toute sociŽtŽ s'impose ˆ tous les ƒtats
bourgeois comme une nŽcessitŽ inŽluctable. Il aurait peut-tre dŽcouvert que le
Droit (avec un grand D) n'existe que dans les manuels d'Žconomie rŽdigŽs par
ses frres ignorantins de l'Žconomie politique, manuels qui contiennent des perles
comme celle-ci : Ç La propriŽtŽ est le fruit du travail È... des
autres, oublient-ils d'ajouter.
Troisime principe Žternel : Sous prŽtexte d'Žlever la classe ouvrire
au-dessus de sa prŽtendue infŽrioritŽ sociale, on va diffamer en bloc toute une
classe de citoyens : la classe des patrons, des entrepreneurs, des
usiniers et des bourgeois. On portera aux nues la dŽmocratie des travailleurs
manuels et on lui demandera sa mŽsestime et sa haine pour ces alliŽs indignes
de la classe moyenne. Ë la contrainte lŽgale, on prŽfŽrera la guerre dans le
commerce et l'industrie ; ˆ la police d'ƒtat, on prŽfŽrera l'antagonisme
des classes [34].
Pour empcher la classe ouvrire de sortir de la prŽtendue humiliation
sociale, le ma”tre condamne les coalitions qui constituent la classe ouvrire
en classe antagoniste face ˆ la respectable catŽgorie des patrons, des
entrepreneurs et des bourgeois qui certes prŽfrent, comme Proudhon, la police
d'ƒtat ˆ l'antagonisme des classes. Pour Žviter tout ennui ˆ cette respectable
classe, notre bon Proudhon conseille aux ouvriers, en attendant l'avnement de
la sociŽtŽ mutualiste, le rŽgime de Ç la libertŽ ou de la
concurrence È qui, malgrŽ Ç ses graves inconvŽnients È, demeure
pourtant e notre unique garantie [35] È.
Le ma”tre prchait l'indiffŽrence en matire Žconomique pour sauvegarder la libertŽ ou la concurrence bourgeoise,
Ç notre unique garantie È ; les disciples prchent
l'indiffŽrence en matire politique pour sauvegarder la libertŽ bourgeoise,
leur unique garantie. Les premiers chrŽtiens, qui prchaient aussi
l'indiffŽrence politique, n'en eurent pas moins besoin du bras puissant de
l'empereur pour se transformer de persŽcutŽs en persŽcuteurs. Quant aux ap™tres
modernes de l'indiffŽrence politique, ils ne croient pas que leurs principes
Žternels leur imposent aussi de renoncer aux biens de ce monde et aux
privilges temporels de la sociŽtŽ bourgeoise. Quoi qu'il en soit, il faut bien
reconna”tre qu'ils supportent, avec un sto•cisme digne des martyrs chrŽtiens,
que les ouvriers endurent des journŽes de travail de quatorze ˆ seize heures
dans les fabriques.
Ces derniers temps, certains socialistes ont entrepris une vŽritable
croisade contre ce qu'ils appellent le principe d'autoritŽ [36]. Il leur suffit de dire que tel ou tel
acte est autoritaire pour le condamner. On abuse de ce procŽdŽ tout ˆ fait
sommaire au point qu'il est devenu nŽcessaire de s'en prŽoccuper. AutoritŽ,
dans le sens o l'on emploie ce terme, signifie soumission de la volontŽ
d'autrui ˆ la n™tre. Mais autoritŽ implique, d'autre part, subordination [37]. Or, comme ces deux termes sonnent mal et
que le rapport qu'ils expriment est dŽsagrŽable pour celui qui est subordonnŽ ˆ
l'autre, on s'est demandŽ s'il n'Žtait pas possible de s'en passer et ‑
dans le cadre des rapports sociaux actuels ‑ de crŽer un autre Žtat
social dans quel l'autoritŽ n'aurait plus d'objet, et dispara”trait donc.
Voyons ce qu'il en est dans la rŽalitŽ. Si nous considŽrons les conditions
Žconomiques ‑ industrielles et agraires ‑ qui forment la base de
l'actuelle sociŽtŽ bourgeoise, nous trouvons qu'elles tendent ˆ substituer
l'action combinŽe des individus ˆ leur action isolŽe. L'industrie moderne a
pris la place des petits ateliers de producteurs isolŽs, et dŽveloppe les
grandes fabriques et entreprises, dans lesquelles des centaines d'ouvriers
surveillent des machines compliquŽes, mues par la vapeur. Les coches et autres
voitures circulant sur les grandes routes ont fait place aux chemins de fer,
comme les vaisseaux ˆ rames ou ˆ voiles ont ŽtŽ remplacŽs par les navires ˆ
vapeur. L'agriculture elle-mme tombe progressivement sous la domination de la
machine et de la vapeur, tandis que lentement, mais inexorablement, les petits
paysans cdent la place aux gros capitalistes qui font cultiver de grandes
surfaces par des ouvriers salariŽs.
Partout, l'action combinŽe et l'encha”nement d'activitŽs et de procŽdŽs
dŽpendant les uns des autres se substituent ˆ l'action indŽpendante des
individus isolŽs. Mais qui dit action combinŽe dit aussi organisation. Or,
est-il possible d'avoir une organisation sans autoritŽ ?
Supposons qu'une rŽvolution sociale ait dŽtr™nŽ les capitalistes, dont
l'autoritŽ prŽside aujourd'hui ˆ la production et ˆ la circulation des
richesses. Supposons, pour nous placer entirement au point de vue des
anti-autoritaires, que la terre et les instruments de travail soient devenus
propriŽtŽ collective des travailleurs qui les emploient. L'autoritŽ aura-t-elle
disparu, ou bien n'aura-t-elle fait que changer de forme ? C'est ce que
nous allons voir.
Prenons comme exemple une filature de coton. Pour que le coton se
transforme en fil, il doit subir au moins six opŽrations successives et
diffŽrentes qui, la plupart du temps, s'effectuent dans des locaux diffŽrents.
En outre, il faut un ingŽnieur pour tenir les machines en marche et les
surveiller, des mŽcaniciens, chargŽs des rŽparations courantes, et un grand
nombre d'ouvriers pour le transport des produits d'un atelier ˆ l'autre, etc.
Tous ces travailleurs ‑ hommes, femmes et enfants ‑ sont obligŽs de
commencer et de finir leur travail ˆ des heures dŽterminŽes par l'autoritŽ de
la vapeur qui n'a cure de l'autonomie des individus.
Il est donc
indispensable, ds le principe, que les ouvriers s'entendent sur les heures de
travail et, celles-ci Žtant fixŽes, s'y conforment tous sans exception.
Ensuite, ˆ tout moment et partout, se posent des questions de dŽtail sur les
procŽdŽs de fabrication, la rŽpartition du matŽriel, etc., qu'il faut rŽsoudre
sur l'heure sous peine de voir s'arrter aussit™t toute la production. Qu'elles
soient rŽglŽes par un dŽlŽguŽ qui est ˆ la tte de chaque secteur d'activitŽ ou
par une dŽcision de la majoritŽ, si c'est possible, il n'en demeure pas moins
que la volontŽ de chacun devra s'y soumettre. Autrement dit, les questions
seront rŽsolues par voie autoritaire.
Le machinisme automatisŽ d'une grande fabrique est beaucoup plus tyrannique
que ne l'ont ŽtŽ les petits capitalistes qui emploient les ouvriers [38]. Du moins en ce qui concerne les heures
de travail, on peut Žcrire sur la porte de ces fabriques : Lasciate ogni
autonomia, voi ch'entrate ! (Ç Renoncez ˆ toute autonomie, vous qui
entrez [39] ! È) Si l'homme, avec la
science et son gŽnie inventif, s'est soumis les forces de la nature, celles-ci
se sont vengŽes en le soumettant ˆ son tour, lui qui les exploite, ˆ un
vŽritable despotisme, absolument indŽpendant de tout Žtat social. Vouloir
abolir l'autoritŽ dans la grande industrie, c'est vouloir supprimer l'industrie
elle-mme. C'est dŽtruire la filature ˆ vapeur pour en revenir ˆ la quenouille.
Prenons un autre exemple, celui du chemin de fer. Ici, la coopŽration d'un
grand nombre d'individus est absolument indispensable, coopŽration qui doit
avoir lieu ˆ des heures prŽcises pour qu'il n'y ait pas d'accidents. Ici
encore, la premire condition de toute l'entreprise est une volontŽ supŽrieure
qui commande toute question subordonnŽe, et cela est vrai dans l'hypothse o
elle est reprŽsentŽe par un dŽlŽguŽ aussi bien que dans celle o un comitŽ est
Žlu pour exŽcuter les dŽcisions de la majoritŽ des intŽressŽs. En effet, dans
un cas comme dans l'autre, on a affaire ˆ une autoritŽ bien tranchŽe. Bien
plus, qu'adviendrait-il du premier train si l'on abolissait l'autoritŽ des
employŽs de chemin de fer sur messieurs les voyageurs ?
Nulle part la nŽcessitŽ de l'autoritŽ et d'une autoritŽ absolue n'est plus
impŽrieuse que sur un navire en pleine mer. Lˆ, ˆ l'heure du pŽril, la vie de
tous dŽpend de l'obŽissance instantanŽe et fidle de tous ˆ la volontŽ d'un
seul.
Ë chaque fois que je prŽsente ces arguments aux anti-autoritaires les plus
enragŽs, ils ne savent faire qu'une seule rŽponse : Ç Bah !
c'est exact, mais il ne s'agit pas lˆ d'une autoritŽ que nous confŽrons ˆ un
dŽlŽguŽ, mais d'une fonction ! È Ces messieurs croient avoir changŽ
les choses quand ils en ont changŽ le nom. C'est se moquer tout simplement du
monde.
Quoi qu'il en soit, nous avons vu que, d'une part, une certaine autoritŽ
(peu importe comment elle est dŽlŽguŽe) et, d'autre part, une certaine
subordination s'imposent ˆ nous, indŽpendamment de toute organisation sociale,
de par les conditions matŽrielles dans lesquelles nous produisons et faisons
circuler les produits.
Nous avons vu, en outre, que les conditions matŽrielles de la production et
de la circulation s'entrelacent fatalement toujours davantage avec la grande
industrie et l'agriculture moderne, de sorte que le champ d'action de cette
autoritŽ s'Žtend chaque jour un peu plus. Il est donc absurde de parler de
l'autoritŽ comme d'un principe absolument mauvais, et de l'autonomie comme d'un
principe parfaitement bon.
L'autoritŽ et l'autonomie sont des notions relatives, et leur importance
varie selon les diverses phases de l'Žvolution sociale.
Si les autonomistes se contentaient de dire que l'organisation sociale de
l'avenir ne tolŽrera l'autoritŽ que dans les limites qui lui sont tracŽes par
les conditions mmes de la production, nous pourrions nous entendre avec eux.
Cependant, ils sont aveugles pour tous les faits qui rendent l'autoritŽ
nŽcessaire, et ils partent en guerre contre cette notion.
Pourquoi les
anti-autoritaires ne se bornent-ils pas ˆ crier contre l'autoritŽ politique,
l'ƒtat ? Tous les socialistes sont d'accord sur le fait que l'ƒtat
politique et, avec lui, l'autoritŽ politique dispara”tront ˆ la suite de la
rŽvolution sociale future, autrement dit que les fonctions publiques perdront
leur caractre politique et se transformeront en simples administrations
veillant aux vŽritables intŽrts sociaux. Mais les anti-autoritaires demandent
que l'ƒtat politique autoritaire soit aboli d'un seul coup, avant mme que ne
soient supprimŽes les conditions sociales qui l'ont fait na”tre. Ils rŽclament
que le premier acte de la rŽvolution sociale soit l'abolition de l'autoritŽ.
Ont-ils jamais vu une rŽvolution, ces messieurs ?
Une rŽvolution est certainement la chose la plus autoritaire qui soit,
c'est l'acte par lequel une fraction de la population impose sa volontŽ ˆ
l'autre au moyen de fusils, de ba•onnettes et de canons, moyens autoritaires
s'il en est ; et le parti victorieux, s'il ne veut pas avoir combattu en
vain, doit continuer ˆ dominer avec la terreur que ses armes inspirent aux
rŽactionnaires. La Commune de Paris ežt-elle pu se maintenir un seul jour si
elle n'avait pas usŽ de l'autoritŽ d'un peuple en armes contre la
bourgeoisie ? Ne faut-il pas, au contraire, la critiquer de ce qu'elle ait
fait trop peu usage de son autoritŽ ?
Donc, de deux choses l'une : ou bien les anti-autoritaires ne savent
pas ce qu'ils disent et, dans ce cas, ils ne font que semer la confusion, ou
bien ils le savent et, dans ce cas, ils trahissent la cause du prolŽtariat. De
toute faon, ils servent la rŽaction.
Le Congrs de
Sonvilier
et l'Internationale
Point n'est
besoin d'Žpiloguer sur la situation prŽsente de l'Association des
travailleurs [40]. D'une part, les grandioses ŽvŽnements de Paris lui ont donnŽ une puissance et une extension qu'elle
n'avait jamais eu auparavant ; de l'autre, nous trouvons coalisŽs contre
elle ˆ peu prs tous les gouvernements europŽens. Thiers et Gortchakoff,
Bismarck et Benst, Victor-Emmanuel et le pape, l'Espagne et la Belgique. Toute
la meute est l‰chŽe sur l'Internationale. Toutes les puissances du vieux monde,
cours martiales et cours d'assises, bourgeois et hobereaux, rivalisent d'ardeur
ˆ la curŽe et, sur l'ensemble du continent, on ne trouvera gure de lieu o
l'on n'ait pas tout tentŽ pour mettre hors la loi la grande fraternitŽ
ouvrire, cause de toutes les terreurs.
Au moment o les puissances de l'ancienne sociŽtŽ provoquent une fatale
dŽsorganisation gŽnŽrale, o l'unitŽ et la cohŽsion sont plus nŽcessaires que
jamais, c'est prŽcisŽment ce moment que choisit, pour jeter un brandon de
discorde sous forme d'une circulaire publique, un petit groupe
d'Internationaux, dont le nombre, dans un coin perdu de Suisse, rŽtrŽcit de
leur propre aveu tous les jours. Ces gens ‑ s'intitulant FŽdŽration du
Jura ‑sont pour la plupart ceux-lˆ mmes qui, sous la conduite de
Bakounine, se sont depuis plus de deux ans appliquŽs sans rel‰che ˆ saper
l'unitŽ en Suisse romande et ˆ compromettre la coopŽration au sein de
l'Internationale par le moyen d'une intense correspondance privŽe avec quelques
illustres de leurs affidŽs dans divers pays. Tant que ces intrigues se
limitaient ˆ la Suisse, ou se tramaient en silence, nous n'avons pas voulu lui
accorder davantage de publicitŽ. Mais cette circulaire nous force ˆ parler.
Le 12 novembre, lors de son Congrs de Sonvilier, la fŽdŽration du Jura,
s'appuyant sur le fait que le Conseil gŽnŽral n'avait pas convoquŽ cette annŽe
de congrs, mais seulement une confŽrence, a dŽcidŽ d'adresser une circulaire ˆ
toutes les sections adhŽrentes ˆ l'Internationale. ImprimŽe ˆ grand tirage,
elle fut lancŽe aux quatre coins du monde, afin d'inviter les autres sections ˆ
rŽclamer la convocation immŽdiate d'un congrs. Pour nous, du moins en
Allemagne et en Autriche, les raisons sont Žvidentes pour lesquelles 1e congrs
devait tre remplacŽ par une confŽrence. Nous ne pouvions pas nous rŽunir en
congrs sans qu'au retour nos dŽlŽguŽs ne fussent immŽdiatement apprŽhendŽs et
mis ˆ l'ombre. Les dŽlŽguŽs d'Espagne, d'Italie et de France se seraient
trouvŽs dans le mme cas. En revanche, une confŽrence, dont les dŽbats ne sont pas publics et se limitent ˆ des questions administratives,
Žtait parfaitement possible, le nom des participants n'Žtant pas divulguŽ. Une
telle confŽrence prŽsentait, certes, l'inconvŽnient de ne pouvoir ni trancher
la question de principe, ni modifier les statuts, ni, plus gŽnŽralement,
dŽcider d'actes relatifs ˆ la juridiction. Elle devait se borner ˆ des dŽcisions
administratives en vue d'un meilleur fonctionnement de l'organisation telle
qu'elle avait ŽtŽ Žtablie par les statuts et les rŽsolutions des congrs.
Toutefois, la situation exigeait des mesures d'urgence ; il s'agissait de
faire face ˆ une crise momentanŽe, et une confŽrence y suffisait.
Les attaques contre la confŽrence n'Žtaient cependant qu'un prŽtexte. La
circulaire n'en parle d'ailleurs qu'incidemment. Au contraire, elle assure mme
que le mal est plus profond. Elle affirme que, selon les statuts et les
premires rŽsolutions des congrs, l'Internationale n'est rien d'autre qu'une
Ç libre fŽdŽration de sections autonomes È, dont le but est
l'Žmancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mmes, Ç en
dehors de toute autoritŽ dirigeante mme si elle Žmane du libre consentement de
tous È. En consŽquence, le Conseil gŽnŽral ne devrait tre qu'un
Ç simple bureau de statistique et de correspondance È. Cette base
initiale aurait ŽtŽ aussit™t faussŽe, d'abord par le droit accordŽ au Conseil
gŽnŽral de dŽcider lui-mme de l'admission de nouveaux membres, et plus encore
par les rŽsolutions du Congrs de B‰le, accordant au Conseil gŽnŽral le droit
de suspendre toute section jusqu'au prochain congrs et de rŽgler
provisoirement les diffŽrends jusqu'ˆ ce que ce congrs se soit prononcŽ. Le
Conseil gŽnŽral se trouverait ainsi investi d'une dangereuse puissance. La
libre association de sections autonomes serait transformŽe en une organisation
hiŽrarchique et autoritaire de Ç sections disciplinŽes È, les
sections Žtant Ç placŽes entirement sous la main du Conseil gŽnŽral qui
peut, ˆ son grŽ, refuser leur admission ou bien suspendre leurs
activitŽs È.
Nos lecteurs allemands savent trop bien la valeur d'une organisation
capable de se dŽfendre pour ne pas trouver tout cela fort surprenant. D'autant
que les thŽories pleinement Žpanouies de Monsieur Bakounine n'ont pas encore
pŽnŽtrŽ en Allemagne. Une sociŽtŽ ouvrire qui a inscrit sur ses drapeaux et
pris pour devise la lutte pour l'Žmancipation de la classe des travailleurs
devrait avoir ˆ sa tte non pas un comitŽ exŽcutif, mais un simple bureau de
statistique et de correspondance ! En fait, la lutte pour l'Žmancipation
de la classe ouvrire n'est qu'an simple prŽtexte pour Bakounine et ses
compagnons ; le but vŽritable est tout autre.
Ç La sociŽtŽ future ne doit tre rien d'autre que l'universalisation
de l'organisation que l'Internationale se sera donnŽe. Nous devons avoir soin
de rapprocher le plus possible cette organisation de notre idŽal... L'Internationale,
embryon de la sociŽtŽ future de l'humanitŽ, est tenue d'tre, ds maintenant,
l'image fidle de nos principes de libertŽ et de fŽdŽration, et de rejeter de
son sein tout principe tendant ˆ l'autoritŽ et ˆ la dictature. È
Ë nous autres Allemands, on nous reproche notre mysticisme ; mais nous
n'atteignons pas, et de loin, ˆ celui qu'on vient de voir. L'Internationale,
embryon d'une sociŽtŽ future, dont seraient exclus les fusillades de
Versailles, les cours martiales, les armŽes permanentes, la censure du
courrier, le procs criminel de Brunswick ! Nous dŽfendons aujourd'hui
notre peau par tous les moyens ; le prolŽtariat, lui, devrait s'organiser
non pas d'aprs les nŽcessitŽs de la lutte qui lui est imposŽe chaque jour, ˆ
chaque heure, mais d'aprs la vague reprŽsentation que certains esprits
chimŽriques se font d'une sociŽtŽ de l'avenir ! Voyons donc ce qu'il en
serait de notre propre organisation allemande si elle Žtait taillŽe sur ce
patron. Loin de combattre les gouvernements et la bourgeoisie, nous
spŽculerions tant et plus afin de savoir si chaque article de nos statuts,
chaque rŽsolution de nos congrs, est ou non un fidle reflet de la sociŽtŽ
future.
Aux lieu et place de notre comitŽ exŽcutif, nous aurions un simple bureau
de statistique et de correspondance, qui ne saurait comment venir ˆ bout des
sections autonomes, autonomes au point qu'elles n'auraient jamais ˆ reconna”tre
l'autoritŽ dirigeante, nŽe de leur propre consentement ! Car elles
manqueraient, ce faisant, ˆ leur premier devoir : tre avant tout un
embryon de la sociŽtŽ future. Pas question de rassembler des forces, pas
question d'action en commun ! Si, dans une section quelconque, la minoritŽ
s'adaptait ˆ la majoritŽ, elle commettrait lˆ un crime contre les principes de
la libertŽ et endosserait un principe conduisant ˆ l'autoritŽ et ˆ la
dictature ! Si Stieber et tous les siens, si tout le Cabinet noir, si
l'ensemble des officiers prussiens entraient sur ordre dans l'organisation social-dŽmocrate afin de la ruiner, le comitŽ ‑
ou mieux le bureau de statistique et de correspondance ‑ ne devrait surtout
pas dŽfendre son existence, car ce serait instituer un type d'organisation
hiŽrarchique et autoritaire ! Et surtout pas de sections
disciplinŽes ! Surtout pas de discipline de parti, pas de concentration
des forces sur un objectif, surtout pas d'armes de combat ! Qu'en
serait-il autrement de l'embryon de sociŽtŽ future ? Bref, o en
arriverions-nous avec cette organisation nouvelle ? Ë l'organisation l‰che
et soumise des premiers chrŽtiens, celle des esclaves qui acceptaient et remerciaient
pour chaque coup de pied reu, et n'obtinrent la victoire de leur religion
qu'aprs trois sicles de bassesses ‑ une mŽthode rŽvolutionnaire qu'en
vŽritŽ le prolŽtariat n'imitera pas ! Les premiers chrŽtiens tiraient de
leur reprŽsentation du ciel le modle de leur organisation ; nous devrions
ˆ l'instar prendre pour modle le ciel social de l'avenir dont Monsieur
Bakounine nous propose l'image ; au lieu de combattre, prier et espŽrer.
Et les gens qui nous prchent ces folies se donnent pour les seuls
rŽvolutionnaires vŽritables.
Pour en revenir maintenant ˆ l'Internationale, il n'y a rien qui presse. Le
Conseil gŽnŽral a le devoir d'exŽcuter les rŽsolutions du Congrs de B‰le
jusqu'ˆ ce qu'un nouveau congrs en adopte d'autres ; ce devoir, il
l'accomplira ! Le Conseil gŽnŽral n'a pas craint d'expulser les Tolain et
les Durand, il saura faire en sorte que tout accs ˆ l'Internationale demeure
interdit aux Stieber et consorts, mme si Monsieur Bakounine devait trouver
cette mesure dictatoriale.
Mais comment en est-on venu ˆ prendre ces f‰cheuses rŽsolutions de
B‰le ? Trs simplement. Elles furent proposŽes par les dŽlŽguŽs belges et
n'eurent pas d'avocat plus chaleureux que Bakounine et ses amis, et notamment
Schwitzguebel et Guillaume ‑ les signataires de la prŽsente circulaire.
Les choses Žtaient alors diffŽrentes, certes. Ces messieurs espŽraient alors
obtenir la majoritŽ et voir passer entre leurs mains le Conseil gŽnŽral !
Ds lors, ils ont tout fait pour renforcer ses pouvoirs. Et ˆ prŽsent ? Eh
bien, tout est changŽ, et voilˆ que les raisins sont amers. Le Conseil gŽnŽral
doit tre rŽduit aux dimensions d'un simple bureau de statistique et de
correspondance, afin de ne pas avoir ˆ blesser la pudeur de la sociŽtŽ future
de Bakounine !
Ces gens, qui sont des sectaires professionnels, ne forment, avec leur
doctrine de christianisme primitif et mystique, qu'une minoritŽ insignifiante
dans l'Internationale. Ils ont le front de reprocher aux membres du Conseil
gŽnŽral de vouloir Ç faire prŽdominer dans l'Internationale leur programme
particulier, leur doctrine personnelle ; ils tiennent leurs idŽes
particulires pour la thŽorie officielle qui, seule, a droit de citŽ dans
l'Internationale È. C'est tout de mme un peu fort ! Quiconque a eu
l'occasion de suivre l'histoire interne de l'Internationale sait que ces mmes
gens se sont, depuis prs de trois ans, essentiellement prŽoccupŽs de faire
reconna”tre leur doctrine sectaire comme le programme de l'Association ;
comme ils n'y sont pas arrivŽs, ils se sont efforcŽs de faire passer
subrepticement les phrases bakouninistes pour le programme de l'Internationale.
Le Conseil gŽnŽral s'est contentŽ de protester contre ses efforts de
substitution, mais il n'a pas contestŽ jusqu'ˆ prŽsent ˆ leurs auteurs le droit
d'appartenir ˆ l'Internationale, non plus celui de diffuser ˆ loisir, telles
quelles, leurs calembredaines sectaires. Nous attendons de savoir comment le
Conseil gŽnŽral prendra cette nouvelle circulaire.
Ces gens se sont prouvŽ brillamment ˆ eux-mmes ce qu'ils Žtaient capables
de faire avec leur nouvelle organisation. Partout o l'Internationale n'a pas
rencontrŽ la rŽsistance violente des gouvernements rŽactionnaires, elle a,
depuis la Commune de Paris, progressŽ ˆ pas de gŽant. Dans le Jura suisse o
ces messieurs ont toutes facilitŽs pour agir depuis un an et demi, que
voyons-nous ? Leurs propres rapports au Congrs de Sonvilier vont nous
l'apprendre : Ç Ces ŽvŽnements terribles, qui nous ont en partie dŽmoralisŽs,
devaient exercer en partie Žgalement une influence bienfaisante sur nos
sections [...] ; puis il y a le dŽbut du gigantesque combat que le
prolŽtariat doit livrer ˆ la bourgeoisie et, en consŽquence, le moment de la
rŽflexion [...] ; les uns s'en vont et dissimulent leur l‰chetŽ, les
autres n'en adhrent que plus fermement aux principes rŽnovateurs de
l'Internationale. Tel est le fait dominant dans l'histoire actuelle de
l'Internationale en gŽnŽral, et de notre fŽdŽration en particulier. È (La
RŽvolution sociale de Genve, 23 novembre.)
Voilˆ bien une
nouvelle version de ce qui s'est passŽ dans l'ensemble de
l'Internationale ! En rŽalitŽ, cela ne concerne que la fŽdŽration du Jura.
ƒcoutons un peu ces
messieurs. La section de Moutiers a le moins souffert, mais n'en a pas pour
autant rŽalisŽ quelque chose
Ç Bien
qu'aucune action nouvelle n'ait ŽtŽ fondŽe, nous dit-on, il faut espŽrer
cependant È, etc. ; et pourtant cette section Žtait Ç tout
particulirement favorisŽe par l'excellent esprit de la population È. La
section de Grange est rŽduite ˆ un petit noyau d'ouvriers ! Deux sections
de Brienne n'ont jamais rŽpondu aux lettres du comitŽ ; tout aussi peu les
sections de Neuch‰tel et l'une des sections de Locle. La troisime section de
Brienne est Ç momentanŽment morte È... bien que Ç tout espoir de
voir revivre l'Internationale ˆ Brienne ne soit pas perdu È. La section de
Saint-Blaise est morte, et celle du Val de Raz a disparu, nul ne sait trop comment.
La section centrale de Locle, qui s'est dŽsagrŽgŽe au cours de longues luttes
fratricides, a cependant ŽtŽ remise sur pied non sans mal, dans le but dŽclarŽ
de participer aux Žlections du congrs ; celle de La Chaux-de-Fonds est
dans une situation critique. La section des horlogers de Courtelary est en
train de se transformer en coopŽrative aprs avoir adoptŽ les statuts de la
coopŽrative suisse des horlogers, c'est-ˆ-dire le statut d'une sociŽtŽ non affiliŽe
ˆ l'Internationale. La section centrale du mme district a suspendu ses
activitŽs, parce que ses membres de Saint-Imier et de Sonvilier s'Žtaient
constituŽs en sections distinctes (ce qui n'a nullement empchŽ cette section
centrale de se faire reprŽsenter au congrs par deux dŽlŽguŽs aux c™tŽs de ceux
de Saint-Imier et de Sonvilier). La section de CortŽbert, aprs une brillante
existence, a dž se dissoudre ˆ la suite des intrigues de la bourgeoisie locale.
Il en est de mme ˆ CorgŽmont. Ë Genve enfin, il ne subsiste plus qu'une
section.
Voilˆ l'Ïuvre des reprŽsentants de la libre fŽdŽration des sections
autonomes, avec un bureau de statistique et de correspondance ˆ leur
tte ! Voilˆ ce qu'en un an et demi ils ont fait d'une fŽdŽration ni Žtendue
ni nombreuse certes, mais encore florissante. Et cela dans un pays o ils ont
toute libertŽ d'action, alors que, partout ailleurs, l'Internationale faisait
des progrs de gŽant. Au moment mme o ils nous prŽsentent le lamentable
tableau de leur Žchec et o ils lancent ce cri d'angoisse provoquŽ par leur
situation dŽsespŽrŽe et ruineuse, ils se prŽsentent devant nous avec la
prŽtention d'arracher l'Internationale ˆ la voie qu'elle a suivie jusqu'ici et
qui l'a fait devenir ce qu'elle est, pour l'engager dans la voie qui a fait
dŽgringoler la fŽdŽration du Jura de son Žtat de relative prospŽritŽ ˆ sa dissolution
complte.
1. Les deux
conseils fŽdŽraux
Article 1. ‑ ConsidŽrant
Que les conseils centraux ne sont instaurŽs que dans le but d'assurer dans
tous les pays la puissance de l'union et de la combinaison au mouvement ouvrier
(art. 7 des statuts) ;
Qu'en consŽquence l'existence de deux conseils centraux rivaux pour une
mme fŽdŽration est une infraction caractŽrisŽe des statuts gŽnŽraux [41], le Conseil gŽnŽral invite les deux
conseils fŽdŽraux provisoires de New York ˆ s'unir de nouveau et ˆ agir comme
un seul et mme conseil fŽdŽral provisoire jusqu'ˆ la rŽunion d'un congrs gŽnŽral.
Art. 2. ‑ ConsidŽrant que l'efficacitŽ du conseil fŽdŽral provisoire
serait grandement diminuŽe s'il contenait trop de membres qui viennent ˆ peine
d'adhŽrer ˆ l'Association internationale des travailleurs,
le Conseil
gŽnŽral recommande que les sections nouvellement crŽŽes et numŽriquement
faibles se combinent entre elles afin de nommer quelques dŽlŽguŽs communs, peu
nombreux.
II. Congrs gŽnŽral de la fŽdŽration des
ƒtats-Unis
Article 1. ‑ Le Conseil gŽnŽral recommande la convocation pour le 1er
¡ juillet 1872 d'un congrs gŽnŽral des dŽlŽguŽs de sections et des sociŽtŽs
affiliŽes des ƒtats-Unis.
Art. 2. ‑ Il appartiendra ˆ ce congrs de nommer un conseil fŽdŽral
pour les ƒtats-Unis. Il peut, s'il le juge opportun, charger le conseil fŽdŽral
ainsi nommŽ de s'adjoindre un nombre limitŽ de membres.
Art. 3. ‑ Ce congrs a seul pouvoir de dŽterminer les statuts et rglements
locaux pour l'organisation de l'Association internationale des travailleurs,
mais ceux-ci ne doivent rien contenir qui soit contraire aux statuts et
rglements de l'Association (cf. rglement administratif V, 1).
III. Sections
Article 1. ‑
ConsidŽrant
Que la section no 12 de New York a non seulement pris une rŽsolution
formelle par laquelle Ç chaque section possde un droit indŽpendant È
d'interprŽter ˆ son grŽ Ç les rŽsolutions des divers congrs ainsi que les
statuts et rglements È, mais a encore agi en conformitŽ totale avec ce
principe qui, s'il Žtait adoptŽ par tous, ne laisserait plus subsister de
l'Internationale que le nom ;
Que cette mme section n'a cessŽ de faire de l'Internationale des
travailleurs son instrument pour rŽaliser ses propres fins, qui ou bien sont
Žtrangres aux buts et devoirs de l'Association internationale des
travailleurs, ou bien lui sont opposŽes,
pour ces raisons :
le Conseil gŽnŽral considre qu'il est de son devoir d'appliquer la
rŽsolution administrative VI du Congrs de B‰le, et de suspendre la section no
12 jusqu'ˆ la rŽunion du prochain congrs gŽnŽral de l'A. I. T. qui se tiendra
en septembre 1872.
Art. 2. ‑ ConsidŽrant
Que l'Association internationale des travailleurs, d'aprs ses statuts, se
compose exclusivement de Ç sociŽtŽs ouvrires È (cf. art. 1, 7 et 11
des statuts) ;
Qu'en
consŽquence de l'article 9 des statuts, selon lequel Ç quiconque adopte et
dŽfend les principes de l'Association internationale des travailleurs peut en
tre reu membre È, s'il est possible ˆ des adhŽrents actifs de
l'Internationale qui ne sont pas des travailleurs d'en tre membres ˆ titre
individuel ou ˆ titre de sections ouvrires, il n'en rŽsulte en aucun cas qu'il
soit lŽgitime de fonder des sections qui soient composŽes exclusivement ou
principalement de membres n'appartenant pas ˆ la classe ouvrire ;
Que cette mme raison a empchŽ il y a quelques mois de reconna”tre une
section slave composŽe exclusivement d'Žtudiants [42] ;
Qu'en accord avec les statuts V, 1, les statuts et les rglements doivent
tre adaptŽs Ç aux circonstances locales de chaque pays È ;
Que les conditions sociales des ƒtats-Unis, si elles sont en de nombreux
points extrmement favorables au mouvement ouvrier, facilitent particulirement
l'intrusion dans l'Internationale de pseudo-rŽformateurs, de charlatans
bourgeois et de trafiquants politiques,
pour ces raisons :
le Conseil
gŽnŽral recommande qu'ˆ l'avenir on n'admette pas de nouvelles sections qui ne
regroupent au moins pour les deux tiers des travailleurs salariŽs.
Art. 3. ‑ Le Conseil gŽnŽral attire l'attention de la fŽdŽration amŽricaine
sur la rŽsolution II, 3 de la ConfŽrence de Londres ayant trait aux
Ç sections sectaires È ou Ç corps sŽparatistes È, qui
prŽtendent Ç accomplir des missions et t‰ches particulires È, distinctes
de celles du but commun de l'Association, qui est de Ç libŽrer le
travailleur de l'assujettissement Žconomique des dŽtenteurs des moyens du
travail È, assujettissement Ç qui est la cause premire de la
servitude sous toutes ses formes la misre sociale, l'avilissement intellectuel
et la dŽpendance politique È (cf. le prŽambule des statuts).
L'Alliance de la dŽmocratie socialiste fut fondŽe par M. Bakounine vers la
fin de l'annŽe 1868. C'Žtait une sociŽtŽ internationale prŽtendant fonctionner,
en mme temps, en dehors et en dedans de l'Association internationale des
travailleurs [43]. Se composant de membres de cette
dernire qui rŽclamaient le droit de participer ˆ toutes les rŽunions
internationales, elle voulait cependant se rŽserver d'avoir ses groupes locaux,
ses fŽdŽrations nationales, ses congrs particuliers ˆ c™tŽ de ceux de
l'Internationale. En d'autres termes, l'Alliance prŽtendait ds le dŽbut former
une sorte d'aristocratie au sein de notre association, un corps d'Žlite avec un
programme ˆ elle et avec ses privilges particuliers.
Notre circulaire sur Les PrŽtendues scissions dans l'Internationale (pages
7 ˆ 9, pices justificatives n¡ 1) reproduit la correspondance qui eut lieu ˆ
ce moment entre le comitŽ central de l'Alliance et notre Conseil gŽnŽral.
Celui-ci refusa d'admettre l'Alliance tant qu'elle conserverait son caractre
international distinct ; il ne promit de l'admettre qu'ˆ la condition
qu'elle dissoudrait son organisation internationale particulire, que ses
sections se convertiraient en simples sections de notre association, et que le
Conseil serait informŽ du lieu et des effectifs numŽriques de chaque section
nouvelle.
Voici ce que rŽpondit, ˆ ces demandes, le 22 juin 1869, le comitŽ central
de l'Alliance qui, ˆ cette occasion, changeait de nom et prit celui de section
de l'Alliance de la dŽmocratie socialiste de Genve :
Ç ConformŽment ˆ ce qui a ŽtŽ convenu entre votre Conseil et le comitŽ
central de l'Alliance de la dŽmocratie socialiste, nous avons soumis aux
diffŽrents groupes de l'Alliance la question de sa dissolution comme
organisation distincte de celle de l'Association internationale des
travailleurs... Nous avons le plaisir de vous annoncer que la grande majoritŽ des
groupes a partagŽ l'avis du comitŽ central tendant ˆ prononcer la dissolution
de l'Alliance internationale de la dŽmocratie socialiste. Aujourd'hui, cette
dissolution est prononcŽe. En notifiant cette dŽcision aux diffŽrents groupes
de l'Alliance, nous les avons invitŽs ˆ se constituer, ˆ notre exemple, en
sections de l'A.I.T., et ˆ se faire reconna”tre comme telles par vous ou par le
conseil fŽdŽral de cette association dans leurs pays respectifs. Comme
confirmation de la lettre que vous avez adressŽe ˆ l'ex-comitŽ de l'Alliance,
nous venons aujourd'hui, en vous soumettant les statuts de notre section, vous
prier de la reconna”tre officiellement comme branche de l'Association internationale
des travailleurs. È (SignŽ : le secrŽtaire provisoire C. Perron ;
pices justificatives no 2.)
L'exemplaire des statuts de l'Alliance se trouve aux pices justificatives
no 3.
La section de
Genve resta la seule qui demandait son affiliation. On n'entendit plus parler
des autres prŽtendues sections de l'Alliance. Cependant, en dŽpit des intrigues
continuelles des alliancistes tendant ˆ imposer leur programme spŽcial ˆ toute
l'Internationale, et ˆ s'assurer la direction de notre association, on devait
croire qu'elle avait tenu sa parole, et qu'elle s'Žtait dissoute. Mais, au mois
de mai dernier, le Conseil gŽnŽral reut des indications assez prŽcises, dont
il dut conclure que l'Alliance ne s'Žtait jamais dissoute ; qu'en dŽpit de
la parole solennellement donnŽe elle avait existŽ et existait toujours sous
forme de sociŽtŽ secrte, et qu'elle usait de cette organisation clandestine
pour poursuivre toujours son but original de domination. C'est surtout en
Espagne que son existence devint de plus en plus manifeste, par suite des
divisions au sein mme de l'Alliance, dont nous tracerons plus loin l'historique.
Il suffit ici de dire que d'abord une circulaire des membres de l'ancien
conseil fŽdŽral de ce pays, membres en mme temps du comitŽ central de
l'Alliance en Espagne (voir le n¡ 61, p. 3, col. 2 de l'ƒmancipation ;
pices justificatives n¡ 4), en dŽvoila l'existence [44]. Cette circulaire est datŽe du 2 juin
1872, et annonce ˆ toutes les sections de l'Alliance en Espagne que les
signataires venaient de se dissoudre comme section de l'Alliance et invitrent
les autres ˆ suivre leur exemple. Elle fut publiŽe dans l'ƒmancipation (n¡ 59,
pice justificative n¡ 5).
Cette publication fora le journal de l'Alliance, la Federacion de
Barcelone (n¡ 155, 4 aožt 1872), ˆ publier lui-mme les statuts de
l'Alliance (pices justificatives n¡ 6).
En comparant les
statuts de la sociŽtŽ secrte avec les statuts soumis par l'Alliance de Genve
au Conseil gŽnŽral, nous
trouvons d'abord que le programme en tte de la premire est identique ˆ celui
en tte de l'autre. Il n'y a que de lŽgers changements de rŽdaction, de sorte
que le programme particulier de Bakounine appara”t clairement dans les statuts
secrets.
En voici le tableau exact :
L'article 1 de Genve est littŽralement identique ˆ l'article 5 secret.
L'article 2 de Genve est gŽnŽralement identique ˆ l'article 1 secret.
L'article 3 de Genve est littŽralement identique ˆ l'article 2 secret. Les
articles 4 et 5 de Genve sont gŽnŽralement identiques ˆ l'article 3 secret.
L'article 6 de Genve est gŽnŽralement identique ˆ l'article 4 secret.
Les statuts secrets eux-mmes sont basŽs sur ceux de Genve. Ainsi
l'article 4 secret correspond littŽralement ˆ l'article 3 de Genve ; les
articles 8 et 9 de Genve se trouvent, en bref, dans l'article 10 secret, comme
les articles 15-20 de Genve dans l'article 3 secret.
L'article 7 de Genve, contrairement ˆ la pratique actuelle des alliancistes,
prche Ç la forte organisation È de l'Internationale, et oblige tous
les membres de l'Alliance ˆ Ç soutenir... les rŽsolutions des congrs et
le pouvoir du Conseil gŽnŽral È. Cet article ne se trouve pas dans les
statuts secrets, mais la preuve qu'il y a figurŽ, au commencement, c'est qu'il
se retrouve presque littŽralement dans l'article 15 du rglement de la section
madrilne qui combine diverses professions (pices justificatives n¡ 7).
Il est donc manifeste que nous avons affaire non ˆ deux sociŽtŽs
diffŽrentes, mais ˆ une seule et mme sociŽtŽ. Alors que le comitŽ central de
Genve donna au Conseil gŽnŽral l'assurance que l'Alliance Žtait
dissoute ; et que, sur la foi de cette dŽclaration, il fut reu comme
section de l'Internationale, les meneurs de ce comitŽ central, Monsieur
Bakounine ˆ leur tte, renforcrent l'organisation de cette Alliance en la
transformant en sociŽtŽ secrte, et en lui conservant le caractre international
qu'on avait promis d'abandonner. La bonne foi du Conseil gŽnŽral et de toute
l'Internationale, ˆ laquelle la correspondance avait ŽtŽ soumise, fut indignement
trompŽe. Aprs avoir dŽbutŽ par un mensonge pareil, ces hommes n'avaient plus
de raison de se gner dans leurs machinations pour se soumettre
l'Internationale ou, en cas d'Žchec, pour la dŽsorganiser.
Voici maintenant
les articles principaux des statuts secrets :
1. L'Alliance de
la dŽmocratie socialiste se composera de membres de l'Association
internationale des travailleurs, et aura pour but la propagande et le
dŽveloppement des principes de son programme, et l'Žtude de tous les moyens
propres ˆ avancer l'Žmancipation directe et immŽdiate de la classe ouvrire.
2. Pour obtenir les meilleurs rŽsultats possibles et pour ne pas
compromettre la marche de l'organisation sociale, l'Alliance sera Žminemment
secrte.
4. Personne ne
pourra tre admis comme membre sans avoir auparavant acceptŽ compltement et
sincrement les principes du programme, etc.
5. L'Alliance influera tant qu'elle pourra au sein de la fŽdŽration
ouvrire locale, de sorte qu'elle ne prenne pas une marche rŽactionnaire ou
antirŽvolutionnaire.
6. La majoritŽ des associŽs pourra exclure de l'Alliance chacun de ses
membres sans indication de cause.
L'Alliance est donc une sociŽtŽ secrte, formŽe au sein mme de
l'Internationale avec un programme spŽcial qui n'est pas du tout celui de
l'Internationale, et ayant pour but la propagande de ce programme qu'elle
considre comme seul rŽvolutionnaire. Elle impose ˆ ses membres le devoir
d'agir au sein de leur fŽdŽration locale internationale de manire que cette
dernire ne prenne pas une marche rŽactionnaire ou antirŽvolutionnaire,
c'est-ˆ-dire qu'elle ne s'Žloigne aucunement du programme de l'Alliance. En
d'autres termes, l'Alliance a pour but d'imposer, au moyen de son organisation
secrte, son programme sectaire ˆ toute l'Internationale. Le moyen le plus
efficace d'y arriver, c'est de s'emparer des conseils locaux et fŽdŽraux et du
Conseil gŽnŽral, en y faisant Žlire, usant de la puissance donnŽe par
l'organisation clandestine, des membres de l'Alliance. C'est prŽcisŽment ce
qu'a fait l'Alliance lˆ o elle a cru avoir des chances de succs : nous
verrons cela plus tard.
Il est clair que personne ne saurait en vouloir aux alliancistes de faire
de la propagande pour leur programme. L'Internationale se compose de
socialistes des nuances les plus variŽes, et son programme est assez ample pour
les comprendre toutes. La secte bakouniniste y a ŽtŽ reue aux mmes conditions
que les autres. Ce qu'on lui reproche, c'est prŽcisŽment d'avoir violŽ ces
conditions.
Quant au caractre secret de l'Alliance, c'est dŽjˆ autre chose. L'Internationale
ne peut ignorer que les sociŽtŽs secrtes sont en beaucoup de pays, en Pologne,
en France, en Irlande, un moyen lŽgitime de dŽfense contre le terrorisme
gouvernemental. Mais elle a dŽclarŽ, ˆ la ConfŽrence de Londres, qu'elle veut
rester compltement Žtrangre ˆ ces sociŽtŽs, et que, par consŽquent, elle ne
les reconna”tra pas comme sections. Et, ce qui est le point capital, nous nous
trouvons ici en face d'une sociŽtŽ crŽŽe pour combattre non les gouvernements,
mais l'Internationale elle-mme.
L'organisation d'une pareille sociŽtŽ est une violation flagrante non
seulement de l'engagement contractŽ envers l'Internationale, mais aussi de la
lettre et de l'esprit de nos statuts et rglements gŽnŽraux. Nos statuts ne
connaissent qu'une seule espce de membres de l'Internationale avec droits et
devoirs Žgaux ; l'Alliance les divise en deux castes, initiŽs et profanes,
aristocrates et plŽbŽiens, ces derniers Žtant destinŽs ˆ tre menŽs par les
premiers, au moyen d'une organisation dont ils ignorent jusqu'ˆ l'existence.
