Karl Marx et Friedrich Engels [1843-1850] Le parti de classe Tome II. Activité,
organisation Introduction et notes de Roger
Dangeville Un document produit en version numérique par Mme
Marcelle Bergeron, bénévole Professeure à la retraite de l’École
Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec Courriel : mabergeron@videotron.ca Dans le cadre de: "Les classiques des sciences
sociales" Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par
Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Une collection développée en collaboration avec la
Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à
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Marcelle Bergeron, bénévole,
professeure à la retraite de l’École Dominique-Racine
de Chicoutimi, Québec.
Courriel : mailto:mabergeron@videotron.ca
Karl Marx et Friedrich Engels
Le parti de classe
Tome II : Activité et organisation.
Introduction,
traduction et notes de Roger Dangeville.
Paris : François Maspero, 1973, 208
pp. Petite collection Maspero, no 121.
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caractères utilisés :
Pour le
texte : Times New Roman, 12 points.
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citations : Times New Roman 10 points.
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bas de page : Times New Roman, 10 points.
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électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2003 pour
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LETTRE (US
letter), 8.5’’ x 11’’)
Édition complétée
le 6 mai, 2007 à Chicoutimi, Ville de Saguenay, Québec.
Karl marx,
Friedrich engels, Le
syndicalisme,
I. Théorie, organisation, activité.
—
II. Contenu et portée des revendications
syndicales. Traduction et notes de Roger Dangeville.
Karl Marx, Friedrich engels, Le parti de classe. Traduction
et notes de Roger Dangeville.
Tome l. Théorie, activité.
Tome II. Activité et organisation.
Tome III. Questions d’organisation.
Tome IV. Activités de
classe. Index des noms cités dans les quatre volumes. Index analytique.
II. Activité et organisation
© Librairie François Maspero, Paris,
1973.
Scission au sein de la Ligue des communistes Réunion du
conseil central, 15-9-1850.
Réunion du Conseil central, 17-9-1850
Contribution à l'histoire de la Ligue des
communistes
Bilan de la défaite de 1848-1849
Déclaration de rupture organisationnelle
Désagrégation du parti chartiste
Distinction entre parti formel et parti historique
Conditions pour un nouveau parti du prolétariat
Statuts provisoires de l'A. I. T.
Efforts d'aménagement de l'Internationale
Marx, l'A. I. T. et l'Allemagne
Préparation du congrès international
Instructions pour les délégués du Conseil central
provisoire de l'A. I. T.
Admission de la section russe de la section russe de
Genève
Manuels et intellectuels au Congrès de Genève
L'A. I. T. et l'Alliance de la démocratie socialiste
Le Conseil général au conseil de la Suisse romande
À propos de la Fédération romande
L'Internationale et un pays dépendant, l'Irlande
L'A. I. T. à l'Union des ouvriers des États-Unis
Au conseil fédéral espagnol de l'A. I. T.
Au VIe Congrès des sections belges de l'A. I.
T.
Le parti allemand et la Commune
L'Internationale et la Commune de Paris
Aide aux réfugiés et aux persécutés
Coordination de l'activité syndicale
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Lorsqu'après la défaite de la révolution de 1848-1849 vint le moment où il devint de plus en plus impossible d'agir en direction de l'Allemagne à partir de l'étranger, notre parti abandonna à la démocratie vulgaire le terrain des querelles d'émigration, qui demeuraient la seule action possible. Tandis que celle-ci se lançait à corps perdu dans une agitation frénétique, se chamaillant aujourd'hui, fraternisant le lendemain, et étalant de nouveau, le surlendemain, son linge sale devant tout le monde ; tandis qu'elle allait mendier quelques sous en Amérique, afin de préparer de nouveaux scandales dès qu'elle les dépenserait ‑ notre parti était heureux de retrouver un peu de calme pour ses études. Il avait le grand avantage de disposer pour base théorique d'une conception scientifique nouvelle, et son élaboration lui donnait suffisamment à faire. Ne serait-ce que pour cette raison, il ne put jamais tomber aussi bas que les « grands hommes » de l'émigration.
Le premier
fruit de ces travaux est le présent ouvrage [sur la critique de l'économie
politique].
ENGELS, Das Volk, 6 août 1859
Des papiers
saisis chez les accusés, ainsi que de leurs aveux, il résultait qu'il avait
existé une société communiste allemande dont le Conseil central siégeait
primitivement à Londres 1. Le 18
septembre 1850, ce Conseil fit scission. La majorité ‑ l'acte
d'accusation l'appelle le parti Marx ‑ transféra le siège du Conseil central à
Cologne. La minorité ‑ exclue plus tard de la Ligue par le Conseil de
Cologne ‑ s'établit à Londres comme Conseil central indépendant et créa,
dans cette ville et sur le continent, une Ligue séparatiste. Cette minorité et
ses adhérents, l'accusation les appelle le parti Willich-Schapper.
Saedt et Seckendorf prétendent que la
scission du Conseil de Londres n'était due qu'à des antipathies purement
personnelles. Longtemps avant Saedt et Seckendorf, le « chevaleresque Willich »
avait déjà clabaudé sur les motifs de la scission et répandu, parmi les émigrés
de Londres, les bruits les plus infâmes ; il avait trouvé en M. Arnold Ruge,
cette cinquième roue du char d'État de la démocratie européenne 2,
ainsi que dans les gens du même acabit, des canaux tous disposés à déverser ces
bruits dans la presse allemande et américaine. La démocratie comprit avec
quelle facilité elle remporterait la victoire sur les communistes si elle improvisait,
pour la circonstance, « le chevaleresque Willich » représentant du
communisme. « Le chevaleresque Willich « comprit de son côté que le
« parti Marx » ne pouvait dévoiler les raisons de la scission sans trahir
l'organisation secrète en Allemagne, et tout spécialement sans livrer le
Conseil central de Cologne à la sollicitude paternelle de la police prussienne.
Ces conditions n'existent plus, et c'est pourquoi nous citons quelques passages
du dernier procès-verbal du Conseil central de Londres, séance du 15 septembre
1850 3.
Dans l'exposé des motifs de sa proposition de scission, Marx, entre autres choses, dit textuellement :
« À la place de la conception
critique, la minorité met une conception dogmatique, et à la place de la
conception matérialiste, une conception idéaliste. Au lieu des conditions
réelles, c'est la simple volonté qui devient la
force motrice de la révolution. Nous, nous disons aux ouvriers : ‘Vous avez à
traverser quinze, vingt, cinquante ans de guerres civiles et de luttes entre
les peuples, non seulement pour changer les conditions existantes, mais pour
vous changer vous-mêmes et vous rendre aptes à la direction politique’. Vous,
au contraire, vous dites ‘Il
nous faut immédiatement arriver au pouvoir, ou bien nous n'avons plus qu'à
aller nous coucher 4’. Nous, nous attirons tout spécialement
l'attention des ouvriers allemands sur le faible développement du prolétariat
allemand. Vous, vous flattez de la façon la plus grossière le sentiment
national et les préjugés corporatifs des artisans allemands, ce qui est
évidemment plus populaire. De même que les démocrates ont fait du mot peuple une formule sacrée, vous faites, vous,
une formule sacrée du mot prolétariat 5.Tout
comme les démocrates, vous substituez au développement révolutionnaire la
phraséologie révolutionnaire, etc. »
Dans sa réponse,
Schapper dit textuellement :
« J'ai exprimé le point de vue critiqué ici, parce qu'en général je suis
enthousiaste pour la cause. Il s'agit de savoir si, au commencement, nous
coupons la tête ou nous aurons la tête coupée (Schapper prédit même qu'il
serait guillotiné dans un an, donc le 15 septembre 1851). En France, les
ouvriers arriveront au pouvoir, et à leur suite nous y arriverons en Allemagne.
Si ce n'était pas le cas, j'irais bel et bien me coucher et me consacrerais de
tout autre manière à mon gagne-pain. Si c'est notre tour, nous pouvons prendre
des mesures telles que nous assurerons le règne du prolétariat. Je suis
fanatiquement attaché à cette opinion. Or, le Conseil central a voulu le
contraire, etc. »
On le voit : ce ne furent pas des raisons personnelles qui créèrent la
scission du Conseil central. Mais il serait faux de parler de divergences de
principes : le parti Willich-Schapper n'a jamais revendiqué l'honneur d'avoir
des idées à lui. Ce qui lui appartient en propre, c'est sa façon toute
particulière de déformer les idées d'autrui, de les fixer en articles de foi et
de se les approprier comme phraséologie. Il serait tout aussi faux d'appliquer
au parti Willich-Schapper l'épithète de « parti de l'action», à moins que l'on entende
par action une oisiveté cachée sous les gueulantes de cabarets, les
considérations inventées de toutes pièces et les semblants de conjurations
oiseuses.
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Présents : Marx, Engels, Schramm, Pfänder, Bauer, Eccarius, Schapper,
Willich, Lehmann. Excusé :
Fränkel 6.
Cette réunion étant extraordinaire, on ne dispose pas encore du
procès-verbal de la dernière réunion ; il ne peut donc être lu.
MARX : La réunion de vendredi n'a pas pu se tenir à
cause du conflit avec la commission die l'Association 7 Willich ayant convoqué une réunion de
district, ce dont je ne recherche pas ici la validité, la réunion doit avoir lieu
aujourd'hui.
Je présente donc la proposition suivante qui se subdivise en trois points :
1. Le Conseil
central est transféré de Londres à Cologne et passe au conseil de district de
cette localité, sitôt que la réunion d'aujourd'hui du Conseil central sera
terminée. Cette décision sera communiquée aux membres de la Ligue à Paris, en
Belgique et en Suisse. Le nouveau Conseil central la communiquera lui-même aux
membres d'Allemagne.
Motifs : afin de ne pas troubler l'unité du pouvoir central, je me suis
opposé au projet de Schapper qui veut installer à Cologne un conseil de
district peur l'ensemble de l'Allemagne 8. Dans
notre projet, cette question ne se pose plus. Mais une série de nouvelles
questions se posent. La minorité du Conseil central est en rébellion ouverte
contre la majorité, comme cela s'est manifesté aussi bien lors du vote de blâme
de la dernière réunion que lors de la réunion générale convoquée aujourd'hui
par le district, aussi bien à l'Association qu'au Comité des réfugiés. C'est
pourquoi la présence du Conseil central est devenue impossible à Londres.
L'unité du Conseil central ne peut plus être sauvegardée, il devrait se scinder
et former deux Ligues ; comme l'intérêt du parti prévaut, je propose cette
issue au conflit.
2. Les statuts de la Ligue ayant été en vigueur jusqu'ici sont abolis. Il
incombera au nouveau Conseil central de faire de nouveaux statuts.
Motifs : les
statuts du Congrès de 1847 ont été modifiés par le Conseil central de 1848. À
présent, les conditions de l'époque sont de nouveau changées. Les derniers statuts
de Londres ont affaibli la portée des articles des statuts formulant les
principes. Çà et là, on applique les deux statuts ; à certains endroits, on
n'en applique aucun, et l'on agit suivant ses propres moyens ; bref, c'est
l'anarchie dans la Ligue. En outre, les derniers statuts sont publiés et ainsi
ne peuvent plus servir. Je propose donc, en substance, qu'à l'absence de
statuts on substitue de véritables statuts 9.
3. On formera deux districts à Londres qui
n'auront absolument aucune relation entre eux, sinon celle qu'ils sont tous
deux dans la Ligue et correspondent avec le même Conseil central.
Motifs :
précisément pour sauvegarder l'unité de la Ligue, il est nécessaire de former
deux districts ici. Aux antagonismes entre personnes ont fini par s'ajouter des
antagonismes de principes au sein de l'Association. Précisément, lors du
dernier débat sur la question « de la position du prolétariat allemand
dans la prochaine révolution », des membres de la minorité du Conseil central
ont exprimé des points de vue qui sont en contradiction directe avec
l'avant-dernière circulaire 10, voire
avec le Manifeste. Ils
ont substitué à la conception internationale du Manifeste une conception
nationale et allemande, en flattant le sentiment national de l'artisan allemand.