L'Internationale demande ˆ ses adhŽrents de reconna”tre pour base de leur
conduite la vŽritŽ, la justice et la morale ; l'Alliance impose ˆ ses
adeptes comme premier devoir le mensonge, la dissimulation et l'imposture, en
leur prescrivant de tromper les Internationaux profanes sur l'existence de
l'organisation clandestine, sur les motifs et sur le but mme de leurs paroles
et de leurs actions. Les fondateurs de l'Alliance savaient parfaitement que la
grande masse des Internationaux profanes ne se soumettrait jamais sciemment ˆ une
organisation comme la leur, sit™t qu'ils en auraient connu l'existence. C'est
pourquoi ils la firent Ç Žminemment secrte È. Car il faut bien
observer que le caractre secret de cette Alliance n'a pas pour objet de
tromper la vigilance des gouvernements, car autrement on n'aurait pas dŽbutŽ
par sa constitution comme sociŽtŽ publique ; ce caractre secret Žtait
uniquement destinŽ ˆ tromper l'Internationale profane, comme le prouve la manÏuvre
indigne dont l'Alliance a fait usage vis-ˆ-vis du Conseil gŽnŽral. Il s'agit
donc d'une vŽritable conspiration contre l'Internationale.
Pour la premire fois dans l'histoire des luttes de la classe ouvrire,
nous rencontrons une conspiration secrte ourdie au sein mme de cette classe
et destinŽe ˆ miner non pas le rŽgime exploiteur existant, mais l'Association
mme qui le combat le plus Žnergiquement.
Du reste, il serait ridicule de prŽtendre qu'une sociŽtŽ se soit faite
secrte pour se sauvegarder contre les poursuites des gouvernements actuels,
Žtant donnŽ que cette sociŽtŽ prche partout la doctrine dŽvirilisante de
l'abstention absolue en matire politique, et dŽclare dans son programme (art.
3, prŽambule aux statuts secrets) qu'elle Ç repousse toute action
rŽvolutionnaire qui n'aurait pas pour objet immŽdiat et direct le triomphe de
la cause des ouvriers contre le capital È.
ConsidŽrons maintenant quelle a ŽtŽ l'action de cette sociŽtŽ secrte dans
l'Internationale.
La rŽponse ˆ cette question se trouve dŽjˆ, en partie, dans la circulaire
privŽe du Conseil gŽnŽral sur Les PrŽtendues Scissions. Mais comme le Conseil
gŽnŽral ne connaissait pas encore ˆ ce moment-lˆ l'Žtendue de l'organisation
secrte, et comme, depuis, il s'est passŽ bien des faits importants, cette
rŽponse ne pouvait tre que fort incomplte.
Constatons
d'abord qu'il y a eu deux phases bien distinctes dans l'action de l'Alliance.
Dans la premire, elle croyait pouvoir s'emparer du Conseil gŽnŽral et, ce
faisant, de la direction suprme de notre association. C'Žtait alors qu'elle
demanda ˆ ses adhŽrents de soutenir la Ç forte organisation È de
l'Internationale et Ç le pouvoir du Conseil gŽnŽral d'abord, aussi bien
que celui du conseil fŽdŽral et du comitŽ central È. C'est dans ces
conditions que les alliancistes ont demandŽ au Congrs de B‰le tous ces pouvoirs
Žtendus pour le Conseil gŽnŽral, pouvoirs qu'ils ont plus tard repoussŽs avec
tant d'horreur parce que autoritaires.
Le Congrs de B‰le rŽduisit ˆ nŽant les espŽrances de l'Alliance, du moins
pour quelque temps, en la laissant ˆ des intrigues locales. Elle se tint assez
tranquille jusqu'ˆ ce que la ConfŽrence de Londres rŽtabl”t, par ses
rŽsolutions sur la politique de la classe ouvrire et sur les sections
sectaires, le programme original de l'Internationale vis-ˆ-vis du programme de
l'Alliance, et m”t fin ˆ ce quiproquo international. Depuis, elle ourdit des
menŽes dont il est question clans Les PrŽtendues Scissions.
Dans le Jura, en Italie et en Espagne, elle ne cessa de substituer son
programme spŽcial ˆ celui de l'Internationale. La fŽdŽration jurassienne, qui
constitue le centre de l'Alliance en Suisse, lana sa circulaire de Sonvilier
contre le Conseil gŽnŽral. La forte organisation, le pouvoir du Conseil
gŽnŽral, les rŽsolutions de B‰le proposŽes et votŽes par les signataires de
cette mme circulaire y furent qualifiŽs d'autoritaires, dŽsignation suffisante
ˆ ce qu'il para”t pour les faire condamner sans autre forme de procs ; on
y parla de Ç la guerre, la guerre ouverte ŽclatŽe dans nos rangs È,
on y demandait pour l'Internationale une organisation adaptŽe non aux besoins
de la lutte actuelle, mais ˆ on ne sait quel idŽal de la sociŽtŽ future, etc. Ë
partir de lˆ, on changea de tactique. La consigne Žtait donnŽe. Les rŽsolutions
autoritaires de B‰le et de la ConfŽrence de Londres ainsi que l'autoritarisme
du Conseil gŽnŽral furent attaquŽs violemment partout o L'Alliance avait des
ramifications, en Italie et en Espagne surtout.
On ne parlait plus que de l'autonomie des sections, de groupes librement
fŽdŽrŽs, d'anarchie, etc. Tout cela se comprend facilement. La puissance de la
sociŽtŽ secrte au sein de l'Internationale devait naturellement s'accro”tre ˆ
mesure que l'organisation publique de l'Internationale se rel‰chait et
s'affaiblissait. Le grand obstacle que l'on rencontra, c'est le Conseil
gŽnŽral, et c'est lui qu'on attaqua en premire ligne. Mais nous verrons tout ˆ
l'heure qu'on traita de la mme manire les conseils fŽdŽraux ds que l'on crut
l'occasion opportune.
La circulaire du Jura n'eut aucun effet, exceptŽ dans les pays o
l'Internationale Žtait plus ou moins sous l'influence de l'Alliance, en Italie
et en Espagne. Dans ce dernier pays, l'Alliance et l'Internationale avaient ŽtŽ
fondŽes en mme temps, immŽdiatement aprs le Congrs de B‰le. Les
Internationaux les plus dŽvouŽs de l'Espagne furent amenŽs ˆ croire que le
programme de l'Alliance Žtait identique ˆ celui de l'Internationale, que
l'organisation secrte existait partout, et que c'Žtait presque un devoir d'y
entrer. Cette illusion fut dŽtruite par la ConfŽrence de Londres, o le dŽlŽguŽ
espagnol, Anselmo Lorenzo ‑ lui-mme membre du comitŽ central de
l'Alliance de son pays ‑, put se convaincre du contraire, ainsi que par
la circulaire du Jura lui-mme, dont les attaques violentes et les calomnies
contre cette confŽrence et contre le Conseil gŽnŽral avaient ŽtŽ immŽdiatement
reproduites par tous les organes de l'Alliance.
La premire consŽquence de la circulaire jurassienne fut donc en Espagne de
crŽer une scission, au sein mme de l'Alliance espagnole, entre ceux qui
Žtaient avant tout des Internationaux et ceux qui ne voulaient de
l'Internationale que pour autant qu'elle Žtait dominŽe par l'Alliance. La
lutte, sourde d'abord, Žclata bient™t dans les rŽunions de l'Internationale. Le
conseil fŽdŽral, Žlu par la ConfŽrence de Valence (septembre 1871), ayant
prouvŽ par ses actes qu'il prŽfŽrait l'Internationale ˆ l'Alliance, la majoritŽ
de ses membres furent expulsŽs de la fŽdŽration locale de Madrid, dominŽe par
l'Alliance. Ils furent rŽhabilitŽs par le Congrs de Saragosse, et deux de ses
membres les plus actifs ‑ Mora et Lorenzo ‑ furent rŽŽlus au
nouveau conseil fŽdŽral, bien que tous les membres de l'ancien conseil aient
d'avance dŽclarŽ ne pas vouloir les accepter.
Le Congrs de Saragosse fit craindre aux meneurs de l'Alliance que
l'Espagne ne s'Žchappe de leurs mains. Elle dirigea donc immŽdiatement contre
le pouvoir du conseil fŽdŽral espagnol les mmes attaques que la circulaire du
Jura avait dirigŽes contre les attributions prŽtendument autoritaires du
Conseil gŽnŽral. En Espagne, une organisation parfaitement dŽmocratique et en
mme temps trs complte avait ŽtŽ ŽlaborŽe par le Congrs de Barcelone et par
la ConfŽrence de Valence. Elle avait eu, gr‰ce aussi ˆ l'activitŽ du conseil
fŽdŽral Žlu ˆ Valence (activitŽ reconnue par un vote exprs du congrs), les
rŽsultats brillants dont il a ŽtŽ question dans le rapport gŽnŽral.
Ë Saragosse,
Morago, l'‰me de l'Alliance en Espagne, dŽclara que les attributions du conseil
fŽdŽral dans cette organisation Žtant autoritaires, il fallait les restreindre,
lui ™ter le droit d'admettre ou de refuser de nouvelles sections, le droit de
constater si leurs statuts sont conformes ˆ ceux de la fŽdŽration, le rŽduire
enfin au r™le d'un simple bureau de correspondance et de statistique. En rejetant
les propositions de Morago, le congrs rŽsolut de maintenir l'organisation
autoritaire existante. (Cf. Estracto de las actas del segundo congresso obrero,
p. 109 et 110 ; pices justificatives n¡ 8. Sur ce point, le tŽmoignage du
citoyen Lafargue, dŽlŽguŽ au Congrs de Saragosse, sera important.)
Pour Žcarter le nouveau conseil fŽdŽral des dissensions surgies ˆ Madrid,
le congrs le transfŽra ˆ Valence. Mais la cause de ces dissensions ‑
l'antagonisme qui commenait ˆ se dŽvelopper entre l'Alliance et
l'Internationale ‑ n'avait pas un caractre local. Le congrs, ignorant
jusqu'ˆ l'existence de l'Alliance, avait composŽ le nouveau conseil exclusivement
de membres de cette sociŽtŽ. Deux d'entre eux ‑ Mora et Lorenzo ‑
en Žtaient devenus les antagonistes, et Mora n'avait pas acceptŽ son Žlection.
La circulaire du Conseil gŽnŽral sur Les PrŽtendues Scissions, rŽponse ˆ celle
du Jura, mit en demeure tous les Internationaux de se dŽclarer ou pour l'Internationale,
ou pour l'Alliance. La polŽmique s'envenima de plus en plus entre La
Emancipacion, d'une part, et La Federacion de Barcelone et la Razon de SŽville,
journaux alliancistes, de l'autre. Enfin, le 2 juin, les membres de l'ancien
conseil fŽdŽral, rŽdacteurs de La Emancipacion et membres du comitŽ central
espagnol de l'Alliance, rŽsolurent d'adresser ˆ toutes les sections espagnoles
de l'Alliance la circulaire o ils dŽclarrent se dissoudre comme section de la
sociŽtŽ secrte, et invitrent les autres sections ˆ suivre leur exemple. La vengeance
ne se fit pas attendre. Ils furent immŽdiatement, et en violation flagrante des
rglements en vigueur, expulsŽs de nouveau de la fŽdŽration locale de Madrid.
Ils se constiturent alors en nouvelle fŽdŽration de Madrid, et demandrent que
le conseil fŽdŽral la reconnaisse.
Mais, en attendant, l'ŽlŽment allianciste du conseil, renforcŽ par des
cooptations de nouveaux membres, Žtait parvenu ˆ le dominer compltement, de
sorte que Lorenzo s'en retira. La demande de la nouvelle fŽdŽration de Madrid
eut pour rŽponse un refus net de la part du conseil fŽdŽral qui, alors,
s'occupait dŽjˆ d'assurer l'Žlection de candidats alliancistes au Congrs de La
Haye. Ë cet effet, il adressa aux fŽdŽrations locales une circulaire privŽe en
date du 7 juillet, dans laquelle, aprs avoir rŽpŽtŽ les calomnies de La
Federacion contre le Conseil gŽnŽral, il proposa aux fŽdŽrations d'envoyer au
congrs une dŽlŽgation commune ˆ toute l'Espagne, Žlue ˆ la majoritŽ de la
totalitŽ des voix, dont le scrutin serait fait par le conseil lui-mme (pices
justificatives n¡ 9). Pour tous ceux qui connaissent l'organisation secrte au
sein de l'Internationale espagnole, il est Žvident que c'Žtait faire Žlire des
hommes de l'Alliance pour les envoyer au congrs avec l'argent des
Internationaux. Ds que le Conseil gŽnŽral, auquel cette circulaire n'avait pas
ŽtŽ envoyŽe, eut connaissance de ces faits [45], il adressa au conseil fŽdŽral espagnol, le 24 juillet, la lettre
jointe aux pices justificatives [46] (n¡ 10). Le conseil fŽdŽral rŽpondit le 1er aožt qu'il
lui fallait du temps [47] pour traduire notre lettre Žcrite en franais, et le 3 aožt il Žcrivit
au Conseil gŽnŽral la rŽponse Žvasive publiŽe dans La Federacion (pice
justificative n¡ 11). Dans cette rŽponse, il prit le parti de l'Alliance.
Le Conseil gŽnŽral, aprs avoir reu la lettre du 1er aožt, avait
dŽjˆ fait publier cette correspondance dans La Emancipacion.
Ajoutons que,
ds que l'organisation secrte avait ŽtŽ rŽvŽlŽe, on prŽtendit que l'Alliance
avait dŽjˆ ŽtŽ dissoute au Congrs de Saragosse. Le comitŽ central, cependant,
n'en fut pas prŽvenu [48] (pices justificatives n¡ 4).
La nouvelle fŽdŽration de Madrid nie le fait qu'elle conna”t sans doute. Du
reste, il est ridicule de prŽtendre que la branche espagnole d'une sociŽtŽ
internationale, comme l'Alliance, puisse se dissoudre sans consulter les autres
branches nationales.
ImmŽdiatement aprs, l'Alliance tenta son coup d'ƒtat. Voyant qu'au Congrs
de La Haye il lui serait impossible de s'assurer, en renouvelant les manÏuvres
de B‰le et de La Chaux-de-Fonds, une majoritŽ factice, elle profita de la
confŽrence tenue ˆ Rimini par la soi-disant fŽdŽration italienne pour faire
acte de scission ouverte. Les dŽlŽguŽs ci-rŽunis le rŽsolurent ˆ l'unanimitŽ
(voir pices justificatives n¡ 12). Voilˆ donc le congrs de l'Alliance
opposŽ ˆ celui de l'Internationale. Cependant, on s'aperut bient™t que ce
projet ne promettait pas de succs. On le retira, et on rŽsolut d'aller ˆ La
Haye. Or, voilˆ que ces mmes sections italiennes, sections dont une seule sur
vingt et une appartient ˆ notre association, aprs avoir rŽpudiŽ le Congrs de
La Haye, ont le front d'envoyer ˆ La Haye leurs dŽlŽguŽs [49] !
ConsidŽrant
1. Que l'Alliance fondŽe et dirigŽe par M. Bakounine (et qui a pour organe
principal le comitŽ central de la fŽdŽration jurassienne) est une sociŽtŽ
hostile ˆ l'Internationale, parce qu'elle s'efforce ou de dominer
l'Internationale, ou de la dŽsorganiser ;
2. Que, par consŽquent, l'Internationale et l'Alliance sont incompatibles,
le Congrs dŽcrte :
1. M. Bakounine et tous les membres actuels de l'Alliance de la dŽmocratie
socialiste sont exclus de l'Association internationale des travailleurs. Ils ne
pourront y rentrer qu'aprs avoir publiquement rŽpudiŽ toute communautŽ avec
cette sociŽtŽ secrte ;
2. La fŽdŽration jurassienne, comme telle, est exclue de l'Internationale.
Congrs de l'A. I.
T. tenu ˆ La Haye
(2 au 7-9-1872)
Discussions prŽparatoires ˆ propos du
congrs
et des pleins pouvoirs du Conseil gŽnŽral
Le citoyen Marx dit alors qu'il ne fait pas de doute que la question
d'organisation serait le principal sujet ˆ soumettre aux dŽbats du congrs. Les
luttes qui avaient eu lieu ont suffisamment mis cela en Žvidence [50]. Dans la discussion de celle-ci, il
serait bon de diviser le sujet en sections concernant ou bien le Conseil
gŽnŽral, ou bien les conseils fŽdŽraux. La proposition de Bakounine transformerait
purement et simplement le Conseil gŽnŽral en un bureau de statistique. Or, pour
cela, il n'est pas nŽcessaire d'avoir un Conseil gŽnŽral. Les journaux
pourraient donner toutes les informations qu'ils sont susceptibles de
rassembler, et il faut rappeler que l'on n'avait pas encore collectŽ de
statistiques, bien que le Conseil gŽnŽral ait attirŽ rŽgulirement l'attention
des diverses sections sur la nŽcessitŽ d'entreprendre des mesures ˆ cet effet.
La proposition
du conseil fŽdŽral belge est logique : il faut supprimer le Conseil
gŽnŽral, ds lors qu'on lui a dŽjˆ enlevŽ toute utilitŽ. On a affirmŽ que les
conseils fŽdŽraux pouvaient accomplir toutes les t‰ches indispensables et
qu'ils avaient ŽtŽ et seraient Žtablis dans tous les pays, afin de prendre en
main toute l'administration. En Espagne, La Emancipacion disait dans sa
critique de ce projet que cela signifierait la mort de l'Association :
s'ils Žtaient consŽquents, il faudrait supprimer les conseils fŽdŽraux
eux-mmes. MalgrŽ cela, il ne s'opposerait pas ˆ la proposition, comme autre
solution ou expŽrience [51]. Quoi qu'il en soit, il est assurŽ que cela ne ferait que dŽmontrer
l'absolue nŽcessitŽ du rŽtablissement du Conseil gŽnŽral dans ses fonctions. Si
la politique du renforcement des pouvoirs du Conseil gŽnŽral devait tre
rejetŽe, il serait disposŽ ˆ s'incliner, mais il n'accepterait en aucun cas la
proposition de Bakounine, ˆ savoir maintenir le Conseil gŽnŽral tout en le
rŽduisant ˆ nŽant.
VŽrifications des mandats de dŽlŽguŽs
Marx rŽpond que cela ne regarde personne de savoir qui les sections
choisissent [comme dŽlŽguŽ au Congrs] [52]. D'ailleurs, il est tout ˆ l'honneur de
Barry de ne pas tre un des prŽtendus chefs des travailleurs anglais, car tous
sont plus ou moins vendus ˆ la bourgeoisie et au gouvernement. On a attaquŽ
Barry uniquement parce qu'il ne voulait pas se faire l'instrument de Hales.
Ë propos des sociŽtŽs persŽcutŽes
par les gouvernements
Marx fait valoir que si l'Alliance a ŽtŽ admise, c'est parce qu'on ignorait
au dŽbut son caractre secret [53]. L'on savait, Žvidemment, qu'elle s'Žtait
reconstituŽe, mais en face de la dŽclaration officielle de dissolution du 6
aožt 1871, la confŽrence ne pouvait qu'adopter la rŽsolution quel l'on sait.
Lui-mme ne s'oppose pas aux sociŽtŽs secrtes en tant que telles, car il a
appartenu ˆ des sociŽtŽs de ce genre, mais il en a aux sociŽtŽs secrtes qui
sont hostiles et nuisibles ˆ l'A.I.T. Le conseil fŽdŽral romand protesta vivement
contre l'admission de la section en question, et c'est la raison pour laquelle
le Conseil gŽnŽral la rejeta, conformŽment aux statuts. Ë Bruxelles, la
situation Žtait diffŽrente : la section franaise avait Žcrit au Conseil
gŽnŽral que des membres du conseil fŽdŽral belge lui avaient fait savoir que
son admission ˆ la fŽdŽration belge l'exposerait ˆ la police belge. Le Conseil
gŽnŽral n'avait donc pu faire autrement que de reconna”tre et d'admettre
sŽparŽment la section franaise de Bruxelles, et il a fallu agir de la mme
faon pour la deuxime section franaise qui s'y est formŽe.
Discussion sur la section double
des ƒtats-Unis
Marx dŽclare que
la section 2 n'a pas d'existence aux yeux du congrs, puisque, en sa qualitŽ de
section indŽpendante, elle n'est pas entrŽe en contact avec le Conseil
gŽnŽral [54].
Sorge dŽclare qu'il n'aurait posŽ la question de confiance soulevŽe par
Dereure que pour la section 2, car on montrera alors les immenses torts que ces
ŽlŽments causent ˆ la classe ouvrire et au mouvement des travailleurs en
AmŽrique.
Frankel est tout ˆ fait opposŽ ˆ l'admission de la section 2 et rappelle
les prŽcŽdents de la Commune, o des sections particulires ont aussi menŽ une
campagne contre le Conseil fŽdŽral par des affiches et divers autres moyens. Il
est favorable ˆ la centralisation, contre la prŽtendue autonomie et l'anarchie.
On ne peut plus tolŽrer la rŽbellion contre toutes les rŽsolutions ; la
discipline doit tre maintenue.
Marx fait savoir
que West (le dŽlŽguŽ mandatŽ par la section 2) dŽsire voir renvoyer au
lendemain la question concernant la section 2, et que le comitŽ accepte cette
proposition. Il rappelle l'affaire de l'Alliance et dŽclare qu'il avait proposŽ
l'exclusion de l'Alliance et non pas des dŽlŽguŽs espagnols.
Marx propose, au nom du comitŽ de vŽrification des pouvoirs, l'annulation
du mandat de W. West, parce que, d'une part, il est membre d'une section
suspendue, que, d'autre part, il a ŽtŽ membre du Congrs de Philadelphie, et
que, enfin, il est membre du conseil de Prince Street. Le mandat de W. West est
signŽ par Victoria Woodhull qui, depuis des annŽes, intrigue pour la prŽsidence
(elle est prŽsidente des spirites, prche l'amour libre, a une activitŽ
bancaire, etc.). La section 2, crŽŽe par V. Woodhull, Žtait formŽe, au dŽbut,
presque exclusivement de bourgeois, menait surtout des campagnes pour le
suffrage fŽminin et publia le fameux appel aux citoyens amŽricains de langue
anglaise, dans lequel elle accusait l'A.I.T. de nombreux crimes, et qui
provoqua la formation de nombreuses sections dans le pays. Il y Žtait question
entre autres, de libertŽ individuelle, de libertŽ sociale (amour libre), de rgles
d'habillement, de suffrage fŽminin, de langue universelle et de bien d'autres
choses. Le 28 octobre, ils ont dŽclarŽ que l'Žmancipation de la classe ouvrire
par elle-mme signifiait que l'Žmancipation de la classe ouvrire ne peut
s'accomplir contre la volontŽ des travailleurs. Ils estiment que la question du
suffrage fŽminin doit avoir prioritŽ sur la question du travail, et ne veulent
pas reconna”tre ˆ l'A.I.T. son caractre d'organisation ouvrire.
La section 1 protesta contre cette manire d'agir de la section 2, et
exigea qu'au moins les deux tiers des membres des sections fussent des
travailleurs salariŽs, car, aux ƒtats-Unis, tout mouvement ouvrier est exploitŽ
et perverti par la bourgeoisie [55]. La section 2 protesta contre l'exigence
des deux tiers de travailleurs salariŽs en demandant dŽdaigneusement si c'Žtait
un crime de n'tre pas un esclave salariŽ, mais un homme libre. Les deux
parties en appelrent ˆ la dŽcision du Conseil gŽnŽral. Les 5 et 12 mars, le
Conseil fit conna”tre sa dŽcision de suspendre la section 2. C'est pourquoi le
mandat de West ne peut pas tre reconnu. Quoiqu'elle ait fait appel au Conseil
gŽnŽral, la section 2 et ses adhŽrents refusrent la dŽcision. West Žtait aussi
membre du Congrs de Philadelphie et du conseil de Prince Street, qui refusrent
de reconna”tre le Conseil gŽnŽral et restrent en contact avec la fŽdŽration
jurassienne qui, ˆ en croire les journaux, leur conseillait de ne pas payer
leur cotisation pour mettre le Conseil gŽnŽral ˆ sec.
Sorge rŽpond ˆ
West qu'il a la t‰che facile, et raconte ensuite comment la section 2 a ŽtŽ
admise ˆ la suite de fausses indications (West avait notamment dŽclarŽ que la
section 2 se composait surtout de travailleurs salariŽs, comme lui-mme). Il
ajoute que, d'autre part, on connaissait suffisamment les exigences des ennemis
de la section 2, que le Conseil gŽnŽral avait simplement recommandŽ et non dŽcrŽtŽ
la rŽgie des deux tiers, que Mme Woodhull poursuit des intŽrts personnels dans
l'Association, ce que West lui-mme lui avait dit. Personne n'a jamais mis en
question leur droit d'avoir toutes sortes d'opinions sur des questions telles
que, par exemple, le fŽminisme, la religion, ou n'importe quoi, mais seulement
le droit de les faire endosser ˆ l'Association internationale des travailleurs.
La section 2 et ses membres ont impudemment exposŽ toutes leurs dissensions
devant le grand public ; ils n'ont pas payŽ leur cotisation pour cette
annŽe, ils ont ŽtŽ heureux de recevoir la communication de la fŽdŽration
jurassienne et du conseil fŽdŽraliste universel de Londres. Ils se sont livrŽs
ˆ des intrigues et ˆ des manÏuvres dŽloyales, et ont rŽclamŽ au Conseil gŽnŽral
la direction suprme de l'A.I.T. en AmŽrique, et ont encore le front
d'interprŽter comme leur Žtant favorables les dŽcisions contraires du Conseil
gŽnŽral.
Interventions sur les pouvoirs du Conseil
gŽnŽral
Sauva dit que
Sorge a soutenu faussement que les Franais aux ƒtats-Unis veulent un
accroissement des pouvoirs du Conseil gŽnŽral, alors qu'ils sont favorables au
maintien du Conseil [56]. Son mandat veut que le Conseil gŽnŽral n'ait le droit de suspendre
des sections ou des fŽdŽrations que dans les cas dŽterminŽs par le congrs, ˆ
l'exclusion de tout autre.
Marx
dŽclare : Ç Nous ne demandons pas ces pouvoirs pour nous, mais pour le
nouveau Conseil gŽnŽral ; nous prŽfŽrons abolir le Conseil gŽnŽral plut™t
que de le voir rŽduit au r™le de bo”te ˆ lettres, comme le dŽsire BrismŽe. Dans
ce cas, la direction de l'Association tomberait entre les mains des
journalistes, c'est-ˆ-dire de gens qui ne sont pas des ouvriers. Je m'Žtonne
que la fŽdŽration jurassienne, ces amateurs d'abstractions, ait pu appuyer la
section 2 qui voulait faire de l'Association un instrument pour soutenir une
politique de bourgeois. Il est incroyable que la mention de sections policires
fasse sourire : on devrait savoir que de telles sections ont ŽtŽ crŽŽes en
France, en Autriche et dans d'autres pays [57]. C'est l'Autriche qui a amenŽ le Conseil gŽnŽral ˆ ne pas reconna”tre
toute section qui n'aurait pas ŽtŽ fondŽe par des dŽlŽguŽs du Conseil gŽnŽral
ou par des organisations locales. VŽsinier et ses camarades, rŽcemment expulsŽs
du groupe des rŽfugiŽs franais, sont Žvidemment partisans de la fŽdŽration
jurassienne. Le conseil fŽdŽral belge a ŽtŽ accusŽ devant le Conseil gŽnŽral
tout aussi vivement que n'importe quel autre de despotisme et d'abus divers, et
cela par des ouvriers belges ; il y a des lettres ˆ ce propos. Des gaillards
tels que VŽsinier, Landeck et consorts peuvent, par exemple, former tout d'abord un conseil fŽdŽral, et
ensuite une fŽdŽration ; des agents de Bismarck peuvent en faire autant.
C'est pourquoi le Conseil gŽnŽral doit avoir le droit de dissoudre ou de suspendre
un conseil fŽdŽral ou une fŽdŽration [58].
Ç Vient ensuite l'appel aux sections, qui peut souvent constituer le
bon moyen de dŽcider, par la voix populaire, si un conseil fŽdŽral exprime
encore la volontŽ du peuple. En Autriche, des braillards, des ultra-radicaux et
des provocateurs formrent des sections destinŽes ˆ compromettre l'A.I.T. En
France, le chef de la police forma une section. Pourtant, l'Association se
porte mieux lˆ o elle est interdite, car les persŽcutions ont toujours cet
effet-lˆ.
Ç Le Conseil gŽnŽral pourrait certes suspendre toute une fŽdŽration,
en suspendant ses sections l'une aprs l'autre. Mais en cas de suspension d'une
fŽdŽration ou d'un conseil fŽdŽral, le Conseil gŽnŽral s'expose immŽdiatement ˆ
une motion de censure ou ˆ un bl‰me, de sorte qu'il n'exercera son droit de
suspension qu'en cas de nŽcessitŽ absolue. Mme si nous reconnaissons et
accordons au Conseil gŽnŽral les droits d'un roi ngre ou du tsar de Russie, sa
puissance devient nulle ds qu'il cesse de reprŽsenter la majoritŽ de l'A.I.T.
Le Conseil gŽnŽral n'a ni armŽe ni budget, il ne dispose que d'une autoritŽ
morale, et il sera toujours impuissant s'il ne s'appuie pas sur l'adhŽsion de
toute l'Association. È
Intervention de F. Engels sur le transfert
du sige du Conseil gŽnŽral ˆ New York
Engels, Marx et d'autres membres du Conseil gŽnŽral sortant proposent que
le sige du Conseil soit transfŽrŽ ˆ New York pour l'annŽe 1872-1873 [59], et qu'il soit formŽ par les membres du
conseil fŽdŽral amŽricain, dont les noms suivent : Kavanagh, Saint-Clair,
Cetti, Levile, Bolte et Carl, qui auront le droit d'Žlever le nombre des membres
du Conseil jusqu'ˆ quinze.
Engels prend la parole pour dŽfendre la motion demandant le transfert du
Conseil gŽnŽral ˆ New York. Le Conseil a toujours eu son sige ˆ Londres, parce
que c'Žtait le seul endroit o il pouvait vraiment tre international et o les
papiers et documents se trouvaient en parfaite sŽcuritŽ. Leur sŽcuritŽ sera au
moins aussi grande ˆ New York qu'ˆ Londres ; en aucun autre lieu d'Europe
ils n'auront une telle sŽcuritŽ, pas mme ˆ Genve ou ˆ Bruxelles, comme certains
ŽvŽnements l'ont prouvŽ. Ë Londres, les querelles de clans ont atteint une
telle acuitŽ que le sige devra tre transfŽrŽ ailleurs.
En outre, les accusations et les attaques contre le Conseil gŽnŽral sont
devenues si violentes et si continuelles que la plupart des membres actuels en
sont fatiguŽs et sont dŽcidŽs ˆ ne plus siŽger au Conseil. C'est, par exemple,
certain dans le cas de Karl Marx et dans son propre cas. Du reste, l'ancien
Conseil gŽnŽral n'Žtait pas toujours unanime, tous ses membres peuvent en
tŽmoigner. Depuis huit ans, le Conseil gŽnŽral sige au mme endroit, il serait
bon de le transfŽrer ailleurs pour remŽdier ˆ une certaine ankylose. Pour des
raisons analogues, Marx avait demandŽ en 1870 dŽjˆ le transfert du Conseil gŽnŽral
ˆ Bruxelles, mais toutes les fŽdŽrations s'Žtaient prononcŽes pour le maintien
du Conseil ˆ Londres.
O faut-il transfŽrer le Conseil gŽnŽral ? Ë Bruxelles ? Les Belges
eux-mmes affirment que c'est impossible, car il n'y aurait pas de sŽcuritŽ
pour eux. Ë Genve ? Les Genevois s'y opposent Žnergiquement, en partie
pour les mmes raisons que les Bruxellois, et ils rappellent l'affaire de la
saisie des documents d'Outine.
Il ne reste que New York. Lˆ-bas, les papiers seront en sžretŽ, et il y
aura une organisation puissante et fidle. Le parti y est plus vŽritablement
international que partout ailleurs. Que l'on regarde, par exemple, le conseil
fŽdŽral de New York, composŽ d'Irlandais, de Franais, d'Allemands, d'Italiens,
de SuŽdois, et qui comptera bient™t aussi des AmŽricains de naissance.
L'objection selon laquelle New York est trop ŽloignŽe est sans valeur, car ce
sera un avantage certain pour les fŽdŽrations europŽennes qui se dŽfendent
jalousement contre toute ingŽrence du Conseil gŽnŽral
dans les affaires intŽrieures ; la distance rendra ces ingŽrences plus
difficiles et l'on Žvitera que des fŽdŽrations particulires acquirent une
trop grande influence au sein du Conseil gŽnŽral. Le Conseil gŽnŽral a
d'ailleurs le droit, peut-tre mme le devoir, de dŽlŽguer des pouvoirs en
Europe, pour des affaires et des rŽgions dŽterminŽes, ce qu'il a toujours fait
jusqu'ˆ prŽsent [60].
Discussion sur l'Alliance
Splingard
demande des dŽtails et dŽsire savoir comment Marx s'est procurŽ les documents,
car cela n'a pu se faire par des moyens honntes. Engels avait apportŽ des
preuves, mais Marx s'est contentŽ de formuler des assertions [61]. Si Bakounine a failli ˆ sa promesse de traduire l'Ïuvre de Marx,
c'est parce qu'on lui a conseillŽ d'agir ainsi. L'Alliance existait ˆ Genve et
en Espagne avant l'A.I.T. : Ç Ë Genve, vous l'avez reconnue. Prouvez
donc qu'elle existe encore, non par des statuts, des lettres ou d'autres choses semblables, mais par
des procs-verbaux et des comptes rendus de sŽances. È
Marx (grossirement interrompu par Splingard) dŽclare que Splingard s'est
comportŽ en avocat, mais non en juge. Il affirme faussement, ou plut™t de faon
incorrecte, que Marx n'a pas prŽsentŽ de preuves, tout en sachant trs bien
qu'il avait remis presque toutes ses preuves ˆ Engels. Le conseil fŽdŽral
espagnol a Žgalement fourni des preuves. Lui, Marx, en a apportŽ d'autres de
Russie, mais il ne peut Žvidemment pas rŽvŽler le nom de l'expŽditeur.
D'ailleurs, les autres membres de la commission lui ont donnŽ leur parole d'honneur
de ne rien divulguer sur ces dŽlibŽrations. Lui a son opinion sur la question.
Splingard peut bien en avoir une autre. Les documents n'ont pas ŽtŽ obtenus par
des moyens malhonntes, ils ont ŽtŽ envoyŽs spontanŽment...
Le congrs passe ensuite au vote par appel nominal sur les propositions de
la commission d'enqute. L'expulsion de Michel Bakounine est dŽcidŽe par 29
voix contre 7 et avec 8 abstentions. Par 25 voix contre 16 et avec 10
abstentions, le congrs dŽcide d'expulser James Guillaume de l'A.I.T. Par 16
voix contre 10 abstentions, le congrs refuse l'expulsion d'Adhemar
Schwitzguebel [62].
Ë la demande d'Engels, le congrs dŽcide, ˆ une grande, majoritŽ, de
renvoyer le vote sur le troisime point des propositions de la commission,
concernant les autres expulsions (Malon, Bousquet et Louis Marchand pour
manÏuvres visant ˆ la dŽsorganisation de l'A.I.T.), mais d'adopter les autres
propositions de la commission : entre autres, le quatrime point (que les
citoyens Morago, Farga Pellicer, Marselau, Joukovsky et Alerini n'appartiennent
plus ˆ l'Alliance, le congrs Žtant donc priŽ de retirer les accusations pesant
sur eux)...
Ë la demande du prŽsident, le congrs dŽcide de charger le nouveau Conseil
gŽnŽral de terminer tous les travaux inachevŽs. Le prŽsident affirme avoir
perdu la voix (il parle d'une voix rauque), mais non sa confiance en la
cause : Ç J'ai perdu ma voix, mais non pas ma foi È, et ˆ minuit
et demie, il dŽclare clos le VeÇ Congrs gŽnŽral de l'Association
internationale des travailleurs en s'Žcriant : Ç Vive le
travail ! È
Pleins pouvoirs du
Conseil gŽnŽral de New York
pour Karl Marx [63]
Karl Marx, habitant le n¡ 1, Maitland Park Road, N. W., Londres,
Angleterre, reoit pouvoir par la prŽsente, et est chargŽ de rassembler tout
bien quel qu'il soit de l'ancien Conseil gŽnŽral de l'A. I. T., et de le tenir
ˆ la disposition du Conseil gŽnŽral.
Tous les anciens
membres et employŽs de l'ancien Conseil gŽnŽral de l'A. I. T. de Londres ou
d'ailleurs sont priŽs et chargŽs de respecter cette demande et de remettre
audit Karl Marx tous les livres, papiers, etc., bref tout ce qui a appartenu et
appartient ˆ l'ancien Conseil gŽnŽral de Londres.
New York, 30-12-1872
Par ordre et au nom du Conseil gŽnŽral
Le secrŽtaire gŽnŽral :
F. A. SORGE
Mandat du Conseil gŽnŽral de New York
pour Friedrich Engels
Conseil gŽnŽral de l'Association internationale des travailleurs
Mandat
Friedrich Engels, habitant 122, Regent's Park Road, Londres, est nommŽ
provisoirement reprŽsentant du Conseil gŽnŽral de l'A. I. T. pour l'Italie. Il
a le pouvoir et est chargŽ d'agir au nom du Conseil gŽnŽral et conformŽment aux
instructions qu'il recevra de temps ˆ autre.
New York, 5-1-1873
Par
ordre et au nom du Conseil gŽnŽral
Instructions pour le reprŽsentant du Conseil
gŽnŽral
pour l'Italie, Friedrich Engels, Londres
1. Le reprŽsentant du Conseil gŽnŽral pour l'Italie aide de toutes ses
forces l'organisation de l'Internationale dans ce pays conformŽment aux statuts
gŽnŽraux et rglements administratifs et aux instructions du Conseil
gŽnŽral ;
2. Il veille au maintien du caractre ouvrier du mouvement en Italie ;
3. Dans les cas d'urgence, il dŽcide provisoirement dans les questions
litigieuses sur le plan de l'organisation et de l'administration de notre
association en Italie sous rŽserve d'un appel au Conseil gŽnŽral, auquel il
doit immŽdiatement faire son compte rendu ;
4. De mme, il peut suspendre un membre ou une quelconque organisation en
Italie jusqu'ˆ l'arrivŽe de la dŽcision du Conseil gŽnŽral qu'il informe aussit™t
des mesures prises en y ajoutant les pices justificatives. Cependant, il ne
saurait suspendre un plŽnipotentiaire directement nommŽ par le Conseil gŽnŽral,
sans avoir demandŽ et reu au prŽalable des instructions spŽciales ˆ ce sujet
de la part du Conseil gŽnŽral ;
5. II a le droit de donner des mandats provisoires ˆ court terme ˆ des
personnes en Italie, dont les pouvoirs ne peuvent jamais excŽder ceux des
plŽnipotentiaires nommŽs directement par le Conseil gŽnŽral, et il va de soi
que tous les mandats et pouvoirs doivent tre soumis pour ratification
dŽfinitive au Conseil gŽnŽral, celui-ci pouvant ˆ tout moment les annuler ou
les rŽvoquer ;
6. Il veille ˆ l'encaissement rŽgulier des cotisations et ˆ leur transfert
au Conseil gŽnŽral ;
7. Il tient au
courant le Conseil gŽnŽral en l'informant rŽgulirement des faits, et lui
envoie un rapport dŽtaillŽ tous les mois.
New York, le 5-1-1873
Sur
ordre et au nom du Conseil gŽnŽral
Dernire pŽriode
de la Ire Internationale
Ceux qui ont fait sŽcession de l'Internationale en Angleterre ‑ Mottershead, Roach, Alonzo,
Jung, Eccarius et Cie ‑
viennent de renouveler avec leur soi-disant congrs de la fŽdŽration anglaise
la farce du conseil fŽdŽral universel de Londres (de l'Žpoque de Pyat qui
voulait crŽer ˆ coups de trompette une contre-Internationale) [64]. Ces messieurs ne reprŽsentaient
qu'eux-mmes. Deux d'entre eux, Jung et Paepe, avaient dŽjˆ ŽtŽ rŽvoquŽs par
leurs sections de Middlesbrough et Nottingham, et ne reprŽsentaient donc plus
qui que ce soit. Le total des simulacres de sections des quatre coins du pays
que ces gens ont pu mettre debout ne compte certainement pas cinquante unitŽs.
Sans la petite note qu'Eccarius a, comme valet aux gages du Times, faufilŽe en
contrebande dans ce journal, le congrs serait compltement passŽ
inaperu ; il pourra cependant tre exploitŽ par les autres sŽcessionnistes
du continent.
Le discours de
Jung au congrs dŽpasse tout en sottise et en infamie. C'est un tissu de vieux
ragots fait de mensonges, de dŽformations et d'absurditŽs. Ce vaniteux semble
souffrir d'un ramollissement du cerveau.
Mais il ne saurait en tre autrement, et il faut s'y faire : le mouvement
met les individus hors de service, et ds qu'ils sentent qu'ils sont en dehors,
ils tombent dans les bassesses en cherchant ˆ se persuader que c'est la faute
de Pierre ou de Paul s'ils sont devenus des gredins [65].
Ë mon avis, le Conseil gŽnŽral de New York a commis une grande erreur en
suspendant la fŽdŽration du Jura [66]. Ces gens se sont dŽjˆ RETIRƒS de l'Internationale,
lorsqu'ils ont dŽclarŽ qu'ils considŽraient son congrs et ses statuts comme
inexistants, lorsqu'ils ont formŽ un centre de conjuration pour crŽer une
contre-Internationale. Ë la suite de leur congrs de Saint-Imier, n'y a-t-il
pas eu de semblables congrs ˆ Cordoue, ˆ Bruxelles, ˆ Londres, et finalement
les alliancistes d'Italie ne vont-ils pas aussi tenir le leur ?
Tout individu et tout groupe a le droit de quitter l'Internationale, et ds
que cela se produit, le Conseil gŽnŽral n'a simplement qu'ˆ constater
officiellement ce retrait, et non pas ˆ suspendre. La suspension n'est prŽvue
que dans la mesure o les groupes (sections ou fŽdŽrations) contestent les
pouvoirs du Conseil gŽnŽral, voire violent tel ou tel point des statuts ou
article des rglements. En revanche, il n'y a aucun article dans les statuts
qui prŽvoie le cas des groupes qui remettent en question l'ensemble de
l'organisation, et ce pour la simple raison qu'il s'entend de soi, d'aprs les
statuts, que de tels groupes cessent d'appartenir ˆ l'Internationale.
Cela n'est en aucune faon une question de forme.
Les
sŽcessionnistes ont pris ˆ leurs divers congrs la rŽsolution de convoquer un
congrs sŽcessionniste gŽnŽral pour constituer leur nouvelle organisation
indŽpendante de l'Internationale. Ce congrs aurait lieu au printemps ou en
ŽtŽ [67].
Cependant, ces messieurs veulent se garder une porte ouverte en cas d'Žchec
de leur congrs. C'est ce qui ressort d'une circulaire fleuve des alliancistes
espagnols. Si leur congrs se rŽvle un four, ils se rŽservent d'aller ˆ notre
prochain congrs de Genve, intention que l'allianciste italien Gambuzzi a dŽjˆ
ŽtŽ assez na•f de me communiquer lors de son passage ˆ Londres.
Si donc le Conseil gŽnŽral de New York ne modifie pas sa faon de procŽder,
quel sera le rŽsultat ?
Aprs le Jura, il suspendra les fŽdŽrations sŽcessionnistes d'Espagne,
d'Italie, de Belgique et d'Angleterre. RŽsultat : toute la racaille
resurgira ˆ Genve et y paralysera tout travail sŽrieux, comme elle l'a dŽjˆ
fait ˆ La Haye, et compromettra de nouveau le congrs gŽnŽral au profit de la
bourgeoisie.
Le grand
rŽsultat du Congrs de La Haye a ŽtŽ de pousser les ŽlŽments corrompus ˆ
s'exclure eux-mmes, c'est-ˆ-dire ˆ se retirer. Le procŽdŽ du Conseil gŽnŽral
menace d'annuler ce rŽsultat.
En opposition ouverte ˆ l'Internationale, ces gens ne nuisent pas :
ils sont mme utiles [68]. Cependant, comme ŽlŽments hostiles dans
son sein, ils ruinent le mouvement dans tous les pays o ils ont pris pied.
Vous pouvez ˆ peine vous imaginer ˆ New York la besogne que ces gens et
leurs Žmissaires nous font en Europe.
Pour fortifier l'Internationale dans les pays o le gros de la lutte est
menŽ, il faut avant tout une action Žnergique du Conseil gŽnŽral.
Ë prŽsent que l'erreur est faite pour le Jura, le mieux serait peut-tre
pour le moment d'ignorer compltement les autres (sauf si nos propres
fŽdŽrations demandaient, par exemple, le contraire) et d'attendre le congrs
gŽnŽral des sŽcessionnistes pour dŽclarer que tous ceux qui y ont participŽ ont
quittŽ l'Internationale, s'en sont exclus eux-mmes et doivent dorŽnavant tre
considŽrŽs comme des associations qui lui sont Žtrangres, voire hostiles [69]. Trs na•vement, Eccarius a demandŽ au
congrs borgne de Londres qu'il faudrait faire de la politique avec les
bourgeois. Son ‰me a depuis longtemps soif de se vendre.
Le dernier congrs
de l'A. I. T.
Le fiasco du Congrs de Genve Žtait inŽvitable. Du moment o l'on a su ici
qu'aucun dŽlŽguŽ ne viendrait d'AmŽrique, l'affaire Žtait mal partie [70]. On avait essayŽ de vous prŽsenter en
Europe comme de simples figurants. Si nous y Žtions allŽs, et pas vous, cela
aurait passŽ pour la confirmation de la rumeur soigneusement rŽpandue par nos
adversaires. En outre, cela passait aussi pour la confirmation que votre
fŽdŽration d'AmŽrique n'existait que sur le papier.
Par ailleurs, la fŽdŽration anglaise n'a pas rŽussi ˆ rassembler l'argent
pour un seul dŽlŽguŽ. Les Portugais, les Espagnols et les Italiens annonaient
que, dans les circonstances donnŽes, ils ne pouvaient pas envoyer directement
de dŽlŽguŽs. Les nouvelles d'Allemagne, d'Autriche et de Hongrie Žtaient tout
aussi mauvaises. Une participation franaise Žtait exclue.
Dans ces conditions, il Žtait certain que le congrs serait composŽ en
majeure partie de Suisses, voire de Genevois. De Genve mme, nous n'avions pas
de nouvelles, le vieux Becker gardant un silence obstinŽ, et Monsieur Perret
ayant Žcrit une ou deux fois, pour nous dŽrouter.
Enfin, au tout
dernier moment, le comitŽ romand de Genve au conseil fŽdŽral d'Angleterre nous
envoie une lettre dans laquelle les Genevois se refusent d'abord ˆ accepter
eux-mmes les mandats anglais, et y expriment des vellŽitŽs de rŽconciliation.
Ils y joignent un manifeste (signŽ Perret, Duval, etc.) directement dirigŽ
contre le Congrs de La Haye et l'ancien Conseil gŽnŽral de Londres. Les gaillards
y vont plus loin ˆ maints Žgards que les Jurassiens, rŽclamant, par exemple,
l'exclusion des Ç intellectuels È (Le plus beau de l'affaire, c'est
que ce factum est rŽdigŽ par le misŽrable aventurier militaire Cluseret, qui ˆ
Genve se prŽtend le fondateur de l'Internationale en AmŽrique. Ce monsieur
voulait le Conseil gŽnŽral pour exercer ˆ partir de lui une dictature secrte.)
La lettre avec son annexe arriva ˆ temps pour dŽtourner Serraillier d'aller
ˆ Genve et ‑ comme l'a d'ailleurs fait la fŽdŽration d'Angleterre ‑
protester contre la faon d'agir des Suisses, en leur disant d'avance que l'on
traiterait leur congrs comme une simple affaire locale, genevoise. C'est une
excellente chose que personne ne soit allŽ lˆ-bas, qui, par sa prŽsence, ežt pu
faire douter de la nature de ce congrs.
MalgrŽ cela, les Genevois n'ont pas rŽussi ˆ s'emparer du Conseil gŽnŽral,
mais ‑ comme tu le sais sans doute dŽjˆ ‑ ils ont remis en question
tout le travail fait depuis le premier Congrs de Genve, et mme fait beaucoup
de choses contraires aux dŽcisions dŽjˆ prises.
ƒtant donnŽ les conditions actuelles de l'Europe, il est absolument utile,
ˆ mon avis, de faire passer ˆ l'arrire-plan pour le moment l'organisation
formelle de l'Internationale, en ayant soin seulement, si c'est possible, de ne
pas l‰cher le point central de New York, afin d'empcher que des imbŽciles
comme Perret ou des aventuriers comme Cluseret ne s'emparent de la direction et
compromettent la cause.
Les ŽvŽnements de l'inŽvitable involution et Žvolution des choses
pourvoiront d'eux-mmes ˆ une rŽsurrection de l'Internationale sous une forme
plus parfaite.
En attendant, il suffit de ne pas laisser glisser entirement de nos mains
la liaison avec les meilleurs ŽlŽments dans les divers pays, et pour le reste
se soucier comme d'une guigne des dŽcisions locales de Genve, bref les ignorer
purement et simplement. La seule bonne rŽsolution qui y ait ŽtŽ prise, c'est
celle de remettre le congrs ˆ deux ans, car elle facilite cette faon d'agir.
C'est, en outre, barrer d'un trait de plume les calculs des gouvernements
continentaux, car ceux-ci ne pourront pas utiliser le spectre de l'Internationale
dans leur imminente croisade rŽactionnaire. Il est prŽfŽrable, en effet, que
les bourgeois tiennent partout ce spectre pour heureusement enterrŽ.
Ë New York, les emmerdeurs et les mouches du coche du Conseil gŽnŽral ont
eu la majoritŽ, si bien que Sorge a dŽmissionnŽ et s'est retirŽ [71]. Maintenant, nous ne sommes plus
responsables pour quoi que ce soit dans le bazar. Quelle chance que nous
possŽdions les protocoles !
Quant ˆ la grande politique, nous pouvons maintenant la laisser
heureusement ˆ elle-mme ; et il sera toujours temps d'en rire quand nous
nous rencontrerons.
Le
parti de classe. Tome III. Questions dÕorganisation
Chapitre 2
Fusion du parti social-dŽmocrate
allemand
L'action
internationale des classes ouvrires ne dŽpend en aucune faon de l'existence
(formelle) de l'Association internationale des travailleurs.
Celle-ci n'a ŽtŽ qu'une premire
tentative pour doter cette action d'un organe central. Cette tentative, par
l'impulsion qu'elle a donnŽe, a eu des effets durables, mais elle ne pouvait se
poursuivre longtemps dans sa premire forme historique aprs la chute de la
Commune de Paris.
MARX, La Critique du
programme de Gotha du parti ouvrier allemand, 1875
Ë la confŽrence des dŽlŽguŽs de l'Internationale ˆ Londres, l'Allemagne
n'Žtait reprŽsentŽe par aucun dŽlŽguŽ, par aucun rapport d'activitŽ, par aucune
cotisation depuis septembre 1869 [72]. Il est impossible que se poursuive ˆ
l'avenir le rapport purement platonique du parti ouvrier allemand avec l'Internationale,
rapport o l'une des parties attend uniquement des prestations de l'autre, sans
jamais apporter de contre-prestation. C'est proprement compromettre la classe
ouvrire allemande.
Je mets donc en demeure la section berlinoise d'entrer en relation
Žpistolaire directe avec moi, et je continuerai ˆ faire la mme chose avec
toutes les autres sections aussi longtemps que la direction du parti ouvrier
social-dŽmocrate continuera ˆ ne rien faire pour l'organisation de
l'Internationale en Allemagne. Les lois peuvent empcher l'organisation normale
du parti ouvrier social-dŽmocrate, mais elles ne peuvent empcher son
organisation existante de faire pratiquement la mme chose que ce qui se
produit dans tous les autres pays : inscrire des membres ˆ titre
individuel, payer ses cotisations, envoyer des comptes rendus d'activitŽ, etc.
En tant que
membre de la commission de contr™le du parti ouvrier social-dŽmocrate, il vous
sera sans doute possible d'agir en ce sens.
Avant de rŽpondre aux nombreuses demandes de ta lettre, il faut d'abord que
je sache exactement ce que signifie [73] : Ç Le Volksstaat ne peut pour
le moment se laisser entra”ner dans une polŽmique internationale. È Si le
Volksstaat dŽclare qu'il est neutre dans la guerre des Internationalistes
contre les sŽcessionnistes, s'il refuse d'expliquer clairement aux ouvriers le
sens de ces luttes, si en un mot la rŽbellion lassallŽenne s'achve par une
poignŽe de main par-delˆ l'Internationale, l'Internationale Žtant sacrifiŽe ˆ
Hasselmann, notre position vis-ˆ-vis du Volksstaat s'en trouvera modifiŽe de
fond en comble. Je vous prie de nous dire immŽdiatement quelle est la situation
en toute franchise...
Ensuite, je ne
saurais te dissimuler que le traitement que nous fait subir le
Ç parti È ne nous encourage pas du tout ˆ vous confier plus de
matŽriel. De La Guerre des paysans (que vous avez rŽŽditŽe), vous ne m'avez pas
mme envoyŽ un seul exemplaire : j'ai ŽtŽ obligŽ de m'en acheter un
moi-mme. Vous ne demandez mme pas mon avis pour publier l'article sur la
question du logement. Lorsque j'ai demandŽ que l'on nous envoie des exemplaires
gratuits du Manifeste pour nous et l'Association des ouvriers, en reconnaissance
du fait que nous en avons payŽ de notre poche trois Žditions successives, on
nous a envoyŽ cent exemplaires accompagnŽs de la facture. J'ai Žcrit ˆ Hepner ˆ
ce sujet, en exigeant que ces procŽdŽs grossiers cessent une fois pour toutes.
Unification du
parti social-dŽmocrate
allemand
Je rŽponds
d'abord ˆ votre lettre parce que celle de Liebknecht se trouve encore chez
Marx, qui ne peut la retrouver pour le moment [74].
Ce qui nous a
fait craindre qu'ˆ l'occasion de votre emprisonnement les dirigeants ‑
par malheur entirement lassallŽens ‑ du parti n'en profitent pour
transformer le Volksstaat en un Ç honnte È Neuer Sozial-demokrat.
Or, ce n'est pas Hepner qui nous le fait craindre, mais bien plut™t la lettre
du comitŽ directeur signŽe par Yorck. Celui-ci a manifestŽ clairement son
intention, et comme le comitŽ se targue de nommer et de dŽmettre les
rŽdacteurs, le danger Žtait certainement assez important. L'expulsion imminente
de Hepner ne pouvait que faciliter encore cette opŽration. Dans ces conditions,
il nous fallait absolument savoir o nous en Žtions, d'o cette
correspondance [75].
Vous ne devez pas oublier que Hepner et, ˆ un degrŽ beaucoup moindre,
Seiffert, Blos, etc., n'ont pas du tout la mme position face ˆ Yorck que vous
et Liebknecht, les fondateurs du parti, sans parler du fait que si vous ignorez
purement et simplement leurs apprŽhensions, vous ne faites que leur rendre les
choses plus difficiles. La direction du parti a de toute faon un certain droit
formel de contr™le sur l'organe du parti. Or, l'exercice de ce droit dŽpend
toujours de vous, mais l'on a tentŽ indubitablement cette fois-ci de l'orienter
dans un sens nuisible au parti. Il nous est donc apparu qu'il Žtait de notre
devoir de faire tout notre possible afin de contrecarrer cette Žvolution.
Hepner peut avoir fait, dans les dŽtails, quelques fautes tactiques dont la
plupart aprs rŽception de la lettre du comitŽ, mais en substance nous devons
rŽsolument lui donner raison. Je ne peux pas davantage lui reprocher des
faiblesses, car si le comitŽ lui fait clairement entendre qu'il doit quitter la
rŽdaction et ajoute, en outre, qu'il devra travailler sous les ordres de Blos,
je ne vois pas quelle rŽsistance il puisse encore opposer. Il ne peut pas se
barricader dans la rŽdaction pour tenir tte au comitŽ. Aprs une lettre aussi
catŽgorique des autoritŽs qui sont au-dessus de lui, je trouve mme que sont
excusables les remarques de Hepner dans le Volksstaat, remarques que vous
m'avez citŽes et qui m'avaient fait, dŽjˆ avant cela, une impression dŽsagrŽable [76].
De toute faon, il est certain que, depuis l'arrestation de Hepner et son
Žloignement de Leipzig, le Volksstaat est devenu bien plus mauvais : le
comitŽ, au lieu de se quereller avec Hepner, aurait mieux fait de lui apporter
tout le soutien possible.
Le comitŽ est allŽ jusqu'ˆ demander que le Volksstaat soit rŽdigŽ
autrement, que les articles les plus thŽoriques (scientifiques) soient ŽcartŽs
afin d'tre remplacŽs par des Žditoriaux ˆ la Neuer Sozial-demokrat : il
envisagea un Žventuel recours ˆ des mesures directes de contrainte. Je ne
connais absolument pas Blos, mais si le comitŽ l'a nommŽ ˆ ce moment-lˆ, on
peut bien supposer qu'il a choisi un homme cher ˆ son cÏur.
Maintenant, en ce qui concerne la position du parti face au lassallŽanisme,
vous pouvez certainement juger mieux que nous de la tactique ˆ suivre,
notamment dans les cas d'espce. Mais il faut tout de mme tenir compte d'une chose
qui mŽrite rŽflexion. Lorsque l'on se trouve comme vous d'une certaine manire
en posture de concurrent face ˆ l'Association gŽnŽrale des ouvriers allemands,
on est facilement tentŽ de prendre trop d'Žgards vis-ˆ-vis du concurrent, et
l'on s'habitue en toutes choses ˆ penser d'abord ˆ lui. En fait, l'Association
gŽnŽrale des ouvriers allemands aussi bien que le Parti ouvrier
social-dŽmocrate, et mme tous deux pris ensemble, ne forment encore qu'une
infime minoritŽ de la classe ouvrire allemande. Or, d'aprs notre conception,
confirmŽe par une longue pratique, la juste tactique dans la propagande n'est
pas d'arracher ou de dŽtourner ˆ et lˆ ˆ l'adversaire quelques individus,
voire quelques-uns des membres de l'organisation adverse, mais d'agir sur la grande
masse de ceux qui n'ont pas encore pris parti. Une seule force nouvelle que
l'on tire ˆ soi de son Žtat brut vaut dix fois plus que dix transfuges
lassallŽens qui apportent toujours avec eux le germe de leur fausse orientation
dans le parti.
Et encore, si l'on pensait attirer ˆ soi les masses sans que viennent aussi
les chefs locaux, le mal ne serait pas si grave ! Mais il faut toujours
reprendre ˆ son compte toute la masse de ces dirigeants qui sont liŽs par
toutes leurs dŽclarations et manifestations officielles du passŽ, sinon mme
par leurs conceptions actuelles, et qui doivent prouver avant tout qu'ils n'ont
pas abjurŽ leurs principes, mais qu'au contraire le Parti ouvrier
social-dŽmocrate prche le vŽritable lassallŽanisme.
Tel a ŽtŽ le
malheur ˆ Eisenach. Peut-tre n'Žtait-ce pas ˆ Žviter alors, mais il est
incontestable que ces ŽlŽments ont nui au parti : je ne sais pas si nous
ne serions pas au moins aussi forts si ces ŽlŽments n'avaient pas adhŽrŽ ˆ
notre organisation ! Mais, en tout cas, je tiendrais pour un malheur que
ces ŽlŽments trouvent un renfort.
Il ne faut pas se laisser induire en erreur par les appels ˆ
l'Ç unitŽ È. Ceux qui ont le plus ce mot ˆ la bouche sont justement
ceux qui fomentent le plus de dissensions, comme le dŽmontre le fait qu'actuellement
ce sont les Jurassiens bakouninistes de Suisse, fauteurs de toutes les
scissions, qui crient le plus fort pour avoir l'unitŽ.
Ces fanatiques de l'unitŽ sont ou bien des petites ttes qui veulent que
l'on mŽlange tout en une sauce indŽterminŽe dans laquelle on retrouve les
divergences sous forme d'antagonismes encore plus aigus ds lors que l'on cesse
de la remuer, du simple fait qu'on les trouve ensemble dans une seule marmite
(en Allemagne, vous en avez un bel exemple chez les gens qui prchent la
fraternisation entre ouvriers et petits-bourgeois), ou bien des gens qui n'ont
aucune conscience politique claire (par exemple MŸhlberger), ou bien des
ŽlŽments qui veulent sciemment brouiller et fausser les positions. C'est
pourquoi ce sont les plus grands sectaires, les plus grands chamailleurs et
filous, qui crient le plus fort ˆ l'unitŽ dans certaines situations. Tout au
long de notre vie, c'est toujours avec ceux qui criaient le plus ˆ l'unitŽ que
nous avons eu les plus grands ennuis et reu les plus mauvais coups.
Toute direction d'un parti veut, bien sžr, avoir des rŽsultats, et c'est
normal. Mais il y a des circonstances o il faut avoir le courage de sacrifier
le succs momentanŽ ˆ des choses plus importantes. Cela est surtout vrai pour
un parti comme le n™tre, dont le triomphe final doit tre complet et qui,
depuis que nous vivons, et sous nos yeux encore, se dŽveloppe si colossalement
que l'on n'a pas besoin, ˆ tout prix, et toujours, de succs momentanŽs.
Prenez, par exemple, l'Internationale : aprs la Commune, elle connut un
immense succs. Les bourgeois, comme frappŽs par la foudre, la croyaient
toute-puissante. La grande masse de ses membres crut que cela durerait
toujours. Nous savions fort bien que la bulle devait crever. Toute la racaille
s'accrochait ˆ nous. Les sectaires qui s'y trouvaient s'Žpanouirent, abusrent
de l'Internationale dans l'espoir qu'on leur passerait les pires btises et
bassesses. Mais nous ne l'avons pas supportŽ. Sachant fort bien que la bulle
crverait tout de mme, il ne s'agissait pas pour nous de diffŽrer la catastrophe,
mais de nous prŽoccuper de ce que l'Internationale demeure pure et attachŽe ˆ
ses principes sans les falsifier, et ce jusqu'ˆ son terme.
La bulle creva au Congrs de La Haye, et vous savez que la majoritŽ des
membres du congrs rentra chez elle, en pleurnichant de dŽception. Et,
pourtant, presque tous ceux qui Žtaient si dŽus, parce qu'ils croyaient
trouver dans l'Internationale l'idŽal de la fraternitŽ universelle et de la
rŽconciliation, n'avaient-ils pas connu chez eux des chamailleries bien pires
que celles qui Žclatrent ˆ La Haye ! Les sectaires brouillons se mirent
alors ˆ prcher la rŽconciliation et nous dŽnigrrent en nous prŽsentant comme
des intraitables et des dictateurs. Or, si nous nous Žtions prŽsentŽs ˆ La Haye
en conciliateurs, et si nous avions ŽtouffŽ les vellŽitŽs de scission, quel en
ežt ŽtŽ le rŽsultat ? Les sectaires ‑ notamment les bakouninistes ‑
auraient disposŽ d'un an de plus pour commettre, au nom de l'Internationale,
des btises et des infamies plus grandes encore ; les ouvriers des pays
les plus avancŽs se seraient ŽcartŽs avec dŽgožt. La bulle n'Žclata pas, elle
se dŽgonfla doucement sous l'effet de quelques coups d'aiguilles, et au congrs
suivant la crise se serait tout de mme produite au niveau des scandales
mettant en cause les individus, puisqu'on avait dŽjˆ quittŽ le terrain des principes
ˆ La Haye. Ds lors, l'Internationale Žtait dŽjˆ morte, et l'aurait ŽtŽ, mme
si nous avions tentŽ de faire l'union de tous. Au lieu de cela, dans l'honneur,
nous nous sommes dŽbarrassŽs des ŽlŽments pourris. Les membres de la Commune
prŽsents ˆ la dernire rŽunion dŽcisive ont dit qu'aucune rŽunion de la Commune
ne leur avait laissŽ un sentiment aussi terrible que cette sŽance du tribunal
jugeant les tra”tres ˆ l'Žgard du prolŽtariat europŽen. Nous avons permis
pendant dix mois qu'ils rassemblent toutes leurs forces pour mentir, calomnier
et intriguer ‑ et o sont-ils ? Eux, les prŽtendus reprŽsentants de
la grande majoritŽ de l'Internationale, dŽclarent eux-mmes ˆ prŽsent qu'ils
n'osent plus venir au prochain congrs. Pour ce qui est des dŽtails, ci-joint
un article destinŽ au Volksstaat [77]. Si nous avions ˆ le refaire, nous
agirions en gros de la mme faon, Žtant entendu que l'on commet toujours des
erreurs tactiques.
En tout cas, je crois que les ŽlŽments sains parmi les lassallŽens
viendront d'eux-mmes ˆ vous au fur et ˆ mesure, et qu'il ne serait donc pas
clairvoyant de cueillir les fruits avant qu'ils soient mžrs, comme le
voudraient les partisans de l'unitŽ.
Au reste, le vieil Hegel a dŽjˆ dit : un parti Žprouve qu'il vaincra
en ce qu'il se divise et supporte une scission. Le mouvement du prolŽtariat
passe nŽcessairement par divers stades de dŽveloppement. Ë chaque stade, une
partie des gens reste accrochŽe, ne rŽussissant pas ˆ passer le cap. Ne
serait-ce que pour cette raison, on voit que la prŽtendue solidaritŽ du
prolŽtariat se rŽalise en pratique par les groupements les plus divers de parti
qui se combattent ˆ mort, comme les sectes chrŽtiennes dans l'Empire romain, et
ce en subissant toutes les pires persŽcutions...
De mme, nous ne devons pas oublier que si, par exemple, le Neuer
Sozial-demokrat a plus d'abonnŽs que le Volksstaat, toute secte est forcŽment
fanatique et obtient, en raison mme de ce fanatisme, des rŽsultats momentanŽs
bien plus considŽrables, surtout dans des rŽgions o le mouvement ne fait que
commencer (par exemple, l'Association gŽnŽrale des ouvriers allemands au Schleswig-Holstein).
Ces rŽsultats dŽpassent ceux du parti qui, sans
particularitŽs sectaires, reprŽsente simplement le mouvement rŽel. En revanche,
le fanatisme ne dure gure.
Je dois finir, car il est l'heure de la poste. En h‰te simplement
ceci : Marx ne peut attaquer Lassalle [78] tant que la traduction franaise du
Capital n'est pas achevŽe (vers fin juillet), encore aura-t-il besoin de repos,
car il s'est beaucoup surmenŽ.
Trs bien que vous ayez sto•quement tenu le coup en prison et ŽtudiŽ. Nous
nous rŽjouissons tous de vous voir ici l'annŽe prochaine.
Salutations cordiales ˆ Liebknecht.
Sincrement, votre F. ENGELS
Vous nous demandez notre avis sur toute cette histoire de fusion [79]. Il en a ŽtŽ, hŽlas, pour nous exactement
comme pour vous : ni Liebknecht ni qui que ce soit d'autre ne nous en
avait soufflŽ le moindre mot, et nous aussi nous ne savons que ce qui se trouve
dans les journaux. Or, jusqu'ˆ la semaine dernire ‑ lorsque fut publiŽ
le projet de programme ‑, il ne s'y trouvait rien [80]. En tout cas, ce projet ne nous a pas peu
ŽtonnŽ.
Notre parti
avait si souvent tendu la main aux lassallŽens pour une rŽconciliation, ou du
moins leur avait offert la conclusion d'un cartel, il s'Žtait heurtŽ si souvent
ˆ un refus dŽdaigneux des Hasenclever, Hasselmann et Tšlcke, que n'importe quel
enfant ežt dž tirer la conclusion suivante : si ces messieurs font
eux-mmes le pas aujourd'hui et nous offrent la rŽconciliation, c'est qu'ils doivent
tre dans une sale passe. Or, Žtant donnŽ le genre notoirement connu de ces
gens, il est de notre devoir d'exploiter cette circonstance afin que ce ne soit
pas aux dŽpens de notre parti qu'ils se tirent de cette mauvaise passe et
renforcent de nouveau leur situation dans l'opinion des masses ouvrires. Il
fallait les accueillir tout ˆ fait fra”chement, leur tŽmoigner la plus grande
mŽfiance et faire dŽpendre la fusion de leur plus ou moins grande disposition ˆ
abandonner leurs positions de secte et leurs idŽes sur l'aide de l'ƒtat et ˆ
accepter, pour l'essentiel, le programme d'Eisenach [81] de 1869 ou ˆ en adopter une Ždition amŽliorŽe eu Žgard ˆ la situation
actuelle.
Notre parti n'a absolument rien ˆ apprendre des lassallŽens au point de vue
thŽorique, autrement dit pour ce qui est dŽcisif dans le programme, mais il
n'en est pas du tout ainsi pour les lassallŽens. La premire condition de
l'unification est qu'ils cessent d'tre des sectaires, des lassallŽens, et
qu'ils abandonnent donc la panacŽe de l'aide de l'ƒtat, ou du moins n'y voient
plus qu'une mesure transitoire et secondaire, ˆ c™tŽ de nombreuses autres mesures possibles. Le projet de programme dŽmontre que les
n™tres dominent de trs haut les dirigeants lassallŽens dans le domaine
thŽorique, mais qu'ils sont loin d'tre aussi malins qu'eux sur le plan
politique. Ceux qui sont honntes se sont une fois de plus fait cruellement
duper par les Ç malhonntes [82] È.
On commence par accepter la phrase ronflante, mais historiquement fausse,
selon laquelle : face ˆ la classe ouvrire, toutes les autres classes
forment une seule masse rŽactionnaire. Cette phrase n'est vraie que dans
quelques cas exceptionnels : dans une rŽvolution du prolŽtariat, la
Commune, par exemple, ou dans un pays o non seulement la bourgeoisie a imprimŽ
son image ˆ l'ƒtat et ˆ la sociŽtŽ, mais encore o, aprs elle, la petite
bourgeoisie dŽmocratique a parachevŽ elle aussi sa transformation jusque dans
ses dernires consŽquences [83].
Si, en Allemagne, par exemple, la petite bourgeoisie dŽmocratique faisait
partie de cette masse rŽactionnaire, comment le Parti ouvrier social-dŽmocrate
ežt-il pu, des annŽes durant, marcher la main dans la main avec le Parti
populaire [84] ? Comment se fait-il que le Volksstaat
puise presque toute sa rubrique politique dans l'organe de la petite
bourgeoisie dŽmocratique, La Gazette de Francfort ? Et comment se fait-il
que pas moins de sept revendications de ce mme programme correspondent presque
mot pour mot au programme du Parti populaire et de la dŽmocratie
petite-bourgeoise ? J'entends les sept revendications politiques des
articles 1 ˆ 5 et de 1 et 2 [85], dont il n'en est pas une qui ne soit
dŽmocrate bourgeoise.
Deuximement, le
principe de l'internationalisme du mouvement ouvrier est pratiquement repoussŽ
dans son entier pour le prŽsent, et ce par des gens qui, cinq ans durant et
dans les conditions les plus difficiles, ont proclamŽ ce principe de la manire
la plus glorieuse. La position des ouvriers allemands ˆ la tte du mouvement
europŽen se fonde essentiellement sur leur attitude authentiquement internationaliste
au cours de la guerre. Nul autre prolŽtariat ne se serait aussi bien comportŽ.
Or, aujourd'hui que partout ˆ
l'Žtranger les ouvriers revendiquent ce principe avec la mme Žnergie que celle
qu'emploient les divers gouvernements pour rŽprimer toute tentative de
l'organiser, c'est ˆ ce moment qu'ils devraient le renier en Allemagne !
Que reste-t-il dans tout ce projet de l'internationalisme du mouvement
ouvrier ? Pas mme une p‰le perspective de coopŽration future des ouvriers
d'Europe en vue de leur libŽration ; tout au plus une future
Ç fraternisation internationale des peuples È : les
Ç ƒtats-Unis d'Europe È des bourgeois de la Ligue de la paix.
Naturellement, il n'Žtait pas indispensable de parler de l'Internationale
proprement dite. Mais ˆ tout le moins ne devait-on pas aller en deˆ du
programme de 1869, et fallait-il dire : bien que le parti ouvrier allemand
soit contraint pour l'heure d'agir dans les limites des frontires que lui
trace l'ƒtat ‑ il n'a pas le droit de parler au nom du prolŽtariat
europŽen et encore moins d'avancer des thses fausses ‑, il est conscient
des liens solidaires qui l'unissent aux ouvriers de tous les pays et sera
toujours prt ˆ remplir, comme par le passŽ, les devoirs que lui impose cette
solidaritŽ. Mme si l'on ne se proclame ni ne se considre expressŽment comme
faisant partie de l'Internationale, ces devoirs subsistent : par exemple,
apporter sa contribution lors des grves, empcher le recrutement d'ouvriers
destinŽs ˆ prendre la place de leurs frres en grve, veiller ˆ ce que les
organes du parti tiennent les ouvriers allemands au courant du mouvement ˆ
l'Žtranger, faire de l'agitation contre la menace ou le dŽcha”nement effectif
de guerres ourdies par les cabinets, et se comporter comme on l'a fait de
manire exemplaire en 1870 et 1871, etc.
Troisimement, les n™tres se sont laissŽ octroyer la Ç loi
d'airain È de Lassalle qui se fonde sur une conception Žconomique parfaitement
dŽpassŽe, ˆ savoir que l'ouvrier moyen ne touche que le minimum de salaire pour
son travail, et ce parce que, d'aprs la thŽorie de la population de Malthus,
les ouvriers sont toujours en surnombre (c'Žtait effectivement le raisonnement
de Lassalle). Or, dans Le Capital, Marx a amplement dŽmontrŽ que les lois qui
commandent les salaires sont trs complexes et que, selon les circonstances,
c'est tant™t tel facteur et tant™t tel autre qui prŽdomine ; bref, que
cette loi n'est pas d'airain, mais est au contraire fort Žlastique, et qu'il
est impossible par consŽquent de rŽgler l'affaire en quelques mots, comme
Lassalle se le figurait. Dans son chapitre sur l'accumulation du capital [86], Marx a rŽfutŽ dans le dŽtail le
fondement malthusien de la loi que Lassalle a copiŽe de Malthus et de Ricardo
(en falsifiant ce dernier), et qu'il expose, par exemple, dans son Arbeiterlesebuch,
page 5, o il se rŽfre lui-mme ˆ un autre de ses ouvrages [87].
Quatrimement,
le programme prŽsente, sous sa forme la plus crue, une seule revendication sociale,
empruntŽe de Buchez par Lassalle : l'aide de l'ƒtat. Et ce aprs que
Bracke en a prouvŽ toute l'inanitŽ [88] et que presque tous les orateurs de notre parti ont ŽtŽ obligŽs de
prendre position contre elle dans leur lutte contre les lassallŽens !
Notre parti ne pouvait s'infliger ˆ lui-mme d'humiliation plus profonde.
L'internationalisme dŽgradŽ au niveau de celui d'un Armand Goegg, et le
socialisme ˆ celui d'un bourgeois rŽpublicain Buchez qui opposait cette
revendication aux socialistes pour les confondre !
Dans le meilleur des cas, l'Ç aide de l'ƒtat È, au sens de
Lassalle, n'Žtait qu'une mesure parmi de nombreuses autres pour atteindre le
but dŽfini ici par la formule dŽlavŽe que voici : Ç pour prŽparer la
voie ˆ la solution de la question sociale È, comme s'il y avait pour nous,
sur le plan thŽorique, une question sociale qui n'ait pas ŽtŽ rŽsolue !
En consŽquence, si l'on dit : le parti ouvrier allemand tend ˆ l'abolition
du salariat et, par lˆ, des diffŽrences de classe, en organisant la production
coopŽrative ˆ l'Žchelle nationale dans l'industrie et l'agriculture, et il
appuie toute mesure qui puisse contribuer ˆ atteindre ce but ‑ aucun
lassallŽen n'aurait ˆ y redire quelque chose.
Cinquimement, il n'est question nulle part de l'organisation de la classe
ouvrire en tant que classe par le moyen des syndicats professionnels. Or,
c'est lˆ un point tout ˆ fait essentiel, puisqu'il s'agit au fond d'une
organisation du prolŽtariat en classe au moyen de laquelle il mne sa lutte
quotidienne contre le capital et fait son apprentissage pour la lutte suprme,
d'une organisation qui, de nos jours, mme en plein dŽferlement de la rŽaction
(comme c'est aujourd'hui le cas ˆ Paris aprs la Commune), ne peut plus tre
dŽtruite. ƒtant donnŽ l'importance prise par cette organisation en Allemagne
aussi, nous estimons qu'il est absolument indispensable de lui consacrer une
place dans le programme et, si possible, de lui donner son rang dans
l'organisation du parti.
Voilˆ tout ce que les n™tres ont concŽdŽ aux lassallŽens pour leur tre
agrŽables. Et ceux-ci, qu'ont-ils donnŽ en Žchange ? L'inscription dans le
programme d'une masse confuse de revendications purement dŽmocratiques, dont
certaines sont uniquement dictŽes par la mode, comme la lŽgislation directe qui
existe en Suisse et y fait plus de mal que de bien, si tant est qu'elle y fasse
quelque chose : administration par le peuple, cela aurait quelque sens. De
mme, il manque la condition premire de toute libertŽ, ˆ savoir que, vis-ˆ-vis
de chaque citoyen, tout fonctionnaire soit responsable de tous ses actes devant
les tribunaux ordinaires et selon la loi commune. Je ne veux pas perdre un mot
sur des revendications telles que libertŽ de la science, libertŽ de conscience,
qui figurent dans tout programme bourgeois libŽral et ont quelque chose de
choquant chez nous.
Le libre ƒtat populaire est muŽ en ƒtat libre. Du point de vue grammatical,
un ƒtat libre est celui qui est libre vis-ˆ-vis de ses citoyens, soit un ƒtat
gouvernŽ despotiquement. Il conviendrait de laisser tomber tout ce bavardage
sur l'ƒtat, surtout depuis la Commune qui n'Žtait dŽjˆ plus un ƒtat au sens
propre du terme [89]. Les anarchistes nous ont suffisamment
jetŽ ˆ la tte l'ƒtat populaire, bien que dŽjˆ l'ouvrage de Marx contre
Proudhon [90], puis le Manifeste communiste aient
exprimŽ sans ambages que l'ƒtat se dŽfera au fur et ˆ mesure de l'avnement de
l'ordre socialiste pour dispara”tre enfin. Comme l'ƒtat n'est en fin de compte
qu'une institution provisoire, dont on se sert dans la lutte, dans la
rŽvolution, pour rŽprimer par la force ses adversaires, il est absurde de
parler d'un libre ƒtat populaire : tant que le prolŽtariat utilise encore
l'ƒtat, il ne le fait pas dans l'intŽrt de la libertŽ, mais de la coercition
de ses ennemis, et ds qu'il pourra tre question de libertŽ, l'ƒtat, comme
tel, aura cessŽ d'exister. Nous proposerions, en consŽquence, de remplacer
partout le mot Ç ƒtat È par Gemeinwesen, un bon vieux mot allemand,
que le mot franais Ç commune È traduit ˆ merveille.
Ç ƒlimination
de toute inŽgalitŽ sociale et politique È est une formule douteuse pour
Ç abolition de toutes les diffŽrences de classe È. D'un pays ˆ
l'autre, d'une province ˆ l'autre, voire d'une localitŽ ˆ l'autre, il y aura
toujours une certaine inŽgalitŽ dans les conditions d'existence : on
pourra certes les rŽduire ˆ un minimum, mais non les faire dispara”tre compltement.
Les habitants des Alpes auront toujours d'autres conditions de vie que les gens
des plaines. Se reprŽsenter la sociŽtŽ socialiste comme le rgne de l'ŽgalitŽ
est une conception unilatŽrale de Franais, conception s'appuyant sur la
vieille devise LibertŽ, ƒgalitŽ, FraternitŽ, et se justifiant, en ses temps et
lieu, comme phase de dŽveloppement ; mais, de nos jours, elle devrait tre
dŽpassŽe comme toutes les visions unilatŽrales des vieilles Žcoles socialistes,
car elle ne crŽe plus que confusion dans les esprits et doit donc tre
remplacŽe par des formules plus prŽcises et mieux adaptŽes aux choses.
Je m'arrte, bien que pour ainsi dire chaque mot soit ˆ critiquer dans ce
programme sans sve ni vigueur. C'est si vrai qu'au cas o il serait acceptŽ,
Marx et moi nous ne pourrions jamais reconna”tre comme n™tre ce nouveau parti,
s'il s'Žrige sur une telle base ; nous serions obligŽs de rŽflŽchir trs
sŽrieusement ˆ l'attitude que nous prendrions ‑ publiquement aussi ‑
vis-ˆ-vis de lui. Songez qu'ˆ l'Žtranger on nous tient pour responsables de
chaque dŽclaration et action du Parti ouvrier social-dŽmocrate allemand. Bakounine,
par exemple, nous a rendus responsables dans son ƒtat et Anarchie de chaque parole
inconsidŽrŽe que Liebknecht a pu dire et Žcrire depuis la crŽation du Demokratisches
Wochenblatt. On s'imagine que nous tirons les ficelles de toute l'affaire ˆ
partir de Londres, alors que vous savez aussi bien que moi que nous ne sommes
pratiquement jamais intervenus dans les affaires intŽrieures du parti, et
lorsque nous l'avons fait, ce n'Žtait jamais que pour Žviter que l'on fasse des
bŽvues, toujours d'ordre thŽorique, ou pour qu'on les redresse si possible.
Vous vous apercevrez vous-mmes que ce programme marque un tournant, qui pourrait
fort bien nous obliger ˆ rŽcuser toute responsabilitŽ vis-ˆ-vis du parti qui
l'a fait sien.
En gŽnŽral, le programme officiel d'un parti importe moins que sa pratique.
Cependant, un nouveau programme est toujours comme un drapeau que l'on affiche
en public, et d'aprs lequel on juge ce parti. Il ne devrait donc en aucun cas
tre en retrait par rapport au prŽcŽdent, celui d'Eisenach en l'occurrence. Et
puis il faut rŽflŽchir aussi ˆ l'impression que ce programme fera sur les
ouvriers des autres pays, et ˆ ce qu'ils penseront en voyant tout le
prolŽtariat socialiste d'Allemagne ployer ainsi les genoux devant le
lassallŽanisme.
Avec cela, je suis persuadŽ qu'une fusion sur cette base ne tiendrait pas
un an. Peut-on concevoir que les hommes les plus conscients de notre parti se
prtent ˆ la comŽdie qui consiste ˆ rŽciter des litanies de Lassalle sur la loi
d'airain du salaire et l'aide de l'ƒtat ? Vous, par exemple, je voudrais
vous y voir. Et si vous le faisiez tous, votre auditoire vous sifflerait. Or,
je suis sžr que les lassallŽens tiennent autant ˆ ces partie-lˆ du programme
que le juif Shylock ˆ sa livre de chair. Il se produira une scission, mais nous
aurons de nouveau Ç lavŽ de leurs fautes È les Hasselmann,
Hasenclever, Tšlcke et consorts ; nous sortirons de la scission plus
faibles et les lassallŽens plus forts. En outre, notre parti aura perdu sa
virginitŽ politique, et ne pourra plus s'opposer franchement aux phrases de
Lassalle, puisque nous les aurons inscrites pendant un certain temps sur notre
propre Žtendard. Enfin, si les lassallŽens reprennent alors de nouveau leur
affirmation selon laquelle ils reprŽsentent seuls le parti ouvrier et que les
n™tres sont des bourgeois, le programme sera lˆ pour le dŽmontrer : toutes
les mesures socialistes y sont les leurs, et tout ce que notre parti y a
ajoutŽ, ce sont des revendications de la dŽmocratie petite-bourgeoise que ce
mme programme qualifie par ailleurs de fraction de la Ç masse rŽactionnaire È !
J'ai tardŽ ˆ vous faire parvenir cette lettre, puisque vous ne deviez tre
libŽrŽ que le 1er avril [91], en l'honneur de l'anniversaire de Bismarck,
et que je ne voulais pas l'exposer au risque de la voir saisir lorsque l'on
aurait essayŽ de vous la faire parvenir en fraude. Or, voici justement que je
reois une lettre de Bracke [92] qui, lui aussi, a les plus vives
inquiŽtudes ˆ propos de ce programme et nous demande ce que nous en pensons. Je
lui envoie donc cette lettre afin qu'il en prenne connaissance et vous la
transmette ensuite, afin que je n'aie pas ˆ Žcrire deux fois toutes ces
salades. En outre, j'ai mis les choses au clair dans une lettre destinŽe ˆ
Ramm [93]. Je n'ai Žcrit que brivement ˆ
Liebknecht [94]. Je ne peux lui pardonner de ne pas nous
avoir Žcrit un seul mot de toute cette affaire jusqu'ˆ ce qu'il ait ŽtŽ
pratiquement trop tard (alors que Ramm et d'autres croyaient qu'il nous avait
scrupuleusement tenus au courant). C'est d'ailleurs ainsi qu'il agit depuis toujours,
d'o la masse de correspondance dŽsagrŽable que Marx et moi nous avons eue avec
lui. Cependant, cela passe les bornes cette fois, et nous sommes fermement
dŽcidŽs ˆ ne plus marcher.
T‰chez de prendre vos dispositions afin de venir ici cet ŽtŽ. Vous logerez
naturellement chez moi, et si le temps le permet, nous pourrons aller nous
baigner quelques jours ˆ la mer : cela vous fera le plus grand bien aprs
votre long sŽjour en prison.
Ayez la bontŽ, aprs les avoir lues, de porter ˆ la connaissance de Geib,
Auer, Bebel et Liebknecht les gloses marginales au programme de fusion
ci-jointes [95]. Nota bene : le manuscrit doit
revenir entre vos mains, afin qu'il reste ˆ ma disposition si nŽcessaire [96]. Je suis surchargŽ de travail et obligŽ
de dŽpasser largement ce que m'autorise le mŽdecin. Aussi n'ai-je ŽprouvŽ aucun
Ç plaisir È ˆ Žcrire ce long papier. Il le fallait cependant, afin
que les positions que je pourrais tre amenŽ ˆ prendre par la suite ne soient
pas mal interprŽtŽes par les amis du parti auxquels cette communication est
destinŽe.
Aprs le congrs de fusion, nous publierons, Engels et moi, une brve
dŽclaration dans laquelle nous dirons que nous n'avons absolument rien de
commun avec ce programme de principes et que nous gardons nos distances
vis-ˆ-vis de lui.
C'est d'autant plus indispensable que l'on entretient ˆ l'Žtranger l'idŽe
soigneusement exploitŽe par les ennemis du parti, bien qu'elle soit
parfaitement erronŽe, qu'ˆ partir de Londres nous dirigeons en secret le
mouvement du parti dit d'Eisenach. Ainsi, dans un ouvrage russe tout rŽcemment
paru, Bakounine, par exemple, m'attribue la responsabilitŽ non seulement de
tous les programmes, etc., de ce parti, mais encore de chaque fait et geste de
Liebknecht depuis sa collaboration avec le Parti populaire.
Ë part cela, il
est de mon devoir de ne pas reconna”tre ‑ fžt-ce par un silence diplomatique
‑ un programme qui, j'en suis convaincu, est absolument condamnable et
dŽmoralisateur pour le parti.
Tout pas en avant du mouvement rŽel vaut plus qu'une douzaine ‑de
programmes. Si l'on ne pouvait pas, ˆ cause des circonstances prŽsentes, aller
plus loin que le programme d'Eisenach, il fallait se contenter tout simplement
de conclure un accord pour l'action contre l'ennemi commun [97]. Mais si l'on Žlabore un programme de
principes (qu'il vaut mieux remettre ˆ un moment o une longue activitŽ commune
en aura prŽparŽ le terrain), c'est pour poser des jalons qui signalent, aux
yeux du monde entier, ˆ quel niveau en est le mouvement du parti.
Les chefs des lassallŽens sont venus ˆ nous sous la pression des
ŽvŽnements. Si d'emblŽe on leur avait fait savoir qu'on n'accepterait aucun
marchandage sur les principes, ils eussent dž se contenter d'un programme
d'action ou d'un plan d'organisation en vue d'actions communes. Au lieu de
cela, on leur permet d'arriver armŽs de mandats dont on reconna”t soi-mme la
force obligatoire et l'on se livre ainsi ˆ la merci de gens qui, eux, ont
besoin de nous. Pour couronner le tout, ils tiennent un nouveau congrs avant
le congrs de compromis, alors que notre propre parti tient le sien post festum.
Il est Žvident que l'on cherche ainsi ˆ escamoter toute critique et empcher
ceux de notre parti de se poser des questions. On sait que le seul fait de
l'unitŽ satisfait les ouvriers, mais l'on se trompe si l'on pense que ce succs
du moment n'est pas trop chrement payŽ.
Au surplus, ce programme ne vaut rien, mme abstraction faite de la
canonisation des articles de foi lassallŽens.
Nous sommes tout ˆ fait du mme avis que vous : dans sa h‰te ˆ obtenir
ˆ tout prix l'unitŽ, il a fourvoyŽ toute l'entreprise [98]. On peut tenir quelque chose pour
indispensable, mais il ne faut pas pour autant le dire ou le montrer ˆ l'autre
partenaire, car une faute sert ensuite ˆ justifier une autre. Aprs avoir mis
en Ïuvre le congrs de fusion sur une base erronŽe et avoir proclamŽ qu'il ne devait
Žchouer ˆ aucun prix, on Žtait obligŽ ˆ chaque fois de l‰cher du lest sur tous
les points essentiels. Vous avez tout ˆ fait raison : cette fusion porte
en elle le germe de la scission, et si elle se produit, je souhaite qu'elle
Žloigne de nous uniquement les fanatiques incorrigibles, mais non la masse de
ceux qui sont par ailleurs capables et susceptibles de se redresser ˆ bonne
Žcole. Cela dŽpendra du moment et des conditions o cela se produira.
Dans sa rŽdaction dŽfinitive, le programme se divise en trois parties :
1. Des phrases et des slogans lassallŽens qu'il ne fallait accepter sous
aucune condition. Lorsque deux fractions fusionnent, on reprend dans le
programme les points sur lesquels on est d'accord, et non les points en litige.
En acceptant cependant de le faire, les n™tres sont passŽs sous les fourches
caudines ;
2. Une sŽrie de revendications propres ˆ la dŽmocratie vulgaire, rŽdigŽes
dans le style et l'esprit du Parti populaire ;
3. Un certain nombre de phrases prŽtendues communistes, empruntŽes la
plupart au Manifeste, mais rŽŽcrites de sorte que, examinŽes de prs, on
s'aperoit qu'elles contiennent toutes sans exception des ‰neries horrifiantes.
Si l'on n'y comprend rien, il ne faut pas y toucher, ˆ moins qu'on le recopie
littŽralement d'aprs ceux qui s'y connaissent.
Par chance, le
programme a eu un sort meilleur qu'il ne le mŽritait. Ouvriers, bourgeois et
petits-bourgeois croient y lire ce qui devrait effectivement y figurer, mais
n'y figure pas, et il n'est venu ˆ l'esprit de personne dans les divers camps
d'examiner au grand jour le vŽritable contenu de ces phrases merveilleuses.
C'est ce qui a permis que nous fassions le silence sur ce programme [99]. Au surplus, on ne peut traduire ces phrases dans une autre langue
sans que l'on soit obligŽ ou bien d'en faire quelque chose qui devienne
franchement idiot, ou bien de leur substituer un sens communiste ; or,
amis comme ennemis adoptent le second procŽdŽ, et c'est ce que j'ai dž faire
moi-mme pour une traduction destinŽe ˆ nos amis espagnols.
Nous n'avons pas lieu de nous rŽjouir de l'activitŽ qu'a dŽployŽe jusqu'ici
le comitŽ directeur. Ce fut d'abord les mesures contre vos Žcrits et ceux de B.