À la place de la conception matérialiste du Manifeste, ils ont une conception idéaliste : au
lieu de la situation réelle, c'est la volonté qui devient la force motrice de la
révolution 11. Tandis que nous disons aux ouvriers : il
vous faut traverser quinze, vingt, cinquante ans de guerres civiles pour
changer les conditions existantes et vous rendre aptes à la domination sociale,
ils disent au contraire : nous devons immédiatement arriver au pouvoir, ou bien
nous pouvons aller nous coucher ! À la manière dont les démocrates utilisent le
mot « peuple », ils utilisent le mot « prolétariat », comme une
simple phrase. Pour réaliser cette phrase, il faudrait proclamer prolétaires
tous les petits-bourgeois, c'est-à-dire représenter la petite bourgeoisie, et
non le prolétariat. À la place du développement historique réel, il faudrait
mettre la phrase « révolution ».
Ces débats ont enfin prouvé quelles étaient
les divergences de principes qui constituaient l'arrière-fond des chamailleries
personnelles, et maintenant le moment est venu d'intervenir. Précisément ces
antagonismes sont devenus les mots d'ordre de lutte des deux fractions, et les
défenseurs du Manifeste sont traités de
réactionnaires par certains membres de la Ligue ; l'on a ainsi cherché à les
rendre impopulaires, mais cela leur est parfaitement indifférent, étant donné
qu'ils ne recherchent aucune popularité. En conséquence, la majorité aurait le droit de dissoudre le district de
Londres et d'exclure la minorité comme étant en contradiction avec les
principes de la Ligue. Cependant, je ne fais pas cette proposition, parce
qu'elle susciterait d'inutiles chamailleries et que ces gens sont encore des
communistes de par leur conviction, bien que les conceptions qu'ils expriment
en ce moment soient anticommunistes et peuvent, à la rigueur, être appelées social-démocrates.
On comprendra
cependant que ce serait pure perte de temps que de rester encore ensemble.
Schapper a souvent parlé de nous séparer, bien ‑ je prends au sérieux sa
parole de séparation. Je crois avoir trouvé la voie grâce à laquelle nous nous
séparons sans faire éclater le parti.
Je déclare qu'à
mon sens je souhaite tout au plus que douze personnes passent dans notre
district, le moins possible, et j'abandonne volontiers toute la volée à la
minorité. Si cette proposition est adoptée, il est manifeste que nous ne
pourrons pas rester dans l'Association ; la majorité et moi-même, nous
quitterons l'Association de la Great Windmill Street 12. Enfin, il ne s'agit pas d'établir des
relations d'hostilité entre les deux fractions, mais au contraire de résorber
les tensions, donc toutes les relations. Nous demeurons ensemble dans la Ligue
et le parti, mais non dans des relations uniquement malfaisantes.
SCHAPPER : De
même que le prolétariat se sépare en France de la Montagne et de La
Presse 13, les gens
qui représentent les principes du parti se séparent ici de ceux qui organisent
le prolétariat. Je suis pour le transfert du Conseil central, de même que pour
le changement des statuts. Les camarades de Cologne connaissent la situation en
Allemagne. Mais je crois que la nouvelle révolution suscitera des gens qui se
dirigeront eux-mêmes, mieux que tous les gens qui ont eu un nom en 1848.
En ce qui
concerne les questions de principes, Eccarius a posé la question qui a suscité
cette discussion. J'ai exprimé le point de vue critiqué ici, parce qu'en
général je suis enthousiaste pour la cause. II s'agit de savoir si, au
commencement, nous coupons les têtes ou nous aurons la tête coupée. En France,
les ouvriers arriveront au pouvoir, et à leur suite nous y arriverons en
Allemagne. Si ce n'était pas le cas, j'irais bel et bien me coucher et me
consacrerais à mon gagne-pain de tout autre manière. Si c'est notre tour, nous
pouvons prendre des mesures telles que nous assurerons le règne du prolétariat.
Je suis fanatiquement attaché à cette opinion. Or, le Conseil central a voulu
le contraire. Mais si vous ne voulez plus rien avoir à faire avec nous, bien, ‑
nous nous séparons alors. Je serai certainement guillotiné dans la prochaine
révolution, mais j'irai en Allemagne.
Mais si vous
voulez former deux districts, bien ‑ mais lors c'en est fait de la Ligue,
nous nous retrouverons en Allemagne, et nous pourrons peut-être de nouveau
marcher ensemble. Je suis un ami personnel de Marx, mais si vous voulez que
nous nous séparions, bien ‑ alors nous irons seuls, et vous irez seuls.
Nous aurons alors créé deux Ligues. L'une pour ceux qui agissent avec la plume,
l'autre pour ceux qui agissent autrement. Je ne suis pas d'avis que les
bourgeois arriveront au pouvoir en Allemagne 14, et sur ce point je suis fanatiquement
enthousiaste ; si je ne l'étais pas, je ne donnerais pas un centime pour toute
l'histoire. Mais à deux districts ici à Londres, deux associations, deux comités
de réfugiés, nous préférons deux Ligues, et une séparation complète.
MARX : Schapper a
mal compris ma proposition. Sitôt qu'elle sera adoptée, nous nous séparerons,
les deux districts se sépareront, et les personnes ne seront plus en relation
entre elles. Mais ils resteront dans la même Ligue et sous le même Conseil
central. Vous pouvez même garder la grande masse des membres de la Ligue. En ce
qui concerne les sacrifices personnels, j'en ai fait autant que n'importe qui,
mais pour la classe, non pour des personnes.
En ce qui
concerne l'enthousiasme, il n'en faut pas beaucoup pour adhérer à un parti dont
on pense qu'il arrivera au pouvoir. J'ai toujours tenu tête à l'opinion
momentanée du prolétariat. Nous nous dévouons à un parti qui, pour son plus grand
bien précisément, ne peut pas encore arriver au pouvoir. S'il arrivait au
pouvoir, le prolétariat ne prendrait pas des mesures directement
prolétariennes, mais petites-bourgeoises. Notre parti ne pourra arriver au
pouvoir que lorsque les conditions lui permettront d'appliquer ses idées. Louis
Blanc fournit le meilleur exemple de ce que l'on arrive à faire, lorsqu'on
arrive trop tôt au pouvoir 15. Au
reste, en France, ce n'est pas le seul prolétariat, mais avec lui la
paysannerie et la petite bourgeoisie qui arriveront au pouvoir, et le
prolétariat devra appliquer leurs mesures, et non les siennes. La Commune de
Paris 16 démontre que l'on n'a pas besoin d'être
au gouvernement pour faire quelque chose.
Au reste,
pourquoi nul autre parmi les membres de la minorité qui ont unanimement ratifié
la circulaire ‑ notamment Willich ‑ ne prend-il la parole ? Nous ne
pouvons pas scinder la Ligue, et nous ne le voulons pas : il suffit de diviser
le district de Londres en deux.
ECCARIUS : J'ai
effectivement posé la question avec la claire intention de mettre les choses
sur le tapis. En ce qui concerne la conception de Schapper, j'ai exposé dans
l'Association pourquoi je la tiens pour une illusion et pourquoi je ne pense
pas que notre parti viendra au pouvoir dès la prochaine révolution. Notre parti
sera alors plus important dans les clubs qu'au gouvernement.
Le citoyen
Lehmann quitte la salle, sans dire un mot, de même le citoyen Willich.
Art. 1 : adopté
par tous. Schapper ne participe pas au vote.
Art. 2 : adopté
par tous. Schapper de même.
Art. 3 : adopté
par tous. Schapper de même.
Schapper élève
une protestation contre tous. Nous sommes maintenant tout à fait séparés. J'ai
des amis et connaissances à Cologne qui me suivront plus que vous.
MARX : Nous avons
réglé cette affaire conformément aux statuts, et les décisions du Conseil
central sont valables.
Après lecture du
procès-verbal, Marx et Schapper déclarent qu'ils n'ont pas écrit à Cologne à
propos de cette affaire.
On demande à
Schapper s'il a une objection à élever contre le procès-verbal. Il déclare
n'avoir rien à objecter, étant donné qu'il tient toute objection pour inutile.
Eccarius demande
que le procès-verbal soit signé de tous. Adopté. Schapper déclare qu'il ne le
signerait pas.
Ainsi fait à
Londres, le 15 septembre 1850.
Lu, ratifié et
signé
K. MARX,
président du Conseil central K.
SCHRAMM
F. ENGELS, secrétaire J.G.ECCARIUS
Henry BAVER K.
PFÄENDER
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Le rideau tomba
sur la première période du mouvement autonome des ouvriers allemands en 1852,
lorsque furent condamnés les communistes de Cologne 17. Cette période a pratiquement sombré dans l'oubli
aujourd'hui. Et pourtant ce mouvement tint de 1836 à 1856 et, du fait de
l'éparpillement des ouvriers allemands à l'étranger, il retentit sur tous les
pays du monde civilisé. Mais ce n'est pas tout. L'actuelle Internationale est
au fond la continuation directe du mouvement allemand d'alors, qui fut en somme
la première organisation ouvrière internationale, dont sont issus de nombreux militants qui
jouèrent un rôle directeur dans l'Association internationale des travailleurs.
De même, les principes théoriques que, dans le Manifeste du parti communiste
de 1848, la Ligue des
communistes inscrivit sur son étendard forment aujourd'hui, pour tout le
mouvement prolétarien d'Europe et d'Amérique, le moyen de liaison international
le plus puissant.
Il n'existe
jusqu'ici qu'une seule source importante pour l'histoire homogène de ce
mouvement : le livre noir, de Wermuth et Stieber, intitulé Les Conjurations
communistes du XIXe siècle, Berlin, deux volumes, 1853 et 1854 18. Ce factum, élucubré par deux des plus misérables
fripouilles policières de notre siècle, n'est qu'un ramassis de mensonges et
fourmille de faux volontaires. C'est pourquoi il sert aujourd'hui encore de
référence suprême pour tous les écrits non communistes sur cette période.
La seule
contribution que je puisse y donner, c'est une esquisse qui, à vrai dire, ne se
rapporte qu'à la Ligue et représente le strict nécessaire à l'intelligence des Révélations 19. J'espère qu'il me sera possible un jour
de mettre en forme la riche documentation que, Marx et moi, nous avons réunie
pour servir à l'histoire de cette glorieuse période de jeunesse du mouvement
ouvrier international.
Des réfugiés
allemands fondèrent en 1834, à Paris, l'association démocratique et
républicaine des « Bannis », dont les éléments les plus extrêmes, en
majeure partie prolétariens, firent scission en 1836 pour créer une
organisation nouvelle, secrète : la Ligue des justes. L'association-mère, où
étaient restés les bonnets de nuit à la Jacques Venedey, s'endormit bientôt
complètement : lorsqu'en 1840 la police en éventa quelques sections en
Allemagne, ce n'était plus qu'une ombre à peine. La nouvelle Ligue, en
revanche, eut un développement relativement rapide. Ce fut pour commencer un
rejeton allemand du communisme ouvrier français, inspiré de réminiscences
babouvistes, qui refleurissait à cette même époque à Paris : la communauté des
biens était exigée comme conséquence nécessaire de l'égalité. Les buts en
étaient ceux des sociétés parisiennes secrètes de cette époque, à mi-chemin
entre l'association de propagande et la société de conjuration, Paris restant
cependant toujours le centre de l'activité révolutionnaire, bien que l'on
n'excluât nullement, à l'occasion, la préparation d'un putsch en Allemagne.
Quoi qu'il en soit, comme Paris restait le champ de bataille décisif, la Ligue
n'était alors, en fait, qu'une section allemande des sociétés secrètes
françaises, notamment de la Société des saisons dirigée par Barbès et Blanqui, avec laquelle elle
était en relations étroites. Les Français lancèrent une grande action le 12 mai
1839 : les sections de la Ligue y participèrent et furent donc entraînées
dans la défaite commune.
Parmi les
Allemands, on avait arrêté notamment Karl Schapper et Heinrich Bauer ; après
une détention assez longue, le gouvernement de Louis-Philippe se contenta de
les expulser. Tous deux se rendirent à Londres.