Becker [100] : si elles ont ŽchouŽ, ce n'est
certes pas ˆ cause du comitŽ. Ensuite, Sonnemann ‑ que Marx a rencontrŽ
lors de son passage ˆ Londres ‑ a racontŽ qu'il avait proposŽ ˆ Vahlteich
un poste de correspondant ˆ la Frankfurter Zeitung, mais que le comitŽ avait
interdit ˆ Vahlteich d'accepter cette offre ! C'est plus que de la
censure, et je ne comprends pas pourquoi Vahlteich s'est soumis ˆ une telle
interdiction. En plus, c'est tout ˆ fait maladroit. Vous vous prŽoccupez de ce
qu'au contraire la Frankfurter soit fournie entirement par les n™tres en
Allemagne. Enfin, il me semble que les membres lassallŽens n'ont pas agi avec
bonne foi lors de la crŽation de l'imprimerie coopŽrative de Leipzig [101]. Aprs que les n™tres eurent, en toute
confiance, reconnu le comitŽ directeur comme comitŽ de contr™le de l'imprimerie
de Leipzig, il a fallu contraindre les lassallŽens ˆ cette acceptation ˆ
Berlin. Cependant, je ne suis pas encore au courant des dŽtails.
En attendant, c'est une bonne chose que ce comitŽ ne dŽploie gure
d'activitŽ et se contente, comme dit C. Hirsch qui Žtait ici il y a quelques jours,
de vŽgŽter en tant que bureau de correspondance et d'information. Toute
intervention active de sa part prŽcipiterait la crise, et on semble s'en rendre
compte.
Et de quelle faiblesse avez-vous fait montre en acceptant que trois
lassallŽens sigent au comitŽ directeur, avec deux des n™tres seulement [102] ! En fin de compte, il semble
cependant que l'on s'en soit tout de mme tirŽ, mme si c'est avec un bel Ïil
au beurre noir. EspŽrons qu'on en restera lˆ et que notre propagande agira
auprs des lassallŽens dans l'intervalle. Si l'on tient jusqu'aux prochaines
Žlections, cela pourra aller. Mais ensuite les policiers et juges Stieber et
Tessendorf entreront en scne [103], et c'est alors que l'on s'apercevra de
ce que les lassallŽens Hasselmann et Hasenclever nous auront apportŽ...
Ecrivez-nous ˆ l'occasion. W. Liebknecht et A. Bebel sont trop engagŽs dans
cette affaire pour nous dire cržment la vŽritŽ, et aujourd'hui moins que jamais
les affaires intŽrieures du parti parviennent au grand jour.
Le
parti de classe. Tome III. Questions dÕorganisation
Chapitre 3
Lutte de Marx-Engels pour le parti
social-dŽmocrate interdit
Mais la prŽtention de dŽpouiller
le parti de son caractre rŽvolutionnaire, qui dŽcoule des conditions
historiques, devient proprement ridicule, lorsqu'on commence par le mettre hors
le droit commun, c'est-ˆ-dire hors la loi, pour lui demander ensuite de reconna”tre
le terrain lŽgal que l'on a prŽcisŽment supprimŽ ˆ son encontre.
ENGELS, prŽface de
1885 ˆ Karl Marx devant les jurŽs de Cologne
Les choses vont de plus en plus mal avec l'organe du parti allemand,
rŽfugiŽ ˆ Zurich [104]. La commission zurichoise de rŽdaction,
qui est chargŽe de surveiller et de contr™ler le journal sous la responsabilitŽ
de la centrale des camarades de Leipzig, est composŽe de Hšchberg, Schramm et
Bernstein. Or, voilˆ que Schramm, Hšchberg et Bernstein viennent de
confectionner un article intitulŽ Ç RŽtrospective du mouvement socialiste
en Allemagne È pour les Annales de sciences politiques et sociales ŽditŽes
ˆ Zurich par Hšchberg, article dans lequel ils se prŽsentent tous trois comme
des bourgeois tout ˆ fait ordinaires, voire de paisibles philanthropes. Ils accusent
le parti d'tre trop exclusivement un Ç parti ouvrier È, d'avoir provoquŽ
la haine de la bourgeoisie, et ils revendiquent la direction du mouvement pour
des bourgeois Ç cultivŽs È de leur acabit.
Par bonheur,
Hšchberg a fait une soudaine apparition chez moi avant-hier, et j'ai pu lui
dire alors ses quatre vŽritŽs. Le pauvre garon est au fond un bon bougre. mais
terriblement na•f : il tomba des nues lorsque je lui expliquai que l'idŽe
ne nous effleurait mme pas de laisser tomber le drapeau prolŽtarien que nous
tenons bien haut depuis prs de quarante ans, et de nous joindre au chÏur
petit-bourgeois de l'Ždulcorante vague de fraternisation gŽnŽrale que nous
combattons Žgalement depuis prs de quarante ans. Bref, ˆ prŽsent, je sais
enfin o il en est avec nous et pourquoi nous ne pouvons marcher avec lui et ses semblables, quoique disent et
fassent les camarades de Leipzig [105].
Nous adresserons
aussi ˆ Bebel une dŽclaration catŽgorique de notre position eu Žgard ˆ ces
alliŽs du parti allemand, et nous verrons alors ce qu'ils feront. Si l'organe
du parti accepte cet article bourgeois, nous nous dŽclarerons publiquement
contre. Cependant, ils ne laisseront probablement pas aller les choses
jusque-lˆ.
Lettre ˆ Bebel,
Liebknecht, Bracke
Cher Bebel,
La rŽponse ˆ votre lettre du 20 aožt a quelque peu tra”nŽ en longueur, en
raison aussi bien de l'absence prolongŽe de Marx que ‑de divers
incidents, d'abord l'arrivŽe des Annales de Richter, ensuite la venue de Hirsch
lui-mme [106].
Je suis obligŽ d'admettre que Liebknecht ne vous a pas montrŽ la dernire
lettre que je lui avais adressŽe, bien que je le lui aie demandŽ expressŽment,
car sinon vous n'eussiez sans doute pas avancŽ les arguments mmes que
Liebknecht avait fait valoir et auxquels j'ai dŽjˆ rŽpondu dans ladite lettre.
Passons
maintenant aux divers points sur lesquels il importe de revenir ici [107].
1. Les
nŽgociations avec C. Hirsch
Liebknecht demande ˆ Hirsch s'il veut prendre la responsabilitŽ de la
rŽdaction de l'organe du parti qui doit tre crŽŽ de nouveau ˆ Zurich. Hirsch
dŽsire des prŽcisions sur la mise en place de ce journal : de quels fonds
disposera-t-il, et de qui proviendront-ils ? La premire question
l'intŽresse afin de savoir si le journal ne s'Žteindra pas dŽjˆ au bout de quelques
mois, la seconde pour conna”tre celui qui dŽtient les cordons de la bourse,
autrement dit celui qui tient entre ses mains l'ultime autoritŽ sur la vie du
journal [108]. La rŽponse du 27 juillet de Liebknecht ˆ
Hirsch (Ç Tout est en ordre, tu apprendras la suite ˆ Zurich È) ne
parvient pas au destinataire. Mais de Zurich arrive une lettre de Bernstein ˆ
Hirsch, en date du 24 juillet, dans laquelle Bernstein l'informe que
Ç l'on nous a chargŽs de la mise en place et du contr™le È (du
journal). Un entretien aurait eu lieu Ç entre Viereck et nous È, au
cours duquel on se serait aperu Ç que votre position serait difficile en
raison des divergences que vous avez eues avec plusieurs camarades du fait que
vous appartenez au journal Laterne ; cependant, je ne tiens pas ces
rŽticences pour bien importantes È. Pas un mot sur ce quia causŽ cela.
Par retour de courrier, Hirsch demande, le 26, quelle est la situation
matŽrielle du journal. Quels camarades se sont portŽs garants pour couvrir un
Žventuel dŽficit ? Jusqu'ˆ quel montant et pour combien de temps ? Il
n'est pas du tout question, ˆ ce niveau, de la question du traitement que
touchera le rŽdacteur, Hirsch cherche simplement ˆ savoir si Ç les moyens
sont assurŽs pour tenir le journal un an au moins È.
Bernstein rŽpond le 31 juillet : un Žventuel dŽficit serait couvert
par les contributions volontaires, dont certaines (!) sont dŽjˆ souscrites. Ë
propos des remarques de Hirsch sur l'orientation qu'il pensait donner au
journal, il fait remarquer, entre autres bl‰mes et directives (cf.
ci-dessus) : Ç La commission de surveillance doit s'y tenir d'autant
plus qu'elle est elle-mme sous contr™le, c'est-ˆ-dire est responsable. Vous
devez donc vous entendre sur ces points avec la commission de
surveillance. È On souhaite une rŽponse immŽdiate, par tŽlŽgraphe si
possible.
Mais, au lieu d'une rŽponse ˆ ses demandes justifiŽes, Hirsch reoit la
nouvelle qu'il doit rŽdiger sous la surveillance d'une commission siŽgeant ˆ
Zurich, commission dont les conceptions divergent substantiellement des siennes
et dont les noms des membres ne lui sont mme pas citŽs !
Hirsch, indignŽ ˆ juste titre par ces procŽdŽs, prŽfre s'entendre avec les
camarades de Leipzig. Vous devez conna”tre sa lettre du 2 aožt ˆ Liebknecht,
Žtant donnŽ que Hirsch y demandait expressŽment qu'on vous informe ‑ vous
et Viereck ‑ de son contenu. Hirsch est mme disposŽ ˆ se soumettre ˆ une
commission de surveillance ˆ Zurich, ˆ condition que celle-ci fasse par Žcrit
ses remarques ˆ la rŽdaction et qu'il puisse faire appel de la dŽcision ˆ la
commission de contr™le de Leipzig.
Dans l'intervalle, Liebknecht Žcrit ˆ Hirsch le 28 juillet :
Ç L'entreprise a naturellement un fondement, Žtant donnŽ que tout le parti
(Hšchberg inclusivement) la soutient. Mais ne te soucie pas des dŽtails. È
Mme la lettre suivante de Liebknecht ne contient aucune mention sur le
soutien ; en revanche, elle assure que la commission de Zurich ne serait
pas une commission de rŽdaction, mais ne se prŽoccuperait que d'administration
et de finances. Le 14 aožt encore, Liebknecht m'Žcrit la mme chose et me
demande de persuader Hirsch d'accepter. Vous-mmes, vous tes encore si peu au
courant des aspects rŽels de la question le 20 aožt que vous m'Žcrivez :
Ç Il (Hšchberg) n'a pas plus de voix dans la rŽdaction du journal que
n'importe quel autre camarade connu.
Enfin Hirsch reoit une lettre de Viereck, en date du 11 aožt, dans
laquelle il reconna”t que Ç les trois camarades, domiciliŽs ˆ Zurich et
formant la commission de rŽdaction, ont commencŽ ˆ mettre en place le journal
et s'apprtent ˆ Žlire un rŽdacteur qui doit tre confirmŽ dans sa fonction par
les trois camarades de Leipzig [...]. Pour autant qu'il me souvienne, il Žtait
Žgalement dit dans les rŽsolutions portŽes ˆ votre connaissance que le comitŽ
de fondation (zurichois) devrait assumer aussi bien des responsabilitŽs politiques
que financires vis-ˆ-vis du parti [...]. De tout cela, il me semble que l'on
puisse conclure que [...] sans la collaboration des trois camarades domiciliŽs
ˆ Zurich et chargŽs par le parti de cette fondation, on ne pouvait concevoir la
formation de la rŽdaction.
Hirsch tenait enfin lˆ quelque chose de prŽcis, mme si ce n'Žtait que sur
la position du rŽdacteur vis-ˆ-vis des Zurichois. Ils forment une commission de
rŽdaction, et ont aussi la responsabilitŽ politique ; sans leur
collaboration, on ne peut former de rŽdaction. Bref, on indique ˆ Hirsch qu'il
doit s'entendre avec les trois camarades de Zurich, dont on ne lui fournit
toujours pas les noms.
Mais, pour que la confusion soit totale, Liebknecht apporte une nouvelle au
bas de la lettre de Viereck : Ç P. Singer de Berlin vient de passer
ici et rapporte : la commission de surveillance de Zurich n'est pas, comme
le pense Viereck, une commission de rŽdaction, mais essentiellement une
commission d'administration qui est responsable vis-ˆ-vis du parti, en
l'occurrence nous, pour ce qui est des finances du journal. Naturellement, les
membres ont aussi le droit et le devoir de discuter avec toi des problmes de rŽdaction
(un droit et un devoir qu'a tout membre du parti, soit dit en passant) ; ils
ne peuvent pas te mettre sous tutelle. È
Les trois Zurichois et un membre du comitŽ de Leipzig ‑ le seul qui
ait ŽtŽ prŽsent lors des nŽgociations ‑soutiennent que Hirsch doit tre
placŽ sous la direction administrative des Zurichois, tandis qu'un second
camarade de Leipzig le nie tout uniment. Et, dans ces conditions, il faut que
Hirsch se dŽcide, avant que ces messieurs ne se soient mis d'accord entre eux.
Que Hirsch soit justifiŽ ˆ conna”tre les dŽcisions prises au sujet des
conditions auxquelles on estime devoir le soumettre, c'est ˆ quoi on n'a mme
pas pensŽ, et ce d'autant plus qu'il ne semble mme pas qu'il soit venu ˆ
l'esprit des camarades de Leipzig qu'ils doivent eux-mmes prendre rŽellement
connaissance de ces dŽcisions ! Car, sinon, comment les contradictions
mentionnŽes ci-dessus eussent-elles ŽtŽ possibles ?
Si les camarades de Leipzig ne peuvent se mettre d'accord sur les
compŽtences ˆ attribuer aux Zurichois, comment ces derniers peuvent-ils y voir
clair !
Schramm ˆ Hirsch, le 14 aožt : Ç Si vous n'aviez pas Žcrit ˆ ce
moment-lˆ, vous vous seriez trouvŽ dans le mme cas que Kayser [109], et vous eussiez procŽdŽ de mme, vous
mettant dans la situation d'Žcrire de la mme faon, sans que nous y ayons consacrŽ
un seul mot. Mais, de la sorte, nous devons, face ˆ cette dŽclaration, dŽposer
un vote dŽcisif pour les articles ˆ accepter dans le nouveau journal.
La lettre ˆ Bernstein, dans laquelle Hirsch aurait dit cela, est du 26
juillet, bien aprs la confŽrence ˆ Zurich au cours de laquelle on avait fixŽ
les pouvoirs des trois Zurichois. Mais on se gonfle dŽjˆ tellement ˆ Zurich
dans le sentiment de la plŽnitude de son pouvoir bureaucratique que l'on
revendique dŽjˆ, dans la lettre ultŽrieure ˆ Hirsch, de nouvelles prŽrogatives,
ˆ savoir dŽcider des articles ˆ accepter dans le journal. DŽjˆ le comitŽ de
rŽdaction devient une commission de censure.
C'est seulement ˆ l'arrivŽe de Hšchberg ˆ Paris que Hirsch apprit de lui le
nom des membres des deux commissions.
En consŽquence,
si les tractations avec Hirsch ont ŽchouŽ, ˆ quoi cela tient-il ?
1. Au refus opini‰tre des camarades de Leipzig aussi bien que des Zurichois
de lui faire part de quoi que ce soit de tangible sur les bases financires,
donc sur les possibilitŽs, du maintien en vie du journal, ne serait-ce que pour
un an. La somme souscrite, il ne l'a apprise qu'ici par moi (aprs que vous me
l'aviez communiquŽe). Il n'Žtait donc pratiquement pas possible, ˆ partir des
informations donnŽes prŽcŽdemment (le parti + Hšchberg), de tirer une autre
conclusion que celle selon laquelle le journal reposerait essentiellement sur
Hšchberg, ou dŽpendrait tout de mme bient™t de ses contributions. Or, cette dernire
ŽventualitŽ n'est pas encore, et de loin, ŽcartŽe aujourd'hui. La somme de ‑
si je lis bien ‑800 marks est exactement la mme (40 £) que celle
que l'association de Londres a dž mettre en rallonge pour La LibertŽ au cours
de la premire moitiŽ de l'annŽe [110].
2. L'assurance renouvelŽe, qui depuis s'est rŽvŽlŽe tout ˆ fait inexacte, de Liebknecht, selon laquelle les Zurichois ne devaient
absolument pas contr™ler la rŽdaction, ainsi que la comŽdie et les mŽprises qui
en sont rŽsultŽes.
3. La certitude, enfin acquise, que les Zurichois ne devaient pas seulement
contr™ler la rŽdaction, mais encore exercer une censure sur elle, et que Hirsch
ne tenait dans tout cela que le r™le d'homme de paille.
Nous ne pouvons
que lui donner raison si, aprs cela, il a dŽclinŽ l'offre. Comme nous l'avons
appris par Hšchberg, la commission de Leipzig a encore ŽtŽ renforcŽe par deux
membres non domiciliŽs dans cette ville. Elle ne peut intervenir rapidement que
si les trois camarades de Leipzig sont d'accord. De ce fait, le centre de
gravitŽ se trouve totalement dŽplacŽ ˆ Zurich, et Hirsch, pas plus que
n'importe quel autre rŽdacteur vŽritablement rŽvolutionnaire et d'esprit
prolŽtarien, ne pourrait ˆ la longue travailler avec ceux de cette localitŽ.
Davantage ˆ ce sujet plus tard.
II. L'orientation
prŽvue du journal
Ds le 24 juillet, Bernstein informe Hirsch que les divergences qu'il avait
eues avec certains camarades en tant que journaliste de la Laterne rendraient
sa position plus difficile.
Hirsch rŽpond que l'orientation du journal devrait tre, selon lui, la mme
en gros que celle de la Laterne, soit une politique qui Žvite les procs en
Suisse et n'effraie pas inutilement en Allemagne. Il demande qui sont ces
camarades, et poursuit : Ç Je n'en connais qu'un seul, et je vous
promets que je recommencerai ˆ le critiquer de la mme faon s'il commet le
mme genre d'infraction ˆ la discipline. È
GonflŽ du sentiment de sa nouvelle dignitŽ officielle de censeur, Bernstein
lui rŽpond aussit™t : Ç En ce qui concerne maintenant l'orientation
du journal, le comitŽ de surveillance est cependant d'avis que la Laterne ne
saurait servir de modle au journal ; ˆ nos yeux, le journal ne doit pas
tant se lancer dans une politique radicale, il doit s'en tenir ˆ un socialisme
de principe. Dans tous les cas, il faut Žviter des incidents comme la polŽmique
contre Kayser qui a ŽtŽ dŽsapprouvŽe par tous les camarades sans exception
(!) È
Et ainsi de suite, et ainsi de suite. Liebknecht appelle la polŽmique
contre Kayser une Ç gaffe È, et Schramm la tient pour si dangereuse
qu'il a aussit™t Žtabli la censure ˆ l'encontre de Hirsch.
Hirsch Žcrit une nouvelle fois ˆ Hšchberg, en lui expliquant qu'un incident
comme celui qui est advenu ˆ Kayser Ç ne peut se produire lorsqu'il existe
un organe officiel du parti, dont les claires explications ainsi que les
discrtes et bienveillantes indications ne peuvent atteindre aussi durement un
parlementaire È.
Viereck Žcrit lui aussi qu'il fallait prescrire au journal Ç une attitude
sans passion et une opportune ignorance de toutes les divergences pouvant
surgir È ; il ne devrait pas tre une Ç Laterne plus
grande È, et Bernstein d'ajouter : Ç On peut tout au plus lui
reprocher d'tre une tendance trop modŽrŽe, si cela est un reproche en des
temps o l'on ne peut pas naviguer toutes voiles dehors. È
En quoi consiste donc l'affaire Kayser, ce crime impardonnable que Hirsch
aurait commis ? Kayser est le seul parlementaire social-dŽmocrate qui ait
parlŽ et votŽ au Reichstag sur les droits douaniers. Hirsch l'accuse d'avoir violŽ
la discipline du parti [111] du fait qu'il ait : 1. votŽ pour des
imp™ts indirects, dont le programme du parti avait expressŽment exigŽ la
suppression ; 2. accordŽ des moyens financiers ˆ Bismarck, violant ainsi
la premire rgle de base de toute notre tactique de parti : Ç Pas un
sou ˆ ce gouvernement ! È
Sur ces deux points, Hirsch avait indubitablement raison. Et aprs que
Kayser eut foulŽ aux pieds, d'une part, le programme du parti sur lequel les
parlementaires avaient ŽtŽ assermentŽs pour ainsi dire par dŽcision du congrs
et, d'autre part, la toute premire et indŽclinable rgle de la tactique du
parti, en accordant par son vote de l'argent ˆ Bismark comme pour le remercier
de la loi antisocialiste, Hirsch avait parfaitement le droit, ˆ notre avis, de
frapper aussi fort.
Nous n'avons jamais pu comprendre pour quelles raisons on a pu se mettre
tant en colre en Allemagne sur cette attaque contre Kayser. Or, voici que
Hšchberg me raconte que la Ç fraction parlementaire È a autorisŽ
Kayser ˆ intervenir de la sorte, et l'on tient Kayser pour couvert par cette
autorisation.
Si les choses se
prŽsentent de la sorte, c'est tout de mme un peu fort. D'abord, Hirsch, pas
plus que le reste du monde, ne pouvait conna”tre cette dŽcision secrte [112]. Dans ces conditions, la honte, qui auparavant ne pouvait atteindre
que le seul Kayser, n'en deviendrait encore que plus grande alors pour le
parti, tandis que ce serait toujours le mŽrite de Hirsch d'avoir dŽvoilŽ aux
yeux du monde entier les discours ineptes et le vote encore plus inepte de
Kayser, et d'avoir sauvŽ du mme coup l'honneur du parti. Ou bien la
social-dŽmocratie allemande est-elle vŽritablement infectŽe de la maladie
parlementaire, et croit-elle qu'avec les voix populaires aux Žlections le
Saint-Esprit se soit dŽversŽ sur ses Žlus, transformant les sŽances de la
fraction en conciles infaillibles, et les rŽsolutions de la fraction en dogmes
inviolables ?
Une gaffe a certainement ŽtŽ faite ; cependant, elle n'a pas ŽtŽ faite
par Hirsch, mais par les dŽputŽs qui ont couvert Kayser avec leur rŽsolution.
Or, si ceux-lˆ mmes qui sont appelŽs ˆ veiller en premier au respect de la
discipline de parti se mettent ˆ violer de manire si Žclatante cette mme
discipline en prenant une telle dŽcision, la chose n'en est que plus grave.
Mais lˆ o cela atteint son comble, c'est lorsqu'on se rŽfugie dans la
croyance, sans vouloir en dŽmordre, que ce n'est pas Kayser avec son discours
et son vote, ainsi que les autres dŽputŽs avec leur dŽcision de le couvrir, qui
auraient violŽ la discipline de parti, mais Hirsch en attaquant Kayser bien que
la dŽcision lui rest‰t cachŽe.
Au demeurant, il est certain que, dans cette question de protection
douanire, le parti a pris la mme attitude obscure et indŽcise que dans
presque toutes les autres questions Žconomiques se posant dans la pratique, par
exemple celle des chemins de fer nationaux. Cela provient de ce que l'organe du
parti, notamment le VorwŠrts, au lieu de discuter ˆ fond de ces problmes,
s'Žtend avec complaisance sur la construction de l'ordre de la sociŽtŽ future.
Lorsque, aprs la loi antisocialiste, la protection douanire est subitement
devenue un problme pratique, les opinions divergrent suivant les orientations
et tendances les plus diverses, et il n'ežt pas ŽtŽ possible d'en trouver un
seul dans le tas qui dŽtienne ne serait-ce que la condition prŽalable ˆ la
formation d'un jugement clair et juste sur la question : la connaissance
des rapports de l'industrie et de la position de celle-ci sur le marchŽ
mondial. Chez les Žlecteurs, il ne pouvait pas ne pas se manifester ˆ et lˆ
des tendances protectionnistes, mais fallait-il en tenir compte ? Le seul
moyen pour trouver une issue ˆ ce dŽsordre, ˆ savoir concevoir le problme de
manire purement politique (comme on le fit dans la Laterne), ne fut pas adoptŽ
avec clartŽ et dŽcision. Il ne pouvait donc pas manquer d'advenir ce qui
advint : dans ce dŽbat, le parti intervint pour la premire fois d'une
manire hŽsitante, incertaine et confuse, et finit par se ridiculiser sŽrieusement
avec Kayser.
Cependant, l'attaque contre Kayser devient maintenant l'occasion de prcher
sur tous les tons ˆ l'intention de Hirsch que le nouveau journal ne doit ˆ
aucun prix imiter les excs de la Laterne, qu'il doit le moins possible suivre
une politique radicale, mais s'en tenir sans passion ˆ des principes
socialistes. On l'entendit tout autant de la bouche de Viereck que de celle de
Bernstein qui, prŽcisŽment parce qu'il voulait modŽrer Hirsch, apparaissait
comme l'homme de la situation o l'on Ç ne peut cingler toutes voiles dehors È
Or, pour quelles raisons s'expatrie-t-on, si ce n'est prŽcisŽment pour
cingler toutes voiles dehors ? Ë l'Žtranger, rien ne s'y oppose. On ne
trouve pas en Suisse les lois allemandes sur les dŽlits de presse, d'association,
etc. On y a donc non seulement la possibilitŽ mais encore le devoir de dire ce
que l'on ne pouvait pas dire en Allemagne, mme avant la loi antisocialiste, du
fait du rŽgime courant des lois. En outre, on ne s'y trouve pas seulement
devant l'Allemagne, mais encore face ˆ l'Europe entire, et on a le devoir,
pour autant que les lois suisses le permettent, de proclamer ouvertement les
voies et les buts du parti allemand. Quiconque voudrait se laisser lier les
mains en Suisse par des lois allemandes dŽmontrerait prŽcisŽment qu'il est
digne des lois allemandes, et qu'il n'a, en fait, rien d'autre ˆ dire que ce
que l'on Žtait autorisŽ ˆ dire en Allemagne avant les lois d'exception. Il ne
faut pas davantage se laisser arrter par l'ŽventualitŽ selon laquelle les rŽdacteurs
se verraient temporairement interdire tout retour en Allemagne. Quiconque n'est
pas prt ˆ prendre un tel risque n'est pas fait pour un poste d'honneur aussi
exposŽ.
Mais il y a plus. Les lois d'exception ont mis le parti allemand au ban,
prŽcisŽment parce qu'il Žtait le seul parti d'opposition sŽrieux en Allemagne.
Si, dans un organe publiŽ ˆ l'Žtranger, il exprime ˆ Bismarck sa reconnaissance
d'avoir perdu ce poste de seul parti d'opposition sŽrieux en se montrant bien
docile, s'il encaisse ainsi le coup sans manifester la moindre rŽaction, il ne
fait que prouver qu'il mŽritait ce coup de pied. De toutes les feuilles
allemandes publiŽes en Žmigration depuis 1830, la Laterne est sans doute l'une
des plus modŽrŽes. Mais si la Laterne Žtait dŽjˆ trop frondeuse, le nouvel
organe ne pourra que compromettre le parti devant nos camarades des pays non
allemands.
III. Le manifeste
des trois Zurichois
Dans l'intervalle, nous avons reu les Annales de Hšchberg qui contiennent
l'article intitulŽ Ç RŽtrospective du mouvement socialiste en
Allemagne È et rŽdigŽ prŽcisŽment par les trois membres de la commission
zurichoise, comme Hšchberg lui-mme me l'a dit. Il s'agit d'une critique pure
et simple du mouvement tel qu'il a existŽ jusqu'ici et, en consŽquence aussi,
du programme pratique d'orientation du nouvel organe, dans la mesure o il
dŽpend d'eux.
On a d'emblŽe la dŽclaration suivante :
Ç Le mouvement que Lassalle considŽrait comme Žminemment politique,
auquel il appelait ˆ se rallier non seulement les ouvriers mais encore tous les
dŽmocrates honntes, ˆ la tte duquel devaient marcher les reprŽsentants
indŽpendants de la science et tous les hommes Žpris d'un authentique amour de
l'humanitŽ, ce mouvement s'abaissa, sous la prŽsidence de J. B. von Schweitzer,
ˆ n'tre plus que l'arne de lutte pour les intŽrts unilatŽraux des ouvriers
de l'industrie. È
Laissons de c™tŽ la question de savoir si cela correspond ou non ˆ la
rŽalitŽ historique. Le reproche bien prŽcis que l'on fait ici ˆ Schweitzer,
c'est qu'il ait rŽduit le lassallŽanisme, conu ici comme un mouvement
dŽmocratique et philanthrope bourgeois, ˆ n'tre plus qu'une organisation au
service de la lutte et des intŽrts unilatŽraux des ouvriers de
l'industrie : il l'aurait rabaissŽ en approfondissant le caractre de
classe de la lutte des ouvriers de l'industrie contre la bourgeoisie. En outre,
il lui est reprochŽ d'avoir Ç rejetŽ la dŽmocratie bourgeoise È. Or,
qu'est-ce que la dŽmocratie bourgeoise peut bien chercher dans le parti social-dŽmocrate ?
Si cette dŽmocratie bourgeoise est constituŽe d' Ç hommes honntes È,
elle ne tiendra mme pas ˆ y entrer ; si elle veut cependant, ce ne sera
que pour y semer la pagaille.
Le parti lassallŽen Ç prŽfŽra se comporter de la manire la plus unilatŽrale
en parti ouvrier È. Les messieurs qui Žcrivent cela sont eux-mmes membres
d'un parti qui, de la manire la plus tranchŽe, se veut un parti ouvrier, ils y
ont mme une charge et une dignitŽ. Il y a donc ici une incompatibilitŽ
absolue. S'ils croient ˆ ce qu'ils Žcrivent, ils doivent quitter ce parti, ou
pour le moins se dŽmettre de leur charge et dignitŽ. S'ils ne le font pas, ils
reconnaissent qu'ils veulent exploiter leur fonction pour combattre le caractre
prolŽtarien du parti. En consŽquence, le parti se trahit lui-mme s'il les
maintient dans leur charge et dignitŽ.
Ë en croire ces messieurs, le parti social-dŽmocrate ne doit pas tre un
parti exclusivement ouvrier, mais un parti universel, celui Ç de tous les
hommes Žpris d'un authentique amour de l'humanitŽ È, ce que l'on dŽmontre
le mieux en abandonnant les vulgaires passions prolŽtariennes et en se plaant
sous la direction de bourgeois instruits et philanthropes Ç afin de se
former le bon gožt È et Ç se mettre dans le bon ton È (p. 85).
Ds lors, l'Ç allure dŽpenaillŽe È de certains dirigeants s'effacera
derrire l'Ç allure bourgeoise È et respectable. (Comme si l'apparence
extŽrieure tristement dŽpenaillŽe Žtait le moindre reproche que l'on puisse
adresser ˆ ces gens !) Alors viendront s'y joindre de Ç nombreux
partisans appartenant aux sphres des classes instruites et possŽdantes. Mais
ceux-ci ne doivent tre gagnŽs ˆ notre cause que lorsque [...] l'agitation
pourra donner des rŽsultats tangibles. È
Le socialisme allemand se serait Ç trop prŽoccupŽ de conquŽrir les masses,
nŽgligeant par lˆ d'effectuer une propagande Žnergique (!) dans ce que l'on
appelle les couches supŽrieures de la sociŽtŽ È. En effet, le parti
Ç manque toujours encore d'hommes capables de le reprŽsenter au Parlement È.
Il est pourtant Ç dŽsirable et nŽcessaire de confier les mandats ˆ des
hommes qui disposent de suffisamment de temps pour se familiariser ˆ fond avec
les principaux dossiers des affaires. Le simple ouvrier et le petit artisan
[...] n'en ont que trs rarement le temps nŽcessaire È. Autrement dit, votez pour les bourgeois !
En somme, la classe ouvrire est incapable de s'Žmanciper par ses propres
moyens : elle doit passer sous la direction de bourgeois Ç instruits
et possŽdants È qui, seuls, Ç disposent de suffisamment de
temps È pour se familiariser avec ce qui est bon aux ouvriers. Enfin, il
ne faut ˆ aucun prix s'attaquer directement ˆ la bourgeoisie, mais au contraire
il faut la conquŽrir par une propagande Žnergique.
Or, si l'on veut gagner les couches supŽrieures de la sociŽtŽ ou simplement
les ŽlŽments de bonne volontŽ qui s'y trouvent, il ne faut surtout pas les
effrayer. Et les trois Zurichois croient avoir fait une dŽcouverte apaisante ˆ
ce propos :
Ç Le parti montre prŽcisŽment maintenant, sous la pression de la loi
antisocialiste, qu'il n'a pas la volontŽ de suivre la voie d'une rŽvolution
violente, sanglante, mais est dŽcidŽ [...] ˆ s'engager dans la voie de la
lŽgalitŽ, c'est-ˆ-dire de la rŽforme. È En consŽquence, si les 5 ˆ 600 000
Žlecteurs social-dŽmocrates, soit les 1/10e ˆ 1/8 e de
tout le corps Žlectoral, qui se rŽpartissent sur tout le pays, montrent qu'ils
Ç sont assez raisonnables pour ne pas aller se casser la tte contre le
mur, en tentant d'effectuer une rŽvolution sanglante tant qu'ils ne sont qu'un
contre dix È, cela dŽmontre qu'ils sÕinterdisent ˆ tout jamais dans
l'avenir d'utiliser ˆ leur profit un ŽvŽnement extŽrieur violent, un sursaut
rŽvolutionnaire qui s'ensuivrait subitement, mieux une victoire du peuple
arrachŽe d'une collision ayant eu lieu dans ces conditions ! Le jour o
Berlin sera de nouveau assez inculte pour se lancer dans un nouveau 18 mars
1848, les social-dŽmocrates, au lieu de participer ˆ la lutte des
Ç canailles qui ont soif de se battre sur les barricades È (p. 88), devront
bien plut™t Ç suivre la voie de la lŽgalitŽ È, jouer les modŽrateurs,
dŽmonter les barricades et, si nŽcessaire, marcher avec les nobles seigneurs de
la guerre contre les masses si unilatŽrales, vulgaires et incultes. En somme,
si ces messieurs affirment que ce n'est pas lˆ ce qu'ils pensent, mais alors
que pensent-ils [113] ?
Mais il y a encore pire.
Ç En consŽquence, plus il (le parti) saura demeurer calme, objectif et
rŽflŽchi dans sa critique des conditions existantes et dans ses projets de
changement de celles-ci, moins il sera possible maintenant (alors que la loi
anti-socialiste est en vigueur) de renouveler le coup qui vient de rŽussir et
avec lequel la rŽaction consciente a intimidŽ la bourgeoisie en agitant le
spectre de la terreur rouge. È (P. 88.)
Afin d'enlever ˆ la bourgeoisie la dernire trace de peur, il faut lui
dŽmontrer clairement et simplement que le spectre rouge n'est vraiment qu'un
spectre, qu'il n'existe pas. Or, qu'est-ce que le secret du spectre rouge, si
ce n'est la peur de la bourgeoisie de l'inŽvitable lutte ˆ mort qu'elle aura ˆ
mener avec le prolŽtariat ? La peur de l'issue fatale de la lutte de
classe moderne ? Que l'on abolisse la lutte de classe, et la bourgeoisie
ainsi que Ç tous les hommes indŽpendants È ne craindront plus
Ç de marcher avec les prolŽtaires, la main dans la main È ! Mais
ceux qui seraient alors dupŽs, ce seraient les prolŽtaires.
Que le parti dŽmontre, par une attitude plaintive et humble, qu'il a rejetŽ
une fois pour toutes les Ç incorrections et les excs È qui ont donnŽ
prŽtexte ˆ la loi antisocialiste. S'il promet de son plein grŽ qu'il n'Žvoluera
que dans les limites des lois en vigueur sous le rŽgime d'exception contre les
socialistes, Bismarck et les bourgeois auront certainement la bontŽ d'abolir
cette loi devenue superflue.
Ç Que l'on
nous comprenne bien È, nous ne voulons pas Ç abandonner notre parti
ni notre programme ; nous pensons cependant que, pour de longues annŽes
encore, nous avons suffisamment ˆ faire, si nous concentrons toute notre force,
toute notre Žnergie, en vue de la conqute de buts immŽdiats que nous devons
arracher cožte que cožte, avant que nous puissions penser ˆ rŽaliser nos fins
plus lointaines È. Ds lors, c'est en masse que viendront nous rejoindre
aussi bien bourgeois, petits-bourgeois qu'ouvriers Ç qui, ˆ l'heure
actuelle, sont effrayŽs par nos revendications profondes È.
Le programme ne doit pas tre abandonnŽ, mais simplement ajournŽ ‑
pour un temps indŽterminŽ. On l'adopte, mais ˆ proprement parler non pas pour
soi et pour le prŽsent, mais ˆ titre posthume, comme hŽritage pour ses enfants
et petits-enfants. En attendant, on emploie Ç toute sa force et toute son
Žnergie È ˆ toutes sortes de reprises et de rafistolages de la sociŽtŽ
capitaliste, pour faire croire qu'il se passe tout de mme quelque chose, et en
mme temps pour que la bourgeoisie ne prenne pas peur. Dans ces conditions,
gloire au Ç communiste È Miquel qui a dŽmontrŽ qu'il Žtait
inŽbranlablement convaincu de l'effondrement inŽvitable de la sociŽtŽ
capitaliste d'ici quelques sicles, en spŽculant tant qu'il a pu, apportant
ainsi sa contribution matŽrielle ˆ la crise de 1873, autrement dit qui a effectivement
fait quelque chose pour ruiner l'ordre existant.
Un autre attentat contre le bon ton, ce sont aussi les Ç attaques exagŽrŽes
contre les fondateurs È de l'industrie, qui Žtaient tout simplement
Ç enfants de leur Žpoque È ; Ç on ferait mieux de
s'abstenir de vitupŽrer contre Strousberg et consorts È. HŽlas, tout le
monde est Ç enfant de son Žpoque È, et si cela est un excuse
suffisante, nous ne devons plus attaquer qui que ce soit, nous devons cesser
toute polŽmique et tout combat ; nous recevons tranquillement tous les
coups de pied que nous donnent nos adversaires, parce que nous, les sages, nous
savons qu'ils ne sont que Ç des enfants de leur Žpoque È et qu'ils ne
peuvent agir autrement qu'ils ne le font. Au lieu de leur rendre les coups avec
intŽrt, nous devons bien plut™t plaindre ces malheureux !
De mme, notre prise de position en faveur de la Commune a eu, pour le
moins, l'inconvŽnient Ç de rejeter de notre parti des gens qui autrement
inclinaient vers nous et d'avoir accru en gŽnŽral la haine de la bourgeoisie ˆ
notre Žgard È. En outre, le parti Ç n'est pas sans porter une
certaine responsabilitŽ ˆ la promulgation de la loi d'octobre, car il a
augmentŽ inutilement la haine de la bourgeoisie È.
Tel est le programme des trois censeurs de Zurich. Il est on ne peut plus
clair, surtout pour nous qui connaissons fort bien tous ces prchi-prcha
depuis 1848. Ce sont les reprŽsentants de la petite bourgeoisie qui manifestent
leur peur que le prolŽtariat, entra”nŽ par la situation rŽvolutionnaire,
Ç n'aille trop loin È. Au lieu de la franche opposition politique,
ils recherchent le compromis gŽnŽral ; au lieu de lutter contre le
gouvernement et la bourgeoisie, ils cherchent ˆ les gagner a leur cause par
persuasion ; au lieu de rŽsister avec un esprit de fronde ˆ toutes les
violences exercŽes d'en haut, ils se soumettent avec humilitŽ et avouent qu'ils
mŽritent d'tre ch‰tiŽs. Tous les conflits historiquement nŽcessaires leur
apparaissent comme des malentendus, et toute discussion s'achve par
l'assurance que tout le monde est d'accord au fond. On joue aujourd'hui au
social-dŽmocrate comme on jouait au dŽmocrate bourgeois en 1848. Comme ces
derniers considŽraient la rŽpublique dŽmocratique comme quelque chose de trs
lointain, nos social-dŽmocrates d'aujourd'hui considrent le renversement de
l'ordre capitaliste comme un objectif lointain et, par consŽquent, comme
quelque chose qui n'a absolument aucune incidence sur la pratique politique du
prŽsent. On peut donc ˆ cÏur joie faire le philanthrope, l'intermŽdiaire, et
couper la poire en deux. Et c'est ce que l'on fait aussi dans la lutte de
classe entre prolŽtariat et bourgeoisie. On la reconna”t sur le papier ‑
de toute faon, il ne suffit pas de la nier pour qu'elle cesse d'exister ‑,
mais dans la pratique on la camoufle, on la dilue et on l'Ždulcore. Le parti
social-dŽmocrate ne doit pas tre un parti ouvrier ; il ne doit pas
s'attirer la haine de la bourgeoisie ou de quiconque ; c'est avant tout
dans la bourgeoisie qu'il faut faire une propagande Žnergique. Au lieu de s'appesantir
sur des objectifs lointains qui, mme s'ils ne peuvent tre atteints par notre
gŽnŽration, effraient les bourgeois, le parti ferait mieux de s'employer de
toutes ses forces et de toute son Žnergie aux rŽformes petites-bourgeoises de rafistolage qui reprŽsentent autant de soutiens nouveaux du vieil
ordre social et peuvent Žventuellement transformer la catastrophe finale en un
processus de dissolution lent, fragmentaire et si possible pacifique.
Ce sont exactement ces gens-lˆ qui, sous l'apparence d'une activitŽ
fŽbrile, non seulement ne font eux-mmes jamais rien, mais encore cherchent ˆ
empcher les autres de faire quelque chose ‑ sinon de bavarder. Ce sont
exactement ces mmes gens-lˆ dont la crainte de toute action a freinŽ le
mouvement ˆ chaque pas en 1848 et 1849, et l'a enfin fait tomber. Ils ne voient
jamais la rŽaction ˆ l'Ïuvre, sont tout ŽtonnŽs cependant lorsqu'ils se
trouvent finalement dans une impasse, o toute rŽsistance et toute fuite sont impossibles.
Ces gens veulent enfermer l'histoire dans leur Žtroit et mesquin horizon
petit-bourgeois, tandis qu'elle leur passe ˆ chaque fois par-dessus la tte.
En ce qui concerne le contenu socialiste de leur Žcrit, il est dŽjˆ
suffisamment critiquŽ dans le Manifeste au chapitre Ç Le socialisme
allemand ou vrai È. Quand on Žcarte la lutte de classe comme un phŽnomne
pŽnible et Ç vulgaire È, il ne reste plus qu'ˆ fonder le socialisme
sur un Ç vŽritable amour de l'humanitŽ È et les phrases creuses sur
la Ç justice È.
C'est un phŽnomne inŽvitable et inhŽrent au cours du dŽveloppement que des
individus appartenant jusque-la ˆ la classe dominante viennent se joindre au
prolŽtariat en lutte et lui apportent des ŽlŽments de formation thŽorique.
C'est ce que nous avons expliquŽ dŽjˆ dans le Manifeste communiste. Cependant,
il convient de faire deux observations ˆ ce sujet :
Premirement : ces individus, pour tre utiles au mouvement prolŽtarien,
doivent vraiment lui apporter des ŽlŽments de formation d'une valeur rŽelle.
Or, ce n'est pas du tout le cas de la grande majoritŽ des convertis bourgeois
allemands. Ni la Zukunft ni la Neue Gesellschaft [114] n'ont apportŽ quoi que ce soit qui ežt
fait avancer d'un pas notre mouvement : les ŽlŽments de formation rŽels
d'une authentique valeur thŽorique ou pratique y font totalement dŽfaut. Au
contraire, elles cherchent ˆ mettre en harmonie les idŽes socialistes,
superficiellement assimilŽes, avec les opinions thŽoriques les plus diverses
que ces messieurs ont ramenŽes de l'universitŽ ou d'ailleurs, et dont l'une est
plus confuse que l'autre, gr‰ce au processus de dŽcomposition que traversent actuellement
les vestiges de la philosophie allemande. Au lieu de commencer par Žtudier
sŽrieusement la nouvelle science, chacun prŽfre la retoucher pour la faire
concorder avec les idŽes qu'il a reues, se fabriquant en un tour de main sa
petite science privŽe ˆ lui, avec la prŽtention affichŽe de l'enseigner aux autres.
C'est ce qui explique qu'on trouve parmi ces messieurs presque autant de points
de vue qu'il y a de ttes. Au lieu d'apporter de la clartŽ sur tel ou tel
point, ils ne font qu'introduire la pire des confusions ‑ par bonheur,
presque uniquement chez eux-mmes. Le parti peut parfaitement se passer de tels
ŽlŽments de formation thŽorique, dont le premier principe est l'enseignement de
ce qui n'a mme pas ŽtŽ appris.
Deuximement : lorsque ces individus venant d'autres classes se
rallient au mouvement prolŽtarien, la premire chose ˆ exiger d'eux, c'est
qu'ils n'apportent pas avec eux des rŽsidus de leurs prŽjugŽs bourgeois,
petits-bourgeois, etc., mais qu'ils fassent leurs, sans rŽserve, les conceptions
prolŽtariennes. Or, ces messieurs ont dŽmontrŽ qu'ils sont enfoncŽs jusqu'au
cou dans les idŽes bourgeoises et petites-bourgeoises. Dans un pays aussi
petit-bourgeois que l'Allemagne, ces conceptions ont certainement leurs raisons
d'tre, mais uniquement hors du parti ouvrier social-dŽmocrate. Que ces
messieurs se rassemblent en un parti social-dŽmocrate petit-bourgeois, c'est
leur droit le plus parfait. On pourrait alors traiter avec eux, et selon le cas
mettre sur pied un cartel avec eux, etc. S'il existe des raisons pour que nous
les tolŽrions pour l'instant, il y a l'obligation aussi de les tolŽrer seulement,
de ne leur confier aucune charge d'influence dans la direction du parti, tout
en restant parfaitement conscient que la rupture avec eux ne peut tre qu'une
question de temps. Au demeurant, il semble bien que ce moment soit venu. Nous
ne pouvons vraiment pas comprendre que le parti puisse tolŽrer plus longtemps
dans son sein les auteurs de cet article. Mais si la direction du parti tombe peu
ou prou entre les mains de cette sorte de gens, le parti se dŽvirilisera, tout simplement, et sans tranchant prolŽtarien, il
n'existe plus.
Quant ˆ nous,
tout notre passŽ fait qu'une seule voie nous reste ouverte. Voilˆ prs de
quarante ans que nous pr™nons la lutte de classe comme le moteur le plus
dŽcisif de l'histoire, et plus particulirement la lutte sociale entre
bourgeoisie et prolŽtariat comme le grand levier de la rŽvolution sociale
moderne. Nous ne pouvons donc en aucune manire nous associer ˆ des gens qui
voudraient rayer du mouvement cette lutte de classe.
Lors de la fondation de l'Internationale, nous avons expressŽment proclamŽ
que la devise de notre combat Žtait : l'Žmancipation de la classe ouvrire
sera l'Ïuvre de la classe ouvrire elle-mme.
Nous ne pouvons donc marcher avec des gens qui expriment ouvertement que
les ouvriers sont trop incultes pour se libŽrer eux-mmes et qu'ils doivent
donc tre libŽrŽs d'abord par en haut, autrement dit par des grands et petits
bourgeois philanthropes.
Si le nouvel organe du parti adoptait une orientation correspondant aux
convictions politiques de ces messieurs, convictions bourgeoises et non
prolŽtariennes, ˆ notre grand regret, il ne nous resterait plus qu'ˆ dŽclarer
publiquement notre opposition ˆ son Žgard et ˆ rompre la solidaritŽ que nous
avons toujours maintenue jusqu'ici vis-ˆ-vis du parti allemand en face de
l'Žtranger. Cependant, nous espŽrons que les choses n'iront pas jusque-lˆ.
Cette lettre est destinŽe ˆ tre communiquŽe ˆ tous les cinq membres de la
commission en Allemagne [115], ainsi qu'ˆ Bracke. Rien ne s'oppose, du
moins de notre part, ˆ ce qu'elle soit Žgalement communiquŽe aux Zurichois.
Lettres ˆ divers
dirigeants
de 1879 ˆ 1881
Le parti a besoin avant tout d'un organe politique [116]. Et Hšchberg est en fin de compte, dans
le meilleur des cas, un personnage tout ˆ fait non politique, mme pas
social-dŽmocrate, mais social-philanthrope. Mme d'aprs la lettre de
Bernstein, le journal ne serait pas du tout politique, mais simplement de principes
socialistes, autrement dit, dans de telles mains, il serait nŽcessairement une
rverie du socialisme, une continuation de la Zukunft. Un tel journal ne reprŽsente
qu'un parti qui se rŽduirait ˆ n'tre plus que la queue de Hšchberg et de ses
amis, les socialistes de la chaire. Si les dirigeants du parti entendent placer
ainsi le prolŽtariat sous la houlette de Hšchberg et de ses amis vaseux, on
peut concevoir que les ouvriers ne se laisseront pas faire. La dŽsorganisation
et les scissions seraient inŽvitables, et ce seraient Most et les braillards
d'ici qui vivraient leur plus grand triomphe.
Dans ces circonstances (que j'ignorais totalement lorsque j'ai Žcrit ma
dernire lettre), nous pensons que Hirsch a tout ˆ fait raison lorsqu'il ne
veut pas tremper dans tout cela. La mme chose vaut pour Marx et moi. Notre
accord de collaboration se rapportait ˆ un vŽritable organe de parti, et ne
pouvait donc s'appliquer qu'ˆ lui, non ˆ un organe privŽ de Monsieur Hšchberg,
mme s'il est maquillŽ en organe de parti. Nous n'y collaborerons ˆ aucune
condition [117]. Marx et moi, nous vous prions donc
expressŽment de bien vouloir veiller scrupuleusement ˆ ce que nous ne soyons
nommŽs nulle part comme Žtant des collaborateurs de ce journal.
Meilleurs
remerciements pour vos nouvelles ainsi que celles de Fritzsche et de
Liebknecht, qui nous permettent enfin d'avoir une claire vision d'ensemble de
toute l'affaire [118].
Que d'emblŽe l'affaire n'ait nullement ŽtŽ aussi simple, c'est ce que
dŽmontrent les errements et les confusions ˆ propos de Hirsch. Ils eussent ŽtŽ
exclus si les camarades de Leipzig avaient d'emblŽe mis bon ordre ˆ la
prŽtention des Zurichois d'Žtablir une censure [119]. Si cela avait ŽtŽ fait et si l'on en avait informŽ Hirsch, tout ežt ŽtŽ rŽglŽ. Mais
comme on ne l'a pas fait,. en comparant une nouvelle fois ce qui a ŽtŽ fait et
ce qui a ŽtŽ omis, ce qui a ŽtŽ Žcrit maintenant et ce qui a ŽtŽ Žcrit
auparavant, je ne peux qu'arriver ˆ la conclusion que Hšchberg n'avait pas
tellement tort lorsqu'il affirmait que les Zurichois ne pensaient ˆ la censure
que pour Hirsch, celle-ci Žtant superflue pour Vollmar.
En ce qui
concerne les assises financires du nouvel organe de presse, je ne m'Žtonne pas
que vous preniez les choses autant ˆ la lŽgre : vous en tes ˆ votre
premire expŽrience en la matire. Mais Hirsch avait prŽcisŽment une telle
expŽrience pratique avec la Laterne, et nous qui avons dŽjˆ vu plusieurs fois
ces transferts et mme les avons faits nous-mmes, nous ne pouvons que lui
donner raison, s'il tient ˆ ce que ce point soit sŽrieusement jaugŽ. La Freiheit,
malgrŽ toutes les contributions, termine son troisime trimestre avec un dŽficit
de 100 livres sterling, soit 2 000 marks. Je n'ai pas connu un seul journal
allemand ˆ l'Žtranger qui ait pu tenir sans d'importants subsides. Ne vous
laissez pas Žblouir par les premiers succs. Les vŽritables difficultŽs du
passage ˆ la presse par contrebande ne se manifestent qu'au bout d'un certain
temps, et ne font que cro”tre avec le temps qui passe.
Ce que vous dites de l'attitude des dŽputŽs et des chefs du parti en
gŽnŽral ˆ propos de la question des taxes douanires ne fait que confirmer
chaque mot de notre lettre. Il Žtait dŽjˆ assez grave que le parti, qui se
vanta tant d'tre supŽrieur aux bourgeois dans le domaine Žconomique, se divise
ˆ ce point ds la premire Žpreuve Žconomique. Il n'en sait pas plus long sur
ce sujet que les nationaux-libŽraux qui, eux, pour leur lamentable
effondrement, avaient du moins l'excuse qu'il s'agissait ici de vŽritables
intŽrts bourgeois. Mais c'est encore plus grave d'avoir laissŽ appara”tre
cette scission que d'tre intervenu avec hŽsitation. S'il n'Žtait pas possible
de faire l'unanimitŽ, il ne restait plus qu'une issue dŽclarer que cette
affaire Žtait purement bourgeoise ‑ ce qu'elle est au reste ‑ et
refuser de voter [120]. Ce que l'on fait de pire, c'est de permettre
ˆ Kayser de tenir son lamentable discours et de voter pour le projet de loi en
premire lecture. C'est aprs ce vote seulement que Hirsch attaqua Kayser, et
lorsque Kayser vota ensuite contre cette mme loi en troisime lecture, cela
n'arrangea pas les affaires pour lui, au contraire.
La rŽsolution du
congrs n'est pas une excuse [121]. Si le parti entend se laisser lier encore par toutes les
rŽsolutions de congrs prises dans le bon vieux temps o rŽgnait la paix, il ne
fait que se charger lui-mme de cha”nes. Le terrain juridique sur lequel un
parti vivant Žvolue ne doit pas seulement tre crŽŽ par le parti lui-mme, il
doit encore pouvoir tre modifiŽ de temps ˆ autre. En rendant impossibles tous
les congrs, donc la modification de toutes les vieilles rŽsolutions de
congrs, la loi antisocialiste dŽtruit Žgalement toute force contraignante de
ces rŽsolutions. Un parti auquel on enlve la possibilitŽ de prendre des
rŽsolutions ayant force d'obligation dans ses congrs n'a plus d'autre
ressource que de chercher ses lois dans ses besoins vivants, toujours
changeants. Mais s'il veut subordonner ces besoins aux rŽsolutions antŽrieures,
il creusera sa propre tombe.
Tel est l'aspect
formel. Or, le contenu de cette rŽsolution la rend plus caduque encore. Il est en
contradiction, premirement, avec le programme, puisqu'il permet d'accorder au
gouvernement des imp™ts indirects, et deuximement, avec la tactique irrŽfragable
du parti, puisqu'il permet d'accorder des rentrŽes fiscales ˆ l'actuel gouvernement.
Qui plus est, troisimement, il signifie en clair : le congrs avoue qu'il
n'est pas suffisamment ŽclairŽ sur la question du protectionnisme pour pouvoir
prendre une rŽsolution pour ou contre. Il se dŽclare donc incompŽtent et se
borne, pour l'amour du cher public, ˆ formuler des lieux communs qui ou bien ne
veulent rien dire, ou bien se contredisent entre eux, ou enfin s'opposent au
programme du parti ‑ et avec cela il est tout heureux de s'tre
dŽbarrassŽ de l'affaire.
Et voilˆ que cette dŽclaration d'incompŽtence, avec laquelle, au temps de
la paix sociale, on renvoyait ˆ plus tard le rglement d'une question alors
purement acadŽmique, devrait ‑ aujourd'hui o nous sommes en guerre
ouverte, o la question est devenue bržlante ‑ avoir encore force
contraignante pour tout le parti, jusqu'ˆ ce qu'elle ait ŽtŽ abolie
juridiquement par une rŽsolution nouvelle, rendue aujourd'hui impossible ?
En tout cas, ce qui est sžr, c'est : quelle que soit l'impression que
l'attaque de Hirsch contre Kayser ait pu produire sur les dŽputŽs, ces attaques
refltent l'impression que l'intervention irresponsable de Kayser a faite sur les
social-dŽmocrates d'Allemagne aussi bien que de l'Žtranger. Et il faudrait tout
de mme se rendre compte enfin que l'on n'a pas seulement ˆ dŽfendre la
rŽputation du parti ˆ l'intŽrieur de ses quatre poteaux frontires, mais encore
devant l'Europe et l'AmŽrique.
Cela m'amne au compte rendu d'activitŽ. Le dŽbut en est bon, la suite
habile ‑ si l'on veut ‑ en ce qui concerne le rapport sur les
dŽbats relatifs au protectionnisme, la dernire partie renferme de trs dŽsagrŽables
concessions aux philistins allemands. Pourquoi toute cette partie ‑ tout
ˆ fait inutile ‑ sur la Ç guerre civile È, pourquoi cette rŽvŽrence
devant l'Ç opinion publique È qui, en Allemagne, est toujours celle
du buveur de bire petit-bourgeois ? Pourquoi effacer ici entirement le caractre
de classe du mouvement ? Pourquoi faire cette joie aux anarchistes ?
Et, par-dessus le marchŽ, toutes ces concessions sont parfaitement inutiles. Le
philistin allemand est l'incarnation mme de la l‰chetŽ, il ne respecte que ce
qui lui inspire frayeur [122]. Or, il tient pour son semblable celui
qui veut se faire passer auprs de lui pour un agneau, et ne le respecte pas
plus qu'il ne respecte ses semblables, autrement dit pas du tout. Or donc,
maintenant que la tempte d'indignation des buveurs de bire philistins ‑
autrement dit de l'opinion publique ‑ s'est calmŽe comme chacun s'accorde
ˆ le reconna”tre, et que la pression fiscale rend ces gens moroses, ˆ quoi bon
toute cette campagne ˆ la guimauve ? Dommage que vous ne vous rendiez pas
compte de son effet ˆ l'Žtranger ! C'est une excellente chose que l'organe
du parti soit rŽdigŽ par des camarades qui sont au milieu de l'action du parti.
Cependant, s'ils vivaient seulement six mois ˆ l'Žtranger, ils verraient d'un
tout autre Ïil toute cette inutile humiliation de soi-mme des dŽputŽs du parti
devant le philistin. La tempte qui submergea les socialistes franais aprs la
Commune Žtait tout de mme autrement grave que les clameurs qui se sont ŽlevŽes
autour de l'affaire Nobiling [123] en Allemagne. Et avec quelle fiertŽ et
quelle assurance les ouvriers franais ont-ils rŽagi ! Vous n'y trouverez
pas de telles faiblesses et de telles complaisances avec l'adversaire.
Lorsqu'ils ne pouvaient pas s'exprimer librement, ils se taisaient, laissant
les philistins hurler tout leur sožl. Ne savaient-ils pas que leur temps
reviendrait bient™t ‑ et aujourd'hui il est lˆ.
Ce que vous dites ˆ propos de Hšchberg [124], je veux bien le croire. Je n'ai
absolument rien contre sa personne et sa vie privŽe. Je crois aussi que c'est
seulement ˆ la suite de la chasse contre les socialistes qu'il s'est rendu
compte de ce qu'il ressentait au fond du cÏur. Que cela soit bourgeois, et non
prolŽtarien, c'est ce que j'ai ‑ sans doute vainement ‑ essayŽ de
vous dŽmontrer. Mais ˆ prŽsent qu'il s'est donnŽ un programme, il faudrait
vraiment admettre qu'il a la faiblesse d'un philistin allemand pour croire
qu'il ne cherchera pas ˆ le faire reconna”tre aussi.. Hšchberg avant et
Hšchberg aprs son article, ce sont deux hommes diffŽrents, du moins pour le
parti.
Or voilˆ que je trouve dans le n¡ 5 du Sozial-demokrat une correspondance
en provenance Ç de la Basse-Elbe È, dans laquelle Auer prend ma
lettre comme prŽtexte pour m'accuser ‑ sans toutefois me nommer ‑
de Ç semer la mŽfiance contre les camarades les plus ŽprouvŽs È,
autrement dit de les calomnier (car s'il ne s'agissait pas de calomnies, ce que
je dis serait justifiŽ). Non content de cela, il avance des mensonges aussi
niais que sots sur des choses qui ne se trouvaient mme pas dans ma lettre. Ë
ce qu'il semble, Auer se figure que je veux quelque chose du parti. Or, vous
savez bien que ce n'est pas moi, mais au contraire le parti qui rŽclame quelque
chose de moi. Vous et Liebknecht, vous le savez : tout ce que j'ai demandŽ
au parti, c'est de me laisser tranquille, afin que je puisse mener ˆ terme mes
travaux thŽoriques. Vous savez que, depuis les annŽes 1860, on n'a cessŽ de me
solliciter nŽanmoins d'Žcrire pour les organes du parti, et c'est aussi ce que
j'ai fait, en Žcrivant toute une sŽrie d'articles et des brochures entires ˆ
la demande expresse de Liebknecht ‑ par exemple, La Question du logement
et l'Anti-DŸhriug. Je ne veux pas entrer dans les dŽtails de toutes les
amabilitŽs que j'ai reues, en Žchange, du parti ‑ par exemple, les agrŽables
dŽbats du congrs ˆ cause de DŸhring [125]. Vous savez Žgalement que, Marx et moi,
nous avons de notre propre chef pris en charge la dŽfense du parti contre les
adversaires de l'extŽrieur depuis que le parti existe, et tout ce que nous
avons demandŽ en Žchange, c'est que le parti ne devienne pas infidle ˆ
lui-mme.
Or, lorsque le parti me demande de collaborer ˆ son nouvel organe ‑
le Sozial-demokrat ‑, il va de soi qu'il a pour le moins ˆ faire en sorte
qu'au cours des tractations je ne sois pas diffamŽ comme calomniateur dans ce
mme organe, et ce par l'un des copropriŽtaires de ce journal par-dessus le
marchŽ. Je ne connais pas de code de l'honneur littŽraire ou d'autre chose avec
lequel cela serait compatible ; je crois que mme un reptile [126] ne le souffrirait pas. Je me vois donc
obligŽ de vous demander :
1. Quelle satisfaction pouvez-vous me donner pour cette basse insulte que
je n'ai en rien provoquŽe ?
2. Quelle garantie pouvez-vous m'offrir pour que cela ne se rŽpte
pas ?
Au reste, je veux simplement faire remarquer encore ˆ propos des
insinuations d'Auer que nous ne sous-estimons ici ni les difficultŽs avec
lesquelles le parti doit lutter en Allemagne, ni l'importance des succs
remportŽs malgrŽ cela, ni l'attitude parfaitement exemplaire jusqu'ici de la masse
du parti. Il va de soi que toute victoire remportŽe en Allemagne nous rŽjouit
autant qu'une victoire remportŽe dans un autre pays, voire davantage, car le
parti allemand ne s'est-il pas dŽveloppŽ ds le dŽbut en s'appuyant sur nos conceptions
thŽoriques ? Mais c'est pour cela aussi qu'il nous importe tant que
l'attitude pratique du parti allemand, et notamment les manifestations
publiques de la direction du parti, demeure en harmonie avec la thŽorie
gŽnŽrale.
Certes, notre
critique n'est pas agrŽable pour certains ; mais elle est prŽfŽrable ˆ
tous les compliments faits sans aucun esprit critique ; en effet, le parti
ne trouve-t-il pas un avantage ˆ ce qu'il y ait ˆ l'Žtranger quelques hommes
qui, en dehors de l'influence des conditions locales et des dŽtails
embrouillŽs, puissent confronter de temps ˆ autre ce qui se passe et se dit
avec les principes thŽoriques valables pour tout le mouvement prolŽtarien
moderne, afin de lui retransmettre l'impression que son action suscite ˆ l'Žtranger ?
En ce qui concerne la question du protectionnisme douanier, votre lettre
confirme exactement ce que j'avais dit [127]. Si les opinions Žtaient partagŽes, comme
c'Žtait le cas, il fallait prŽcisŽment s'abstenir si l'on voulait tenir compte
du fait que cette opinion Žtait divisŽe. Sinon, on ne tenait compte que de
l'opinion d'une fraction. Je ne vois pas pour quelles raisons vous avez prŽfŽrŽ
la fraction protectionniste ˆ la fraction libre-Žchangiste. Vous dites qu'au
Parlement on ne peut se cantonner dans une position purement nŽgative. Or, en
votant tous finalement contre la loi, vous aviez pourtant bien une attitude
purement nŽgative. Tout ce que je dis, c'est que l'on aurait dž savoir ˆ
l'avance ce qu'il fallait faire. On aurait dž agir en accord avec le vote
final.
Les questions dans lesquelles les dŽputŽs social-dŽmocrates peuvent sortir
d'une position purement nŽgative sont extrmement limitŽes. Ce ne sont que des
questions dans lesquelles le rapport entre ouvriers et capitalistes est
directement en jeu : lŽgislation de fabrique, journŽe de travail normale,
responsabilitŽ lŽgale, paiement des salaires en marchandises, etc. Puis, en
tout cas aussi, des amŽliorations en sens bourgeois qui reprŽsentent un progrs
positif : unitŽ de monnaie et de poids, systme libŽral, extension des
libertŽs personnelles, etc. Mais on ne vous ennuiera certainement pas avec cela
pour l'instant. Dans toutes les autres questions Žconomiques, telles que
protectionnisme, Žtatisation des chemins de fer, des assurances, etc., les dŽputŽs
social-dŽmocrates devront toujours mettre en relief le point de vue
dŽcisif : ne rien voter qui puisse renforcer la puissance du gouvernement
vis-ˆ-vis du peuple. Or, cela sera d'autant plus facile ˆ rŽaliser que les avis
seront rŽgulirement partagŽs dans le parti, de sorte que l'abstention s'impose
d'elle-mme.
Ce que vous me dites de Kayser rend cette affaire encore plus grave. S'il
se dŽclare en gŽnŽral pour le protectionnisme, alors pourquoi donc vote-t-il
contre ? Mais s'il a ŽtudiŽ avec grand zle ce sujet, comment peut-il
voter en faveur de droits douaniers sur le fer ? Si ces Žtudes valent deux
sous, elles auraient dž lui apprendre qu'il y a deux firmes sidŽrurgiques en
Allemagne, la Dortmunder Union et la Kšnigs- und LaurahŸtte, dont chacune est
en mesure de couvrir tous les besoins intŽrieurs ; ˆ c™tŽ d'eux, il existe
encore de nombreuses petites firmes. Il est donc clair que le protectionnisme
est pure absurditŽ dans ces conditions. La seule issue, c'est la conqute du
marchŽ extŽrieur, autrement dit : libertŽ absolue du commerce ou
banqueroute. Les ma”tres de forge ne peuvent souhaiter le protectionnisme que
dans la mesure o, groupŽs en union, en conjuration, ils imposent des prix de
monopole au marchŽ intŽrieur, afin de jeter sur le marchŽ extŽrieur le reste de
leur production ˆ des prix de dumping, comme ils le font au reste dŽjˆ d
l'heure actuelle. C'est dans l'intŽrt de ce cartel, de cette conjuration de
monopolistes, que Kayser a parlŽ, et lorsqu'il a votŽ pour des droits douaniers
sur le fer, il a votŽ aussi pour Hansemann de la Dortmunder Union et
Bleichršder de la Kšnigs- und LaurahŸtte, et ceux-ci rient sous cape en pensant
ˆ ce stupide social-dŽmocrate, qui prŽtend en plus avoir ŽtudiŽ la question
avec grand zle.
Vous devez absolument vous procurer le livre de Rudolph Meyer, Politische
GrŸnder in Deutschland. Vous ne pouvez vous faire un jugement sur les actuelles
conditions de l'Allemagne si vous ne connaissez pas la documentation qui s'y
trouve sur les escroqueries, le krach et la corruption politique de ces
dernires annŽes. Comment se fait-il que vous n'ayez pas exploitŽ cette
vŽritable mine pour notre presse ˆ l'Žpoque ? Cet ouvrage est
naturellement interdit.
Voici les passages du compte rendu d'activitŽ auxquels je pense
surtout : 1. Celui o vous attribuez tant d'importance ˆ la conqute de
l'opinion publique ‑ quiconque aurait ce facteur contre lui serait paralysŽ,
ce serait une question vitale que de transformer cette haine en SYMPATHIE.
Comme s'il y avait un intŽrt quelconque ˆ avoir la sympathie de gens qui
viennent de se conduire en l‰ches au moment de la Ç terreur [128] È. On n'a vraiment pas besoin
d'aller si loin, surtout lorsque la terreur est passŽe depuis longtemps. 2.
Celui o le parti, condamnant la guerre sous toutes ses formes (par consŽquent
aussi celle qu'il doit mener lui-mme, et qu'il mne qu'il le veuille ou non),
prŽtend avoir pour objectif la fraternitŽ universelle des hommes (ce
qu'affirment en paroles tous les partis, mais ne pratiquent jamais dans la
rŽalitŽ immŽdiate, puisque nous-mmes nous ne voulons pas de fraternisation
avec les bourgeois tant qu'ils veulent rester des bourgeois), et ne veut pas la
guerre civile (donc pas mme le cas o la guerre civile
est le seul moyen d'atteindre cet objectif !).
Cette phrase
peut Žgalement tre interprŽtŽe comme si le parti condamnait toute effusion de
sang quelle qu'elle soit, de sorte qu'il rejette toute prise de sang, toute
amputation d'un membre gangreneux ou toute vivisection scientifique. Mais
qu'est-ce donc que de pareils discours ! Je ne demande pas que vous
parliez Ç scientifiquement È, je ne reproche pas non plus ˆ votre
compte rendu d'tre trop peu parlant ‑ au contraire : il dit trop de
choses qu'il ežt mieux valu laisser de c™tŽ. La partie qui suit est bien
meilleure...
La venue des
petits-bourgeois et des paysans est certes le signe d'un progrs gigantesque du
mouvement, mais aussi un danger pour lui, ds lors que l'on oublie que ces gens
sont obligŽs de venir, et ne viennent que parce qu'ils sont obligŽs. Leur venue
est la preuve que le prolŽtariat est en rŽalitŽ devenu la classe dirigeante.
Mais comme ils viennent avec des conceptions et des revendications
petites-bourgeoises et paysannes, il ne faut pas oublier que le prolŽtariat galvauderait
son r™le historique dirigeant s'il faisait des concessions ˆ ces idŽes et ˆ ces
revendications.
Dans le
n¡ 10 du Sozial-demokrat se trouve une Ç RŽtrospective historique de
la presse È, dont l'auteur est indubitablement l'une de nos trois
Žtoiles [129]. On y lit : ce ne peut tre qu'un honneur pour les social-dŽmocrates
d'tre comparŽs ˆ de fins littŽrateurs tels que Gutzkow et Laube, c'est-ˆ-dire
des gens qui, bien avant 1848, ont enterrŽ le dernier reste de leur caractre
politique, s'ils n'en ont jamais eu un. En outre : Ç Les ŽvŽnements
de 1848 devaient arriver ou bien avec toutes les bŽnŽdictions de la paix, si
les gouvernements avaient tenu compte des revendications formulŽes par la
gŽnŽration d'alors, ou bien ‑ Žtant donnŽ qu'ils ne le firent pas ‑
il ne restait, HƒLAS, aucune autre issue que la rŽvolution violente. È
Il n'y a pas de
place pour nous dans un journal o il est possible de regretter littŽralement
la rŽvolution de 1848, qui en fait ouvrit la voie ˆ la social-dŽmocratie. Il
ressort clairement de cet article et de la lettre de Hšchberg que la triade
Žlve la prŽtention de mettre leurs conceptions socialistes
petites-bourgeoises, clairement formulŽes pour la premire fois dans les Annales,
sur un pied d'ŽgalitŽ avec la thŽorie prolŽtarienne dans le Sozial-demokrat
qu'ils dirigent. Et je ne vois pas comment, vous autres de Leipzig, vous pouvez
l'empcher sans une rupture formelle, maintenant que les choses sont ˆ ce point
engagŽes sur cette pente. Vous reconnaissez, avant comme aprs, ces gens comme
vos camarades de parti. Nous ne le pouvons pas. L'article des Annales nous
sŽpare de manire tranchŽe et absolue de ces gens-lˆ. Nous ne pouvons mme pas
nŽgocier avec eux, tant qu'ils prŽtendent appartenir au mme parti que nous.
Les points dont il s'agit ici sont des points sur lesquels il n'y a plus ˆ
discuter dans un parti prolŽtarien. Les mettre en discussion au sein du parti
signifie remettre en question tout le socialisme prolŽtarien.
En fait, il vaut
mieux aussi que nous ne collaborions pas dans ces circonstances. Nous ne
cesserions d'Žlever des protestations et serions obligŽs, d'ici quelques
semaines, de dŽclarer publiquement notre dŽpart.
Cela nous fait
beaucoup de peine que nous ne puissions tre ˆ vos c™tŽs de manire
inconditionnelle ˆ l'heure de la rŽpression. Aussi longtemps que le parti est
restŽ fidle ˆ son caractre prolŽtarien, nous avons laissŽ de c™tŽ toutes les
autres considŽrations. Mais il n'en est plus de mme ˆ prŽsent que les ŽlŽments
petits-bourgeois que l'on a accueillis affirment clairement leurs positions [130]. Ds lors qu'on leur permet d'introduire en contrebande dans
l'organe du parti allemand leurs idŽes petites-bourgeoises, on nous barre tout
simplement l'accs ˆ cet organe [131].
Formation du parti
de type moderne
Je te renvoie
ci-inclus la lettre de Hšchberg. Il n'y a rien ˆ tirer de cet homme. Ë l'en
croire, c'est par vanitŽ que nous n'avons pas voulu travailler en compagnie des
gens de la Zukunft dont le tiers nous Žtait totalement inconnu et un autre bon
tiers Žtait de fieffŽs socialistes petits-bourgeois. Et il appelait cela une
revue Ç scientifique È ! Et, par-dessus le marchŽ, Hšchberg
s'imagine qu'elle a fait Ç Ïuvre de clarification È. En tŽmoigne son
propre esprit si remarquablement clair qu'aujourd'hui encore ‑ en dŽpit
de tous mes efforts ‑ il n'est pas parvenu ˆ saisir la diffŽrence entre
socialisme prolŽtarien et petit-bourgeois. Toutes les divergences sont des
Ç malentendus È ˆ ses yeux, comme ce fut le cas pour les larmoyants
dŽmocrates en 1848, ˆ moins qu'il s'agisse de conclusions Ç trop
h‰tives È. Bien sžr, toute conclusion est trop h‰tive lorsqu'elle tire un
sens dŽterminŽ du bavardage de ces messieurs. Ne disent-ils pas seulement telle
chose, mais encore si possible le contraire Žgalement ?
Au reste, l'histoire poursuit son chemin, sans se prŽoccuper de ces
philistins de la sagesse et de la modŽration. En Russie, les choses doivent
maintenant Žclater d'ici quelques mois. Ou bien c'est l'effondrement de
l'absolutisme, et alors c'est un tout autre vent qui soufflera sur l'Europe
aprs la ruine de la grande rŽserve de la rŽaction. Ou bien, au contraire, il y
aura une guerre europŽenne qui enterrera aussi l'actuel parti allemand dans
l'inŽvitable lutte pour l'existence nationale de chaque peuple. Une telle
guerre serait le plus grand malheur pour nous, et elle pourrait nous rejeter
vingt ans en arrire. Mais le nouveau parti qui en surgirait finalement tout de
mme dans tous les pays europŽens serait dŽbarrassŽ de toutes les rŽticences et
mesquineries qui, actuellement, entravent partout le mouvement.
Je crains que nos amis en Allemagne ne se trompent sur le mode
d'organisation qu'il faut maintenir en place dans les circonstances actuelles [132]. Je n'ai rien ˆ redire ˆ ce que les
membres Žlus du Parlement se mettent ˆ la tte s'il n'y a pas d'autre
direction. Mais on ne peut exiger et encore moins rŽaliser la stricte
discipline que l'ancienne direction Žlue du parti exigeait pour les besoins
dŽterminŽs. C'est d'autant moins possible que, dans les circonstances
actuelles, il n'y a plus de presse et de rassemblements de masse. Plus
l'organisation sera l‰che en apparence, plus elle sera ferme en rŽalitŽ.
Mais, au lieu de cela, on veut maintenir le vieux systme : la direction
du parti dŽcide de manire dŽfinitive (bien qu'il n'y ait pas de congrs pour
la corriger ou, si nŽcessaire, pour la dŽmettre), et quiconque attaque
quelqu'un de la direction devient un hŽrŽtique. Dans tout cela, les meilleurs
ŽlŽments savent fort bien qu'il y a en son sein pas mal d'incapables et mme
des gens douteux. En outre, ils doivent tre tout ˆ fait bornŽs pour ne pas
s'apercevoir que, dans leur organe, ce ne sont pas eux qui exercent le commandement,
mais ‑ gr‰ce ˆ sa bourse ‑ Hšchberg, ainsi que ses compres, les
philistins Schramm et Bernstein.
Ë mon avis, le vieux parti avec toute son organisation prŽcŽdente est au
bout du rouleau.
Si le mouvement
europŽen, comme on peut s'y attendre, reprenait bient™t sa marche, alors la grande
masse du prolŽtariat allemand y entrera ; ce seront alors les 500 000
hommes de l'an 1878 [133] qui formeront la masse du noyau formŽ et conscient ; mais
alors l'Ç organisation ferme et rigoureuse È deviendra une entrave,
qui certes pourrait arrter une voiture, mais est impuissante contre une avalanche.
Et, avec cela, les gens font toutes sortes de choses qui sont tout ˆ fait
propres ˆ faire Žclater le parti. Premirement, le parti doit continuer
d'entretenir tous les vieux agitateurs et journalistes en leur mettant sur le
dos une grande quantitŽ de journaux dans lesquels il n'y a rien d'Žcrit, sinon
ce que l'on peut lire dans n'importe quelle feuille de chou bourgeoise. Et l'on
voudrait que les ouvriers tolrent cela ˆ la longue ! Deuximement, ils
interviennent au Reichstag et ˆ la Dite de Saxe avec tant de mollesse qu'ils
font honte ˆ eux-mmes et au parti dans le monde
entier, en faisant des propositions Ç positives È aux gouvernements
qui savent mieux qu'eux comment il faut rŽgler les questions de dŽtail, etc. Et
c'est ce que les ouvriers, qui ont ŽtŽ dŽclarŽs hors la loi et sont livrŽs
pieds et poings liŽs ˆ l'arbitraire de la police, devraient considŽrer comme
leur reprŽsentation vŽritable ! Troisimement, il y a le philistinisme
petit-bourgeois du Sozial-demokrat qu'ils approuvent. Dans chacune de leurs
lettres, ils nous dŽclarent que nous ne devons pas croire tous ces rapports qui
parlent de scissions ou de divergences Žclatant au sein du parti, alors que
tous ceux qui arrivent d'Allemagne nous assurent que les camarades ont ŽtŽ
jetŽs dans la plus grande confusion par ce comportement des chefs et ne sont
pas du tout d'accord avec eux. C'est tout ˆ fait dans la nature de nos ouvriers
qui nous donnent une magnifique preuve de leur valeur, car rien ne serait
possible autrement. Le mouvement allemand a cette particularitŽ que toutes les
erreurs de la direction sont sans cesse corrigŽes par les masses, et cette
fois-ci ce sera encore la mme chose [134].
En Allemagne, aprs trois annŽes de persŽcutions inou•es, d'une pression
continuelle, d'impossibilitŽ absolue de s'organiser publiquement et mme tout
simplement de s'entendre, nos hommes non seulement sont lˆ avec la mme force
qu'auparavant, mais sont encore plus forts [135]. Et ils se renforcent prŽcisŽment sur un
fait essentiel : le centre du mouvement est transfŽrŽ des districts
semi-ruraux de Saxe vers les grandes villes industrielles.
La masse de nos partisans en Saxe se compose d'artisans tisseurs qui sont
vouŽs au dŽclin par le mŽtier ˆ vapeur et ne continuent de vŽgŽter qu'en
adjoignant ˆ leur salaire de famine des occupations domestiques (jardinage,
ciselage de jouets, etc.). Ce ne sont donc pas des reprŽsentants nŽs du
socialisme rŽvolutionnaire au mme degrŽ que les ouvriers de la grande
industrie. Ils n'en sont pas pour autant par nature rŽactionnaires (comme, par
exemple, les derniers tisserands ˆ main le sont finalement devenus ici, en
constituant le noyau des Ouvriers conservateurs), mais ˆ la longue ils sont
incertains, et ce en raison de leur atroce situation de misre, qui les rend
moins capables de rŽsister que les citadins, et de leur dispersion qui permet
plus aisŽment de les faire passer sous le joug politique que les habitants des
grandes villes. Aprs avoir lu les faits rapportŽs dans le Sozial-demokrat [136], on peut effectivement tre ŽtonnŽ de l'hŽro•sme
avec lequel ces pauvres diables ont pu rŽsister encore en si grand nombre.
Cependant, ils ne forment pas le vŽritable noyau d'un grand mouvement
ouvrier ˆ l'Žchelle nationale. Leur misre les rend dans certaines
circonstances ‑ comme de 1865 ˆ 1870 ‑ plus rapidement rŽceptifs
aux idŽes socialistes que les gens des grandes villes. Quiconque est en train
de se noyer s'accroche ˆ n'importe quel fŽtu de paille et ne peut attendre
jusqu'ˆ ce que le navire quitte la rive pour apporter du secours. Or le navire,
c'est la rŽvolution socialiste, et le fŽtu de paille, le protectionnisme et le
socialisme d'ƒtat. Il est caractŽristique que, dans ces rŽgions, il n'y a
pratiquement que des conservateurs qui aient une chance de nous battre. Et si,
ˆ l'Žpoque, Kayser a pu faire une telle idiotie lors du dŽbat sur le
protectionnisme, cela provenait des Žlecteurs, notamment ceux de Kayser, comme
Bebel lui-mme me l'a Žcrit.
Maintenant, tout est diffŽrent. Berlin, Hambourg, Breslau, Leipzig, Dresde,
Mayence, Offenbach, Barmen, Elberfeld, Solingen, Nuremberg,
Francfort-sur-le-Main, Hanau, outre Chemnitz et les districts des Monts des
gŽants, tout cela donne une tout autre base. La classe rŽvolutionnaire, de par
sa situation Žconomique, est devenue le noyau du mouvement. En outre, le
mouvement s'Žtend uniformŽment ˆ toute la partie industrielle de l'Allemagne,
alors qu'il se limitait auparavant ˆ quelques centres strictement localisŽs :
il s'Žtend ˆ prŽsent seulement ˆ l'Žchelle nationale, et c'est ce qui effraie
le plus les bourgeois.
Les nouvelles sur les incidents ˆ propos des Ç chefs È en Allemagne
nous ont vivement intŽressŽes [137]. Je n'ai jamais cachŽ qu'ˆ mon avis les
masses Žtaient bien meilleures en Allemagne que messieurs les chefs, surtout
depuis que, gr‰ce ˆ la presse et ˆ l'agitation, le parti est devenu une vache ˆ
lait qui les approvisionne en bon beurre, et mme depuis que Bismarck et la
bourgeoisie ont subitement tuŽ cette vache. Les mille existences qui ont ŽtŽ
ruinŽes subitement de ce fait ont le malheur personnel de n'tre pas lancŽes
dans une situation directement rŽvolutionnaire, mais d'tre frappŽes d'interdit
et mises au ban. Autrement, nombre de ceux qui crient misre seraient dŽjˆ
passŽs dans le camp de Most ou trouveraient que le Sozial-demokrat n'est pas
assez violent. La plus grande partie d'entre eux sont restŽs en Allemagne et se
sont fixŽs dans des localitŽs passablement rŽactionnaires o ils sont mis au
ban du point de vue social, mais dŽpendent des philistins pour leur subsistance
et sont en grande partie gangrenŽs par le philistinisme lui-mme. Il n'est pas
Žtonnant que, sous la pression du philistinisme, il leur vint l'idŽe folle ‑
en rŽalitŽ tout ˆ fait absurde ‑qu'ils pourraient y changer quelque chose
en Žtant dociles. Or, l'Allemagne est un pays absolument inf‰me pour ceux qui
n'ont pas une grande force de caractre [138]. L'Žtroitesse et la mesquinerie des conditions
civiles aussi bien que politiques, l'ambiance des petites villes, et mme des
grandes, les petites chicanes qui se renouvellent sans cesse dans la lutte avec
la police et la bureaucratie, tout cela use et lasse au lieu d'inciter ˆ la
fronde ‑ et c'est ainsi que, dans la Ç grande chambre
d'enfants [139] È, nombreux sont ceux qui deviennent
eux aussi puŽrils. De petites conditions produisent de mesquines conceptions,
et il faut dŽjˆ beaucoup d'intelligence et d'Žnergie ˆ celui qui vit en Allemagne
pour tre capable de voir au-delˆ du cercle tout ˆ fait immŽdiat et garder en
vue l'encha”nement gŽnŽral des ŽvŽnements historiques, sans tomber dans l'
Ç objectivitŽ È satisfaite qui ne voit pas plus loin que le bout de
son nez et ne reprŽsente que le subjectivisme le plus bornŽ qui soit, mme si
des milliers de tels sujets le partagent.
Tout naturel que fžt donc le surgissement de cette orientation qui cache
son manque de comprŽhension et de volontŽ de rŽsistance par une
Ç objectivitŽ superintelligente È, il faut la combattre avec Žnergie.
Et c'est lˆ o la masse des ouvriers offre le meilleur point d'appui. En effet,
les ouvriers sont ˆ peu prs les seuls ˆ vivre dans des conditions modernes en
Allemagne, toutes leurs petites et grandes misres trouvent leur centre dans la
pression du capital. Tandis que tous les autres combats, tant politiques que
sociaux, sont mesquins et misŽrables, et ne tournent qu'autour de
fripouilleries, leur combat ˆ eux est le seul qui soit de grande envergure, le
seul qui soit ˆ la hauteur de notre Žpoque, le seul qui ne dŽmoralise pas les
combattants, mais leur injecte sans cesse une Žnergie nouvelle. Plus vous
chercherez donc vos correspondants parmi les ouvriers authentiques et non
encore devenus des Ç chefs È, plus vous aurez de chance d'opposer un
contrepoids ˆ l'hypocrisie dominante.
Je viens d'Žcrire ˆ Liebknecht ˆ cause de ses discours ˆ la Dite [140] ; en rŽponse, il m'a Žcrit qu'il
s'agissait de Ç tactique È (or, cette tactique, je l'avais
prŽcisŽment dŽfinie comme constituant un obstacle ˆ notre collaboration
ouverte) et que dŽsormais on parlerait autrement au Reichstag. Pour ta part
certes tu l'as fait, mais que faut-il penser de cette faon de parler de
Liebknecht sur l'Ç honntetŽ du chancelier impŽrial È ! Il peut
l'avoir pensŽ ironiquement, mais cela ne se voit pas dans le compte rendu, et
comment la presse bourgeoise a exploitŽ cela ! Je n'ai pas rŽpondu ˆ sa
dernire lettre, cela ne servirait ˆ rien. Mais Kautsky lui-mme nous dit que
Liebknecht Žcrit partout, par exemple en Autriche, que Marx et moi nous sommes
entirement d'accord avec lui et souscrivons ˆ sa Ç tactique È, et on
le croit. Cela ne peut pas durer Žternellement comme cela...
Je comprends trs bien que les doigts vous dŽmangent, puisque tout se
dŽveloppe si avantageusement pour nous en Allemagne et que vous ne pouvez pas y
contribuer, ayant les mains liŽes. Mais cela n'est pas nuisible. En Allemagne,
on a attribuŽ une importance trop grande ˆ la propagande ouverte (Viereck en
est un exemple frappant : il Žtait tout ˆ fait abattu parce qu'il n'Žtait
plus possible de faire publiquement de la propagande), mais on s'est trop peu
prŽoccupŽ de la force motrice vŽritable des ŽvŽnements historiques. Ce ne peut
tre qu'un avantage que nous trouvions une correction dans l'expŽrience
pratique. Les succs que nous n'engrangeons pas maintenant ne sont pas perdus
pour autant. Seuls les ŽvŽnements peuvent secouer et rŽveiller les masses
populaires indiffŽrentes et passives, et mme s'il est vrai que la conscience
de ces masses secouŽes reste encore terriblement confuse dans les circonstances
actuelles, le mot rŽdempteur n'en Žclatera que plus violemment, et l'effet sur
l'ƒtat et la bourgeoisie n'en sera que plus drastique lorsque les 600 000 voix
tripleront subitement, lorsque, en plus de la Saxe, toutes les grandes villes
et les districts industriels nous reviendront, et que les ouvriers agricoles
aussi seront placŽs dans une situation o ils commenceront ˆ nous comprendre.
Il vaut beaucoup mieux que nous arrachions la conqute des masses d'un seul
coup plut™t que progressivement, par la propagande publique qui, dans les
circonstances actuelles, se calmerait bient™t de nouveau.
Dans les circonstances prŽsentes, les hobereaux, les curŽs et les bourgeois
ne peuvent pas nous permettre de leur saper les fondations sous les pieds, et
c'est aussi bien qu'ils le fassent eux-mmes. Le temps reviendra bient™t o un
autre vent soufflera. En attendant, vous avez ˆ subir ces Žpreuves dans votre
propre chair et ˆ subir les infamies du gouvernement et des bourgeois, et ce
n'est pas dr™le. Seulement n'oubliez pas une seule des saletŽs que l'on aura
faites ˆ vous et aux v™tres, le temps de la vengeance viendra et elle devra
tre consciencieusement exŽcutŽe.
C'est une falsification purement intŽressŽe des bourgeois de l'Žcole de
Manchester que de qualifier toute immixtion de l'ƒtat dans la libre concurrence
de Ç socialisme È : protection
douanire, organisation d'associations, monopole du tabac, nationalisation de
branches d'industrie, commerce maritime, manufacture royale de porcelaine [141]. C'est ce que
nous devons critiquer, mais non croire. Si nous y croyons et fondons lˆ-dessus
nos analyses thŽoriques, nous partons des mmes prŽmisses que ces bourgeois, ˆ
savoir la simple affirmation que ce prŽtendu socialisme n'est rien d'autre que,
d'une part, une rŽaction fŽodale et, d'autre part, un prŽtexte pour extorquer
de l'argent, en ayant, en outre, l'intention de transformer des prolŽtaires
aussi nombreux que possible en stipendiŽs et fonctionnaires dŽpendants de
l'ƒtat ; autrement dit, d'organiser Žgalement une armŽe de travailleurs
aux c™tŽs de l'armŽe disciplinŽe de soldats et de fonctionnaires [142]. Remplacer les inspecteurs de fabrique
par des fonctionnaires hiŽrarchisŽs de l'ƒtat et appeler cela socialisme, c'est
vraiment trs beau ! Mais c'est ˆ quoi on en arrive si l'on croit ce que
disent les bourgeois ‑ qui au reste n'y croient pas eux-mmes, mais ne
font que semblant ‑, ˆ savoir que ƒtat = socialisme.
Par ailleurs, je
trouve que la ligne gŽnŽrale que vous comptez donner ˆ votre journal correspond
en gros ˆ ce que nous pensons ; je me rŽjouis aussi de ce que, ces
derniers temps, vous ne faites plus un tel abus du mot rŽvolution. Cela allait
trs bien au dŽbut, aprs les terribles compromissions de 1880 ; mais il
vaut mieux ‑ mme vis-ˆ-vis de Most ‑ se garder d'employer les
grandes phrases. On peut exprimer des idŽes rŽvolutionnaires sans lancer constamment ˆ la face du lecteur
le mot de Ç rŽvolution È. Ce pauvre Most est, de toute faon,
compltement fou, il ne sait plus ˆ quoi se rattacher, et voici que le succs
remportŽ par Fritzsche et Viereck en AmŽrique lui enlve le dernier souffle de
vent dans les voiles [143].
Avant-hier, Singer est venu me rendre visite, et j'ai appris de lui que la
bo”te aux lettres Žtait toujours bonne [144]. Je n'en Žtais pas sžr, Žtant donnŽ que
je ne l'ai pas utilisŽe depuis quelque temps. Il avait des hŽsitations sur un
autre point. Il fait partie de ceux qui voient dans l'Žtatisation une mesure en
quelque sorte ˆ moitiŽ socialiste ou du moins prŽparant le socialisme, et qui
ont donc un engouement secret pour la protection douanire, le monopole du
tabac, la nationalisation des chemins de fer, etc. Ce sont lˆ des foutaises qui
ont ŽtŽ hŽritŽes de l'adversaire par certains des n™tres qui n'ont su mener la
lutte contre des thŽories du libre-Žchange des ManchestŽriens que sous un seul
angle. Ces foutaises trouvent, en outre, un grand Žcho chez les ŽlŽments
studieux, venus de la bourgeoisie, parce qu'elles leur permettent dans les
discussions de rŽpondre plus facilement ˆ leurs interlocuteurs bourgeois et
Ç cultivŽs È.