Karl Schapper,
originaire de Weilburg (Nassau), participa en 1832, alors qu'il étudiait les
sciences sylvicoles, à la conspiration ourdie par Georges Büchner. Il prit
part, le 3 avril 1833, à l'assaut de la Garde du Constable de Francfort 20, réussit à passer à l'étranger et participa, en
février 1839, à l'expédition de Mazzini en Savoie 21. D'une taille de géant, décidé et énergique,
toujours prêt à mettre en jeu son existence et à sacrifier ses intérêts
matériels, il était le modèle du révolutionnaire professionnel tel qu'il
apparaît dans les années 1830. Malgré une certaine lourdeur de pensée, il était
ouvert à une vision théorique plus juste comme le démontre l'évolution qu'il a
suivie entre l'époque où il était un « démagogue 22 » et celle où il devint communiste : une fois une
leçon assimilée, il s'y accrochait avec d'autant plus d'entêtement. Tout cela
explique que sa passion révolutionnaire l'emportait parfois sur sa raison, mais
il a toujours fini par comprendre son erreur, et n'hésitait pas à le
reconnaître. C'était un homme dans toute la force du terme, et sa contribution
à la création du mouvement ouvrier allemand restera inoubliable.
Heinrich Bauer,
de Franconie, était cordonnier. Il avait un esprit vif, éveillé, et était plein
de malice. Beaucoup de finesse et de décision se cachait dans cet homme de
petite taille.
Réfugié à
Londres, il y rencontra Schapper, qui avait été typographe à Paris et essayait
maintenant de gagner sa vie comme professeur de langues. Ensemble, ils
renouèrent les fils rompus de l'organisation, et firent de Londres le centre de
la Ligue. L'horloger Joseph Moll, originaire de Cologne, les rejoignit à
Londres, s'il ne l'avait déjà fait à Paris. C'était un hercule de taille
moyenne ‑ combien de fois lui et Schapper n'ont-ils pas défendu
victorieusement la porte d'une salle de réunion contre la poussée de cent
adversaires ! ‑ et, s'il égalait ses deux compagnons pour ce qui est de
l'énergie et la décision, il les surpassait tous deux en intelligence
théorique. Il était non seulement un diplomate né, comme le prouve le succès
des nombreuses missions dont il fut chargé, mais il était encore, plus que tous
les autres, ouvert aux idées théoriques. À Londres, en 1843, je fis leur
connaissance à tous trois : ils étaient les premiers prolétaires
révolutionnaires que j'aie rencontrés. Certes, nos conceptions divergeaient
alors sur quelques points de détail, mais j'opposais à leur communisme
égalitaire borné 23 une bonne part d'orgueil philosophique
non moins borné. Quoi qu'il en soit, je n'oublierai jamais l'impression énorme
que ces trois hommes véritables firent sur moi alors que j'étais seulement en
train de devenir un homme.
À Londres ‑
comme en Suisse, mais dans une mesure moindre ‑, ils profitèrent de la
liberté d'association et de réunion. Dès le 7 février 1840, ils fondèrent
l'Association allemande pour la formation des ouvriers 24 qui existe encore aujourd'hui. Cette association
servit à la Ligue de terrain de recrutement et, comme toujours, les communistes
étant les militants les plus actifs et les plus intelligents sa direction
aboutit tout naturellement entre les mains de la Ligue, qui eut bientôt à
Londres plusieurs communes ou, comme on disait alors, « ateliers ». Cette
tactique qui s'imposait d'elle-même, on la suivit aussi en Suisse et ailleurs.
Partout où il était possible de fonder des associations ouvrières, on les
utilisa de cette façon. Dans les pays où la loi l'interdisait, on contactait
les sociétés de gymnastique, de chant, etc.
La liaison était
essentiellement maintenue par les compagnons qui allaient de ville en ville
pour leur métier et qui, en cas de besoin, jouaient le rôle d'émissaires. À
tous les points de vue, la Ligue fut grandement aidée par les sages
gouvernements qui, en expulsant tout ouvrier indésirable ‑ et neuf fois
sur dix c'était un membre de la Ligue ‑, en faisaient un émissaire.
La Ligue ainsi
reconstituée prit une extension considérable. En Suisse notamment, Weitling,
August Becker ‑ cerveau peu commun, mais qui, comme tant d'Allemands, fut
victime de son inconsistance intérieure ‑ et d'autres avaient créé une
organisation affiliée plus ou moins au réseau communiste de Weitling. Ce n'est
pas le lieu ici de critiquer la conception communiste de Weitling. Mais, pour
ce qui est de son importance en tant que première manifestation théorique
indépendante du prolétariat allemand, je souscris aujourd'hui encore à
l'appréciation de Marx dans le Vorwärts de Paris, en 1844 : « Jamais la bourgeoisie
allemande ‑ ses philosophes et savants y compris ‑ n'a écrit sur
l'émancipation de la bourgeoisie, soit l'émancipation politique, un ouvrage
comparable à celui de Weitling sur les Garanties de l'harmonie et de la
liberté. Si l'on compare
la médiocrité froide et plate de la littérature politique allemande avec le
gigantesque et éclatant début littéraire des ouvriers allemands, si l'on
compare ces bottes de géant de l'enfant prolétaire avec les chaussures de nain
déjà éculées de la bourgeoisie allemande, on ne peut que prédire une figure
athlétique au cendrillon allemand 25. »
Le prolétariat
allemand possède aujourd’hui cette taille de géant, et il n'a pas fini de
grandir.
Il existait
également en Allemagne de nombreuses sections qui, par la force des choses,
avaient un caractère plus éphémère. Mais celles qui naissaient faisaient plus
que compenser celles qui disparaissaient. Ce ne fut qu'au bout de sept ans, fin
1846, que la police de Berlin (Mentel) et de Magdebourg (Beck) tomba sur les
traces de la Ligue, mais fut incapable de les suivre très loin.
À Paris, où il
vivait en 1840 avant son séjour en Suisse, Weitling regroupa les éléments
dispersés.
Le noyau de la
Ligue était formé par les ouvriers tailleurs allemands qui travaillaient
partout, en Suisse, à Londres aussi bien qu'à Paris. Dans cette dernière ville,
la langue allemande était si courante dans ce corps de métier qu'un tailleur
norvégien, qui, en 1846, était passé directement par mer de Drontheim en
France, apprit, en dix-huit mois, fort bien l'allemand, mais ne sut jamais dire
un mot de français. En 1847, deux des communes de Paris se composaient
essentiellement de tailleurs, et une autre d'ouvriers ébénistes.
Depuis que le
centre de gravité était passé de Paris à Londres, un autre phénomène apparaissait
de plus en plus clairement : d'allemande la Ligue devenait progressivement
internationale. L'Association ouvrière était le lieu de rencontre non seulement
des Allemands et des Suisses, mais encore d'adhérents de toutes les
nationalités qui se servaient de la langue allemande dans leurs relations avec
les étrangers, notamment des Scandinaves, des Hollandais, des Tchèques, des
Slaves du Sud, ainsi que des Russes et des Alsaciens. En 1847, il y avait,
entre autre, un grenadier de la Garde anglaise qui assistait régulièrement aux
réunions en uniforme. L'organisation s'appela bientôt Association communiste
des ouvriers allemands, et les cartes d'adhésion portaient la mention : « Tous
les hommes sont frères », en une bonne vingtaine de langues écrites non sans
quelques fautes par-ci par-là. À l'exemple de l'Association publique, la Ligue
secrète prit un tour plus international, d'abord en un sens encore limité ‑
le fait des diverses nationalités de ses membres et la conscience de ce que
toute révolution devait être européenne peur triompher. On n'alla pas plus
loin, mais la base était jetée.
Des liaisons
étroites se nouèrent avec les révolutionnaires français, par le truchement des
militants qui avaient participé à la journée du 12 mai 1839 et avaient dû se
réfugier à Londres après leur échec. Puis ce furent des contacts avec les
Polonais de l'aile la plus radicale. Comme il est normal, l'émigration
polonaise officielle ainsi que Mazzini étaient plutôt des adversaires que des
alliés de la Ligue. En raison du caractère spécifiquement anglais de leur
agitation, les chartistes anglais étaient alors négligés, étant considérés
comme non révolutionnaires. Ce n'est que plus tard, par mon intermédiaire, que
les dirigeants londoniens de la Ligue entrèrent en liaison avec eux.
À d'autres égards
encore, la Ligue changea de caractère au fur et à mesure des événements. Bien
que l'on considérât toujours ‑ à juste titre d'ailleurs, à cette époque ‑
Paris comme la ville-mère de la révolution, on s'était libéré de la tutelle des
conspirateurs parisiens. À mesure que la Ligue gagnait du terrain, la
conscience politique de ses membres s'élevait. On sentait que l'on plongeait
des racines de plus en plus profondes dans la classe ouvrière allemande, et que
ces ouvriers étaient appelés historiquement à devenir le porte-drapeau de la
génération suivante des ouvriers du nord et de l'est de l'Europe. On avait en
Weitling un théoricien communiste que l'on pouvait comparer en tous points à
ses homologues français de l'époque. Enfin, on avait appris, grâce à
l'expérience du 12 mai, qu'il fallait renoncer pour le moment aux tentatives de
putsch. Même si l'on continuait de voir en chaque événement l'indice d'une
tempête imminente et si l'on s'en tenait en général aux anciens statuts de caractère
mi-conspiratif, la faute en était surtout à l'ancien esprit de contestation
révolutionnaire qui commençait cependant à faire place à une compréhension
nouvelle plus large et plus profonde.
En revanche, la
doctrine sociale de la Ligue, toute imprécise qu'elle fût, contenait une très
grave lacune, due aux conditions mêmes de l'époque. Ses adhérents, ceux du
moins qui étaient des travailleurs, étaient presque exclusivement des artisans
proprement dits. Même dans les très grandes villes de l'époque, le patron qui
les exploitait n'était la plupart du temps qu'un petit maître-artisan. C'est à
peine que naissait à Londres l'exploitation de la couture en grand, ce que l'on
appelle la confection, avec la transformation du métier en industrie à domicile
pour le compte d'un grand capitaliste. Bref, d'une part, l'exploiteur de ces
artisans était un petit patron, d'autre part, chacun pouvait espérer se
transformer lui-même un jour en petit patron. C'est pourquoi les artisans
allemands de ce temps-là étaient encore infestés d'une foule d'idées héritées
des anciennes corporations. Ce qui fait leur plus grand honneur, c'est que,
eux, qui n'étaient pas encore des prolétaires dans toute l'acception du terme,
mais un prolongement de la petite bourgeoisie en train d'évoluer vers le
prolétariat moderne sans être encore en opposition directe avec la bourgeoisie,
c'est-à-dire le grand capital, c'est que ces artisans aient été capables
d'anticiper instinctivement leur développement futur et de se constituer en
parti du prolétariat, bien que ce ne fût pas encore avec une pleine conscience.
Il était donc
inévitable que leurs vieux préjugés d'artisans vinssent à tout moment leur
faire quelque croche-pied, notamment lorsqu'il s'agissait de critiquer les
divers aspects de la société existante, c'est-à-dire de saisir les faits
économiques. Je ne crois pas qu'à cette date la Ligue ait compté un seul membre
ayant jamais lu un traité d'économie politique. Mais cela ne provoqua pas de
désastre : pour l'heure, l' « égalité », la « fraternité » et la
« justice » étaient d'un bon secours pour franchir les obstacles sur le
plan théorique.
Dans
l'intervalle, il s'était développé, à côté du communisme de la Ligue et de
Weitling, un autre communisme, tout à fait différent. À Manchester, je me
trouvais nez à nez avec les réalités économiques auxquelles les historiens
n'ont jusqu'ici attribué qu'un rôle tout à fait mineur, quand ils leur en
attribuaient un. De fait, elles constituent, du moins dans le monde moderne,
une puissance historique décisive, puisqu'elles représentent le fondement sur
lequel s'élèvent les actuels antagonismes de classe qui, dans les pays où la
grande industrie en a suscité le plein épanouissement, comme en Angleterre
notamment, représentent à leur tour la base de formation des partis politiques,
des luttes de parti et, en conséquence, de toute la vie politique.