Vous avez
discutŽ rŽcemment de ce point ˆ Berlin, et comme il me l'a dit, son point de
vue ne l'a pas emportŽ, heureusement. Nous ne devons pas nous couvrir de honte
du point de vue politique et Žconomique, en prenant de tels Žgards. Je me suis
efforcŽ de lui faire comprendre : 1. qu'ˆ notre avis la protection
douanire est une mesure tout ˆ fait erronŽe pour l'Allemagne (pas pour
l'AmŽrique, en revanche) parce que notre industrie s'est dŽveloppŽe sous le
rŽgime du libre-Žchange, devenant ainsi capable d'exporter ; or, pour
maintenir cette capacitŽ d'exportation il lui faut absolument la concurrence des produits semi-fabriquŽs Žtrangers
sur le marchŽ intŽrieur ; son industrie sidŽrurgique produit deux fois
plus que les besoins intŽrieurs et n'utilise donc la protection douanire que
contre le marchŽ intŽrieur, comme le prouve par ailleurs le fait qu'elle vend ˆ
vil prix ˆ l'extŽrieur ; 2. que le monopole du tabac est une Žtatisation
si minime qu'il ne peut mme pas nous servir d'illustration dans un dŽbat, et
qu'en outre je peux m'en ficher compltement que Bismarck le rŽalise ou non,
Žtant donnŽ que cela ne peut que tourner finalement ˆ notre avantage ; 3.
que la nationalisation des chemins de fer ne sert que les actionnaires qui
vendent leurs actions au-dessus de leur valeur, mais absolument pas nous, parce
que nous viendrons rapidement ˆ bout des quelques grandes compagnies ferroviaires,
ds que nous aurons l'ƒtat en main ; que les sociŽtŽs par actions nous ont
dŽjˆ dŽmontrŽ jusqu'ˆ quel point les bourgeois en tant que tels sont superflus,
puisque toute la gestion est assurŽe par des employŽs salariŽs, et que les
nationalisations n'apportent aucune preuve nouvelle ˆ ce sujet [145]. Singer s'est cependant trop fait ˆ cette
idŽe, et n'a ŽtŽ d'accord que pour reconna”tre que, du point de vue politique,
la seule position correcte Žtait d'avoir une attitude de rejet.
Les cinq numŽros du Sozial-demokrat parus depuis le dŽbut de l'annŽe
tŽmoignent d'un important progrs [146]. C'en est fini du ton de dŽsespoir de l'
Ç homme battu È et du philistinisme grandiloquent qui le complte, de
la docilitŽ petite-bourgeoise alternant avec de grandes phrases
rŽvolutionnaires ˆ la Most, enfin de l'Žternelle prŽoccupation du socialisme
petit-bourgeois et anarchisant. Le ton est devenu alerte et conscient ; le
journal ne cherche plus ˆ arrondir les angles, et s'il reste comme il est, il
servira ˆ tenir le moral de nos gens en Allemagne.
ƒtant donnŽ que vous avez La Nouvelle Gazette rhŽnane, vous feriez bien de
la lire de temps ˆ autre. C'est prŽcisŽment le dŽdain et les sarcasmes avec
lesquels nous traitions nos adversaires qui, dans les six mois prŽcŽdant la
proclamation de l'Žtat de sige, nous rapportrent dans les six mille abonnŽs,
et bien que nous ayons dž recommencer en novembre ˆ partir de zŽro, nous avions
atteint de nouveau ce chiffre et mme plus en mai 1849. La Gazette de Cologne
vient d'avouer qu'elle-mme n'en avait que neuf mille ˆ l'Žpoque.
Comme vous
semblez manquer de feuilletons, vous pourriez reproduire, par exemple, le pome
Ç Ce matin j'ai fait le voyage pour DŸsseldorf È du n¡ 44, ou
bien : Ç Un bouffeur de socialiste de 1848 È, de La Nouvelle
Gazette rhŽnane du 14 juillet 1848, dont l'auteur est Georg Weerth (mort ˆ La
Havane en 1856). En avant donc !
Nous avons ŽtŽ trs ennuyŽs d'apprendre que vous avez manifestŽ le dŽsir de
quitter le journal [147]. Nous ne voyons absolument pas de raison
pour que vous quittiez ce poste, et nous serions trs heureux si vous reveniez
sur votre dŽcision. Vous avez rŽdigŽ le journal avec talent ds le dŽbut et
vous lui avez donnŽ le ton qu'il fallait, tout en dŽveloppant l'esprit d'ironie
nŽcessaire. Dans la direction d'un journal, ce qui
importe ce n'est pas tant l'Žrudition que la rapiditŽ avec laquelle on saisit
sur-le-champ la question par le bout qu'il faut, et c'est ce que vous avez
presque toujours fait avec bonheur. Cela, Kautsky, par exemple, ne saurait pas
le faire, lui qui a toujours des points secondaires ˆ considŽrer, ce qui peut
tre une fort bonne chose pour d'assez longs articles de revue, mais non pour
un journal o il faut se dŽcider trs vite. Il ne faut pas que, dans un journal
de parti, on ne voie plus la fort ˆ force de regarder les arbres. Certes, ˆ
c™tŽ de vous, Kautsky serait trs bien, mais tout seul je crains que ses
scrupules de conscience thŽoriques ne l'empchent trop souvent d'avancer le
point d'attaque dŽcisif aussi directement qu'il le faut dans le Sozial-demokrat.
Je ne vois donc pas qui pourrait vous remplacer en ce moment et tant que Liebknecht
sera en prison [148]. De toute faon, il serait absurde qu'il aille ˆ Zurich si ce n'est
pas absolument nŽcessaire, car sa prŽsence est plus utile au Reichstag. Vous
voyez bien que vous devez rester, que vous le vouliez ou non.
Si nous ne sommes pas encore entrŽs en scne directement, notamment dans le
Sozial-demokrat, ce n'est pas, soyez-en sžr, ˆ cause de la manire dont vous en
avez dirigŽ jusqu'ici la rŽdaction. Au contraire. Cela tient prŽcisŽment aux
faits qui se sont produits au commencement (aussit™t aprs la promulgation de
la loi antisocialiste [149] et aux manifestations qui ont eu lieu en
Allemagne. Certes, on nous a promis que cela ne se reproduirait plus, que l'on
exprimerait sans ambages le caractre rŽvolutionnaire du parti et qu'on saurait
le lui conserver. Mais nous voulions le voir. Nous avons si peu la certitude
(bien au contraire) de l'esprit rŽvolutionnaire de plusieurs de ces messieurs
que nous serions trs dŽsireux que l'on nous communique les comptes rendus
stŽnographiques de tous les discours tenus par nos dŽputŽs. Aprs que vous les
aurez utilisŽs, vous pourriez nous les envoyer pour quelques jours, et je me
porte garant de ce qu'on vous les renverra rapidement. Cela contribuera ˆ
dŽblayer les derniers obstacles qui subsistent encore entre nous et le parti en
Allemagne ‑ non pas de notre faute. Cela entre nous.
L'ensemble des philistins libŽraux a eu un tel respect de nous (ˆ la suite
de l'attitude exemplaire des social-dŽmocrates durant la pŽriode au cours de
laquelle leurs activitŽs socialistes Žtaient interdites, donc illŽgales et
clandestines, en raison de la loi antisocialiste) qu'ils se mettent ˆ crier
d'une seule voix, : oui, si les social-dŽmocrates veulent se placer sur le
terrain lŽgal et abjurer la rŽvolution, alors nous serons pour l'abolition
immŽdiate de la loi antisocialiste [150]. Il ne fait donc aucun doute que l'on
vous fera cette proposition au Reichstag. La rŽponse que vous ferez est trs
importante ‑ non pas tant pour l'Allemagne, o nos braves camarades l'ont
dŽjˆ donnŽe au cours des Žlections, que pour l'Žtranger. Une rŽponse docile
anŽantirait aussit™t l'effet Žnorme produit par les Žlections.
La question se pose en ces termes, ˆ mon avis :
Tout l'Žtat politique en vigueur actuellement en Europe est le fruit de
rŽvolutions. Partout, le terrain constitutionnel, le droit historique et la
lŽgitimitŽ ont ŽtŽ mille fois violŽs, voire totalement bouleversŽs. Toutefois,
il est dans la nature de tous les partis, c'est-ˆ-dire des classes, parvenus au
pouvoir d'exiger que l'on reconnaisse dŽsormais le droit nouveau, crŽŽ par la
rŽvolution, voire qu'on le tienne pour sacrŽ. Le droit ˆ la rŽvolution a existŽ
‑ sinon ceux qui rgnent actuellement n'auraient plus aucune
justification lŽgale ‑, mais il ne devrait plus exister dorŽnavant, ˆ les
en croire.
En Allemagne,
l'ordre en vigueur repose sur la rŽvolution qui a commencŽ en 1848 et s'acheva
en 1866. L'annŽe 1866 connut une rŽvolution totale. Comme la Prusse n'est
devenue une puissance que par les trahisons et guerres contre l'Empire
allemand, en s'alliant avec l'Žtranger (1740, 1756, 1795), l'Empire
prusso-allemand n'a pu s'instaurer que par le renversement violent de la Ligue
allemande et la guerre civile. Il ne sert de rien, en l'occurrence, d'affirmer
que les autres se seraient rendus coupables de violation des traitŽs
d'alliance : les autres affirment le contraire. Jamais encore une
rŽvolution n'a manquŽ du prŽtexte de lŽgalitŽ : cf. la France de 1830, o
le roi Charles X aussi bien que la bourgeoisie affirmaient, chacun de leur
c™tŽ, avoir la lŽgalitŽ de son c™te. Mais suffit, la Prusse provoqua la guerre
civile, et donc la rŽvolution. Aprs la victoire, elle renversa trois tr™nes
Ç de droit divin È et annexa des territoires, parmi lesquels celui de l'ex-ville libre de
Francfort. Si cela n'est pas rŽvolutionnaire, je me demande ce que ce mot
signifie. Non contente de cela, elle confisqua la propriŽtŽ privŽe des princes
qu'elle venait ainsi de chasser. Elle reconnut elle-mme que cela n'Žtait pas
lŽgal, mais bien rŽvolutionnaire, en faisant approuver cet acte aprs coup par
une assemblŽe ‑ le Reichstag ‑ qui n'avait pas plus le droit de
disposer de ce fonds que le gouvernement.
L'Empire prusso-allemand, en tant qu'achvement de la Ligue de l'Allemagne
du Nord crŽŽe par la force en 1866, est un produit parfaitement
rŽvolutionnaire. Je ne m'en plains pas. Ce que je reproche ˆ ceux qui l'ont
fait, c'est de n'avoir ŽtŽ que de pitres rŽvolutionnaires, de ne pas avoir ŽtŽ
encore plus loin, en annexant directement l'Allemagne entire ˆ la Prusse. Or,
quiconque opre avec le fer et le sang, renverse des tr™nes, avale des ƒtats
entiers et confisque des biens privŽs, ne doit pas condamner d'autres hommes
parce que rŽvolutionnaires. Si le parti a le simple droit d'tre ni plus ni
moins rŽvolutionnaire que le gouvernement de l'Empire, il dispose de tout ce
dont il a besoin.
RŽcemment, on affirmait officieusement : la constitution de l'Empire
n'est pas une convention entre les princes et le peuple. Ce n'Žtait qu'un
accord entre les princes et les villes libres qui pouvait ˆ tout instant tre
rŽvoquŽ et remplacŽ par un autre. Les organes gouvernementaux qui enseignaient
cette thŽorie demandaient en consŽquence le droit, pour les gouvernements, de
renverser la constitution impŽriale. On n'a fait aucune loi d'exception, ni
entrepris aucune poursuite contre eux. Bien, nous ne rŽclamons pas plus pour
nous dans le cas extrme que ce que l'on demande ici pour les gouvernements.
Le duc de Cumberland est l'hŽritier lŽgitime incontestŽ du tr™ne de
Brunswick. Le roi de Prusse n'a pas d'autre droit de siŽger ˆ Berlin que le
droit que Cumberland revendique au Brunswick. Pour ce qui est du reste,
Cumberland ne peut le revendiquer qu'aprs qu'il a pris possession de sa
couronne juridiquement lŽgitime. Mais le gouvernement rŽvolutionnaire de
l'Empire allemand l'empche d'en prendre possession par la violence. Nouvel
acte rŽvolutionnaire.
Comment cela se passe-t-il pour les partis ?
En novembre 1848, le parti conservateur a violŽ, sans hŽsitation aucune, la
lŽgislation ˆ peine crŽŽe en mars. De toute faon, il ne reconnut l'ordre
constitutionnel que comme Žtant tout ˆ fait provisoire, et se fžt ralliŽ avec
enthousiasme ˆ tout coup d'ƒtat de la part des forces absolutistes et fŽodales.
Le parti libŽral de toutes nuances a participŽ ˆ la rŽvolution de 1848 ˆ
1866, et mme aujourd'hui n'admettrait pas qu'on lui dŽni‰t le droit de
s'opposer par la force ˆ un renversement violent de la constitution [151].
Le centre reconna”t l'ƒglise comme puissance suprme, au-dessus de l'ƒtat,
celle-ci pourrait donc lui faire un devoir d'effectuer une rŽvolution.
Et ce sont lˆ les partis qui nous demandent, ˆ nous seuls de tous les
partis, que nous proclamions vouloir renoncer dans tous les cas ˆ l'emploi de
la violence et de nous soumettre ˆ n'importe quelle pression et violence, non
seulement lorsqu'elle est lŽgale dans la forme ‑ lŽgale au jugement de
nos adversaires ‑, mais mme lorsqu'elle est directement illŽgale ?
Nul parti n'a jamais reniŽ le droit ˆ une rŽsistance armŽe dans certaines
circonstances, ˆ moins de mentir. Nul n'a jamais renoncŽ ˆ ce droit extrme.
Mais s'il s'agit de discuter des circonstances dans lesquelles un parti se rŽserve
ce droit, alors la partie est gagnŽe. On passe alors de cent ˆ mille
circonstances. Notamment celui d'un parti que l'on proclame privŽ de droits, et
qui par dŽcision d'en haut est directement poussŽ ˆ la rŽvolution. Une telle
dŽclaration de mise hors la loi peut tre renouvelŽe d'un jour ˆ l'autre, et
nous venons tout juste d'en subir une. Il est proprement absurde de demander ˆ
un tel parti une dŽclaration aussi inconditionnelle.
Pour le reste, ces messieurs peuvent tre tranquilles. Dans les conditions
militaires actuelles, nous ne dŽclencherons pas l'action les premiers, tant
qu'il y a encore une puissance militaire contre nous : nous pouvons
attendre jusqu'ˆ ce que la puissance militaire cesse d'tre une puissance
contre nous. Toute rŽvolution qui a lieu avant, mme si elle triomphait, ne nous
hisserait pas au pouvoir, mais les bourgeois, les radicaux, c'est-ˆ-dire les
petits-bourgeois.
Au reste, les
Žlections ont montrŽ que nous n'avons rien ˆ attendre de la conciliation,
c'est-ˆ-dire de concessions faites ˆ notre adversaire. Ce n'est qu'en opposant
une fire rŽsistance que nous avons inspirŽ le respect et sommes devenus une
puissance. On respecte uniquement la puissance, et tant que nous en serons une,
le philistin nous respectera. Quiconque lui fait des concessions se fait
mŽpriser par lui, et n'est dŽjˆ plus une puissance. On peut faire sentir une
main de fer dans un gant de velours, mais il faut la faire sentir. Le
prolŽtariat allemand est devenu un puissant parti, que ses reprŽsentants s'en montrent
dignes !
Pour la premire fois dans l'histoire, un parti ouvrier, solidement soudŽ,
appara”t (en Allemagne) comme une vŽritable puissance politique [152]. Il est nŽ et a grandi sous les
persŽcutions les plus dures, a conquis de haute lutte une position aprs
l'autre, s'est libŽrŽ de tout philistinisme dans le pays le plus philistin
d'Europe, comme il s'y est libŽrŽ de tout chauvinisme dans le pays le plus
assoiffŽ de victoires. C'est une puissance dont l'existence et le gonflement
sont aussi incomprŽhensibles et mystŽrieux aux gouvernements et aux vieilles
classes dominantes que la montŽe du flot chrŽtien l'Žtait aux puissances de la
Rome dŽcadente. Il grandit et dŽveloppe ses forces aussi sžrement et
irrŽsistiblement que jadis le christianisme, si bien que l'Žquation de son taux
de croissance ‑ donc le moment de sa victoire finale ‑ peut d'ores
et dŽjˆ tre calculŽe mathŽmatiquement. Au lieu de l'Žtouffer, la loi
antisocialiste l'a poussŽ en avant ; il n'a daignŽ rŽpondre que d'un
revers de main ˆ la rŽforme sociale de Bismarck [153], et le dernier moyen gr‰ce auquel on
cherche ˆ l'Žtouffer momentanŽment ‑ l'inciter ˆ
un putsch prŽmaturŽ ‑ ne ferait que susciter un Žclat de rire inextinguible.
Curieusement ce
qui nous fait progresser le plus, ce sont prŽcisŽment les conditions
industriellement arriŽrŽes de l'Allemagne [154]. En Angleterre et en France, le passage ˆ la grande industrie est
en gros achevŽ. Les conditions dans lesquelles se trouve le prolŽtariat se sont
de nouveau stabilisŽes : les rŽgions agricoles sont bien distinctes des
rŽgions industrielles, l'industrie est sŽparŽe de l'artisanat domestique, et
cette coupure s'est dŽjˆ consolidŽe pour autant que l'industrie le permette en
gŽnŽral. Mme les fluctuations que provoque le cycle dŽcennal des crises sont
devenues des conditions habituelles de l'existence. Les mouvements politiques
ou directement socialistes surgis au cours de la pŽriode de rŽvolutionnement de
l'industrie ‑ manquant de maturitŽ ‑ ont ŽchouŽ et ont laissŽ
derrire eux le dŽcouragement plut™t que l'exaltation : le dŽveloppement
capitaliste bourgeois s'est rŽvŽlŽ plus puissant que la contre-pression
rŽvolutionnaire ; pour un nouveau soulvement contre la production
capitaliste, il faut une nouvelle impulsion plus puissante encore, par exemple
que l'Angleterre soit dŽchue de la domination qu'elle exerait jusqu'ici sur le
marchŽ mondial, ou qu'une occasion rŽvolutionnaire particulirement favorable
se manifeste en France.
En Allemagne, par contre, la grande industrie ne date que de 1848 et c'est
le legs le plus important de cette annŽe-lˆ. La rŽvolution industrielle se
poursuit toujours, et dans les conditions les plus dŽfavorables. Le petit
artisanat domestique appuyŽ sur la petite propriŽtŽ foncire, libre ou
affermŽe, continue de lutter sans cesse contre les machines et la vapeur ;
le petit paysan ruinŽ se lance dans l'artisanat domestique et s'y accroche
comme ˆ une bouŽe de sauvetage ; ce pays ˆ peine industrialisŽ est de
nouveau opprimŽ par la vapeur et la machine. Le mŽtier
rural d'appoint, la pomme de terre cultivŽe par l'ouvrier deviennent le moyen
le plus puissant pour dŽprimer les salaires au profit du capitaliste, qui est
en mesure actuellement de faire cadeau de toute la plus-value normale au client
Žtranger, afin de demeurer concurrentiel sur le marchŽ mondial, bref tire tout
son profit des dŽductions sur le salaire normal [155]. En outre, la rŽvolution directe de toutes les conditions de vie
dans les centres industriels se produit, du fait de la grande industrie en
essor puissant. Ainsi, toute l'Allemagne ‑ ˆ l'exception peut-tre du
Nord-Est aux mains des hobereaux ‑ est entra”nŽe dans la rŽvolution
sociale. Le petit paysan est attirŽ dans l'industrie, les rŽgions patriarcales
sont projetŽes dans le mouvement : la rŽvolution se fait donc de manire
plus radicale qu'en Angleterre et en France. Cette rŽvolution sociale qui se
ramne en fin de compte ˆ l'expropriation des petits paysans et artisans se
rŽalise cependant au moment prŽcis o il Žtait donnŽ ˆ un Allemand ‑ Marx
‑ de thŽoriser les rŽsultats de l'histoire du dŽveloppement Žconomique et
politique de l'Angleterre et de la France, et d'Žlucider toute la nature ‑
donc aussi le destin historique final ‑ de la production capitaliste.
Gr‰ce ˆ cela, il put donner au prolŽtariat allemand un programme tel que les
prolŽtaires anglais et franais, leurs prŽdŽcesseurs, n'en possŽdrent jamais. RŽvolutionnement
plus radical, d'une part, plus grande clartŽ dans les esprits, d'autre part ‑
tel est le secret du progrs ininterrompu du mouvement ouvrier allemand.
Nous sommes maintenant un Ç grand parti È, mais cela s'est
rŽalisŽ ˆ la suite de durs efforts et de grands sacrifices [156]. Noblesse oblige [157]. Nous ne pouvons cependant attirer ˆ nous
la masse de la nation, sans que ces masses ˆ leur tour se dŽveloppent.
Francfort, Munich et Koenigsberg ne peuvent pas tre subitement aussi nettement
prolŽtariennes que la Saxe, Berlin et les districts industriels du Berg. Les ŽlŽments
petits-bourgeois parmi les chefs trouveront momentanŽment, ˆ et lˆ, parmi les
masses, une base d'appui qui leur faisait dŽfaut jusqu'ici. Ce qui a ŽtŽ
jusqu'ici une tendance rŽactionnaire chez quelques-uns peut se reproduire
maintenant comme un moment nŽcessaire de dŽveloppement ‑ localement ‑
chez les masses. Cela rendrait nŽcessaire une autre tactique, en vue de mener
les masses en avant sans pour autant laisser les chefs prendre le dessus. Il
s'agit de voir lˆ aussi ce qu'il convient de faire le moment donnŽ...
Quel que soit le sort prochain de la loi antisocialiste, le journal et
l'imprimerie doivent demeurer ˆ Zurich, ˆ mon avis. On ne nous rendra plus la
libertŽ d'expression, mme telle qu'elle existait avant 1878 [158]. En revanche, on donnera toute libertŽ de
s'exprimer aux Geiser et Viereck [159] qui auront alors toujours l'excuse
d'aller aussi loin qu'il leur est possible. Cependant, pour nous, il n'y aura
l'indispensable libertŽ de presse qu'ˆ l'Žtranger.
En outre, il est possible aussi que nous assistions ˆ des tentatives de
limiter le suffrage universel. Or, la l‰chetŽ rend bte, et le philistin est
capable de tout. On commencera par nous faire des compliments ˆ droite et ˆ
gauche, et ils ne tomberont pas toujours sur un terrain empierrŽ. Notamment, l'ami
Singer pourrait avoir envie de prouver ˆ tout le monde que, malgrŽ ‑ ou
en raison de ‑ son gros ventre, il n'est pas cannibale.
Fin du texte
[1] Manifeste du parti communiste, chap. Ç Bourgeois et prolŽtaires È.
[2] Il est possible, par exemple, d'adopter la rgle recommandŽe par le Conseil gŽnŽral pour la composition des sections amŽricaines en 1872, ˆ savoir qu'elles comprennent deux tiers d'ouvriers salariŽs.
[3] Engels ˆ Lafargue, 19 janvier 1872.
[4] La gauche communiste italienne a posŽ le problme des fractions exactement en ces termes dans la IIIe Internationale elle-mme. Cf. Fil du temps, no 8, octobre 1971, Ç Sur le parti communiste. Thses, discours et rŽsolutions de la gauche communiste d'Italie. 1re partie (1917-1925) È, par exemple dans l'article sur Ç Le PŽril opportuniste de l'Internationale È de 1927, pp. 170-181.
[5] RŽsolution prŽsentŽe par Marx-Engels et adoptŽe par le Congrs de l'A. 1. T. de La Haye, par 29 voix contre 5 et 8 abstentions.
Cet article 7 a reprŽsente la synthse de l'expŽrience pratique de la Ire Internationale aprs la Commune de Paris et c'est autour de cette question que tournera toute la lutte du Conseil gŽnŽral de Marx-Engels au sein de l'Internationale jusqu'ˆ la scission de La Haye et au triomphe de la doctrine marxiste dans la classe ouvrire, triomphe confirmŽ par les Internationales successives.
[6] Ce projet de rŽsolutions a ŽtŽ prŽparŽ par Marx et adoptŽ par le Conseil gŽnŽral dans sa sŽance du sous-comitŽ du 9 septembre 1871. Il s'agit en fait du schŽma des thmes ˆ soumettre ˆ la discussion de la ConfŽrence de Londres de l'A. I. T.
On peut se rendre compte de la contribution de Marx-Engels ˆ cette confŽrence dŽcisive pour le sort de l'Internationale en comparant ce projet de Marx avec les rŽsolutions finalement adoptŽes par la confŽrence. Afin, de complŽter ce tableau, nous avons ajoute en note de chaque rŽsolution adoptŽe les interventions correspondantes de Marx ˆ la confŽrence, en nous basant sur le compte rendu de sŽance publiŽ dans La Ire Internationale, recueil de documents, t. II, pp. 149-239.
Nous avons adoptŽ la mme mŽthode, ˆ partir des mmes documents, pour le Congrs de La Haye.
Des additions furent faites ultŽrieurement ˆ ce projet de rŽsolutions, notamment en ce qui concerne la crŽation de sections fŽminines et la statistique gŽnŽrale de la classe ouvrire. Aprs le compte rendu d'Engels, il fut approuvŽ par le Conseil gŽnŽral, le 12 septembre.
La ConfŽrence de Londres marque une Žtape importante dans la lutte de Marx-Engels pour un parti prolŽtarien, dont elle dŽfinit les t‰ches dÕorganisation.
ConformŽment aux dŽcisions du Congrs de B‰le, le congrs de 1870 aurait dž avoir lieu ˆ Paris. En raison des persŽcutions policires, il fut dŽcidŽ de le transfŽrer ˆ Mayence, mais la guerre empcha de rŽaliser ce projet. Il fut encore impossible de tenir un congrs l'annŽe suivante, notamment en raison de la chasse aux Communards et aux Internationalistes aprs la dŽfaite de la Commune. C'est pourquoi la plupart des fŽdŽrations se prononcrent pour un nouveau report et chargrent le Conseil gŽnŽral de faire au mieux. Mais la lutte contre le bakouninisme et les sectaires qui commenaient ˆ s'agiter, ainsi que d'autres t‰ches pressantes exigrent la tenue rapide d'une confŽrence, d'autant plus nŽcessaire qu'il fallait prendre des dŽcisions collectives pour resserrer les liens idŽologiques et organisationnels de l'Internationale. Ds le 2 aožt 1870, l'initiative de Marx-Engels, le Conseil gŽnŽral s'Žtait prŽoccupŽ de la tenue d'une confŽrence. En fait, elle ne pouvait rŽellement avoir lieu qu'ˆ partir de l'ŽtŽ 1871. Le Conseil gŽnŽral consacra de nombreuses sŽances ˆ la prŽparation de cette confŽrence.
Les questions d'organisation et de centralisation Žtaient au cÏur des dŽbats. En raison de la situation politique, le nombre de dŽlŽguŽs ˆ la confŽrence fut relativement restreint : 22 dŽlŽguŽs avec voix dŽlibŽrative, et 10 avec voix consultative. Les pays qui ne purent envoyer de dŽlŽguŽ furent reprŽsentŽs par leurs secrŽtaires : Marx pour l'Allemagne, Engels pour l'Italie. Il y eut en tout neuf sŽances. Les comptes rendus ne purent tre rendus publics.
[7] Cette phrase, ainsi que la prŽcŽdente, a ŽtŽ ajoutŽe de la main de Marx. Elle se traduira par l'article 16 des rŽsolutions de la ConfŽrence de Londres pris ˆ l'encontre de l'Alliance jurassienne.
[8] Le paragraphe suivant a ŽtŽ rayŽ dans le texte : Ç Les conseils fŽdŽraux des pays o l'Association est normalement organisŽe doivent envoyer rŽgulirement des rapports sur les cotisations qu'ils touchent dans les diverses localitŽs ou rŽgions. È Il semble que Marx ait jugŽ qu'il se heurterait ˆ trop de difficultŽs sur ce point tout ˆ fait pratique.
[9] Extrait du protocole de la sŽance du 17 septembre 1871, op. cit., p. 152.
[10] Marx fait allusion ˆ l'affaire Netcha•ev, dont le procs s'ouvrit ˆ Saint-PŽtersbourg, le 1er juillet 1870.
[11] Au cours de la confŽrence, Engels remplit les fonctions de rŽdacteur et de traducteur. Le Conseil gŽnŽral fut chargŽ de la rŽdaction finale des rŽsolutions, et en confia le soin ˆ Marx-Engels.
Une premire rŽsolution sur ce point avait ŽtŽ prŽsentŽe par De Paepe et Verrycken. Ceux-ci voulaient que chaque nationalitŽ ait un nombre fixe de dŽlŽguŽs ‑ trois ‑ reprŽsentŽs au Conseil gŽnŽral. Marx lui rŽpondit qu'il est impossible de trouver trois membres de chaque pays dans la pratique. Engels fit remarquer que le Conseil n'est pas seulement administratif, mais politique et socialiste, qu'il faut un public assez large pour discuter des questions et permettre d'agir sur l'ŽlŽment anglais, et que les vrais rŽvolutionnaires anglais doivent pouvoir y entrer. (La IIIe Internationale fixera le nombre des dŽlŽguŽs en fonction de l'importance ou du poids des pays respectifs.)
Outine avait, en outre, proposŽ que l'on Žtende le terme de probation d'un candidat au Conseil gŽnŽral ˆ trois semaines pour avoir le temps d'effectuer une enqute ˆ son sujet, que le Conseil conserve un droit d'expulsion ˆ son Žgard. Une autre proposition recommandait au Conseil d'inviter les sections des diffŽrents pays ˆ proposer des candidats pour les fonctions de correspondants ou de secrŽtaires, peu avant le moment des Žlections au Conseil gŽnŽral. Une dernire rŽsolution approuvait le Conseil qui s'Žtait adjoint des membres de la Commune, en hommage ˆ celle-ci et comme rŽponse aux persŽcutions. Toutes ces propositions furent approuvŽes ensuite au Conseil gŽnŽral, dans sa sŽance du 16 octobre 1871.
[12] Ces paragraphes ont pour but : d'abord, Žviter que les conseils centraux de tous les pays puissent tre confondus avec le Conseil gŽnŽral ; ensuite, les remettre ˆ leur place dans la structure centralisŽe de l'Internationale ; enfin, exclure les sectes ou sociŽtŽs sŽparatistes qui utilisent l'Internationale pour leurs buts particuliers. Dans la discussion (sŽance du 18 septembre), Marx rappela enfin : Ç Dans les statuts originaux, qu'on ne peut plus changer, il y avait le nom local ou national : on ne dŽtruira pas les nationalitŽs en Žliminant ces mots, mais il faudra pour cela un grand mouvement historique. È (Op. cit., p. 162.)
[13] Ce paragraphe a fait l'objet des discussions de la sŽance du 19 septembre de la confŽrence. Il dŽmontre la trs nette Žvolution de l'Internationale vers la forme parti, avec les cartes et cotisations individuelles, avec la centralisation correspondante, la lutte contre l'affiliation de sociŽtŽs particularistes, les adhŽrents faisant face ˆ la direction et au programme unitaires.
Marx avait proposŽ ce paragraphe au nom du Conseil gŽnŽral, et Engels face aux objections de la pratique, a finalement modifiŽ le projet initial dans le sens ci-dessus. Marx lui-mme avait admis qu'Ç il serait peut-tre difficile d'obtenir une cotisation ˆ l'avance È.
[14] Aprs avoir prŽsentŽ cette rŽsolution de la part du Conseil gŽnŽral, Marx la justifie en ces termes : Ç Le citoyen Marx ajoute qu'il fait remarquer que la proposition porte Ôsans exclusion des sections mixtesÕ ; il croit nŽcessaire la fondation de sections purement fŽminines dans les pays o l'industrie emploie des femmes en grand nombre. Les femmes jouent un trs grand r™le dans la vie ; elles travaillent dans les usines, elles prennent part aux grves, ˆ la Commune, etc. Elles ont plus d'ardeur que les hommes. È (Op. cit., pp. 167-168.)
[15] Lors des dŽbats de la sŽance du 19 septembre, Marx prŽcise ˆ ce propos : Ç L'article 5 des statuts prescrit une pareille mesure de statistique gŽnŽrale, mais elle n'a jamais trouvŽ d'application, malgrŽ les efforts et les sollicitations du Conseil gŽnŽral auprs des conseils fŽdŽraux et sections diverses. Le Conseil gŽnŽral a envoyŽ partout des questionnaires parfaitement combinŽs et qui demandaient peu d'embarras pour y rŽpondre, mais ce sont seulement quelques petites sociŽtŽs isolŽes qui en ont tenu compte. La grande majoritŽ a ŽtŽ muette. Ces renseignements sont pourtant d'une trs grande importance et de la plus absolue nŽcessitŽ pour le dŽveloppement de l'Association.
Ç Il n'a pas ŽtŽ ŽdictŽ, comme vous l'avez vu, une sanction dŽterminŽe contre ceux qui refuseront la communication de renseignements statistiques, parce que cette rŽsolution vise surtout les syndicats dont une partie seulement est affiliŽe ˆ l'Association, mais sur lesquels l'Association a une grande influence et qui ne manquent pas de s'adresser au Conseil gŽnŽral chaque fois que leurs intŽrts sont en pŽril.
Ç Il cite l'exemple de la grve des Lyonnais : lorsque ces derniers ont sollicitŽ l'appui des syndicats, avant que ceux-ci n'envoient aucun fonds pour les aider dans leur grve, les bureaux des syndicats ont fait demander au Conseil gŽnŽral des renseignements statistiques sur les salaires, les heures de travail, etc., des Lyonnais. C'est, du reste, une chose de solidaritŽ qu'il faut conna”tre absolument. È (Op. cit., p. 169.)
[16] La discussion relative aux syndicats est reproduite dans MARX-ENGELS, Le Syndicalisme, vol. I, pp. 193 et 195.
[17] Dans le dŽbat, Marx prŽcisa qu'il fallait Ç d'abord discuter sur les moyens de faire fusionner les travailleurs des villes avec ceux des campagnes, et ensuite discuter de la propagande immŽdiate et du moyen de fonder des sections agricoles È.
[18] Nous reproduisons ci-aprs les interventions de Marx-Engels ˆ ce sujet, lors des sŽances du 26 et 21 septembre 1871. Extrait de Werke, 17, pp. 421-422.
[19] Lors de la sŽance du 22 septembre, Marx fait la distinction essentielle qui suit, aprs avoir lu le texte de cette proposition : Ç Par organisation secrte, il ne faut pas entendre des sociŽtŽs secrtes au vŽritable sens du terme, celles-ci devant au contraire tre combattues. En France et en Italie o existe une situation politique qui fait que le droit d'association est passible de punition, on a une forte tendance ˆ se laisser sŽduire par les sociŽtŽs secrtes dont le rŽsultat est toujours nŽgatif. En effet, ce type d'organisation est en contradiction avec le niveau atteint par le mouvement prolŽtarien, parce que ces sociŽtŽs, au lieu de former les ouvriers, les soumettent ˆ des lois mystiques et despotiques qui leur interdisent toute indŽpendance et orientent leur conscience dans une fausse direction. È (Cf. Werke, 17, pp. 654-655.)
Les rŽsolutions IX et X formeront la base des principes de la lutte contre l'anarchisme dans l'Internationale, qui trouve son dŽnouement au congrs suivant de La Haye.
[20] Deux autres rŽsolutions avaient ŽtŽ adoptŽes lors des dŽbats sur la situation de l'Internationale en France, le 22 septembre :
1. Le comitŽ fŽdŽral belge, le comitŽ fŽdŽral romand, le comitŽ fŽdŽral espagnol sont autorisŽs ˆ servir d'intermŽdiaires aux sections franaises vis-ˆ-vis du Conseil gŽnŽral et ˆ recevoir leurs adhŽsions.
2. Le Conseil gŽnŽral est invitŽ ˆ publier une adresse appelant les travailleurs franais ˆ lutter ouvertement contre le gouvernement au nom du dŽveloppement de notre Ïuvre Žmancipatrice et ˆ s'organiser d'aprs nos statuts, malgrŽ toutes les persŽcutions et les lois prohibitives. (SoulignŽ par nous. Outine, de la section russe, eut une part prŽpondŽrante dans cette discussion.)
Marx soutint ˆ fond que la meilleure rŽponse aux persŽcutions et ˆ la rŽpression Žtait une attitude de combat. Voici son commentaire aux propositions ci-dessus : Ç Marx demande si le moment n'est pas encore venu de dŽclarer la guerre ouverte au gouvernement et de braver la loi Dufaure et les persŽcutions. Sous Bonaparte, jamais l'Internationale n'a existŽ ouvertement en France. On a donnŽ mandat aux blanquistes qui Žtaient dans nos principes d'organiser des sections, alors que Tolain n'y Žtait plus. Ils continueront dans cette voie. Nous avons reu du Havre et d'autres lieux des demandes de formation de sections. Comme nous ne connaissons pas ces hommes, nous avons agi avec prudence. Il est difficile ˆ la police de sŽvir contre les sections locales. È
Marx observe enfin que Serraillier a dit que les propositions Žtaient faites en son nom ; en fait, c'est au nom du Conseil gŽnŽral. Mais il parle en son nom, car il n'est pas bon de conseiller aux ouvriers de s'organiser ouvertement, ou bien d'attendre. Vaillant estime que le moment est opportun.
Dans sa sŽance du 16 octobre, le Conseil gŽnŽral estimait, ˆ la demande de Marx et de Frankel, qu'il fallait imprimer l'appel aux ouvriers de France, leur demandant de rŽsister aux despotiques empitements de leurs droits d'association et d'expression, et les informer comment ils devaient procŽder pour s'organiser.
Cependant, le 24 octobre, Ç le citoyen Serraillier dŽclara qu'il Žtait du mme avis que Vaillant, ˆ savoir qu 'il vaudrait mieux retarder la proclamation aux ouvriers de France, Žtant donnŽ qu'elle pourrait tre utilisŽe contre les prisonniers communards È (op. cit., p. 220).
[21] Dans les premires annŽes de l'Internationale, Marx avait dŽfendu au contraire l'idŽe de rŽunir en un seul organisme le Conseil central de l'Internationale et le conseil fŽdŽral anglais, afin d'imprŽgner les dirigeants anglais de l'esprit et des mŽthodes d'action rŽvolutionnaires. Cette t‰che Žtant ˆ prŽsent rŽalisŽe, Marx explique comme suit sa proposition : Ç Le travail du Conseil est devenu immense. Il est obligŽ de faire face aux questions gŽnŽrales et aux questions nationales. Il s'Žtait opposŽ jusqu'ici ˆ cette formation, parce qu'il fallait obliger les Anglais ˆ venir s'inspirer de l'esprit socialiste international. Au Conseil gŽnŽral, actuellement, leur Žducation est faite. È Au reste, Marx estime que Ç le Conseil aura toujours le pouvoir de dominer la situation È.
Ç D'aprs les statuts, c'est le droit des ,Anglais que de crŽer une fŽdŽration, mais les principaux reprŽsentants anglais sont dans le Conseil. Elle ne se fera pas, si nous ne voulons pas. Cependant, ils en sentent le besoin, et depuis la Commune, beaucoup de sections ont ŽtŽ constituŽes, qui dŽsirent un lien entre elles. Il ne craint pas qu'elles tombent dans les mains des agitateurs qui attaquent lÕInternationale.
Ç Beaucoup de membres anglais du Conseil gŽnŽral ont peu d'utilitŽ pratique. Ils seront plus utiles en agissant dans les quartiers respectifs. Le Congrs pourrait toujours arrter leurs dŽbordements. Les ouvriers ont confiance dans le comitŽ central Ils se sont adressŽs ˆ lui pour les Žlections. Cette proposition est adoptŽe ˆ lÕunanimitŽ. È (Op. cit., pp. 217-218.)
[22] Nous reproduisons cet article ci-aprs.
[23] Cf. supra, p. 45. [Dans cette Ždition numŽrique des Classiques des sciences sociales, voir ¤ 1.3. De lÕindiffŽrence en matire politique.]
[24] Cf. L'ƒgalitŽ, 21 octobre 1871, in Werke, 17, pp. 427-430.
[25] Marx lui-mme fera remarquer que c'est ˆ l'insistance de Bakounine et des Jurassiens eux-mmes que les points 6 et 7 des rŽsolutions du Congrs de B‰le ont ŽtŽ adoptŽs. Ë la ConfŽrence de Londres, sŽance du 21 septembre, il disait lui-mme ˆ ce propos : Ç On a fait appel aux sections pour trancher cette question, et demandŽ au Conseil gŽnŽral de prendre (ˆ propos de la fŽdŽration jurassienne) une sanction fondŽe sur son droit de suspendre ‑ par les statuts. Le Conseil Žvite toujours toute mesure autoritaire quand elle peut tre ŽvitŽe, et il rŽsolut afin d'Žviter tout conflit, que la fŽdŽration garderait son titre, et que l'on invite l'Alliance ˆ prendre un titre local, ce qu'elle n'a pas fait. È
[26] Cf. Engels, compte rendu, rŽdigŽ par l'auteur lui-mme, de son intervention ˆ la sŽance du 21 septembre 1871 ˆ la ConfŽrence de Londres de l'A. I. T. Extrait de Werke, 17, pp. 416-417.
[27] Cf. Marx, notes pour l'intervention ˆ la sŽance du 20 septembre 1871 de la ConfŽrence de Londres de l'A. I. T. Voir Werke, 17, pp. 650-651.
[28] Cf. Marx, compte rendu de l'intervention ˆ la sŽance du 21 septembre 1871 de la ConfŽrence de Londres de 1'A.I. T. Voir Werke, 17, p. 652.
[29] Cf. Marx, Almanacco republicano per l'anno 1874. Traduit de l'italien. Ce texte, ainsi que le suivant, est extrait de MARX-ENGELS, Scritti italiani, Edizioni Avanti, 1955, p. 98-104, p. 93-97. Toute une sŽrie d'articles de Marx-Engels furent publiŽs par le groupe de socialistes rŽunis autour de La Plebe pour contrecarrer l'influence des anarchistes et pour affirmer les positions marxistes sur l'activitŽ politique et lÕautoritŽ dans la rŽvolution et le parti politique.
Le texte d'Engels plus gŽnŽral est complŽtŽ par celui de Marx sur l'autoritŽ. Tous deux parlent pour ainsi dire au bon sens, en puisant des exemples dans la vie quotidienne. La dŽmonstration n'en demeure pas moins, dans les deux cas, historique, utilisant la dialectique pour montrer l'Žvolution des notions justifiŽes ˆ tel moment, dŽpassŽes ensuite, et carrŽment rŽactionnaires enfin.
[30] Marx aborde maintenant le problme sous l'angle de son Žvolution historique, en comparant les diverses questions non seulement dans leur ordre chronologique successif, mais encore logique, avec la position des classes opprimŽes dans une forme sociale antŽrieure. En utilisant cette mŽthode, il rŽpond d'avance ˆ nos syndicalistes rŽvolutionnaires modernes qui rejettent l'action politique proprement dite, et n'admettent que l'action Žconomique Ç rŽvolutionnaire È, c'est-ˆ-dire l'action politique subversive dans la sphre Žconomique.
[31] En renversant la position, c'est-ˆ-dire en rejetant la politique dans son domaine spŽcifique, pour n'admettre qu'une action Žconomique Ç rŽvolutionnaire È, les modernes syndicalistes rŽvolutionnaires ou partisans d'une pure action de conseils ouvriers sont tout aussi ŽloignŽs de la position marxiste que Proudhon qui rejetait les grves et syndicats, mais pr™nait l'action politique.
[32] Cf. P.-J. Proudhon, De la capacitŽ politique des classes ouvrires, Paris, 1868, p 327. (Note de Marx.)
[33] Op. cit., p. 333. (Note de Marx.)
[34] Op. cit., p. 337-338. (Note de Marx.)
[35] Op. cit., p. 334.
[36] Cf. Engels, in Almanacco republicano, dŽcembre 1873. Engels avait envoyŽ cet article ˆ Bignami ds novembre 1872, mais celui-ci ayant ŽtŽ arrtŽ, l'article fut sans doute confisquŽ, et Engels dut rŽŽcrire son article.
[37] En distinguant entre l'autoritŽ d'une volontŽ qui impose une dŽcision ˆ une autre, ce qui est inŽvitable ds lors que l'on vit en sociŽtŽ et que l'on collabore ˆ une mme Ïuvre, et l'autoritŽ qui entra”ne subordination et assujettissement, c'est-ˆ-dire structure sociale (politique) de contrainte, Engels distingue entre les sociŽtŽs de l'exploitation de l'homme par l'homme et celles o cette exploitation a cessŽ.
[38] Dans les Fondements de la critique de l'Žconomie politique, t. I, pp. 93-102, Marx dŽmontre que l'individu perd de plus en plus son autonomie et son indŽpendance, tandis que les liens sociaux et l'organisation Žconomique et sociale s'imbriquent et s'intgrent ˆ mesure que les forces productives et l'humanitŽ s'accroissent et se multiplient. Il explique, en outre, que les rapports sociaux Žtant aliŽnŽs et extŽrieurs ˆ l'homme, c'est-ˆ-dire rŽifiŽs, face ˆ la masse humaine vidŽe de ses rŽalisations dans la sociŽtŽ capitaliste, il peut sembler que les individus forment une entitŽ ˆ part : Ç La dŽpendance mutuelle et universelle des individus, alors qu 'ils restent indiffŽrents les uns aux autres ‑ telles est actuellement la caractŽristique de leurs liens sociaux. Ces liens sociaux s'expriment dans la valeur d'ŽchangeÉ È (pp. 93-94.)
[39] Paraphrase de l'inscription apposŽe ˆ la porte de l'Enfer de Dante (cf. La Divine ComŽdie : Ç L'Enfer È, chant III, vers 9) : Lasciate ogni speranza, voi ch'entrate !
[40] Cf. Engels, Der Volksstaat, 10 janvier 1872, Cet article dÕEngels rŽpond ˆ la Circulaire de toutes les fŽdŽrations de l'Association internationale des travailleurs adoptŽe par le Congrs de Sonvilier (novembre 1871) de la fŽdŽration jurassienne et dirigŽe contre les rŽsolutions de la ConfŽrence de Londres (septembre 1871).
[41] Cf. Marx, Der Volksstaat, 8 mai 1872.
Le 27 septembre 1871, la section no 12 amŽricaine, sans en informer le conseil central de New York, s'adressa au Conseil gŽnŽral, afin de lui demander d'tre reconnue comme la section dirigeante des ƒtats-Unis. En mme temps, elle comme a ˆ mener une campagne de presse contre les sections de l'Association qui avaient un caractre prolŽtarien.
Dans sa rŽsolution du 5 novembre 1871, le Conseil gŽnŽral confirma les pouvoirs du comitŽ central new-yorkais.
Ë la ConfŽrence de Londres de septembre 1871, les dŽbats avaient dŽjˆ portŽ sur une menace de scission au sein des sections amŽricaines, et Marx l'expliquait par une opposition existant au sein mme de la classe ouvrire des ƒtats-Unis, la classe ouvrire de vieille souche Žtant privilŽgiŽe par rapport aux ouvriers nouvellement immigrŽs
Ç Marx prend la parole sur l'AmŽrique et fait l'historique de l'Association en AmŽrique. Il mentionne une adresse envoyŽe par le secrŽtaire du comitŽ central de New York. Le Conseil gŽnŽral a une grande influence en AmŽrique. Il y a deux correspondants. On leur a donnŽ des mandats. Il y a dissension entre le comitŽ central et les groupes. Le Conseil a cherchŽ ˆ amener une conciliation, sans vouloir rompre avec nos mandataires. Ils ont de l'influence. Ë La Nouvelle-OrlŽans, une nouvelle section a reconnu le comitŽ de New-York. San Francisco demande ˆ n'tre en relation directe qu'avec le Conseil gŽnŽral...
Ç Eccarius seconde Marx : en AmŽrique l'ŽlŽment Žtranger est forcŽ de travailler ˆ meilleur marchŽ que l'ŽlŽment de souche. Les deux sections amŽricaines qui se sont rŽunies (no 9 et 12) n'ont pas d'influence sur les travailleurs. Il est impossible de leur donner la direction centrale de l'AmŽrique. È (SŽance du 22-9-1871.)
Les sections 9 et 12 qui avaient fusionnŽ en juillet 1871 Žtaient dirigŽes par Victoria Woodhull et Tennessee Claflin qui dŽfendaient surtout les droits des femmes et ne recherchaient que des rŽformes bourgeoises. Le Conseil gŽnŽral soutint, en revanche, le comitŽ fŽdŽral provisoire de New York qui, sous la direction de Sorge, Bolte, etc., s'Žtait constituŽ face au second comitŽ dirigŽ par la section no 2 en dŽcembre 1871. Il exclut ce dernier en mars 1872, jusqu'ˆ dŽcision dŽfinitive du Congrs. Seul Žtait donc reconnu le comitŽ fŽdŽral provisoire de New York qui fut Žlu, en gros, par le congrs de juillet 1872 de la fŽdŽration nord-amŽricaine.
[42] Allusion ˆ un groupe d'Žtudiants serbes et bulgares de Zurich, influencŽs par l'anarchisme (cf. sŽance du Conseil gŽnŽral, 17-10-1871). Ce groupe s'affilia en juin-juillet 1872 ˆ la fŽdŽration jurassienne. Il se dŽsagrŽgea un an plus tard.
[43] Engels a rŽdigŽ ce rapport fin aožt ˆ l'instigation du Conseil gŽnŽral. Aprs qu'il eut ŽtŽ approuvŽ par le Conseil gŽnŽral, il fut soumis le 5 septembre ˆ la commission spŽciale du Congrs de La Haye qui eut ˆ examiner l'activitŽ de lÕAlliance.
Engels avait joint ˆ ce rapport tous les documents mentionnŽs par lui.
[44] Marx et Engels avaient contribuŽ ˆ dŽnoncer les activitŽs des alliancistes, tant au Conseil gŽnŽral qu'en Espagne mme. Engels, en tant que secrŽtaire correspondant pour l'Espagne, dŽnona ces agissements dans une circulaire : Ç Ë toutes les sections espagnoles de l'Association internationale des travailleurs È, publiŽe dans La Emancipacion, n¡ 62, du 7 aožt 1872. Dans le numŽro suivant de ce journal, il reconnut, au nom du Conseil gŽnŽral, la nouvelle fŽdŽration de Madrid, en la fŽlicitant de ce que Ç ses fondateurs Žtaient ceux-lˆ mmes qui, les premiers en Espagne, ont eu le courage de se sŽparer de cette sociŽtŽ secrte appelŽe Alliance de la dŽmocratie socialiste, de dŽnoncer ses intrigues et d'y faire obstacle È.
[45] Dans le texte manuscrit, le passage suivant est barrŽ : Ç Ce qui Žtait au temps o il acquit les premires preuves irrŽcusables de l'existence de l'organisation secrte. È
[46] Engels fait allusion aux lettres du Conseil gŽnŽral de Londres : Ç Ë toutes les sections espagnoles de l'Association internationale des travailleurs È, publiŽe le 17-8-1872 dans La Emancipacion, et Ç Ë la nouvelle fŽdŽration de Madrid È, ibid., 24-8-1872.
[47] Dans le texte manuscrit, le passage suivant est barrŽ : Ç [...] chercha ˆ gagner du temps d abord, prŽtendant [É] È.
[48] Dans le texte manuscrit, le passage suivant est barrŽ : Ç Et quelle confiance peut-on accorder ˆ une telle affirmation, aprs l'expŽrience faite en 1869 ? Elle ne serait confirmŽe par aucune preuve. Au contraire, les faits montrent plut™t que l'organisation subsiste toujours. È
[49] Dans le texte manuscrit, le passage suivant est ajoutŽ de la main d'Engels en allemand : Ç Ensuite la lettre de Bakounine, et les statuts, si nŽcessaire. È
[50] Cf. le protocole de sŽance du Conseil gŽnŽral du 11-6-1872, Werke, 18, pp. 684-685.
Dans la sŽance du 28 aožt 1872 du sous-comitŽ du Conseil gŽnŽral, on relve : Ç Marx [pour assurer l'unitŽ du Conseil gŽnŽral] fait la proposition qu'aucun membre du Conseil gŽnŽral n'ait le droit d'accuser un autre au Congrs international des travailleurs, jusqu'ˆ la discussion sur l'Žlection des membres du [nouveau] Conseil gŽnŽral. AcceptŽ ˆ l'unanimitŽ. È (Cf. Documents of the First International, V, p. 319.)
L'acte le plus important du Congrs de La Haye fut la ratification de lÕarticle 7 a ŽlaborŽ par Marx-Engels et adoptŽ par la confŽrence de septembre 1871 tenue ˆ Londres. La modification ou plut™t la prŽcision apportŽe par cet article aux statuts primitifs porte sur la nŽcessitŽ du parti politique de classe, ainsi que sur la conqute du pouvoir politique.
Cette question fait la liaison entre la ConfŽrence de Londres et le Congrs de La Haye, dont elle domina tous les dŽbats, comme en tŽmoigne le compte rendu des sŽances (6 septembre) o s'opposent alliancistes et Ç marxistes È . Ainsi, au nom des premiers, Guillaume y affirmait que les manifestes du Conseil gŽnŽral ne reprŽsentaient que Ç les points de vue particuliers du parti social-dŽmocrate allemand, mais non pas ceux d'autres pays È, et que ceux qui veulent la conqute du pouvoir politique de l'ƒtat veulent Ç devenir des bourgeois ˆ leur tour È Ç Nous refusons la prise du pouvoir politique de l'ƒtat, nous exigeons, au contraire, la destruction totale de l'ƒtat en tant qu'expression du pouvoir politique. È Ë quoi Longuet, dŽfendant le point de vue du Conseil gŽnŽral, rŽpondit : Ç La Commune est tombŽe, faute d'organisation, d'organisation politique. Que deviendrait le collectivisme de Guillaume sans une certaine organisation des forces ? Pour la lutte Žconomique, les travailleurs doivent s'organiser en un parti politique, sinon il ne restera plus rien de l'Internationale, et Guillaume, dont le ma”tre est Bakounine, ne peut appartenir ˆ l'A. I. T. s'il a de telles conceptions. È (Ibid., pp. 360-361.)
[51] Ë ce propos, Marx Žcrivit (en franais) ˆ De Paepe le 29 mai 1872 : Ç J'ai lu le compte rendu sur le congrs belge dans L'Internationale. Comment se fait-il que, parmi les dŽlŽguŽs, les Flamands font dŽfaut ? GŽnŽralement parlant, d'aprs les renseignements reus ici par les Franais de la part de leurs compatriotes, il ne para”t pas que l'Internationale ait fait beaucoup de chemin en Belgique depuis les ŽvŽnements de la Commune. Pour ma part, je serais prt ˆ accepter (avec des modifications de dŽtail) le plan de Hins (sur la suppression du Conseil gŽnŽral), non parce que je le crois bon, mais parce qu'il vaut toujours mieux faire certaines expŽriences que se bercer d'illusions.
Ç C'est trs caractŽristique de la tactique de l'Alliance : en Espagne, o elle est fortement organisŽe, quoiqu'elle ait perdu l'appui du conseil fŽdŽral espagnol, elle a attaquŽ au conseil de Barcelone tout ŽlŽment d'organisation, conseil fŽdŽral, etc., aussi bien que Conseil gŽnŽral. En Belgique, o il faut compter avec les ÔprŽjugesÕ, on a proposŽ la suppression du Conseil gŽnŽral tout en transfŽrant aux conseils fŽdŽraux ses attributions (qu'on combattait ˆ Barcelone et en les exagŽrant mme).
Ç J'attends avec impatience le prochain congrs. Ce sera le terme de mon esclavage. Aprs cela, je redeviendrai homme libre ; je n'accepterai plus de fonction administrative, soit pour le Conseil gŽnŽral, soit pour le conseil fŽdŽral anglais. È (Cf. L'ActualitŽ de lÕhistoire, n¡ 25 Paris, 1958, p. 13.)
Dans sa lettre ˆ Liebknecht du 27 aožt 1872, Engels prŽcise les raisons pour lesquelles il estime qu'il a mieux ˆ faire que d'tre ˆ la tte de l'Internationale, Žtant donnŽ que le travail thŽorique est prioritaire, ce qui n'est pas une attitude de circonstance, mais bien une position fondamentale du marxisme, pour lequel la thŽorie, les principes ont la primautŽ sur l'organisation et l'action, lorsque le choix se pose en ces termes. Certes, Marx-Engels resteront encore quelque temps ˆ la direction de l'International, afin de la prŽserver des mains adverses et dÕorganiser le repli pour sauver tout ce qui peut l'tre pour la prochaine Internationale : Ç Les Belges ont prŽparŽ une rŽvision des statuts. Hins a dŽposŽ un projet tendant ˆ l'abolition du Conseil gŽnŽral. En ce qui me concerne, cela m'irait parfaitement. Dans l'Žtat de choses actuel, Marx et moi nous n'y retournerons certainement pas. C'est ˆ peine s'il nous reste maintenant du temps pour travailler, et cela doit cesser. È
[52] Cf. sŽance du 3 septembre 1872 du Congrs de La Haye (cf. La Ire Internationale, recueil de documents, I. U. E. I., t. II, p. 336 ; et Werke, 18, p. 685).
Marx dŽfendit Maltman Barry, membre de la fŽdŽration britannique, dont les dŽlŽguŽs rŽformistes anglais avaient contestŽ la rŽgularitŽ du mandat parce que Barry, disaient-ils, n'Žtait pas le chef reconnu des ouvriers anglais. Ce diffŽrend reflte lÕopposition entre la direction anglaise des syndicats d'aristocrates ouvriers et les reprŽsentants ouvriers anglais qui tendaient ˆ rendre le mouvement indŽpendant des influences bourgeoises.
Le Congrs de La Haye adopta la dŽcision suivante ˆ propos des syndicats :
Ç III. RŽsolutions relatives aux rapports internationaux des sociŽtŽs de rŽsistance
Ç Le nouveau Conseil gŽnŽral est chargŽ de la mission spŽciale de constituer les unions internationales de mŽtiers. Dans ce but, il doit, dans le courant du mois qui suivra ce congrs, rŽdiger une circulaire qu'il fera traduire et imprimer dans toutes les langues, et qu'il enverra ˆ toutes les sociŽtŽs ouvrires, affiliŽes ou non ˆ l'Internationale, dont il aura les adresses. Dans cette circulaire, il invitera chaque sociŽtŽ ouvrire ˆ faire l'union internationale de son mŽtier respectif.
Ç Chaque sociŽtŽ ouvrire sera invitŽe ˆ fixer elle-mme ses conditions pour faire partie de l'union internationale de son mŽtier.
Ç Le Conseil gŽnŽral est chargŽ de rŽunir les conditions fixŽes par les sociŽtŽs qui auraient acceptŽ l'idŽe de l'union internationale, et de rŽdiger un projet gŽnŽral qui sera soumis ˆ l'acceptation provisoire de toutes les sociŽtŽs qui voudront faire partie des unions internationales de mŽtiers. Le prochain congrs consacrera le pacte dŽfinitif des unions internationales. È (Ibid., p. 375.)
Dans sa lettre ˆ Paul Lafargue du 21 mars 1872, Marx avait notŽ l'importance du Conseil gŽnŽral dans le mouvement syndical : Ç Le seul syndicat vŽritablement international en Europe est celui des cigariers. Mais celui-ci reste tout ˆ fait extŽrieur au mouvement prolŽtarien et fait appel au Conseil gŽnŽral uniquement pour ses intŽrts professionnels. È
[53] Cf. sŽance du 3 septembre 1872, ibid.
Marx rŽpte une fois de plus qu'il n'est pas opposŽ par principe aux organisations secrtes. D'ailleurs, il ressort de toute la conception marxiste du parti que le caractre public et lŽgal du mouvement ne constitue pas une rgle prŽjudicielle ˆ l'organisation. En l'occurrence, Marx rŽpond au dŽlŽguŽ belge BrismŽe qui s'opposait ˆ la formation de branches particulires d'ŽmigrŽs franais, notamment ˆ Bruxelles, branches ne faisant pas partie de la fŽdŽration locale. Ë la ConfŽrence de Londres, cette question avait ŽtŽ dŽjˆ rŽglŽe (cf. les rŽsolutions X et XI relatives ˆ la France et aux pays o l'organisation rŽgulire de l'Internationale est entravŽe par les gouvernements).
Du point de vue des principes, rien ne s'oppose ˆ ce que de nos jours, les partis prolŽtariens se constituent, d'une part, en formation publique, d autre part, en formation paramilitaire secrte pour dŽfendre le prolŽtariat contre les agressions lŽgales et illŽgales des organisations adverses, et pour se prŽparer concrtement ˆ la conqute du pouvoir.
[54] Cf. sŽance du 4 septembre 1872, ibid., p. 342.
Le lecteur se reportera utilement au compte rendu (en allemand et en anglais) des dŽbats du Congrs de La Haye : The First International, Minutes of the Hague Congress of 1872 with related documents, Edited and translated by Hans Gerth, The University of Wisconsin Press, Madison, 1958.
Les Žditions du Progrs de Moscou viennent de publier sur le mme congrs les procs-verbaux de Le Moussu suivis de textes en annexe : Le Congrs de La Haye de la Ire Internationale, 2-7 septembre 1872, procs-verbaux et documents, 1972.
[55] Sorge, l'ancien membre de la Ligue des communistes et correspondant de Marx-Engels, intervint ensuite pour prŽciser certains points de la position ˆ adopter aux ƒtats-Unis Žtant donnŽ la situation sociale de ce pays : Ç On a besoin des Irlandais en AmŽrique, mais on ne peut pas les gagner avant d'avoir compltement rompu avec la section 2 et les free lovers [partisans de l'amour libre].
En AmŽrique, la classe ouvrire se compose d'abord d'Irlandais, puis d'Allemands, ensuite de ngres, les AmŽricains ne viennent qu'en quatrime lieu : jouez franc jeu, laissez-nous le champ libre pour que nous puissions faire quelque chose de bien de l'Internationale en AmŽrique ! (Ibid., p. 344.)
Ë propos de F. A. Sorge, cf. Correspondance Engels-Marx et divers, publiŽe par F. A. Sorge, Žd. Costes, et notamment la prŽface de Bracke (A. M. Desrousseaux), vol. I, pp. 5-16.
Sorge, assurant la direction du Conseil gŽnŽral aprs son transfert ˆ New York, resta en correspondance Žtroite avec Marx-Engels. On peut se reporter ˆ la Correspondance mentionnŽe ci-dessus pour toutes les interventions de Marx-Engels auprs du Conseil gŽnŽral new-yorkais par le truchement de Sorge et Bolte.
[56] Cf. sŽance du 6 septembre 1872, ibid., p. 354.
[57] Avant lÕintervention de Marx, Lafargue avait expliquŽ : Ç Dans les pays o l'A.I.T. est interdite, les sections sont souvent formŽe d'espions et d'agents au service de la police. È
[58] Dans sa lettre ˆ Lafargue du 21 mars 1872, Marx affirmait Ç Le zle bržlant des agents provocateurs se manifeste dans la crŽation de sections, dont le radicalisme est sans pareil. È
Le Conseil gŽnŽral s'efforait de dŽmasquer les agents et mouchards, et de les dŽnoncer publiquement, comme en tŽmoigne la rŽsolution suivante :
Attendu que le Conseil gŽnŽral possde la preuve irrŽfutable que Gustave Durand de Paris ‑ ouvrier orfvre, ex-dŽlŽguŽ des ouvriers orfvres au comitŽ de la Chambre fŽdŽrale des sociŽtŽs ouvrires de Paris, ex-chef de bataillon de la Garde nationale, ex-caissier-chef du ministre des Finances sous la Commune, actuellement rŽfugiŽ ˆ Londres ‑ s'est mis au service de la police franaise pour moucharder le Conseil gŽnŽral de l'Association internationale des travailleurs, de mme qu'il a servi et sert encore d'indicateur de police contre les anciens Communards rŽfugiŽs ˆ Londres, et quÕil a touchŽ la somme de 725 francs pour ses basses besognes ;
Gustave Durand est stigmatisŽ comme tra”tre et exclu de l'Association internationale des travailleurs.
Toutes les sections de l'Association internationale des travailleurs doivent tre informŽes de cette dŽcision.
Londres, le 9 octobre 1871.
Au nom du Conseil gŽnŽral :
Karl Marx
secrŽtaire pour l'Allemagne
[59] Le congrs prit les rŽsolutions suivantes en ce qui concerne les pouvoirs du Conseil gŽnŽral : È Les articles 2 et 6 ont ŽtŽ remplacŽs par les articles suivants :
Ç Art. 2. Le Conseil gŽnŽral est tenu d'exŽcuter les rŽsolutions des congrs et de veiller dans chaque pays ˆ la stricte observation des principes, des statuts et rglements gŽnŽraux de l'Internationale.
Art. 6. Le Conseil gŽnŽral a Žgalement le droit de suspendre des branches sections, conseils ou comitŽs fŽdŽraux et fŽdŽrations de l'Internationale, jusqu'au prochain congrs.
Ç Cependant, vis-ˆ-vis des sections appartenant ˆ une fŽdŽration, il n'exercera ce droit qu'aprs avoir consultŽ prŽalablement le conseil fŽdŽral respectif.
Ç Dans le cas de dissolution d'un conseil fŽdŽral, le Conseil gŽnŽral devra demander en mme temps aux sections de la fŽdŽration d'Žlire un nouveau conseil fŽdŽral dans les trente jours au plus.
Ç Dans le cas de suspension de toute une fŽdŽration, le Conseil gŽnŽral devra immŽdiatement en aviser toutes les fŽdŽrations. Si la majoritŽ des fŽdŽrations le demande, le Conseil gŽnŽral devra convoquer une confŽrence extraordinaire composŽe d'un dŽlŽguŽ par nationalitŽ, qui se rŽunira un mois aprs, et qui statuera dŽfinitivement sur le diffŽrend. NŽanmoins, il est bien entendu que les pays o l'Internationale est prohibŽe exerceront les mmes droits que les fŽdŽrations rŽgulires. È (Cf. Ire Internationale, recueil de documents, t. II, p 374.) Suivent, article par article, les votes pour, contre, et les abstentions, ainsi que les noms de ceux qui se sont prononcŽs ˆ chaque fois, ce qui dŽnote la division et la fracture du congrs.
Dans le passage suivant, extrait de l'article d'Engels intitulŽ Ç Les Mandats impŽratifs au Congrs de La Haye È, La Emancipacion, 13-10-1872, Engels relve une contradiction du mŽcanisme dŽmocratique celui des votes liŽs aux mandats impŽratifs, qui se rŽpand ˆ la suite de la trahison des Žlecteurs par leurs dŽlŽguŽs. Ce mŽcanisme exprime directement la fraction au sein du parti :
Ç Des dŽputŽs ont si souvent trahi la confiance de leurs Žlecteurs ces derniers temps au Parlement que les vieux mandats impŽratifs du Moyen åge, abolis par la rŽvolution de 1789, reviennent ˆ la mode. Nous ne voulons pas engager ici une discussion de principe sur ces mandats. Nous nous contenterons purement et simplement de faire remarquer que si tous les organismes Žlectoraux donnaient ˆ leurs dŽlŽguŽs des mandats impŽratifs sur tous les points de l'ordre du jour, l'assemblŽe des dŽlŽguŽs et leurs dŽbats deviendraient superflus. Il suffirait d'envoyer les mandats ˆ un quelconque bureau central qui soumettrait le tout au dŽcompte des voix et proclamerait le rŽsultat du vote. Cela reviendrait beaucoup moins cher.
Ç Ce qui nous semble important, c'est le processus par lequel les mandats impŽratifs ont jouŽ un r™le exceptionnel au Congrs de La Haye par les entraves qu'ils ont fait subir mme ˆ leurs dŽtenteurs... È (Cf. sŽance du 6-9-1872, ibid., pp. 355-356.)
[60] Les dŽbats et les rŽsultats de cette proposition furent les suivants : Ç Serraillier demande que la motion d'Engels et de Marx soit divisŽe en trois questions : Premirement : le Conseil doit-il tre transfŽrŽ ? Deuximement : o ? Troisimement : Žlection de ses membres.
Ç Vilmot dŽsire voir la motion divisŽe seulement en deux parties, mais la motion Serraillier est adoptŽe.
Ç La premire question ‑ le sige du Conseil gŽnŽral doit-il tre transfŽrŽ ? ‑ est tranchŽe par lÕaffirmative avec 26 voix contre 23. Le vote sur la question de savoir o transfŽrer le Conseil donne 31 voix pour New York, 14 pour Londres, 1 pour Barcelone et 11 abstentions...
Ç La proposition initiale d'Žlire Kavanagh, Saint-Clair, Cetti, Laurrell, Levile, Bertrand, Bolte et Carl au Conseil gŽnŽral, avec mission de porter le nombre des membres du Conseil ˆ quinze est adoptŽe par 19 voix contre 4 et 19 abstentions. La validitŽ de ce vote est violemment contestŽe, parce que cette motion n'a pas rŽuni la majoritŽ des votants ; des motions de tous ordres sont dŽposŽes (Dupont et Serraillier demandent l'insertion du nom de Pillon) jusqu'ˆ ce que Marx suggre une nouvelle dŽlibŽration sur le dernier vote. La proposition est acceptŽe. Selon une suggestion de Lafargue, le congrs dŽcide alors dŽlire douze membres du nouveau Conseil gŽnŽral, qui pourront porter leur nombre ˆ quinze, et de suspendre la sŽance pendant quinze minutes pour passer ensuite au vote...
Ç Par le vote qui intervient alors sont Žlus au Conseil gŽnŽral pour l'annŽe 1872-1873, avec les pleins pouvoirs pour porter leur nombre ˆ quinze : S. Kavanagh, E. P. Saint-Clair, Fornaccieri Laurrell, Levile, David, Dereure, Carl, Bolte, Bertrand, Ward et Speyer. È (Ibid., pp. 357, 361-362.)
[61] Cf. la sŽance du 7 septembre 1872, ibid., pp. 366-367.
[62] Plus tard, Marx apportera une prŽcision intŽressante sur ce point. Au Congrs de La Haye, il n'a pas demandŽ l'expulsion de Guillaume et Schwitzguebel. C'est la commission d enqute qui l'a demandŽe. Ç Ce que j'ai demandŽ au congrs, c'est l'exclusion de l'Alliance et la dŽsignation d'une commission d'enqute ˆ cet effet. È (Volksstaat, 26-10-1872.)
[63] Nous reproduisons ci-dessus les mandats et instructions pour Marx-Engels relatifs aux charges qu'ils eurent ˆ remplir aprs le transfert du Conseil gŽnŽral ˆ New York. Cf. Werke, 18, pp. 689-691.
[64] Cf. Marx ˆ Friedrich Bolte, 12 fŽvrier 1873.
Ce texte montre la dŽcomposition de l'Internationale qui ne date pas du Congrs de La Haye, mais ‑ comme Marx-Engels le rŽpŽteront ˆ plusieurs reprises ‑ de la dŽfaite physique de la Commune. L'acte de dissolution de l'Internationale ne sera donc pas une mesure dŽlibŽrŽe. Ce qui importe bien plut™t que l'analyse de dŽcisions formelles, c'est la politique choisie par Marx pour organiser la retraite et sauver d'abord les principes et l'honneur de l'Internationale, afin de resurgir avec lÕacquis historique lorsque les conditions matŽrielles redeviendront favorables.
[65] Ce serait sans doute forcer la pensŽe de Marx que de conclure qu'en dehors du parti tout individu devient impuissant et est condamnŽ ˆ faire et dire des btises. Le parti n'est pas une chose en soi, ni une garantie rŽvolutionnaire absolue. LÕexpŽrience historique a, hŽlas, trop souvent montrŽ qu'il Žtait capable de dŽgŽnŽrer lui aussi.
Le stalinisme a une conception hŽgŽlienne, absolue, avec son monolithisme du parti. Cette idŽe du parti qui a toujours raison lui a permis d'entra”ner avec lui la masse des militants dans tous ses tournants et reniements.
Il est curieux, au reste, de constater que la conception monolithique du parti permet aujourd'hui aux soi-disant communistes franais d'envisager de partager le pouvoir avec un soi-disant parti ouvrier socialiste, car cela implique qu'il puisse y avoir plusieurs partis de la classe ouvrire, ce qui est une absurditŽ aux yeux du marxisme, puisque le parti constitue le prolŽtariat en classe, parti et classe n'Žtant pas au pluriel.
[66] Le Conseil gŽnŽral de New York avait pris la rŽsolution, le 5 janvier 1873, de suspendre la fŽdŽration jurassienne jusqu'au prochain congrs gŽnŽral de l'Internationale.
[67] Ë l'initiative de la fŽdŽration jurassienne, les anarchistes et rŽformistes qui avaient rejetŽ les rŽsolutions de La Haye rŽunirent un congrs ˆ Genve du 1er au 6 septembre 1873. Le Conseil gŽnŽral de New York lui appliquera ˆ lÕavance le conseil de Marx, en dŽclarant dans sa rŽsolution du 30 mai 1873 qu'ils Ç se sont placŽs eux-mmes en dehors de l'Association internationale des travailleurs et ont cessŽ d'en tre membres È.
[68] La juste et ferme politique du prolŽtariat contribue ainsi ˆ clarifier le jeu des forces politiques, non seulement au sein du prolŽtariat, mais encore de la sociŽtŽ entire. Elle prŽpare ainsi un alignement net et clair des forces sociales pour l'heure dŽcisive de l'affrontement, seuls les ŽlŽments modŽrŽs et hybrides tirant leur force de la confusion et des manÏuvres obscures.
En 1885 encore, Engels dŽfendra cette conception dans sa lutte contre les ŽlŽments petits-bourgeois qui s'Žtaient infiltrŽs dans le parti social-dŽmocrate allemand : Ç Ds que nous aurons les coudŽes franches [aprs l'abrogation de la loi contre les socialistes], il y aura sans doute la scission, et c'est alors qu'elle sera utile. Dans un pays comme l'Allemagne o la petite bourgeoisie a plus qu'un droit historique de subsister, la crŽation d'une fraction socialiste petite-bourgeoise est inŽvitable. Elle est mme utile sit™t qu'elle s'est constituŽe indŽpendamment du parti prolŽtarien. È (Engels ˆ Sorge, 3 juin 1885.)
[69] La coupure qui s'est finalement opŽrŽe lors de la dissolution de la Ire Internationale se retrouvera lors de la reconstitution de la IIe Internationale, avec les marxistes, d'une part, les anarchistes et les possibilistes, d'autre part. En dŽfendant donc une politique de clartŽ et de dŽlimitation vis-ˆ-vis des anarchistes et des rŽformistes ds les batailles au sein de la Ire Internationale, Marx-Engels ont tendu un fil par-delˆ la pŽriode contre-rŽvolutionnaire entre les deux Internationales, en sauvant non seulement le patrimoine thŽorique du socialisme moderne, mais en fournissant un diagnostic rigoureux sur la gangrne opportuniste qui ronge le mouvement ouvrier tout autant que la sociŽtŽ moderne tout entire. Le diagnostic de la maladie est donnŽ en mme temps que ses remdes, permettant au vŽritable et seul mouvement de classe d'Žviter les formes insidieuses qui, ˆ leur dŽbut, peuvent para”tre bŽnignes.
[70] Cf. Marx ˆ F. A. Sorge, 27 septembre 1873.
Le VIe Congrs de l'Internationale avait ŽtŽ fixŽ ˆ Genve et se tint du 8 au 13 septembre 1873. Sur 41 dŽlŽguŽs 39 Žtaient suisses, rŽunis sous la prŽsidence de J. P. Becker. On y lut le bref rapport rŽdigŽ pour le Conseil gŽnŽral par Engels sur la situation de l'Internationale dans les diffŽrents pays : cf. Werke, 18, p : 694-695. Le congrs discuta des statuts, confirma les pouvoirs du Conseil gŽnŽral et les dŽcisions du Congrs de La Haye sur le transfert du Conseil gŽnŽral ˆ New York, ainsi que la nŽcessitŽ de l'action politique, et prit des mesures complŽmentaires pour la formation dÕune union internationale des syndicats. Ce fut, pratiquement, le dernier congrs de l'A.I.T.
[71] Cf. Engels ˆ Marx, 21 septembre 1874.
Tous les ŽvŽnements ‑ et mme la mort ‑ qui obŽissent ˆ une nŽcessitŽ de la nature portent en eux leur consolation, si terribles soient-ils, aimait ˆ rŽpŽter Engels. Et il en est Žgalement ainsi du parti, lorsqu'il dispara”t (pour un temps).
[72] Cf. Marx ˆ Gustav Kwasniewski 29 septembre 1871.
Cet extrait Žvoque l'un des innombrables Žpisodes de la lutte de Marx-Engels contre les limitations nationales de la lutte du prolŽtariat. La passivitŽ des directions rejoint dans ses effets la politique anti-ouvrire des gouvernements qui se manifeste dans les lois interdisant l'activitŽ normale du prolŽtariat.
[73] Cf. Engels ˆ Wilhelm Liebknecht, 12 fŽvrier 1873.
La nouvelle pŽriode historique, malgrŽ une apparente rupture et un recul manifeste du mouvement ouvrier, n'en poursuit pas moins, ˆ partir des conditions politiques donnŽes, son cours, irrŽversible ˆ long terme. La maturation s'opŽrera ˆ partir des ŽvŽnements qui ont clos toute la pŽriode historique prŽcŽdente, avec la formation des nouveaux ƒtats et nations capitalistes en Europe centrale et mŽridionale, la phase de systŽmatisation nationale des ƒtats modernes Žtant enfin achevŽe en Europe occidentale. C'est ˆ partir de cette base nouvelle, plus vaste que la prŽcŽdente, que s'effectuera la remontŽe du mouvement ouvrier international.
La lettre ˆ Liebknecht se situe dans la perspective de la fusion entre eisenachŽens et lassallŽens. Comme on le voit, Marx-Engels Žtaient foncirement opposŽs aux lassallŽens, mais bon nombre de dirigeants eisenachŽens avaient conclu la paix avec eux.
Le 8 fŽvrier 1873, Liebknecht avait Žcrit ˆ Engels : Ç Mais le Volksstaat ne peut pour le moment se laisser entra”ner vraiment dans une polŽmique internationale... La rŽbellion lassallŽenne est donc terminŽe : tout est de nouveau rentrŽ dans l'ordre. È
De 1872 ˆ 1873, la question de savoir quelle position adopter vis-ˆ-vis des lassallŽens donna lieu ˆ de violentes polŽmiques au sein du parti eisenachŽen. Au Congrs de Mayence (septembre 1872), Geiser avait attaquŽ violemment la politique anti-lassallŽenne du Volksstaat et exigŽ la cessation immŽdiate de la polŽmique contre le Neuer Sozial-demokrat. Le congrs reconnut que l'organisation lassallŽenne Žtait Ç la seule alliŽe naturelle du parti socialiste ouvrier, et le congrs chargea donc le comitŽ de tenter une nouvelle fois de trouver une voie de collaboration principielle avec l'Association gŽnŽrale des ouvriers allemands È. La rŽdaction du Volksstaat reut l'ordre Ç d'arrter immŽdiatement toute polŽmique contre l'A. G. O. A. et ses dirigeants È.
Rien ne pouvait tre plus opposŽ ˆ la conception de Marx-Engels sur les rapports avec un soi-disant parti ouvrier. Les plus proches de leurs partisans reprirent donc la lutte aussit™t aprs le congrs, et ce fut le conflit ouvert entre le comitŽ de contr™le du parti et la rŽdaction du Volksstaat. Au printemps, les divergences furent si graves entre Hepner et le comitŽ de contr™le que Marx-Engels jugrent opportun d'intervenir ˆ leur tour.
[74] Cf. Engels ˆ Auguste Bebel, 20 juin 1873.
Cette lettre s'inscrit dans la sŽrie des ŽvŽnements qui conduisirent ˆ l'unification proprement dite du parti social-dŽmocrate allemand ‑ le plus important et, sans doute, le plus dŽcisif des partis de la IIe Internationale.
La fusion entre les eisenachŽens, proches de Marx-Engels, et les lassallŽens dŽtermina dans une trs forte mesure tout le cours ultŽrieur de la social-dŽmocratie allemande et, indirectement, tout le mouvement ouvrier. Ce n'est qu'aprs la guerre de 1914-1918 que nous aurons de vŽritables partis communistes.
La distinction Žtablie par Marx entre parti formel et parti historique (celui-ci Žtant reprŽsentŽ par Marx-Engels) subsistera donc encore largement, et les diffŽrentes polŽmiques entre la direction officielle de la social-dŽmocratie allemande et Marx-Engels le dŽmontrent.
Depuis 1871, le comitŽ exŽcutif du parti d'Eisenach se trouvait ˆ Hambourg. Geib et Yorck y disposaient d'une influence croissante, et Yorck fit de tels compromis avec les lassallŽens que Hepner s'insurgea. Il Žcrivit ˆ Engels, le 11 avril 1873 : Ç Yorck est d'un lassallŽanisme si bornŽ qu'il hait tout ce qui ne ressemble pas au Neuer Sozial-demokrat... Liebknecht, par Ç sa tolŽrance bienveillante È ‑, qui le plus souvent n'est pas ˆ sa place ‑, n'est pas le moins responsable du fait que Yorck Žmerge ˆ ce point. Or, lorsque j'en parle ˆ Liebknecht, il prŽtend que je vois des fant™mes que la chose n'est pas si grave. Mais en rŽalitŽ, c'est comme je le dis. È
La menace lassallŽenne dans le parti devait s'aggraver du fait que les meilleurs ŽlŽments eisenachŽens Žtaient pourchassŽs par la police. En raison de son Ç activitŽ en faveur de l'Internationale È et de sa participation au Congrs de La Haye, Hepner fut condamnŽ ˆ un mois de prison, persŽcutŽ par la police, et dut s'installer ˆ Breslau, ˆ l'autre bout de l'Allemagne ; Liebknecht fut emprisonnŽ du 5 juin 1872 au 15 avril 1874, et Bebel du 8 juillet 1872 au 14 mai 1874.
Bebel s'effora de convaincre Marx-Engels que toute l'affaire avait ŽtŽ gonflŽe par des informations erronŽes, afin de les dissuader d'intervenir : Ç Il saute aux yeux que Hepner a fortement noirci le tableau de la situation de nos affaires de parti, et notamment l'influence et les intentions de Yorck. Cela ne m'Žtonne pas de la part de Hepner, qui est, certes, un camarade parfaitement fidle et brave, mais facilement obstinŽ... Il vous est impossible ˆ distance de juger vraiment de nos conditions, et Hepner manque tant de sens pratique... L'influence de York est insignifiante, il n'est rien moins que dangereux, de mme le lassallŽanisme n'est pas du tout rŽpandu dans le parti. S'il faut prendre des Žgards, c'est uniquement ˆ cause des nombreux ouvriers honntes, mais fourvoyŽs, qui, si l'on agit avec adresse, seront sžrement de notre c™tŽ... J'espre qu'aprs ces diffŽrends vous n'hŽsiterez pas ˆ poursuivre votre collaboration au Volksstaat. Rien ne serait pire que de vous retirer. È
Cette lettre permet de situer l'action de Marx-Engels face ˆ la social-dŽmocratie allemande. Mme leurs partisans les plus fidles ‑ Bebel, Liebknecht, etc. ‑, sur lesquels ils devaient agir pour exercer une influence sur le parti, n'avaient pas une conception aussi rigoureuse qu'eux, et c'est le moins qu on puisse dire. De plus, il Žtait difficile de leur donner des leons, Žtant donnŽ le niveau idŽologique gŽnŽral et leur attitude courageuse face aux tracasseries policires. Notons ˆ ce propos que la bourgeoisie allemande, avec ses lois, sa police et Bismarck, sut manÏuvrer d'une faon particulirement habile. De tous les textes dont nous disposons, il ressort ˆ l'Žvidence que toute la vie de la social-dŽmocratie allemande Žtait agitŽe par la lutte de classes : ˆ l'arrire-plan, on sent toujours la main de l'adversaire bourgeois.
[75] Ë cette occasion, Engels avait Žgalement envoyŽ une lettre ˆ Liebknecht. Mais celle-ci, comme tant d'autres, a ŽtŽ ŽgarŽe.
[76] Toutes les polŽmiques de parti ont, hŽlas, leurs implications personnelles qui ne font que les compliquer ˆ l'infini. Engels, on le voit, ne niait pas simplement l'existence de ces difficultŽs supplŽmentaires de la vie de parti. Au contraire, il s'efforait d'aller jusqu'au fond de toutes les choses ; ce faisant, il ne pouvait pas ne pas heurter, ˆ tort ou ˆ raison, des susceptibilitŽs. Le parti doit tre le plus antipersonnaliste possible.
[77] Engels fait allusion ˆ l'article Ç Nouvelles de l'Internationale È publiŽ le 2 aožt 1873 dans le Volksstaat.
C'est donc Engels lui-mme qui, face ˆ la dŽfaillance de la rŽdaction du Volksstaat et de la direction du parti eisenachŽen, poursuit la polŽmique en Allemagne contre les ŽlŽments anarchistes de l'Internationale, puisque, pour plaire aux lassallŽens, les eisenachŽens avaient interrompu cette lutte.
[78] Liebknecht avait Žcrit le 16 mai 1873 ˆ Marx : Ç Lassalle t'a pillŽ, mal compris et falsifiŽ ‑ c'est ˆ toi de le lui dŽmontrer : nul autre ne peut le faire aussi bien que toi, et personne ne saurait en prendre ombrage parmi les ŽlŽments honntes du lassallŽanisme (que nous devons mŽnager). C'est pourquoi, je t'en prie, Žcris vite les articles en question pour le Volksstaat, et ne te laisse pas arrter par d'autres considŽrations, par exemple le fait que Yorck en soit le rŽdacteur. È
De mme, Bebel Žcrivit ˆ Marx, le 19 mai 1873 : Ç Je partage entirement le souhait de Liebknecht, ˆ savoir que vous soumettiez les Žcrits de Lassalle ˆ une analyse critique. Celle-ci est absolument nŽcessaire. È Le mme jour, Bebel Žcrivait ˆ Engels : Ç Le culte de Lassalle recevrait un coup mortel si l'ami Marx rŽalisait le souhait de Liebknecht ‑ que je partage entirement ‑et mettait en Žvidence les erreurs et les lacunes des thŽories de Lassalle dans une sŽrie d'articles prŽsentŽs objectivement. È
[79] Cf. Engels ˆ August Bebel, 18-28 mars 1875.
Bebel avait Žcrit ˆ Engels : Ç Que pensez-vous ‑ vous et Marx ‑ du problme de la fusion ? Je n'ai pas de jugement complet et valable, car je ne suis absolument pas tenu au courant et je ne sais que ce qu'en disent les journaux. J'attends avec un vif intŽrt de voir et d'entendre comment les choses se prŽsenteront lorsque je serai libŽrŽ le 1er avril. È
La premire constatation qui s'impose ˆ propos de cette fusion, c'est qu'elle a ŽtŽ voulue et nŽgociŽe par les ŽlŽments les moins proches de Marx-Engels parmi les eisenachŽens. La question de savoir quelle fraction a nŽgociŽ ne peut tre que formelle, mais dans la pratique elle a son poids. En effet, si la volontŽ d'unitŽ est manifeste et publique dans la masse des adhŽrents des deux partis et dans la classe ouvrire en gŽnŽral, la manire de la rŽaliser dŽpend de toutes sortes d'autres facteurs qu'il s'agit de mettre clairement en Žvidence.
Dans les textes qui suivent, Marx-Engels ramnent toute la question ˆ celle des principes, en analysant le programme de lÕune et de l'autre organisation. C'est dire que le problme Žtait grave.
[80] Le Volksstaat et le Neuer Sozial-demokrat publirent simultanŽment, le 7 mars 1875, un appel ˆ tous les social-dŽmocrates d'Allemagne, ainsi qu'un projet de programme et des statuts communs ŽlaborŽs lors d'une prŽconfŽrence tenue les 14 et 15 fŽvrier 1875, entre eisenachŽens et lassallŽens.
[81] Le congrs gŽnŽral des ouvriers social-dŽmocrates allemands adopta son programme ˆ Eisenach les 7-9 aožt 1869, lors de la fondation du Parti ouvrier social-dŽmocrate. Bebel avec l'appui de W. Liebknecht, de W. Bracke, d'A. Geib avait ŽlaborŽ le projet de programme, en se fondant sur le prŽambule des statuts de l'A. I. T. Žcrit par Marx. MalgrŽ certains vestiges du lassallŽanisme et de la dŽmocratie vulgaire, le programme d'Eisenach se rattachait aux principes de la Ire Internationale. Le projet de Bebel fut approuvŽ par le congrs ˆ quelques modifications mineures prs.
[82] Engels ironise ici sur un mot lancŽ par des lassallŽens lors d'une polŽmique surgie ˆ la suite d'un manifeste de Liebknecht et Bebel en juin 1869 : Ç Nous verrons qui vaincra de la corruption ou de l'honntetŽ. È
[83] Cette tactique frontale s'oppose ˆ celle d'alliance ˆ employer dans les pays ou la bourgeoisie est encore progressive, c'est-ˆ-dire l'Europe occidentale avant l're de la systŽmatisation nationale bourgeoise en 1871 ou, plus tard, en Asie et dans les autres pays o la bourgeoisie est installŽe au pouvoir, c'est-ˆ-dire dans les pays disposant d'une Žconomie et de superstructures politiques et juridiques capitalistes.
Une consŽquence facile ˆ dŽduire de cette distinction, c'est, par exemple, quÕen Europe, depuis 1871, le parti ne soutient plus aucune guerre d'ƒtat. En Europe, depuis 1919, le parti n'aurait plus dž participer aux Žlections en s'appuyant sur des masses ou partis petits-bourgeois. En revanche, en Asie et dans les autres continents de couleur, aujourd'hui encore le parti appuie, dans la lutte, les mouvements rŽvolutionnaires dŽmocratiques et nationaux, et l'alliance du prolŽtariat avec d'autres classes, y compris la bourgeoisie elle-mme. La tactique n'est donc nullement dogmatique et rigide, mais se base sur les t‰ches ˆ accomplir dans les grandes aires historiques et gŽographiques qui s'Žtendent sur des moitiŽs de continents et des moitiŽs de sicles, sans quÕaucune direction de parti n'ait le droit de les proclamer changŽes d'une annŽe ˆ l'autre, du moins tant qu'elles ne sont pas rŽalisŽes. Cf. Dialogue avec les morts, pp. 114-115.
[84] Le Parti populaire allemand surgit au cours des annŽes 1863-1866, en opposition ˆ la politique d'hŽgŽmonie prussienne et au libŽralisme bourgeois ˆ la prussienne. Il s'implanta notamment en Allemagne du Centre et du Sud-Ouest ; il se proposait un ƒtat de type fŽdŽratif et dŽmocratique s'Žtendant ˆ toute l'Allemagne. Certains ŽlŽments Žtaient ouverts ˆ l'idŽe d'une rŽvolution populaire pour rŽaliser leurs buts. Ces ŽlŽments fondrent le Parti populaire saxon, composŽ essentiellement de travailleurs : sous 1 influence de Liebknecht et de Bebel, il Žvolua vers le socialisme et finit par adhŽrer en grande partie, en aožt 1869, au Parti ouvrier social-dŽmocrate d'Eisenach.
Des liaisons continurent de subsister aprs 1869 notamment avec le groupe de Leopold Sonnemann, le directeur de la Frankfurter Zeitung.
Engels explique l'Žvolution social-dŽmocrate du parti par les conditions d'immaturitŽ Žconomique et sociale, notamment en Saxe, dans sa lettre du 30 novembre 1881 ˆ Bernstein, o il annonce un type de parti nouveau, liŽ au dŽveloppement des conditions Žconomiques et sociales du capitalisme pur, cf. infra. Voir Žgalement infra la lettre d'Engels ˆ Gerson Trier sur les diffŽrences entre partis des pays capitalistes dŽveloppŽs et non dŽveloppŽs.
[85] Engels fait allusion aux points suivants du projet de programme :
1. Suffrage universel, Žgal, direct et secret de tous les hommes de 21 ans pour toutes les Žlections dans lÕƒtat et les communes ;
2. LŽgislation directe par le peuple, avec droit de rejet et de proposition des lois ;
3. Obligation militaire gŽnŽrale. Milice populaire ˆ la place de l'armŽe permanente. Droit de dŽcision par la reprŽsentation du peuple dans toutes les questions de guerre et de paix ;
4. Abolition de toutes les lois d'exception, notamment dans le domaine de la presse, de l'association et de la rŽunion ;
5. Juridiction par le peuple. Assistance juridique gratuite.
Le Parti ouvrier social-dŽmocrate rŽclame Ç comme base spirituelle et morale È de l'ƒtat :
1. ƒducation universelle et Žgale par l'ƒtat. Obligation scolaire gŽnŽrale. Enseignement gratuit.