Non seulement
Marx avait abouti à la même conception, mais dès 1844 il l'avait systématisée
dans les Annales franco-allemandes 26. En général, ce n'est pas l'État qui conditionne
et règle la société bourgeoise, mais la société bourgeoise qui conditionne et
règle l'État, de sorte qu'il faut expliquer la politique et l'histoire par les
conditions économiques et leur développement, et non l'inverse. Lorsqu'en été
1844 je rencontrai Marx à Paris, nous constatâmes que nous étions en accord
complet sur tous les problèmes théoriques, et c'est de là que date notre
collaboration. Quand nous nous retrouvâmes à Bruxelles au printemps 1845, Marx
avait déjà construit toute sa théorie matérialiste de l'histoire sur les
principes énoncés ci-dessus, et il ne nous restait plus qu'à nous mettre en
devoir d'expliciter la nouvelle conception dans les détails et dans les
directions les plus diverses.
Or, il se trouve
que cette découverte révolutionnaire pour la science historique, due pour
l'essentiel à Marx et pour une très faible part à moi, avait une importance
directe pour le mouvement ouvrier de l'époque. Le communisme chez les Français
et les Allemands, et le chartisme chez les Anglais n'apparaissaient plus dès
lors comme le simple fait du hasard, comme quelque chose qui aurait aussi bien
pu ne pas se produire. Au contraire, ces mouvements se présentèrent comme le
mouvement de la classe opprimée des temps modernes, du prolétariat, comme les
formes plus ou moins développées de sa lutte historiquement inévitable contre
la bourgeoisie, comme les formes de la lutte des classes qui désormais se
distinguent de toutes les anciennes luttes de classes sur ce point précis :
l'actuelle classe opprimée ne peut réaliser son émancipation sans émanciper en
même temps toute la société de la division en classes, donc mettre fin à la
lutte des classes. Communisme ne signifie plus désormais élucubration par un
effort d'imagination d'un idéal de société aussi parfaite que possible, mais
compréhension de la nature, des conditions de la lutte prolétarienne et des
buts généraux qui en découlent.
Cependant, nous
n'avions absolument pas l'intention de chuchoter, par le truchement de gros
volumes, ces nouveaux résultats scientifiques aux oreilles du monde savant. Au contraire. Tous deux, nous étions déjà
profondément engagés dans le mouvement politique, nous avions certains contacts
avec des intellectuels, dans l'ouest de l'Allemagne notamment, et une solide
liaison avec le prolétariat organisé. Notre tâche était de donner une base
scientifique à notre conception. Mais il ne nous importait pas moins de gagner
à notre conviction le prolétariat européen, et pour commencer celui
d'Allemagne. Après que nous eûmes clarifié les idées pour nous-mêmes, nous nous
mîmes à l'ouvrage. À Bruxelles, nous fondâmes une association ouvrière
allemande, et nous nous emparâmes de la Deutsche Brüsseler Zeitung 27, dont nous fîmes notre porte-parole jusqu'à
la révolution de février. Nous nouâmes des liaisons avec la fraction
révolutionnaire des chartistes anglais par le truchement de Julian Harney,
rédacteur de l'organe central du mouvement chartiste, The Northern Star 28, auquel je collaborais. De même, nous
avions formé une sorte de cartel avec les démocrates bruxellois (Marx était
vice-président de la Société démocratique) et les social-démocrates français de
La Réforme 29 dans laquelle je publiais des informations
sur les mouvements anglais et allemands. En somme, nos liaisons avec les
organisations et la presse radicales et prolétariennes comblaient nos vœux.
En ce qui
concerne la Ligue des justes, notre position était la suivante. Nous connaissions bien entendu
l'existence de la Ligue : en 1843, Schapper m'avait proposé d'y adhérer, mais
j'avais alors, cela va de soi, décliné son offre. Cependant, nous entretînmes
non seulement une correspondance suivie avec le groupe de Londres, mais nous
gardions encore des relations étroites avec le docteur Ewerbeck, qui dirigeait
alors les communes parisiennes. Même si nous ne nous préoccupions pas des
affaires particulières de la Ligue, nous étions au courant de tout ce qui s'y
passait d'important. En outre, nous influions, par la parole, la correspondance
et la presse, sur les conceptions théoriques des membres les plus importants de
la Ligue. Lorsqu'il s'agissait des affaires internes du parti communiste en
formation, nous utilisions le système des circulaires par procédé
lithographique, afin d'informer tous nos amis et correspondants dans le monde.
Il nous arrivait parfois dans ces circulaires de mettre en cause la Ligue
elle-même. Par exemple, un jeune intellectuel de Westphalie ‑ Hermann
Kriege ‑ qui alla en Amérique et s'y présenta comme émissaire de la
Ligue. S'étant associé avec un vieux fou du nom de Harro Harring pour
révolutionner l'Amérique par le truchement de la Ligue, il fonda un
journal 30 et prêcha, au nom de la Ligue, un
communisme tout pétri d'amour, débordant même d'amour et farci de rêverie
amoureuse. Nous y allâmes de notre circulaire qui ne manqua pas de produire son
effet : la Ligue fut débarrassée de Kriege 31.
Plus tard,
Weitling vint à Bruxelles. Mais ce n'était plus le jeune et naïf compagnon
tailleur, tout étonné de son propre talent, qui cherchait à se faire une image
claire de ce que pouvait être la société communiste. C'était le grand homme
persécuté par les envieux en raison de sa supériorité. Il flairait partout des
rivaux, des ennemis cachés et des pièges. C'était le prophète, traqué de pays
en pays, qui avait en poche une recette toute prête pour réaliser le paradis
sur terre, et s'imaginait que chacun ne songeait qu'à lui voler sa panacée. À
Londres, il s'était déjà brouillé avec les membres de la Ligue. De même, à
Bruxelles, où notamment Marx et sa femme lui témoignèrent une amitié mêlée
d'une patience surhumaine. Mais il ne pouvait s'entendre avec personne. Aussi
finit-il par se rendre en Amérique pour y mettre à l'épreuve ses idées de
prophète.
Toutes ces
circonstances contribuèrent à opérer sans bruit une révolution au sein de la
Ligue, et notamment parmi les dirigeants de Londres. Ceux-ci se rendaient de
plus en plus compte des insuffisances des anciennes conceptions du communisme
simplement égalitaire des Français aussi bien que du communisme préconisé par Weitling.
La tentative de Weitling de ramener le communisme au christianisme primitif, en
dépit de certains traits de génie que l'on rencontre dans son Évangile du
pauvre pécheur, n'avait
abouti en Suisse qu'à mettre le mouvement entre les mains d'illuminés tels
qu'Albrecht, ainsi que d'autres prophètes et charlatans qui exploitèrent plus
ou moins ouvertement leurs adeptes. Les vieux révolutionnaires de la Ligue ne
pouvaient qu'être écœurés par toute la veulerie et la flagornerie de ce
« vrai socialisme » débité par quelques gens de lettres qui transcrivaient
en un mauvais allemand hégélien les rêveries sentimentales mêlées aux formules
socialistes françaises (cf. le chapitre sur le socialisme allemand ou « vrai
socialisme » dans le Manifeste communiste) que Kriege et la lecture de cette littérature
introduisaient dans la Ligue. Devant l'inconsistance des anciennes doctrines
théoriques qui aboutissaient dans la pratique à de telles aberrations, on se
rendit de plus en plus compte à Londres qu'elles ne tenaient plus debout et
que, Marx et moi, nous avions raison avec notre nouvelle théorie. Cette prise
de conscience se trouva indubitablement accélérée par l'action, parmi les
dirigeants de Londres, de deux hommes qui dépassaient tous ceux que nous avons
cités jusqu'ici en capacité d'assimilation théorique : le peintre miniaturiste
Karl Pfänder de Heilbronn et le tailleur Georges Eccarius de Thuringe 32.
Bref, au
printemps 1847, Moll alla trouver Marx à Bruxelles, puis vint me voir ensuite à
Paris,, afin de nous inviter une nouvelle fois au nom de ses camarades à entrer
dans la Ligue. Ils étaient, nous disait-il, convaincus en général de
l'exactitude de notre conception tout autant que de la nécessité de soustraire
la Ligue aux anciens usages et procédés conspiratifs. Si nous voulions adhérer,
l'occasion nous serait offerte de développer, à un congrès de la Ligue, notre
communisme critique dans une proclamation qui serait ensuite publiée comme
manifeste de la Ligue ; de la sorte, nous pourrions contribuer avec nos forces
à substituer à l'organisation surannée de la Ligue une organisation nouvelle,
conforme aux exigences de l'époque aussi bien qu'au but du communisme.
II ne faisait pas
le moindre doute qu'il fallait une organisation au sein de la classe ouvrière
allemande, ne fût-ce que pour la propagande. Cependant, dans la mesure où elle
n'était pas purement locale, ce ne pouvait être qu'une association secrète,
même si elle existait aussi hors d'Allemagne. Or, la Ligue constituait
précisément une organisation de ce genre. Ce que nous avions critiqué
jusqu'alors dans la Ligue, les représentants de la Ligue le considéraient eux
aussi comme erroné et se disaient prêts à le sacrifier. Et l'on nous invitait à
contribuer à cette réorganisation. Pouvions-nous refuser ? Évidemment non. Nous
entrâmes donc dans la Ligue. À Bruxelles, Marx créa une commune avec nos
sympathisants, tandis que je rendis visite aux trois communes de Paris.
En été 1847, la
Ligue tint son premier congrès à Londres. G. Wolff y représentait la commune de
Bruxelles, et moi celle de Paris. On y mena d'abord à bonne fin la
réorganisation de la Ligue. Toutes les vieilles formules mystiques datant du
temps de la conspiration furent éliminées ; la Ligue s'organisa en communes,
cercles, cercles dirigeants, Conseil central et Congrès, et prit le nom de Ligue
des communistes. Le
premier article des statuts proclamait 33 : « Le but: de la Ligue est le renversement de la
bourgeoisie, la domination du prolétariat, l'abolition de la vieille société
bourgeoise, fondée sur les antagonismes de classes, et l'instauration d'une
société nouvelle, sans classes et sans propriété privée. »
L'organisation
était parfaitement démocratique, ses dirigeants étant élus et à tout moment
révocables ; ce seul fait barrait la route à toutes les velléités de
conspiration qui impliquent une dictature, et transformait la Ligue ‑ du
moins pour les temps de paix ordinaires ‑ en une simple association de
propagande. On procéda alors si démocratiquement que ces nouveaux statuts
furent soumis à la discussion des communes, puis aux débats du deuxième congrès
qui les adopta définitivement le 8 décembre 1847. Wermuth et Stieber les
reproduisirent dans leur ouvrage, I, p. 239, annexe VIII.
Le second congrès
siégea de fin novembre à début décembre de la même année. Marx y assistait
aussi et défendit la nouvelle théorie tout au long des débats qui durèrent une
bonne dizaine de jours. Toutes les objections et les doutes furent levés, les
nouveaux principes furent adoptés à l'unanimité, et l'on nous chargea, Marx et
moi, d'élaborer le Manifeste. C'est ce qui fut fait rapidement. Quelques semaines avant la révolution de
février, il fut envoyé à Londres pour être imprimé. Il a fait, depuis lors, le
tour du monde ; traduit dans presque toutes les langues, il sert aujourd'hui
encore, dans les pays les plus divers, de guide au mouvement prolétarien.
L'ancienne devise de la Ligue : « Tous les hommes sont frères », y était
remplacée par le nouveau cri de guerre : « Prolétaires de tous les pays,
unissez-vous ! », qui proclame ouvertement le caractère international de la
lutte. Dix-sept ans plus tard, ce cri de guerre résonnait dans le monde comme
mot d'ordre de ralliement pour la lutte de l'Association internationale des
travailleurs, et aujourd'hui le prolétariat militant de tous les pays l'a
inscrit sur sa bannière.
Or donc, la
révolution de février éclata. Aussitôt le Conseil central de Londres délégua
ses pouvoirs au cercle directeur de Bruxelles. Mais cette décision intervint à
un moment où Bruxelles était soumis à un véritable état de siège et où les
Allemands en particulier ne pouvaient plus se réunir nulle part. Quoi qu'il en
soit, nous étions tous sur le point de nous rendre à Paris. Le nouveau Conseil
central résolut donc de se dissoudre, afin de remettre tous ses pouvoirs à
Marx, l'habilitant à constituer immédiatement à Paris un nouveau Conseil
central. Les cinq camarades qui avaient pris cette résolution (3 mars 1848)
venaient à peine de se séparer que la police envahit le logis de Marx pour
l'arrêter et le mettre en demeure de partir le lendemain en France, où il avait
précisément l'intention de se rendre.
Nous nous
retrouvâmes donc tous bientôt à Paris. Et c'est là que fut rédigé le document
suivant, signé des membres du nouveau conseil central et diffusé dans toute
l'Allemagne. De nos jours encore, il est plein d'enseignements à plus d'un
titre :
Revendications du parti communiste en
Allemagne 34
« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
1. L'Allemagne entière sera proclamée
République une et indivisible.
[2. Tout Allemand de vingt et un ans sera
électeur et éligible, à condition de ne pas avoir été frappé d'une peine
criminelle.]
3. Les représentants du peuple seront
rétribués, afin que l'ouvrier puisse lui aussi siéger au parlement du peuple allemand.
4. Tout le peuple sera en armes. [À
l'avenir, les armées seront en même temps des armées d'ouvriers. Ainsi, l'armée
ne consommera pas seulement comme par le passé, mais produira encore plus que
ce qu'il lui faut pour son entretien. C'est, en outre, un moyen d'organiser le
travail dans la société.]
[5. L'administration de la justice sera
gratuite.
6. Toutes les charges féodales, avec toutes
les contributions, corvées, dîmes, etc., qui ont pesé jusqu'ici sur la
population rurale, seront supprimées sans qu'il y ait lieu au moindre
dédommagement.]
7. Les domaines des princes et autres
féodaux, toutes les mines, carrières, etc., seront transformés en propriété
d'État. Dans ces domaines, l'exploitation agricole s'effectuera en grand avec
les procédés les plus modernes de la science au profit de la collectivité
entière.
8. Les hypothèques pesant sur les biens des
paysans seront déclarées propriété d'État. Les paysans paieront à l'État les
intérêts de ces hypothèques.
9. Dans les régions où le régime des baux à
ferme est développé, la rente foncière ou le fermage sera payé à l'État sous la
forme d'un impôt.
[Toutes les
mesures indiquées aux numéros 6, 7, 8 et 9 seront prises pour diminuer les
charges publiques ainsi que celles des cultivateurs et des petits fermiers,
sans diminuer les ressources nécessaires à l'État pour couvrir ses frais, ni
compromettre la production. Le propriétaire foncier proprement dit, à savoir
celui qui n'est ni cultivateur ni fermier, ne contribue aucunement à la
production, de sorte que sa consommation est un simple abus.
10. Une banque d'État, dont la monnaie aura
cours forcé, prendra la place de toutes les banques privées.
Cette mesure
permettra de régler dans l'intérêt de tout le peuple le système de crédit, et
sapera la domination des gros financiers. En substituant progressivement à l'or
et à l'argent du papier-monnaie, elle fait baisser le coût de l'instrument
indispensable au mode de distribution bourgeois, de l'étalon d'échange, et
permet d'utiliser l'or et l'argent dans les échanges avec l'étranger. Cette
mesure est finalement nécessaire pour river les intérêts de la bourgeoisie
conservatrice à la révolution.]
11. Tous les moyens de transport ‑
chemins de fer, canaux, bateaux à vapeur, routes, postes, etc. ‑ seront pris
en main par l'État. Ils seront transformés en propriété d'État et les classes
les plus démunies pourront les utiliser gratuitement.
[12. La seule différence à introduire dans le
système des traitements des fonctionnaires, c'est que ceux qui ont une famille,
c'est-à-dire plus de besoins, toucheront un traitement supérieur aux autres.
13. Séparation totale entre l'Église et
l'État. Les ministres de toutes les confessions seront rétribués uniquement par
les largesses de leurs coreligionnaires.]
14. Restriction du droit de succession.
15. Introduction d'impôts fortement
progressifs, et suppression des impôts sur la consommation.
16. Création d'ateliers nationaux. L'État
garantit l'existence à tous les travailleurs et assure l'entretien de ceux qui
sont inaptes au travail.
17. Instruction générale et gratuite.
Il est de
l'intérêt du prolétariat, des petits-bourgeois et petits cultivateurs allemands
d'œuvrer de toute leur énergie à la réalisation des mesures ci-dessus énoncées.
C'est uniquement en les réalisant que des millions d'Allemands, exploités
jusqu'ici par un petit nombre d'individus désireux de perpétuer l'oppression,
pourront obtenir justice et conquérir le pouvoir qui leur revient, puisqu'ils
produisent toute la richesse dans la société.
Le Comité
Karl MARX Karl SCHAPPER, Heinrich BAUER,
Friedrich ENGELS, Joseph MOLL, Wilhelm
WOLFF
À Paris sévissait
alors la manie des légions révolutionnaires. Espagnols, Italiens, Belges,
Hollandais, Polonais, Allemands se constituaient en troupes pour délivrer leurs
patries respectives. La légion allemande était dirigée par Herwegh, Bornstedt,
Börnstein. Étant donné que tous les travailleurs étrangers se trouvèrent, au
lendemain de la révolution, non seulement sans travail, mais encore en butte
aux tracasseries du public, l'afflux vers ces légions était considérable. Le
nouveau gouvernement y voyait un moyen de se débarrasser des travailleurs
étrangers, si bien qu'il leur accorda l'étape du soldat 35, soit une indemnité de 50 centimes par jour de
marche jusqu'à la frontière, où le ministre des Affaires extérieures, le beau
parleur Lamartine qui avait toujours la larme à l'œil, trouverait toujours une
occasion pour les trahir et les livrer à leurs gouvernements respectifs.
C'est de la
manière la plus nette que nous prîmes parti contre cet enfantillage
révolutionnaire. Entreprendre une invasion au beau milieu de l'effervescence
allemande du moment afin d'y importer de l'étranger la révolution de vive
force, c'était donner un croc-en-jambe à la révolution en Allemagne même,
consolider les gouvernements en place et enfin ‑ Lamartine en était le
plus sûr garant – livrer sans défense les légionnaires aux coups de
l'armée allemande. De fait, lorsque la révolution vainquit ensuite à Berlin et
à Vienne, la légion fut plus inutile que jamais. Comme on avait commencé, ainsi
continua-t-on de jouer 36.
Nous fondâmes un
club communiste allemand 37, afin
de donner aux ouvriers le conseil de gagner isolément l'Allemagne et d'y faire
de la propagande pour le mouvement, plutôt que de s'engager dans la légion.
Notre vieil ami Flocon, qui faisait partie du Gouvernement provisoire, réussit
à obtenir pour les ouvriers rapatriés par nos soins les mêmes avantages de
voyage qu'aux légionnaires. Nous fîmes ainsi rentrer trois à quatre cents
ouvriers, en grande majorité membres de la Ligue.
Comme il était facilement prévisible, la Ligue s'avéra comme un levier pratiquement dérisoire face aux masses populaires jetées dans le tourbillon révolutionnaire. Les trois quarts des membres de la Ligue avaient changé de domicile du fait de leur retour en Allemagne, et la plupart des communes auxquelles ils avaient adhéré jusqu'alors se trouvèrent automatiquement dissoutes, de sorte qu'ils perdirent toute liaison avec la Ligue. Les plus ambitieux ne cherchèrent même pas à rétablir cette liaison, mais se mirent à créer, pour leur propre compte, de petits mouvements séparés dans leur localité. Enfin, dans chacun des innombrables États en lesquels l'Allemagne était alors divisée, dans chaque province, dans chaque ville, la situation était à son tour si particulière que la Ligue eût été, de toute façon, dans l'impossibilité de donner autre chose que des consignes générales qu'il était en somme plus commode de diffuser par voie de presse. En fin de compte, dès l'instant où cessaient les causes qui avaient rendu nécessaire la clandestinité, la Ligue n'avait plus besoin d'être une organisation secrète. Ceux qui devaient en être le moins surpris, c'était ceux qui venaient précisément d'enlever à la Ligue ses derniers aspects conspirateurs.
Il s'avéra aussitôt que la Ligue avait été une excellente école d'action
révolutionnaire. Sur le Rhin, où La Nouvelle Gazette rhénane constituait un point de ralliement
solide 38, dans le Nassau, la Hesse rhénane, etc.,
des membres de la Ligue avaient pris partout la tête du mouvement démocratique
extrémiste. De même à Hambourg. En Allemagne méridionale, la petite bourgeoisie
démocratique prépondérante nous barrait la route. À Breslau, Wilhelm Wolff
déploya une activité très fructueuse jusqu'à l'été 1848 et obtint un mandat
pour représenter la Silésie au parlement de Francfort. À Berlin, enfin, Stephan
Born, ancien membre très actif de la Ligue à Bruxelles et à Paris, fonda une Association
fraternelle ouvrière qui
prit une grande extension et subsista jusqu'en 1850. Hélas, Born, encore jeune
et plein de talent, fut trop pressé de devenir une sommité politique et
fraternisa avec le tiers et le quart simplement pour rassembler beaucoup de
monde. Il n'était pas homme à mettre de l'unité dans les tendances opposées, ni
de la clarté dans le chaos. Ainsi, dans les publications officielles de cette
association, s'entremêlent en un fouillis inextricable des idées exposées dans
le Manifeste communiste, des réminiscences et revendications datant des vieilles corporations, des
bribes des constructions de Louis Blanc et de Proudhon, des idées
protectionnistes, etc. ; bref, il voulait être de tous les mouvements et
n'était que la mouche du coche. On lança des grèves, des coopératives ouvrières,
des associations de production, en oubliant qu'il s'agissait, avant tout, de
commencer par conquérir, grâce à des victoires politiques, un terrain sur lequel tout cela pouvait
être réalisé à long terme. Or, lorsque les victoires de la réaction firent comprendre
aux dirigeants de cette Association fraternelle des ouvriers qu'il fallait
intervenir directement dans la lutte révolutionnaire, ils furent naturellement
lâchés par la masse confuse qu'ils avaient rassemblée autour d'eux. Born
participa à l'insurrection de Dresde en mai 1849 39, et parvint à en sortir sain et sauf. Mais
l'Association fraternelle ouvrière était restée à l'écart du grand mouvement
politique du prolétariat, comme une organisation particulière, qui n'existait
guère que sur le papier. Son rôle fut si effacé que la réaction ne jugea
nécessaire de la combattre qu'en 1850, et de liquider ce qui en restait
quelques années plus tard seulement. Born ‑ Buttermilch de son vrai nom ‑
ne devint pas un grand homme politique, mais un petit professeur suisse qui, au
lieu de traduire Marx dans le langage des artisans, traduisit le tendre Renan
en son propre allemand à l'eau de rose.
Le 13 juin 1849 à
Paris 40, la défaite des soulèvements allemands de
mai 41, l'écrasement de la révolution hongroise
par les Russes 42 marquèrent la fin d'une grande période de
la révolution de 1848. Cependant, la victoire de la réaction n'en était pas
pour autant définitive, loin de là. Une réorganisation des forces
révolutionnaires, dispersées par une première défaite, s'imposait, et par suite
aussi celle de la Ligue. Mais, tout comme avant 1848, les conditions du moment
interdisaient au prolétariat de s'organiser au grand jour : il fallut donc
recourir de nouveau à l'organisation secrète.
Au cours de l'automne 1849, la plupart des membres des anciens conseils
centraux et des congrès se retrouvèrent à Londres. Il ne manquait plus que
Schapper (qui était détenu à Wiesbaden, mais nous rejoignit également au
printemps 1850, après son acquittement), ainsi que Moll qui, après avoir rempli
une série de missions et de tournées d'agitation les plus dangereuses ‑
en dernier, il recrutait des canonniers montés pour l'artillerie du
Palatinat 43 au sein même de l'armée prussienne ‑,
s'engagea dans la compagnie ouvrière de Besançon du corps d'armée de Willich et
fut tué d'une balle dans la tête au cours de l'accrochage de la Murg, près du
pont de Rotenfels.