2. LibertŽ de conscience et libertŽ de la science.
Il convient de bien dŽlimiter, ˆ l'instar d'Engels, les revendications prolŽtariennes, les seules valables dans les pays de plein capitalisme, des revendications dŽmocratiques-bourgeoises.
[86] Cf. Le Capital, I, ƒd. sociales, t. III, p. 58 et s.
[87] Ë la page 5 de son Arbeiterlesebuch, Lassalle cite Ç la loi d'airain qui, en Žconomie, rŽgit le salaire È, d'aprs sa brochure Lettre ouverte au comitŽ central pour la convocation du Congrs de Leipzig, 1863.
[88] Dans son ouvrage Der Lassalle'sche Vorschlag ‑ Ein Wort an den 4. Congres, der social-demokratischen Arbeiterpartei (1873), Wilhelm Bracke avait exigŽ que l'on remplace ce point du programme (aide de lÕƒtat aux coopŽratives de production avec garanties dŽmocratiques) par Ç des points ouvertement socialistes correspondant au mouvement de classe È, ˆ savoir Ç la nŽcessitŽ d'une vaste organisation syndicale È l'Ç Žlimination de la propriŽtŽ privŽe de ce que lÕon appelle aujourd'hui capital È et la Ç communautŽ internationale du prolŽtariat È.
[89] Pour la raison essentielle que cet ƒtat est capable de dŽpŽrir, contrairement ˆ tous les ƒtats des classes exploiteuses qu'il faut abattre par la force.
[90] Allusion ˆ la Misre de ta philosophie, publiŽe en 1847 (Paris-Bruxelles).
[91] En mars 1872, A. Bebel et W. Liebknecht avaient ŽtŽ condamnŽs ˆ deux ans de forteresse au cours du procs de Leipzig de haute trahison pour leur appartenance l'Association internationale des travailleurs et leurs convictions politiques. En avril 1872, au cours d'un nouveau procs pour insulte ˆ l'Empereur, Bebel fut condamnŽ ˆ neuf mois de prison supplŽmentaires et il fut dŽchu de son mandat parlementaire. Liebknecht fut donc libŽrŽ le 15 avril 1874, et Bebel le 1er avril 1875.
[92] Le 25 mars 1875, Bracke avait Žcrit ˆ Engels : Ç Le programme signŽ par Liebknecht et Geib pour le Ôcongrs de fusionÕ m'oblige ˆ vous Žcrire cette lettre. Il m'est impossible d'approuver ce programme, et Bebel est du mme avis. È Bracke en voulait surtout au passage sur l'introduction de coopŽratives de production gr‰ce ˆ l'aide de l'ƒtat, et de conclure : Ç Comme Bebel semble dŽcidŽ ˆ livrer bataille, le moins que je me sente obligŽ de faire, c'est de le soutenir de toutes mes forces. Mais je souhaiterais cependant savoir auparavant ce que vous ‑ vous et Marx ‑ pensez de cette affaire. Votre expŽrience est bien plus mžre et votre vision des choses bien meilleure que la mienne. È
[93] Cette lettre a ŽtŽ, semble-t-il, perdue. Hermann Ramm rŽpondit, le 24 mai 1875 : Ç Votre lettre, tout comme celle de Marx ˆ Bracke, a aussit™t fait la ronde, et vous verrez en lisant les tractations du congrs que, pour notre part, nous avons tentŽ de tenir compte de vos intentions ainsi que de celles de Marx ; il nous est plus facile de le faire au congrs ‑ dont Liebknecht Žcrit en ce moment que tout se passe remarquablement bien ‑qu'il y a deux mois... Il en va autrement en ce qui concerne notre attitude sur le plan tactique. Lˆ, il ne fait absolument aucun doute que si nous n'avions pas fait de concessions dŽcisives, les gens de Hasselmann eussent ŽtŽ dans l'impossibilitŽ de faire accepter l'idŽe de fusion ˆ leur sociŽtŽ ‑ au reste gr‰ce ˆ la sclŽrose des esprits qui est le fruit d'une demi-douzaine d'annŽes de propagande de ces gaillards. È
[94] Cette lettre semble avoir ŽtŽ perdue. Le 21 avril 1875, Liebknecht rŽpondit ˆ Engels : Ç Les lacunes du programme auxquelles tu fais allusion existent indubitablement, et d'emblŽe nous les connaissions fort bien nous-mmes. Mais elles Žtaient inŽvitables ˆ la confŽrence, si l'on ne voulait pas que les nŽgociations en vue de la fusion fussent rompues. Les lassallŽens avaient juste auparavant tenu une rŽunion de leur comitŽ directeur, et sont arrivŽs en Žtant liŽs par mandat impŽratif sur les quelques points les plus critiquables. Nous devions leur cŽder d'autant plus qu'il ne faisait pas le moindre doute pour aucun de nous (et mme de chez eux) que la fusion signifierait la mort du lassallŽanisme. È (Cet argument ‑ dŽcisif aux yeux de Liebknecht ‑ est manifestement faux, comme le montre d'ailleurs Engels dans la prŽsente lettre, lorsqu'il dit que la fusion referait une virginitŽ aux dirigeants lassallŽens compromis.)
[95] . Cf. Marx ˆ W. Bracke.
Les gloses marginales auxquelles Marx fait allusion forment ce que l'on appelle la critique du programme de Gotha (1875). Nous ne les reproduisons pas ici, mais le lecteur les trouvera dans l'une des Žditions suivantes : MARX-ENGELS, Programmes socialistes, Critique des projets de Goths et d'Erfurt, Programme du parti ouvrier franais (1880), Žd. Spartacus, pp. 15-39 ; Critique des programmes de Gotha et d'Erfurt, ƒd. sociales, pp 17-39 ; Karl Marx, Îuvres. ƒconomie I, La PlŽiade, pp 1413-1434.
[96] Comme on le sait, les critiques de Marx-Engels furent tenues secrtes par les dirigeants de la social-dŽmocratie allemande ‑ mme par ceux qui n'Žtaient pas d'accord avec le projet de fusion de la prŽcommission ‑, et ce non seulement pour ne pas Ç gner l'unification È, mais pour des raisons de divergences de vue avec le radicalisme de Marx-Engels.
Le nota bene de Marx dŽmontre combien il se mŽfiait de voir ses critiques non seulement passŽes sous silence, mais encore matŽriellement dŽtruites.
[97] Ce paragraphe a ŽtŽ largement exploitŽ par Bernstein et ses adeptes pour dŽmontrer qu'aux yeux de Marx un progrs immŽdiat Žtait prŽfŽrable ˆ un principe, bref qu'il faut sacrifier le socialisme (lointain) ˆ une conqute immŽdiate. En fait, c'est abuser des mots du texte.
Cette affirmation implique dans l'accord contre l'ennemi commun : 1. que le programme et les principes ne soient pas l'objet de l'accord, et ne soient donc pas sacrifiŽs ˆ cause de lui, autrement dit pas de concession des principes ˆ l'alliŽ ; 2 que l'alliŽ lutte vraiment contre l'ennemi commun, et ne soit pas dŽjˆ passŽ dans les rangs de l'ennemi (comme ce fut le cas, par exemple de la social-dŽmocratie au cours de la guerre impŽrialiste en 1914 en Allemagne, et plus encore, si l'on peut dire, aprs l'assassinat de Rosa Luxemburg et la rŽpression spartakiste faite sous le rgne de cette mme social-dŽmocratie).
[98] Cf. Engels ˆ Wilhelm Bracke, 11 octobre 1875.
Engels analyse maintenant les premiers effets de la fusion sur l'opinion en gŽnŽral et dans le domaine des rŽalisations.
[99] Un programme dont le sort le plus heureux est de rester ignorŽ justifie le jugement de Marx : Ç Tout pas en avant du mouvement rŽel vaut mieux qu'une douzaine de programmes. È
[100] Dans sa lettre du 7 juillet 1875, Bracke avait informŽ Engels que la direction de Hambourg ‑ composŽe en majoritŽ de lassallŽens ‑ avait dŽcidŽ de mettre ˆ lÕindex de la littŽrature du parti les ouvrages de critique du lassallŽanisme suivants : W. BRACKE, Der Lassalle'sche Vorschlag, 1873 ; Bernhard BECKER, Geschichte der Arbeiter-Agitation Ferdinand Lassalle, 1874, et EnthŸllungen Ÿber den tragischen Tod Ferdinand Lassalles (1868). Cette dŽcision fut finalement annulŽe aprs une protestation Žnergique.
[101] L'assemblŽe gŽnŽrale de la coopŽrative d'imprimerie de Berlin Žlut, le 29 aožt 1875, les lassallŽens W. Hasselmann, F. W. Fritzsche et H. Rackow au comitŽ directeur, qui agit en tant que comitŽ de contr™le.
[102] Le comitŽ se composait de trois lassallŽens (Hasenclever, Hasselmann, Derossi) et de deux eisenachŽens (Geib, Auer).
[103] Ë l'avance, Engels indique ˆ la social-dŽmocratie allemande les grandes lignes du combat qu'elle aura ˆ mener (d'abord contre l'ennemi au sein de la classe ouvrire et mme de l'organisation, contre le lassallŽanisme ; puis contre la rŽpression judiciaire et policire, culminant dans la loi antisocialiste de 1879) avant de pouvoir mener lÕassaut rŽvolutionnaire contre le pouvoir politique de la bourgeoisie.
[104] Cf. Engels ˆ Johann Philipp Becker, 15 septembre 1879.
Un autre Žpisode lourd de consŽquence pour la social-dŽmocratie allemande a ŽtŽ la promulgation par le gouvernement de Bismark de la loi antisocialiste en octobre 1878.
Le parti Žtait confrontŽ subitement avec le problme de la violence, et devait changer radicalement ses mŽthodes d'organisation et d'action. On peut dire qu'il rŽagit trs mal, n'Žtant pas adaptŽ ˆ l'illŽgalitŽ. Les premiers temps, il y eut plus que des flottements ; Marx-Engels sauvrent littŽralement le parti ˆ ce moment-lˆ. Celui-ci finit cependant par se reprendre, et comme Marx-Engels l'ont souvent dit, il s'avŽra, une fois de plus, que le parti se porte le mieux quand il est interdit.
De fait, c'est finalement la menace d'un coup de force du gouvernement allemand contre les social-dŽmocrates qui s'avŽra plus tard le moyen le plus efficace pour cantonner le parti allemand dans le strict cadre de la lŽgalitŽ, d'o il finit par glisser dans le rŽformisme et le rŽvisionnisme. On le voit, lÕadversaire sait tirer, lui aussi, les leons de la lutte des classes.
Le mouvement ouvrier se trouve dŽsormais confrontŽ au problme cardinal de la violence, lŽgale ou illŽgale.
[105] August Bebel, Wilhelm Liebknecht et Louis Viereck Žtaient restŽs ˆ Leipzig, tandis que Carl Hirsch Žtait ˆ Paris, Karl Hšchberg, Eduard Bernstein et Carl Schramm Žtant ˆ Zurich pour y organiser la presse ˆ l'abri des tracasseries policires.
La promulgation de la loi antisocialiste eut pour effet d'aggraver la lutte directe entre gouvernement et socialistes, par une lutte des fractions au sein du parti social-dŽmocrate. Ce n'est qu'en sauvegardant son organisation et son programme rŽvolutionnaires, face ˆ cette double attaque, que le parti put forger les moyens de surmonter finalement la crise.
[106] Cf. Marx-Engels ˆ A. Bebel, W. Liebknecht, W. Bracke, etc., 17-18 septembre 1879.
Cette lettre adressŽe ˆ la direction du parti ouvrier socialiste d'Allemagne est un document de politique interne de parti. Il s'agit indubitablement de la lettre dŽcisive pour la crŽation de l'organe illŽgal du parti, le Sozial-demokrat. Il ne s'agissait pas seulement de rŽorienter le parti vers une politique rŽvolutionnaire, mais encore de dŽterminer le juste programme face ˆ la loi antisocialiste.
Dans sa lettre du 20 aožt 1879, Engels Žcrivait ˆ Marx que, lors de la visite de Hirsch, il lui avait dit : Ç PrŽcisŽment maintenant o (gr‰ce ˆ l'interdiction faite par Bismarck au parti de poursuivre des activitŽs rŽvolutionnaires) tous les ŽlŽments pourris ou vaniteux pouvaient sans contrainte occuper l'avant-scne du parti, il Žtait plus que jamais temps de laisser tomber la politique de conciliation et de manque de nettetŽ, et de ne pas craindre, si nŽcessaire, les disputes et le scandale. Un parti qui aime mieux se laisser mener par le bout du nez par le premier imbŽcile venu (Kayser, par exemple), plut™t que de le dŽsavouer publiquement, n'a plus qu'ˆ tout remballer. È
[107] Dans la suite de la lettre, Marx-Engels entrent dans les dŽtails de faits politiques et mme personnels qui peuvent sembler parfois fastidieux. En fait, ils surgissent des difficultŽs que rencontre le parti, surtout lorsque le programme, cessant d'tre clair et cohŽrent, laisse place aux initiatives et interprŽtations les plus diverses de groupes ou de personnes. Ds lors, il suffit d'un rien, qu'un militant ait avalŽ de travers tel ou tel argument, pour qu'il se trouve dans un camp ou dans un autre. Nous tombons alors au niveau et dans les questions de personnes, o tout devient incertain : bonne foi ou mauvaise foi, dŽvouement ou ambition, abnŽgation ou vanitŽ ‑ bref, toutes choses foncirement relatives, individuelles, qui pour avoir un sens doivent se rattacher ˆ quelque chose d'objectif : dans le parti au programme, et dans l'histoire au devenir rŽvolutionnaire, ce qui est loin d'tre simple et facile ˆ une volontŽ individuelle.
Dans leurs critiques ou leurs louanges de tel personnage, Bebel, Liebknecht, Kautsky et Bernstein, par exemple, Marx-Engels ne donnent donc jamais de sanction dŽfinitive dans le cercle du parti, sanction les marquant dŽfinitivement : ce procŽdŽ serait en contradiction flagrante avec les rapports entre camarades o les paroles et la rupture ne sont dŽfinitives qu'aprs la scission.
[108] Engels parle sans fard de l'importance, inŽvitable dans cette sociŽtŽ, de l'argent dans les diverses manifestations du parti. Cependant, il ne faut pas chercher lÕexplication finale dans l'argent : c'est lorsque quelque chose ne va pas qu'on peut chercher d'o vient l'argent.
Ë ce propos, dans sa lettre du 20 aožt 1879 ˆ Marx, Engels Žcrit : Ç Ci-inclus la lettre de Hirsch que je te retourne, ainsi que celle de Liebknecht auquel je viens de rŽpondre. J'ai attirŽ son attention sur ses contradictions : ÔTu Žcris ˆ Hirsch que, derrire le Sozial-demokrat, il y aurait le parti + Hšchberg ; cela signifie donc que si Hšchberg est un + d'une faon quelconque, c'est qu'il s'agit de sa bourse, puisque par ailleurs c'est une grandeur nŽgative. Tu m'Žcris maintenant que ce Hšchberg n'a pas donnŽ un sou. Comprenne qui pourra ; pour ma part, je renonceÕ. È
Dans leur lettre du 21 octobre 1879 ˆ Engels, Fritzsche et Liebknecht prŽcisrent : Ç En fait donc : 1. la commission de rŽdaction se compose de Bebel, Fritzsche, Liebknecht ; 2. les propriŽtaires sont : Auer, Bebel, Fritzsche, Grillenberger et Liebknecht ; 3 dans la commission administrative, il y a Bernstein. È. (cf. Wilhelm LIEBKNECT, Briefwechsel mit Karl Marx und Friedrich Engels, publiŽ par l'Internationaal Instituut Voor Sociale Geschiedenis, Amsterdam, Mouton & Co, 1963, The Hague, pp. 273-274.)
[109] Kayser, faute d'une action ou d'un ordre franc et net du parti social-dŽmocrate, avait pris l'initiative d'une intervention au Parlement au sujet de lÕimportante question des protections douanires. Carl Hirsch, dans la Laterne des 25 mai et 8 juin 1879, avait vivement critiquŽ l'intervention trs imparfaite de Kayser.
Schramm fait donc remarquer avec pertinence ˆ Hirsch que lui-mme risquait de tomber dans les mmes errements que Kayser qu'il avait critiquŽ, si le parti ne prenait pas clairement ses dŽcisions et ses responsabilitŽs, laissant aux individualitŽs le soin de sauver la face dans les moments critiques, quitte ˆ les dŽsavouer ˆ la moindre faute ou difficultŽ.
[110] Aprs la promulgation de la loi antisocialiste, un groupe anarchiste prit la direction de l'Association culturelle des ouvriers communistes de Londres. AppuyŽ sur cette association et ce groupe, Johann Most, ancien social-dŽmocrate devenu anarchiste, publia La LibertŽ. Celle-ci s'en prit ˆ la tactique utilisŽe par les dirigeants social-dŽmocrates face ˆ la loi antisocialiste, et notamment la combinaison des moyens de lutte lŽgaux et illŽgaux. Une scission intervint en mars 1880, et les deux fractions, l'une social-dŽmocrate, l'autre anarchiste, conservrent le mme nom ˆ leur organisation.
[111] Kayser avait, cependant, obtenu l'accord de la fraction social-dŽmocrate pour voter en faveur du projet de loi de Bismarck tendant ˆ introduire de fortes taxes dÕentrŽe sur le fer, le bois, les cŽrŽales et le bŽtail. C'est donc toute la fraction parlementaire qui a violŽ la discipline de parti, en couvrant, ˆ contresens des principes du parti, l'intervention de Kayser dans l'important dŽbat de la protection douanire, o la fraction se dŽroba donc doublement.
[112] Dans le brouillon, Marx-Engels avaient Žcrit ici : Ç Admettons mme que deux ou trois dŽputŽs social-dŽmocrates (car ils ne pouvaient gure y en avoir plus ˆ la sŽance) se soient laissŽs induire ˆ autoriser Kayser ˆ raconter ses btises devant le monde entier et ˆ voter pour accorder de l'argent ˆ Bismarck, ils eussent alors ŽtŽ obligŽs de prendre sur eux la responsabilitŽ de leur acte et d'attendre ce que Hirsch en dirait alors. È
[113] Engels suppose d'abord que les trois Zurichois ont pu tempŽrer leur position rŽvolutionnaire en apparence seulement, sur le papier, afin de tromper l'adversaire, de sorte qu'au moment voulu ils surgiraient subitement Ç tels qu'en eux-mmes È avec toute la flamme et le mordant rŽvolutionnaires. Mais aussit™t Engels montre bien qu'il n'y croit pas, et l'expŽrience historique a prouvŽ que la marge de manÏuvre pour tromper l'adversaire est trs mince pour le parti du prolŽtariat. En effet, les paroles, les promesses ont, elles aussi, une force objective qui transforme non seulement la conception de ceux qui les entendent, mais encore de ceux qui les disent. En cherchant ˆ tromper l'adversaire, en dŽformant ses positions thŽoriques, on s'adresse en outre aux masses peu conscientes ou ˆ des couches qui s'intŽressent subitement et prennent position en fonction de lÕÇ Žlargissement de l'horizon rŽvolutionnaire È, et comme Engels le dit : finalement, on ne sait plus soi-mme ce qu'il faut penser de ses propres positions.
[114] La Neue Gesellschaft, Ç mensuel pour la science sociale È, ŽditŽ par Franz Wiede d'octobre 1877 ˆ mars 1880 ˆ Zurich, Žtait de tendance nettement rŽformiste.
La Zukunft, bimensuel de mme tendance, parut d'octobre 1877 ˆ novembre 1878 ˆ Berlin, publiŽe et financŽe par le philanthrope petit-bourgeois Karl Hšchberg, qui fut plus tard exclu de la social-dŽmocratie.
[115] August Bebel, Wilhelm Liebknecht, Friedrich Wilhelm Fritzsche, Bruno Geiser et Wilhelm Hasenclever.
[116] Cf. Engels ˆ August Bebel, 4 aožt 1879.
[117] Dans le brouillon, Engels avait poursuivi : Ç Nous restons en correspondance avec C. Hirsch et nous verrons ce que nous ferons dans l'ŽventualitŽ o la rŽdaction lui serait confiŽe. Dans les circonstances prŽsentes, de tous les rŽdacteurs possibles, il est le seul en qui nous puissions avoir une confiance suffisante. È
[118] Cf. Engels ˆ August Bebel, 14 novembre 1879.
Les rŽponses de Fritzsche et de Liebknecht permirent d'arrter en gros la polŽmique mais elles ne donnaient pas satisfaction ˆ Marx-Engels sur les points prŽcis.
[119] La lettre continue comme suit dans le brouillon : Ç Si les trois Zurichois n'ont jamais eu un droit de censure, pourquoi Leipzig n'a-t-il pas alors repoussŽ aussit™t la prŽtention qu'ils ont affichŽe de manire si pressante et si bruyante ? Pour inciter Hirsch ˆ venir ˆ Zurich, il lui fallait deux choses : 1. qu'il soit informŽ de la situation telle qu'elle se prŽsentait vŽritablement ; 2. qu'il soit assurŽ de ce que nous, les camarades de Leipzig, avons Žcrit aux Zurichois afin qu'ils ne s'immiscent pas dans les affaires de la rŽdaction, et s'ils le font nŽanmoins, que tu n'aies pas ˆ tÕen soucier, car tu n'es responsable que devant nous. È
[120] Dans le manuscrit, Engels avait continuŽ en se rŽfŽrant au point du programme qui rejette tous les imp™ts indirects, ainsi qu'ˆ la tactique qui interdit d'accorder tout imp™t ˆ ce gouvernement, bref lÕabstention de vote Žtait la seule ligne de conduite dans ce cas.
[121] Dans sa lettre du 23 octobre 1879, Bebel
s'Žtait rŽfŽrŽ ˆ la rŽsolution suivante des Congrs de Gotha de 1876 et
1877 : Ç La question du protectionnisme ou du libre-Žchange n'est pas
du domaine des principes pour la social-dŽmocratie ; le congrs laisse donc
le soin aux membres du parti de prendre position sur cette question, selon leur
conception subjective. È Et Bebel d'ajouter que le congrs avait pris
cette rŽsolution parce que les dŽputŽs aussi bien que le Ç parti en gŽnŽral È
Žtaient divisŽs sur le point de savoir si le libre-Žchange, ou le
protectionnisme, Žtait nŽcessaire ˆ l'industrie dans les conditions donnŽes.
Citant la mme rŽsolution, Fritzsche et Liebknecht poursuivaient dans leur
lettre ˆ Engels : Ç Chacun peut penser ce qu'il veut de cette rŽsolution,
il n'en reste pas moins qu'elle demeure pour le moment encore en vigueur.
Kayser agit conformŽment ˆ cette rŽsolution (sic), et C. Hirsch devait le
savoir. È
Le crŽtinisme parlementaire se meut Žvidemment le mieux lˆ o, en politique, il n'y a pas de rgle de conduite, lˆ o le parti ne sait pas quoi faire ! Lˆ, il agit conformŽment aux Ç dŽcisions È du congrs, avec un formalisme et un cŽrŽmonial d'autant plus solennels que vides de tout sens. Il s'Žpanouit lˆ o le parti abdique ses fonctions et devoirs.
[122] Dans le brouillon de la lettre, Engels poursuivait : Ç Bismarck le traite comme il le mŽrite, ˆ savoir ˆ coups de pied, et c'est bel et bien la raison pour laquelle il divinise Bismarck. È
[123] Engels fait allusion a l'attentat perpŽtrŽ par l'anarchiste Nobiling en 1878 contre l'empereur Guillaume, attentat qui servit de prŽtexte ˆ Bismarck pour promulguer la loi antisocialiste.
[124] Dans sa lettre du 23 octobre 1879, Bebel Žcrit ˆ Engels que Karl Hšchberg, Ç malgrŽ les sacrifices vraiment magnifiques qu'il a apportŽs financirement au parti, n'a jamais fait la moindre tentative pour rŽclamer une influence correspondante È . Et de poursuivre quÕˆ cause de Ç ce dŽsintŽressement si extraordinaire È, lui, Bebel, lui avait passŽ mainte faute !
[125] Au Congrs de Gotha, divers dŽlŽguŽs tentrent, ˆ la sŽance du 29 mai 1877, de faire interdire la poursuite de la publication de l'Anti-DŸhring. Johann Most dŽposa une motion en ce sens, et Bebel ne put que lui opposer une motion de compromis. Liebknecht appuya cette dernire motion, en la modifiant dans un sens plus favorable ˆ Engels. La seconde et troisime section de l'Anti-DŸhring furent publiŽes dans le supplŽment scientifique du VorwŠrts.
[126] Nom donnŽ aux journalistes et ˆ la presse qui Žtaient ˆ la solde de Bismarck. Dans son discours du 30 janvier 1869 au Parlement prussien, Bismark avait traitŽ de ce nom les adversaires du gouvernement. Mais, dans la bouche populaire, ce nom fut retournŽ aux journalistes et aux feuilles payŽs pour rŽpandre la parole de Bismarck gr‰ce aux fonds accordŽs par celui-ci ˆ la presse (fonds des reptiles).
[127] Cf. Engels ˆ August Bebel, 24 novembre 1879.
[128] Le compte rendu de la fraction avait dŽfini lÕŽpoque entre la dissolution du Reichstag en mai 1878 et les nouvelles Žlections du 30 juillet 1878 voire la promulgation de la loi antisocialiste, comme une Ç Žpoque de terreur È. ï crŽtinisme parlementaire !
[129] Cf. Engels ˆ August Bebel, 16 dŽcembre 1879.
Engels fait allusion ˆ Karl Hšchberg, Eduard Bernstein et Carl August Schramm, qui formaient le trio installŽ ˆ la tte du Sozial-demokrat rŽfugiŽ ˆ Zurich.
[130] Dans le brouillon de sa lettre, Engels poursuivait : Ç [...] Et prŽtendent faire valoir au sein du parti leurs rŽticences et mesquineries petites-bourgeoises. Nous n'appartenons pas au mme parti qu'eux. Nous ne pouvons mme pas nŽgocier avec ces gens tant qu'ils ne se sont pas constituŽs en fraction de parti socialiste petit-bourgeois ou en organisation, autrement dit tant qu'ils prŽtendent appartenir au mme parti. È
[131] Dans le brouillon, Engels poursuivait : Ç Nous ne pouvons pas tirer ˆ la mme corde que les socialistes petits-bourgeois. È
[132] Cf. Engels ˆ Johann Philipp Becker, 1er avril 1880.
Aprs avoir ŽtudiŽ le contexte historique dans lequel le parti allemand Žvolue, et constatŽ qu'un type nouveau de parti s'impose ˆ la classe ouvrire europŽenne, Engels dŽfinit le type d'organisation que devrait revtir, ˆ ses yeux, le parti dans la phase nouvelle.
[133] Engels fait allusion aux Žlecteurs ayant votŽ pour les social-dŽmocrates lors des Žlections du 30 juillet 1878 avant l'adoption de la loi antisocialiste. Selon son expression, cela permet de compter les forces dont on peut Žventuellement disposer.
[134] Le prolŽtariat allemand a fait preuve de cette capacitŽ tout au long de la crise sociale de 1917 ˆ 1930 en Allemagne. Rosa Luxemburg s'y Žtait appuyŽe inlassablement dans sa lutte contre les errements opportunistes et rŽvisionnistes, mais sans doute cette spontanŽitŽ, remarquable au reste, des masses prolŽtariennes n'Žtait-elle pas suffisante.
[135] Cf. Engels ˆ Eduard Bernstein, 30 novembre 1881.
Ce passage prŽcise le sens que l'on peut donner ˆ l'affirmation dÕEngels selon lequel : Ç Aujourd'hui, le prolŽtariat allemand nÕa pas besoin d'organisation constituŽe, ni publique ni secrte : la simple association qui va de soi de membres de la mme classe professant les mmes idŽes suffit ˆ Žbranler tout l'Empire allemand, mme sans statuts, ni comitŽs directeurs, ni rŽsolutions, ni autres formalitŽs. È (Cf. t. II, p. 42). Le mouvement ouvrier cro”t irrŽsistiblement et sans entraves sous l'impulsion du dŽveloppement Žconomique, jusqu'ˆ ce que se constitue un parti nouveau, selon l'expression d'Engels.
[136] Cf. l'article du 17 novembre 1881 : Ç Pourquoi nous sommes battus ˆ Glauchau ? È, sur la misre et l'oppression atroces des tisserands de la rŽgion de Glauchau-Meerane.
[137] Cf. Engels ˆ Eduard Bernstein, 25 janvier 1882.
Lors des dŽbats au Reichstag sur l'Žtat de sige du 11 dŽcembre 1881, deux dŽputŽs social-dŽmocrates ‑ Wilhelm Blos et Wilhelm Hasenclever ‑ dŽclinrent toute responsabilitŽ pour l'attitude du Sozial-demokrat. Dans son Žditorial du 15 dŽcembre 1881 Bernstein ‑ qui s'Žtait ressaisi ‑ Žcrivait : Ç Il faut absolument jouer cartes sur table au Reichstag et prendre parti : il ne peut y avoir de faux-fuyants. È
[138] Engels analyse ici sans mŽnagement non seulement les conditions sociales allemandes qui forment le terrain dans lequel Žvolue nŽcessairement le parti social-dŽmocrate, mais encore la qualitŽ du matŽriel humain qui compose les organisations ouvrires. Le parti, n'Žtant pas un deus ex machina, doit tre conu en ces termes rŽels.
[139] CitŽ d'aprs le pome de Heinrich Heine Ç Pour l'apaisement È contenu dans les Pomes de notre temps : Ç Allemagne, la dŽvote chambre d'enfants n'est pas une mine romaine d'assassins. È
[140] Cf. Engels ˆ August Bebel, 25 aožt 1881.
Le 31 mai 1881, Liebknecht avait tenu un
discours au Reichstag ˆ propos de l'assurance-accident des travailleurs. Il y
dit entre autres : Ç En prenant en main lÕassurance contre les
accidents dans l'industrie, l'ƒtat se place dans une situation o il doit
prendre en charge le contr™le de l'industrie. C'est absolument nŽcessaire. Si
le comte Bismarck ne dŽsire pas ces consŽquences, sa loi n'est qu'une misŽrable
farce, pire encore, la plus inf‰me des manÏuvres Žlectorales, mais nous ne
pouvons tout de mme pas l'en croire capable. Qu'il prenne les choses au
sŽrieux, c'est ce que sa fonction, son intŽrt nous garantissent c'est son
devoir. È Le compte rendu de La Gazette gŽnŽrale d'Augsburg reproduisit ce
passage comme suit le 3 juin 1881 : Ç La rŽglementation complte de
nos conditions industrielles par l'ƒtat en est la consŽquence nŽcessaire, et
Žtant donnŽ l'honntetŽ du Chancelier, sa fonction nous garantit qu'il en
tirera cette consŽquence. È
La
lettre d'Engels ˆ Liebknecht a ŽtŽ perdue, ainsi que la rŽponse de ce dernier.
Dans les papiers d'Engels, on a trouvŽ le compte rendu suivant d'un des discours plus que mou de Liebknecht : Ç Dite de Saxe, le 17 fŽvrier 1880 : LIEBKNECHT : [...] Nous protestons contre l'affirmation que nous soyons un parti subversif [...] . La participation de notre parti aux Žlections est, au contraire, une action qui dŽmontre que la social-dŽmocratie n'est pas un parti de subversion. Ë partir du moment o un parti se place sur la base de tout l'ordre lŽgal ‑ le suffrage universel ‑, participe aux Žlections, et manifeste donc qu'il est disposŽ ˆ collaborer ˆ la lŽgalitŽ et ˆ l'administration du bien public, ˆ partir de ce moment il a dŽclarŽ qu'il n'est pas un parti de subversion [...]. È (Cf . MARX-ENGELS, Briefe an A. Bebel, Liebknecht, K. Kautsky und andere, Teil 1, 1870-1880, Moskau-Leningrad, 1933, pp. 521-522.)
[141] Cf. Engels ˆ Eduard Bernstein, 12 mars 1881.
Engels poursuit ici sa critique des parlementaires social-dŽmocrates (cf., par exemple, l'intervention citŽe dans la note prŽcŽdente o Liebknecht demande ˆ Bismark d'Žtatiser toute l'industrie, ce qui en l'occurrence est non seulement une grave faute politique, mais encore une absurditŽ Žconomique, comme le remarque Engels dans l'Anti-DŸhring : Ç Ce n'est que dans le cas o les moyens de production et de communication sont rŽellement trop grands pour tre dirigŽs par les sociŽtŽs par actions, o donc l'Žtatisation est devenue une nŽcessitŽ Žconomique, c'est seulement en ce cas qu'elle signifie un progrs Žconomique, mme si c'est l'ƒtat actuel qui l'accomplit ; quÕelle signifie qu'on atteint ˆ un nouveau stade, prŽalable ˆ la prise de possession de toutes les forces productives par la sociŽtŽ elle-mme. Mais on a vu rŽcemment, depuis que Bismarck s'est lancŽ dans les Žtatisations, appara”tre un certain faux socialisme qui mme, ˆ et lˆ, a dŽgŽnŽrŽ en quelque servilitŽ, et qui proclame socialiste sans autre forme de procs toute Žtatisation, mme celle de Bismarck... Si Bismarck, sans aucune nŽcessitŽ Žconomique, a ŽtatisŽ les principales lignes de chemins de fer en Prusse, simplement pour pouvoir mieux les organiser et les utiliser en temps de guerre, pour faire des employŽs de chemins de fer un bŽtail Žlectoral au service du gouvernement et surtout pour se donner une nouvelle source de revenus indŽpendants des dŽcisions du Parlement ‑ ce n'Žtaient nullement lˆ des mesures socialistes, directes ou indirectes, conscientes ou inconscientes. È (ƒd. sociales, p. 317, note.)
En faisant une erreur thŽorique ‑ fausse apprŽciation d'un pur point d'Žconomie politique ‑, le parti peut jeter le prolŽtariat dans les bras de la bourgeoisie et du gouvernement, lui faisant oublier ses intŽrts de classe propre et renforant l'ennemi ˆ abattre : la thŽorie est une arme matŽrielle.
[142] Dans La Question militaire prussienne et le parti ouvrier allemand, Engels donne cette brve dŽfinition du but du Ç socialisme impŽrial È : Ç Une partie de la bourgeoisie, comme des ouvriers, est directement achetŽe. L'une par les filouteries colossales du crŽdit qui font passer l'argent des petits capitalistes dans la poche des grands ; l'autre par les grands travaux nationaux, concentrent dans les grandes viles, ˆ c™tŽ du prolŽtariat normal et indŽpendant, un prolŽtariat artificiel et impŽrial, soumis au gouvernement. È (Cf. ƒcrits militaires, p. 483.)
[143] Au premier congrs illŽgal de la social-dŽmocratie allemande (du 20 au 23 aožt 1880 au ch‰teau de Wyden en Suisse), il avait ŽtŽ dŽcidŽ d'organiser rŽgulirement des collectes d'argent pour trouver des fonds pour le parti. Ainsi on envoya, en fŽvrier-mars 1881, Fritzsche et Viereck aux ƒtats-Unis pour y faire une tournŽe d'agitation. Celle-ci connut un grand succs et rapporta quelque 13 000 marks au parti allemand. Toutefois, Engels reprocha ˆ Fritzsche et Viereck d'avoir Ç rabaissŽ le point de vue du parti au niveau de la dŽmocratie vulgaire et du philistinisme prudhommesque È ce que ne pouvait compenser et rŽparer Ç aucune somme d'argent amŽricain È (Engels ˆ Bebel, 1er janvier 1884).
[144] Cf. Engels ˆ August Bebel, 16 mai 1882.
[145] Les sociŽtŽs par actions internationales dŽmontrent la justesse de la position d'Engels qui ne voit pas dans les nationalisations le dernier mot de la forme d'organisation de la production capitaliste. Ë propos de la gestion de l'industrie moderne par les salariŽs, cf. MARX-ENGELS, Le Syndicalisme, t. II, pp. 30-41.
[146] Cf. Engels ˆ Eduard Bernstein, 2 fŽvrier 1881.
La polŽmique autour de l'orientaion de l'organe du parti, le Sozial-demokrat, en est maintenant ˆ un tournant : les idŽes de Marx-Engels l'ont emportŽ. On a peu d'indications sur la manire dont s'est opŽrŽ cet heureux tournant. En effet, Marx-Engels interviennent essentiellement lorsqu'il s'agit de redresser quelque chose qui ne va pas dans l'activitŽ du parti. Il serait pourtant d'un grand intŽrt de savoir comment leur intervention a produit son effet. Mais on peut se demander qu'elle fut la cause exacte de la conversion : dŽveloppement tumultueux de l'industrie allemande, obŽissance ˆ la ligne gŽnŽrale qui finit par s'imposer, climat gŽnŽral poussant ˆ gauche, talent d'homme de plume aussi ˆ lÕaise dans la littŽrature socialiste que petite-bourgeoise ? Quoi qu'il en soit, l'orientation gŽnŽrale prise par le parti, sur laquelle Marx-Engels ont indubitablement influŽ, a jouŽ un rand r™le. L'organisation du parti est un merveilleux moyen de discipliner et de coordonner les efforts et les idŽes d'un groupe d'hommes, mais cette facultŽ de cohŽsion ne saurait tre une panacŽe. Car si elle peut Žveiller l'illusion d'une grande force et endormir ceux qui ne demandent qu'ˆ tre rassurŽs, il faut bien reconna”tre, avec l'expŽrience historique, que ce critre pse peu devant la rŽalitŽ du mouvement qui est infiniment plus complexe, et exige des efforts et un esprit critique de tous les instants.
Aprs avoir attaquŽ Bernstein avec force, voici qu'Engels va demander avec insistance ˆ celui-ci de demeurer ˆ son poste. Le paradoxe n'est qu'apparent. Engels n'en voulait pas ˆ Bernstein, l'individu n'a gure de poids, comme on le constate ˆ ses revirements dans lÕorganisation du parti.
[147] Cf. Engels ˆ Eduard Bernstein, 14 avril 1881.
[148] En novembre 1880, Wilhelm Liebknecht fut emprisonnŽ ˆ Leipzig afin de purger une peine de six mois.
[149] Comme ˆ chaque Ç tournant È que doit effectuer le parti sous la pression de l'adversaire, il y eut des hŽsitations, des divergences et des conflits au sein de la social-dŽmocratie allemande au moment o elle tomba sous le coup de la loi antisocialiste. Ce furent les ŽlŽments qui avaient une vision thŽorique ample et une longue expŽrience de la lutte ‑ A. Bebel, W. Bracke et Liebknecht, sans parler de Marx et Engels ‑ qui surent le mieux dŽfendre la continuitŽ rŽvolutionnaire du parti. Cependant, la crise fut si grave que le comitŽ directeur du parti se saborda avant mme que la loi n'entr‰t en application. Cette dŽcision fut prise sous la pression des ŽlŽments qui surestimrent le pouvoir de l'ƒtat bureaucratico-militaire et cherchrent ˆ Žviter un rŽgime de terreur en abdiquant purement et simplement les principes rŽvolutionnaires. L'absence d'une direction claire et ferme au cours des premiers mois de l'application de la loi antisocialiste rendit plus difficile la contre-attaque, sans parler de ce qu'elle favorisa l'entrŽe en scne massive d'ŽlŽments opportunistes, qui Žvoluaient surtout dans le groupe parlementaire autour des Wilhelm Blos et Max Kayser.
Les anarchistes rejoignirent directement ‑ quoiqu'en apparence par une voie opposŽe ‑ les ŽlŽments opportunistes de droite du fait que, face ˆ l'offensive gouvernementale, ils niaient et combattaient toute forme organisŽe des associations et du parti ouvriers ainsi que de la lutte de classe rŽvolutionnaire, en ne pr™nant que l'action individuelle et en se sožlant de phrases rŽvolutionnaires. L'ancien social-dŽmocrate Johann Most se fit le porte-parole des anarchistes en fondant ˆ Londres la Freiheit. Il fut rejoint plus tard par le groupe de Wilhelm Hasselmann, ancien lassallŽen et dŽputŽ social-dŽmocrate au Reichstag.
[150] Cf. Engels et A. Bebel, 18 novembre 1884.
Dans les deux textes suivants, Engels tire, d'une part, la conclusion de toute la pŽriode durant laquelle les activitŽs rŽvolutionnaires avaient ŽtŽ interdites par la loi au parti social-dŽmocrate allemand et, d'autre part, la perspective de dŽveloppement de la pŽriode successive.
Le premier texte donne la mme synthse de la position thŽorique du parti vis-ˆ-vis de la violence que la fameuse introduction de 1895 aux Luttes de classes en France (ƒd. sociales, 1948 p. 21-38), considŽrŽe un peu comme le testament politique d'Engels et tronquŽe par les dirigeants social-dŽmocrates de l'Žpoque. (Cf., ˆ ce propos, la lettre d'Engels ˆ Richard Fischer, du 8 mars 1895, in MARX-ENGELS, La Commune de 1871, 10/18, pp. 259-262.)
On peut se faire une idŽe prŽcise, aprs la lettre d'Engels ˆ Bebel, de la nouvelle tactique que le gouvernement de Bismarck adoptera vis-ˆ-vis de la social-dŽmocratie allemande, afin de dŽmobiliser au maximum les masses rŽvolutionnaires allemandes, de diviser si possible la direction de leurs organisations de classe, bref d'Žmasculer le mouvement par un habile chantage au recours ˆ un coup de force gouvernemental afin de canaliser le prolŽtariat dans le cours dŽmocratique et pacifique de la lŽgalitŽ bourgeoise.
[151] Engels montre ainsi que l'application ‑ ou la dŽfense ‑de la loi est elle-mme liŽe ˆ lÕemploi de la violence, ce qui enlve tout argument contre la violence ˆ ceux qui sont pour l'ordre, la loi et la constitution Žtablie.
[152] Cf. Engels ˆ Karl Kautsky, 8 novembre 1884.
[153] Comme les mŽthodes autoritaires n'avaient pu briser la social-dŽmocratie allemande, Bismarck tenta dÕatteindre ce but gr‰ce ˆ la corruption : dans un message du 17 novembre 1881, jetant les bases du rŽformisme, l'Empereur annona toute une sŽrie de mesures en faveur des ouvriers (lois d'assurance sociale en cas d'accident, de maladie, d'invaliditŽ, de vieillesse, etc.) dans l'espoir de supplanter la social-dŽmocratie dans la classe ouvrire, voire de provoquer une scission dans le parti.
[154] Cette constatation vaut donc encore pour l'Allemagne ; elle s'est appliquŽe Žgalement ˆ la Russie et la Chine, par exemple, comme l'histoire l'a dŽmontrŽ : cf. MARX-ENGELS, La Chine, 10/18, 1973, prŽface, pp. 7-11.
Une fois de plus, Engels lie solidement l'essor du parti de classe aux conditions Žconomiques et sociales gŽnŽrales, liant lÕŽvolution de l'organisation de classe au milieu historique, le capitalisme lui-mme passant par divers stades successifs d'Žvolution qui ne sont pas sans rugir sur la tactique du prolŽtariat et son mode d'association, surtout quantitatif.
[155] Le procs de l'accumulation capitaliste ou stade de la soumission formelle du travail au capital (cf. Un chapitre inŽdit du Capital, 10/18 pp. 191-216) est certes partout le mme, comme Marx le dŽclare lui-mme dans le premier livre du Capital, les lois du capital dŽgagŽes de manire classique en Angleterre Žtant valables pour tous les pays. Cependant les conditions prŽcapitalistes, le milieu gŽographique, climatique, bref physique, est trs variable d'un pays ˆ l'autre, si bien que les conditions gŽnŽrales auxquelles le capitalisme s'attaque dans chaque pays ˆ l'aube de son dŽveloppement sont ˆ chaque fois diffŽrentes, ce qui donne un caractre relativement original ˆ l'accumulation dans chaque pays. cf. ˆ ce propos Ç La Succession des formes de production et de sociŽtŽ dans la thŽorie marxiste È, Fil du temps, 1972 pp. 64-70.
En Allemagne, par instinct et tradition, les travailleurs cherchrent un appui contre le capital dans les structures petites-bourgeoises de production (travail ˆ domicile, sur le petit lopin de terre, etc.).
Dans sa collaboration avec le capital, le rŽformisme tentera tout naturellement, lui aussi, de s'appuyer sur l'idŽologie et la mentalitŽ petites-bourgeoises qui disposaient d'une si large assise en Allemagne. D'o la lutte acharnŽe de Marx-Engels contre les tendances petites-bourgeoises, vŽhiculŽes au sein du parti de classe par les ŽlŽments venus des classes moyennes ‑ intellectuels, Žtudiants, professions libŽrales, paysans propriŽtaires ou artisans sur le dŽclin ‑ qui cherchaient ˆ dŽvier la classe ouvrire en reliant les idŽes petites-bourgeoises aux rŽalitŽs quotidiennes de la vie ouvrire, de nature elles aussi petites-bourgeoises.
ƒtant urbanisŽ, donc fortement concentrŽ, et coupŽ de toute base productive petite-bourgeoise, le prolŽtariat parisien, par exemple, Žtait spontanŽment alors le plus rŽvolutionnaire, tandis que la province franaise ‑ soit le gros de la nation ‑ Žtait fortement ˆ la tra”ne. En Allemagne, en revanche, le mouvement Žtait plus homogne, donc plus massif, mais le danger du rŽformisme petit-bourgeois plus grand. Comme Marx-Engels l'ont sans cesse dŽmontrŽ dans leurs polŽmiques, l'ennemi intime du prolŽtariat n'est pas, au niveau de lÕorganisation et du programme rŽvolutionnaire, le grand capital, mais les structures et l'idŽologie petites-bourgeoises.
[156] Cf. Engels ˆ Eduard Bernstein, 11-11-1884.
[157] En franais dans le texte.
[158] La bourgeoisie sait fort bien utiliser la lŽgalitŽ, ne la fabrique-t-elle pas elle-mme, la dosant ˆ son profit ? ,Aprs l'Žchec de la rŽpression antisocialiste, le gouvernement de Bismarck comptait ainsi utiliser une demi-lŽgalitŽ, afin d'Žtouffer d'une part les voix rŽvolutionnaires dans le parti, et d'autre part de donner la parole aux voix modŽrŽes, conciliatrices, notamment dans la fraction parlementaire.
[159] Il s'agit de dŽputŽs de la droite de la social-dŽmocratie. Tous deux furent dŽmis de toutes leurs fonctions au Congrs de Saint-Gallien en 1887.