Willich fait contraste sur ce point. C'était l'un de ces communistes de sentiment si nombreux après 1845 en Allemagne occidentale. Ne serait-ce que pour cette raison, il était en opposition instinctive et secrète avec notre tendance critique. Qui plus est, c'était littéralement un prophète, convaincu de sa mission personnelle de libérateur prédestiné du prolétariat allemand et, en tant que tel, prétendant direct à la dictature aussi bien militaire que politique. À côté du communisme de type christianisme primitif de Weitling, on vit donc s'instituer une sorte d'islam communiste. Cependant, la propagande en faveur de la nouvelle religion se limita tout d'abord à la caserne de réfugiés commandée par Willich.
Or donc, la Ligue
fut réorganisée, lors de la publication de l'Adresse de mars 1850 44 et de l'envoi en Allemagne de notre émissaire H.
Bauer. Cette adresse, élaborée par Marx et moi, présente aujourd'hui encore un
intérêt, du fait que la démocratie petite-bourgeoise continue de former le
parti qui doit arriver au pouvoir pour sauver la société de l'emprise des
ouvriers communistes, lors de la prochaine secousse dont l'échéance ne saurait
tarder maintenant (l'échéance des révolutions européennes allant de quinze à
dix-huit ans au cours de ce siècle, par exemple 1815-1830, 1848-1852, 1870).
Sur plus d'un point, cette adresse est encore valable aujourd'hui. La tournée
de Heinrich Bauer fut un succès complet. Le joyeux petit cordonnier était un
diplomate né. Il fit revenir dans l'organisation active les anciens membres de
la Ligue, dont les uns s'étaient lassés, et dont les autres opéraient à leur
propre compte, notamment les chefs actuels de l'Association fraternelle des
travailleurs. La Ligue joua un rôle prépondérant dans les sociétés d'ouvriers,
de paysans ou de gymnastique, et ce avec plus de succès qu'avant 1848. Ainsi
l'Adresse trimestrielle suivante aux communes (juin 1850) 45 put constater que d'estudiantin Schurz, de Bonn
(plus tard ministre aux États-Unis), qui parcourait l'Allemagne au profit de la
démocratie petite-bourgeoise, aurait « trouvé toutes les forces utilisables
déjà entre les mains de la Ligue ». Celle-ci, comme on le voit, était
indubitablement la seule organisation révolutionnaire ayant une importance en
Allemagne.
Le sort de cette organisation était directement lié aux perspectives d'une reprise révolutionnaire. Or, celles-ci devenaient de plus en plus incertaines, voire contraires au cours de l'année 1850. La crise industrielle de 1847 qui avait préparé la révolution de 1848 était surmontée, et il s'ouvrait une nouvelle période de prospérité industrielle sans pareille jusqu'ici. Quiconque avait des yeux pour voir, et s'en servait, s'apercevait clairement que la tempête révolutionnaire de 1848 s'apaisait progressivement. Dans la revue de mai à octobre 1850 46, Marx et moi nous écrivions : « Du fait de la prospérité générale, au cours de laquelle les forces productives de la société bourgeoise se développent avec toute la luxuriance possible au sein des rapports bourgeois, il ne peut être question d'une véritable révolution. Celle-ci n'est possible qu'aux périodes de conflit ouvert entre ces deux facteurs : les forces productives modernes et les formes de production bourgeoises. Les différentes querelles auxquelles se livrent actuellement les représentants des diverses factions du parti de l'ordre sur le continent, et dans lesquelles elles se discréditent les unes les autres, bien loin de fournir de nouvelles occasions de révolution, ne sont au contraire possibles que parce que la base des rapports sociaux est en ce moment bien assurée et ‑ ce que la réaction ignore ‑ solidement bourgeoise. Les multiples tentatives entreprises par la réaction pour endiguer l'essor social de la bourgeoisie viendront s'échouer contre cette base, et ce tout aussi sûrement que toute l'indignation morale et les proclamations enthousiastes de la démocratie. »
Cette froide appréciation de la situation fut considérée comme une hérésie,
à une époque où les Ledru-Rollin, Louis Blanc, Mazzini, Kossuth et, parmi les
lumières allemandes de second ordre, Ruge, Kinkel, Gügg et tutti quanti
constituaient en série à Londres de futurs gouvernements provisoires, non
seulement pour leurs patries respectives, mais encore pour l'Europe entière :
il ne leur restait plus qu'à rassembler, grâce à un emprunt révolutionnaire,
émis en Amérique, l'argent nécessaire pour réaliser en un clin d'œil la
révolution européenne ainsi que les différentes républiques qui en découlaient
tout naturellement. Qui pourrait s'étonner de ce qu'un homme tel que Willich
ait donné dans le panneau, que Schapper lui-même, en raison de ses vieux élans
révolutionnaires, se soit laissé griser, et que la majeure partie des ouvriers
de Londres, pour la plupart des réfugiés, les aient suivis dans le camp des
faiseurs de révolution de la démocratie bourgeoise ? En un mot, la
circonspection que nous préconisions n'était pas du goût de ces gens-là : il
fallait se mettre à faire des révolutions. Nous nous y refusâmes
catégoriquement. Il s'ensuivit une scission, et la suite est à lire dans les Révélations 47.
Puis ce fut l'arrestation de Nothjung d'abord, de Haupt à Hambourg ensuite. Ce dernier trahit, en donnant les noms du Comité central de Cologne et en servant de témoin principal dans le procès. Cependant, les membres de sa famille ne voulurent pas subir pareille honte et l'expédièrent à Rio de Janeiro, où il trouva à s'établir dans le commerce et finit par être nommé consul général de la Prusse, puis de l'Allemagne, en récompense de ses hauts faits. Il est actuellement de retour en Europe.
Pour faciliter l'intelligence de ce qui va suivre, voici la liste des accusés de Cologne : 1. P. G. Röser, ouvrier cigarier ; 2. Heinrich Bürgers, mort en 1878 comme député progressiste au Landtag ; 3. Peter Nothjung, tailleur, mort il y a quelques années à Breslau, comme photographe ; 4. W. J. Reiff ; 5. Dr Hermann Becker, aujourd'hui mayeur de Cologne et membre de la Chambre haute ; 6. Dr Roland Daniels, médecin, mort, quelques années après le procès, de phtisie contractée en prison ; 7. Karl Otto, chimiste ; 8. Dr Abraham Jacoby, actuellement médecin à New York ; 9. Dr J. J. Klein, actuellement médecin et échevin à Cologne ; 10. Ferdinand Freiligrath, qui résidait autrefois déjà à Londres ; 11. J. L. Ehrhard, commis ; 12. Friedrich Lessner, tailleur, actuellement à Londres.
Les débats
publics devant les jurés durèrent du 4 octobre au 12 novembre 1852, et
s'achevèrent par les condamnations suivantes pour tentative de haute trahison :
Röser, Bürgers et Nothjung à 6 ans de forteresse, Reiff, Otto, Becker à 5 ans,
et Lessner à 3 ans de la même peine. Daniels, Klein, Jacoby et Ehrhard furent
acquittés.
Le procès de Cologne clôt cette première période du mouvement ouvrier communiste allemand. À peine les condamnations étaient-elles prononcées que nous décidâmes de dissoudre notre Ligue ; quelques mois plus tard, la Ligue séparatiste 48 de Willich-Schapper sombra dans le repos éternel.
Entre cette
première période et l'actuelle s'est écoulée une génération. Dans l'intervalle,
d'un pays d'artisanat et d'industrie domestique à base de travail manuel,
l'Allemagne est devenue un grand pays industriel en transformation économique
et technique ininterrompue. En ce temps-là, il fallait recruter un par un les
ouvriers susceptibles de saisir leur condition d'ouvriers et l'antagonisme
historique et économique qui les oppose au capital, parce que cet antagonisme
lui-même n'était encore qu'en voie de formation. Aujourd'hui, il faut soumettre
tout le prolétariat allemand aux lois d'exception pour retarder d'un rien le
processus par lequel il prendra une conscience complète de sa condition de
classe opprimée.
En ce temps-là,
les rares hommes qui, à force de ténacité, s'étaient haussé à l'intelligence du
rôle historique du prolétariat devaient s'organiser en secret dans de petites
communes de trois à vingt hommes et se réunir en catimini. Aujourd'hui, le
prolétariat allemand n'a pas besoin d'organisation constituée, ni publique ni
secrète 49 : la simple association, qui va de soi,
de membres de la même classe professant les mêmes idées suffit à ébranler tout
l'Empire allemand, même sans statuts, ni comité directeur, ni résolutions, ni
autres formalités. Bismarck est devenu l'arbitre de l'Europe, hors des
frontières de l'Allemagne ; à l'intérieur, en revanche, il se voit menacé
chaque jour davantage par la figure athlétique du prolétariat allemand, dont
Marx avait prévu les proportions gigantesques dès 1844. D'ores et déjà, il se
trouve à l'étroit dans le cadre de l'Empire tracé à la mesure du philistin
bourgeois. Dans un proche avenir, lorsque sa stature puissante et ses larges
épaules se seront encore développées, il n'aura qu'à se soulever de son siège
pour faire sauter tout d'édifice constitutionnel de l'Empire.
Qui plus est, le
mouvement international du prolétariat européen et américain est devenu
maintenant si puissant que non seulement sa forme première, forme étriquée ‑
la Ligue secrète ‑ mais encore sa forme seconde, infiniment plus large ‑
l'Association internationale des travailleurs de caractère public ‑, lui
seraient une entrave. De fait, le simple sentiment de solidarité, fondé sur la
reconnaissance de l'identité de la condition de classe parmi les ouvriers de
tous les pays et de toutes les langues, suffit à créer et à souder un seul et
même grand parti du prolétariat 50.
Les leçons que la
Ligue a retenues et défendues de 1847 à 1852, et que les philistins, dans leur
sagesse, pouvaient, avec des haussements d'épaules, décrier comme des chimères
écloses dans les folles têtes extrémistes, ou comme la doctrine ésotérique de
quelques sectaires disséminés aux quatre coins du pays, ces théories ont
aujourd'hui d'innombrables partisans dans tous les pays civilisés du monde,
parmi les parias des mines de Sibérie aussi bien que les chercheurs d’or de
Californie 51. Et le fondateur de cette doctrine,
l'homme le plus haï et le plus calomnié de son temps ‑ Karl Marx ‑,
était, au moment de sa mort, le conseiller toujours recherché et toujours
disponible du prolétariat des deux mondes.
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On a peine à
imaginer défaite plus écrasante que celle que vient de subir sur le continent
le parti révolutionnaire ‑ ou plus exactement les différents partis
révolutionnaires ‑, et ce sur tous les fronts de la bataille 52. Mais qu'est-ce à dire ? La lutte de la
bourgeoisie britannique pour la suprématie politique et sociale n'a-t-elle pas
embrassé une période longue de quarante-huit ans, et celle de la bourgeoisie
française une période de quarante ans de luttes sans pareilles ? Et leur
victoire fut-elle jamais aussi proche qu'au moment même où la monarchie restaurée
se croyait plus solidement établie au pouvoir que jamais ?
Les temps sont
passés et bien passés où la superstition attribuait les révolutions à la
malignité d'une bande d'agitateurs. Chacun sait, de nos jours, que derrière
toute convulsion révolutionnaire il existe forcément un besoin social, dont les
institutions surannées ne peuvent assurer la satisfaction. Il se peut que ce
besoin ne soit pas actuellement assez urgent et général pour chercher à
s'imposer immédiatement 53.
Néanmoins, toute tentative de, la réprimer par la violence ne peut que le faire
resurgir avec plus de force, jusqu'à ce qu'il brise ses entraves.
Si nous avons été
battus, tout ce que nous avons donc à faire, c'est de recommencer par le début.
Et, par chance, l'intervalle de répit ‑ de très courte durée sans
doute 54 ‑ qui nous est accordé entre la fin
du premier et le commencement du second acte du mouvement, nous laisse le temps
de faire un travail des plus utiles : l'analyse des causes qui rendirent
inéluctables aussi bien le récent soulèvement que sa défaite, causes qu'il ne
faut pas rechercher dans les efforts, talents, erreurs ou trahisons accidentels
de quelques-uns des chefs, mais dans les conditions sociales générales de vie
de chacune des nations ébranlées par la crise.
On s'accorde
généralement à reconnaître que les mouvements subits de février et de mars 1848
n'ont pas été l'œuvre d'individus isolés, mais des manifestations spontanées,
irrépressibles, de nécessités et de besoins nationaux plus ou moins clairement
compris, mais très distinctement ressentis par toute une série de classes dans
tous les pays. Néanmoins, lorsque l'on s'enquiert des causes des succès de la
contre-révolution, on obtient de tous les côtés la réponse commode que c'est
Monsieur Un Tel ou le citoyen Tel Autre qui a « trahi » le peuple (ce qui
d'ailleurs. peut être vrai ou non, selon le cas). Mais, en aucun cas, cette
réponse n'explique quoi que ce soit, qui plus est, elle ne permet même pas de
comprendre comment il s'est fait que le « peuple » se soit laissé
trahir de la sorte. Mais combien piètres sont les perspectives d'avenir d'un
parti politique dont le seul inventaire politique se résume dans le fait que le
citoyen Tel ou tel n'est pas digne de confiance 55 !
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À Messieurs Adam, Barthélémy et Vidil,
Nous avons
l'honneur de vous informer que nous considérons l'association dont vous parlez
comme étant depuis longtemps dissoute de facto 56. Tout ce qui reste encore à faire, c'est de
détruire le contrat de base. MM. Adam ou Vidil auront peut-être l'obligeance de
venir trouver M. Engels ‑ Macclefield Street n° 6, Soho ‑ dimanche
prochain, le 13 octobre dans l'après-midi pour cela.
Nous avons l'honneur,
chers Messieurs, d'être vos serviteurs dévoués.
Londres, le 9-10-1850
ENGELS, MARX, HARNEY
Au président de
séance du mardi de l'Association allemande de formation des ouvriers de
Londres, Great Windmill Street.
Les signataires
vous annoncent par la présente qu'ils quittent la Société.
Londres, 17-9-1850
H. BAUER, K. PFÄENDER, J. G. ECCARIUS
K. MARX, S. SEILER, K. SCHRAMM, F. ENGELS
F. WOLFF, W. LIEBKNECHT, H. HAUPT, G.
KLOSE
Il semble bien
que la marche de sept cents gueux sur Paris, annoncée à cor et à cri par la
presse, ne soit qu'une blague. Le petit Louis Blanc, lui aussi, à en juger par les nouvelles lamentations qu'il
publie dans le Daily News d'aujourd'hui, est, sinon à Londres, du moins en sécurité. Ses premières
lamentations étaient encore sublimes à côté de celles d'aujourd'hui 57.
Peuple français ‑ noble fierté ‑ courage indomptable ‑
éternel amour de la liberté ‑ honneur au courage malheureux 58 ‑ et, tout en disant cela, notre petit
bonhomme exécute un demi-tour à droite 59 et prône la confiance et l'union du peuple et de
la bourgeoisie. Tout comme Proudhon, cf. « Appel à la bourgeoisie 60 », p. 2. Et que dire de cette façon de raisonner
: si les insurgés ont été battus, cela vient de ce qu'ils n'étaient pas le vrai
peuple 61, car le vrai peuple ne peut pas être
battu. Or, si le vrai peuple ne s'est pas battu, c'est qu'il ne voulait pas se
battre pour l'Assemblée nationale. (À cela on peut fort bien objecter que, s'il
avait triomphé, le vrai peuple eût lui-même exercé une dictature, mais s'il n'a
pas eu le temps même d'y songer, c'est parce qu'il a été surpris par le
déroulement des événements, et d'ailleurs il a si souvent été dupé !)
C'est toujours la vieille et basse argumentation des démocrates qui s'étale
à chaque fois que le parti révolutionnaire subit une défaite. Le fait est, me
semble-t-il, que s'il ne s'est pas battu en masse cette fois-ci, le prolétariat
était parfaitement conscient de sa propre faiblesse et de son impuissance 62, de sorte qu'il s'est résigné avec fatalisme au
cycle renouvelé République, Empire, Restauration, puis nouvelle révolution,
jusqu'à ce que, après un certain nombre d'années de misère où règne le plus
grand ordre possible, il ait repris de nouvelles forces. Je ne dis pas que les
choses se passeront ainsi, mais je crois que c'est ce qui, au fond, a prévalu
d'instinct chez le peuple de Paris mardi et mercredi, et après le
rétablissement du scrutin secret, et la reculade de la bourgeoisie qui
s'ensuivit, vendredi. Mais il serait absurde de prétendre qu'une occasion
n'existait pas à ce moment-là pour le peuple.
Si le prolétariat veut attendre que ce soit le gouvernement qui pose son
propre problème, et s'il attend ensuite que survienne un heurt qui donne au
conflit une forme plus aiguë et plus nette qu'en juin 1848 ‑ il peut
attendre encore longtemps. La dernière occasion où le problème s'est posé avec
quelque netteté entre le prolétariat et la bourgeoisie, ce fut lors de la loi
électorale de 1850 63. Or, le peuple a préféré ne pas se battre
à ce moment-là. Cette renonciation ainsi que le fait de tout renvoyer à 1852
étaient déjà en soi une preuve de passivité qui, mis à part le cas d'une crise
économique, devraient nous suffire à diagnostiquer une perspective assez noire
même pour 1852. Après l'abolition du suffrage universel et l'élimination du
prolétariat de la scène officielle, c'est vraiment demander beaucoup aux partis
officiels que de compter sur eux pour poser le problème en des termes qui
conviennent au prolétariat !
Comment le
problème se posait-il en février 1848 ? À cette date, le peuple était tout
autant hors de cause 64
qu'aujourd'hui. Or, on ne saurait nier que, si le parti révolutionnaire
commence à laisser passer, dans une situation révolutionnaire, des moments
décisifs sans dire son mot, ou s'il intervient sans arracher la victoire, on
peut considérer avec une relative certitude qu'il est fichu pour un certain
temps 65. Je n'en veux pas d'autre preuve que les
insurrections après Thermidor et les soulèvements de 1830. Cela étant, ces
messieurs qui proclament si bruyamment que le vrai peuple attend son occasion risquent fort de
tomber au niveau des Jacobins impuissants de 1795 et 1799 et des Républicains
de 1831 et 1839, et de se couvrir de ridicule.
De même, il est indéniable que le rétablissement du scrutin secret a
produit son effet sur la bourgeoisie, la petite bourgeoisie et, au bout du
compte aussi, sur bon nombre de prolétaires (comme il ressort de tous les rapports), ce qui
jette un jour étrange sur ce que l'on dit sur l'état d'esprit des Parisiens,
leur courage et leur perspicacité. Il saute aux yeux que beaucoup ne se sont
pas rendu compte de la stupidité de la question posée par Louis-Napoléon et ne
se sont pas demandé ce qui garantissait l'exactitude du décompte des voix. En
fait, la plupart ont certainement percé à jour le bluff : seulement ils se sont
fait accroire à eux-mêmes que tout allait bien alors, à seule fin d'avoir un
prétexte pour ne pas se battre 66.
Enfin, nous avons de nouveau l'occasion, pour la première fois depuis
longtemps, de montrer que nous n'avons besoin ni de popularité ni du soutien
d'aucun parti de quelque pays que ce soit, nos positions n'ayant absolument
rien à voir avec ces considérations dégradantes 67. Désormais, nous ne sommes plus responsables que
vis-à-vis de nous-mêmes, et lorsque le moment sera venu où ces messieurs auront
besoin de nous, alors nous serons en mesure de dicter nos conditions. Au moins
jusque-là nous serons tranquilles, voire dans une certaine mesure isolés ‑
mon Dieu 68, je jouis depuis près de trois mois déjà de la
solitude ici à Manchester, et je m'y suis fait ; par-dessus le marché, je suis
un véritable célibataire, ce que l'on tient ici pour fort ennuyeux 69.
Au reste, nous
aurions mauvaise grâce, au fond, de nous plaindre de ce que les petits
grands hommes 70 nous évitent avec effroi. N'avons-nous
pas fait depuis des années comme si le ban et l'arrière-ban étaient organisés
dans notre parti, alors que nous manquions d'un parti, les gens que nous
comptions comme de notre parti, tout au moins officiellement ‑ sous réserve
de les appeler des bêtes incorrigibles 71 ‑, n'ayant pas saisi le premier mot de
notre doctrine.
Comment pourrions-nous être d'un « parti », nous qui fuyons comme la peste les postes officiels ? Que nous chaut un « parti », à nous qui crachons sur la popularité, à nous qui doutons de nous-mêmes dès que nous commençons à devenir populaires ? Que nous chaut un « parti », c'est-à-dire une bande d'ânes qui ne jurent que par nous, parce qu'ils nous tiennent pour leurs semblables ? En fait, ce ne sera pas une perte, lorsque nous ne passerons plus pour être « l'expression exacte et conforme » de cette meute bornée à laquelle on nous a associés toutes ces dernières années 72.
Une révolution
est un phénomène purement naturel, commandé par des lois physiques, plutôt que
des règles qui déterminent en temps ordinaire le cours de la société, mieux,
ces règles prennent dans les révolutions un caractère beaucoup plus physique,
la force matérielle de la nécessité s'y manifestant avec plus de violence. Or,
à peine se manifeste-t-on comme représentant d'un parti que l'on est entraîné
dans ce tourbillon de l'irrésistible nécessité qui règne dans la nature. Par le
simple fait que l'on reste indépendant et révolutionnaire en étant plus que les
autres attaché à la cause, il est possible ‑ pour un temps du moins ‑
de préserver son autonomie vis-à-vis de ce tourbillon, où l'on finit tout de
même à la longue par être entraîné 73.
Cette position,
nous pouvons et nous devons l'adopter à la première occasion : pas de fonction
officielle dans l'État, ni ‑ aussi longtemps que possible ‑ dans le parti, pas de siège dans les comités etc., nulle
responsabilité pour ce que font les ânes ; critique impitoyable vis-à-vis de
tout le monde, et par-dessus le marché garder cette sérénité que toutes les
intrigues de ces imbéciles ne peuvent nous faire perdre. Et cela, nous le
pouvons. Nous pouvons toujours objectivement être plus révolutionnaires que ces
phraseurs, parce que nous avons appris quelque chose et eux non, parce que nous
savons ce que nous voulons et eux non, et parce que, après l'expérience que
nous avons faite au cours de ces trois dernières années, nous prendrons les
événements avec plus de calme que n'importe quel individu directement intéressé
par ce qui se passe.
Pour l'heure,
l'essentiel c'est que nous ayons la possibilité de nous faire imprimer, soit
dans une revue trimestrielle dans laquelle nous attaquerons directement et où
nous assurerons nos positions face aux personnes, soit dans de gros ouvrages où
nous pourrons faire la même chose, sans avoir besoin même de mentionner l'un
quelconque de ces cafards. L'une comme l'autre de ces solutions me convient ;
encore qu'il me semble que si la réaction tend à se renforcer, la première
éventualité s'avérera moins sûre à la longue, et la seconde constituera de plus
en plus la seule ressource sur laquelle nous devrons nous rabattre 74.
Que restera-t-il des cancans et stupidités
que toute la racaille des émigrés pourra bien colporter sur ton compte, lorsque
tu y répondras par ton Économie ?
On s'aperçoit de
plus en plus que l'émigration est une institution qui transforme chacun en fou,
âne ou fripouille 75. Il faut donc s'en tenir à l'écart, et se
contenter d'écrire en toute indépendance, se moquant même comme d'une guigne du
prétendu parti révolutionnaire. C'est une véritable pépinière de scandales et
de bassesses dans laquelle le premier âne venu se fait passer pour le sauveur
de la patrie. Quoi qu'il en soit, nous réglerons son compte à ce petit chasseur
de popularité ‑ Louis Blanc ‑dès que nous aurons de nouveau un
organe de presse.
Nous, en
revanche, nous avons la satisfaction d'être débarrassés de toute la racaille
des réfugiés londoniens, forts en gueule, confus et impuissants, et nous pouvons
enfin de nouveau travailler sans être dérangés 76. Les bassesses innombrables de la vie privée de
cette canaille peuvent nous laisser froids. De tout temps, nous étions
supérieurs à ces gens-là, et nous les avons dominés à chaque fois qu'on avait
affaire à un mouvement sérieux. Mais depuis 1848, la pratique nous a appris
énormément de choses, et nous avons dûment utilisé le calme qui s'est instauré
depuis 1850 pour nous remettre à bûcher ferme.
Lorsque le mouvement reprendra de nouveau,
nous aurons un avantage encore plus grand sur eux que la première fois, et ce
dans des domaines auxquels ils ne songent même pas. Et abstraction faite de
tout cela, nous avons sur eux l'énorme avantage qu'ils sont tous des chasseurs
de bons postes, et nous pas. On ne comprend pas qu'après toutes les expériences que nous
avons faites il puisse encore y avoir des ânes, dont l'ambition suprême est, le
lendemain même de la première insurrection victorieuse (ce qu'ils appellent une révolution),
d'entrer dans n'importe quel gouvernement pour être foulés aux pieds et éjectés
le mois suivant, après s'être couverts de honte, comme Louis Blanc et Flocon en
1848 ! Et pour corser le tout, un gouvernement
Schapper-Gebert-Meyen-Haude-Willich ! Hélas, ces pauvres bougres n'auront jamais
cette satisfaction : ils se retrouveront de nouveau à la queue du mouvement, et
ces mouches du coche ne feront que semer un peu de confusion dans les petites
villes et parmi les paysans.
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Durant de nombreuses années, l'une de mes
occupations principales a été l'étude des sciences militaires : le succès qu'a
pu avoir l'un de mes articles sur la campagne de Hongrie 77,
publié à l'époque dans la presse allemande, me renforce dans la croyance que je
n'avais pas perdu mon temps en travaillant ces questions. Je me suis plus ou
moins familiarisé avec la plupart des langues européennes, y compris le russe,
le serbe et même, dans une certaine mesure, le roumain. C'est ce qui me permet
de prendre connaissance des sources d'information les plus sûres, et je
pourrais peut-être aussi vous être utile dans d'autres domaines. Mes articles
eux-mêmes indiqueront naturellement dans quelle mesure je suis capable d'écrire
l'anglais de manière courante et correcte 78.
Ce que tu m'écris
à propos de Jones me fait grand plaisir ‑ hélas, je n'ai, pour le moment,
que fort peu de temps, sans quoi je lui enverrais un plus grand nombre
d'articles 79. Mais Charles Roesgen n'est pas encore
rentré en Allemagne, et ensuite, lui envoyer régulièrement ‑ à lui ou à
Weydemeyer ‑ un article par semaine, alors que j'en fais déjà un pour la Tribune,
sans parler du rapport
hebdomadaire sur la marche de l'entreprise que je dois faire à mon « vieux »
c'est un peu beaucoup pour quelqu'un qui trime toute la journée à son bureau.
De plus, il faut que j'en termine enfin avec mes histoires slaves 80. Je n'ai guère fait de progrès depuis un an,
étant donné que j'ai travaillé en dilettante. Or, puisque j'ai commencé et que
je suis trop avancé pour tout laisser en plan, il faut enfin que je m'y mette
régulièrement pendant un bout de temps. Depuis quinze jours, j'ai sérieusement
bûché le russe, et je suis maintenant à peu près à la hauteur en grammaire :
deux ou trois mois de travail me procureront le vocabulaire nécessaire, et
alors je pourrai en faire quelque chose. Il faut que j'en finisse cette année
avec les langues slaves qui, au fond, ne sont pas si difficiles que cela.
Outre l'intérêt
linguistique que ce travail présente pour moi, je suis guidé par cette
considération : que, dans le prochain grand conflit d'États, l'un de nous au
moins connaisse les langues, l'histoire, la littérature et les détails des
institutions sociales des nations précisément avec lesquelles on se trouvera
tout de suite en conflit. En fait, Bakounine n'est devenu un personnage que
parce que personne ne savait le russe. Or, la vieille fumisterie des
pan-slavistes, à savoir présenter comme communiste la vieille propriété
foncière slave en nous faisant accroire que le paysan russe est un communiste
né, a toutes les chances de faire son effet pendant longtemps encore.
Au reste, Jones a
raison ‑ maintenant que le vieil O'Connor a définitivement perdu la
boussole ‑ d'y mettre le paquet. En ce moment, il a la chance pour lui ;
et pour peu que le citoyen Hip Hip Hourrah (Harney) laisse tomber le mouvement,
il est certain de son affaire.
Nous venons de
fonder une nouvelle section locale chartiste à Londres 81. Ces Anglais manient les formes démocratiques
avec beaucoup moins de scrupules que nous autres braves et timides Allemands.
Nous étions treize, et l'on décida aussitôt d'élire un conseil avec les membres
présents. Là-dessus, chacun proposa l'un des membres présents, et comme,
naturellement, je déclinai la proposition, on a élu à ma place un camarade
absent, et en moins de cinq minutes toutes ces personnes privées s'étaient
transformées en un comité officiel, où chacun se trouvait effectivement élu.
Tout cela s'est fait avec le plus grand sérieux, comme quelque chose qui va de
soi. Nous verrons prochainement ce qu'il en adviendra. Bonne chance, en
attendant.
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D'après tout ce
que je vois, les chartistes sont si complètement désorganisés et désorientés,
et souffrent en même temps d'un tel manque de gens utilisables, qu'ils vont ou
bien se désagréger tout à fait et se décomposer en factions, autrement dit
devenir inévitablement dans la pratique de simples caudataires des Financial
Reformers, ou bien se
reconstruire sur une base toute nouvelle par un gaillard de valeur 82. Jones est tout à fait dans la bonne voie, et
nous pouvons dire, certes, qu'il ne s'y serait jamais engagé sans notre
doctrine, pas plus qu'il n'aurait jamais trouvé comment ‑ d'une part ‑
il faut non seulement conserver, mais encore approfondir la seule base de
reconstruction possible du parti chartiste, à savoir la haine de classe
instinctive des ouvriers contre les bourgeois industriels en en faisant le fond
même de la propagande de formation théorique, et ‑ d'autre part ‑être
tout de même progressif en s'opposant aux velléités réactionnaires des ouvriers
et à leurs préjugés.
Jones joue un
rôle très niais. Tu sais que, sans autre intention déterminée que celle de
trouver à notre époque trop amorphe un prétexte à agitation, il avait, bien
avant la crise, organisé une conférence chartiste, où devaient aussi être
invités des radicaux bourgeois (non seulement Bright, mais encore des
personnages tels que Cunningham) 83. On
devait, en somme, conclure avec les bourgeois un compromis leur accordant le vote au bulletin secret,
s'ils concédaient aux ouvriers le suffrage universel pour les adultes du sexe
masculin. Cette proposition provoqua des scissions dans le parti chartiste qui,
à leur tour, poussèrent Jones plus en avant dans son projet. Or, au lieu de
profiter de cette crise pour substituer à un prétexte mal choisi d'agitation
une agitation véritable, il s'accroche à son absurde projet, choque les ouvriers
en leur prêchant la collaboration avec les bourgeois, cependant qu'il n'inspire
même pas la moindre confiance à ces derniers. Quelques-unes des feuilles
radicales le cajolent pour le ruiner complètement. Dans son propre journal, le
vieil âne de Frost, dont, à force de déclamations, il a fait un héros et qu'il
a nommé président de sa conférence, prit position contre lui dans une lettre
d'une grossièreté inouïe, dans laquelle il écrit entre autres : s'il juge
nécessaire la collaboration de la bourgeoisie ‑ sans laquelle d'ailleurs
il n'y a rien à faire ‑ il se doit d'agir de bonne foi ; qui lui a donné
le droit d'établir le programme de la conférence sans le concours des alliés
? De quel droit a-t-il
nommé Frost président, tandis qu'il joue lui-même au dictateur, etc. ? Le voilà
donc dans un beau pétrin et, pour la première fois, il joue un rôle non
seulement niais, mais double.
II y a longtemps
que je ne l'ai pas vu, mais je vais lui rendre visite maintenant. Or, comme un
personnage public ne peut, en Angleterre, se rendre impossible par des
sottises, etc., il s'agit simplement pour lui de se tirer du piège qu'il s'est
tendu à lui-même.
Il faut qu'il
commence par créer un
parti, et pour ce faire il doit se rendre dans les districts industriels. Après
cela, ce seront les bourgeois qui viendront le trouver pour lui proposer des
compromis. Salut.
Au reste, il me semble que la dernière manœuvre de Jones s'apparente aux tentatives plus ou moins fructueuses d'antan pour réaliser une telle alliance [avec la bourgeoisie], mais tout cela est déterminé par le fait que le prolétariat anglais est embourgeoisé au point que la plus bourgeoise de toutes les nations veut finalement. en arriver à posséder une aristocratie (terrienne) bourgeoise et un prolétariat bourgeois à côté de la bourgeoisie 84. Cela s'explique d'ailleurs d'une certaine manière pour une nation qui exploite le monde entier 85. Seules quelques années foncièrement mauvaises peuvent y remédier, et il semble qu'elles ne soient pas à portée de main depuis les découvertes d'or. II faut tout de même observer que je ne saisis pas encore clairement le mécanisme grâce auquel la bourgeoisie a réussi à résorber la surproduction massive qui avait suscité la crise : on n'a encore jamais vu un reflux aussi rapide après une tempête aussi violente.
Je viens de
rompre avec Ernest Jones 86. Malgré
mes avertissements répétés, et bien que je lui aie prédit exactement ce qui est
arrivé ‑ à savoir qu'il se discréditerait lui-même et désorganiserait le
parti chartiste ‑, il s'est embarqué dans des tentatives. de compromis
avec les radicaux bourgeois. C'est maintenant un homme ruiné 87, mais le dommage qu'il a fait au
prolétariat est extraordinaire. La brèche sera naturellement de nouveau
réparée, mais on a perdu un moment très favorable pour l'action. Imagine-toi
une armée dont le général passe dans le camp adverse la veille de la
bataille 88.
Retour à la table des matières
Le second but de
la mission de Lévy, c'était de me donner des renseignements sur la situation
ouvrière en Rhénanie 89. Les ouvriers de Dusseldorf sont toujours
en relation avec ceux de Cologne, d'où tous les « petits messieurs » ont
disparu. L'essentiel de la propagande s'effectue maintenant parmi les ouvriers
industriels de Solingen, Iserlohn et la région environnante, Elberfeld et la
Westphalie. Dans les régions de métallurgie, les gars veulent à toute force
déclencher une action : la seule chose qui les retienne, c'est la perspective
d'une révolution en France et le fait que « les camarades de Londres ne
croient pas encore le moment venu ». Si la situation dure sans s'améliorer, il
sera difficile, d'après Lévy, d'empêcher une émeute. En tout cas, ce serait une
insurrection parisienne qui donnerait le signal. Ces gens croient fermement
que, dès le premier moment, nous et nos amis nous nous empresserons d'aller
les rejoindre. Ils éprouvent naturellement le besoin de chefs
politiques et militaires 90. On ne
saurait leur en vouloir. Mais je crains fort qu'avec leurs plans tout à fait
chimériques ils aient le temps de se faire battre complètement avant même qu'il
nous soit possible de quitter l'Angleterre.
On leur doit, en
tout cas, de leur exposer nettement, du point de vue militaire, ce qui est
faisable et non faisable. J'ai déclaré évidemment que si les circonstances
le permettaient, nous
rejoindrions les ouvriers rhénans ; que toute émeute effectuée par eux seuls,
sans que Paris, Vienne ou Berlin ait pris l'initiative, serait une stupidité ;
qu'au cas où Paris donnerait le signal, il serait bon de risquer le coup, étant
donné que dans ces conditions même la défaite et ses conséquences désagréables
ne pourraient être que momentanées ; qu'avec mes amis je m'attacherais
sérieusement à déterminer ce que l'on pourrait faire en Rhénanie à partir d'une
action directement ouvrière ; enfin, je les ai invités à nous envoyer dans
quelque temps une nouvelle délégation à Londres, mais de ne rien entreprendre sans s'être mis d'accord avec
nous au préalable 91.
Les tanneurs
d'Elberfeld ‑ ou de Barmen ? ‑ sont à l'heure qu'il est d'humeur
tout à fait révolutionnaire, alors qu'ils étaient parfaitement réactionnaires
en 1848 et 1849. Lévy m'a assuré que les ouvriers de la vallée de la Wupper te
considéraient personnellement comme « leur » homme. Sur les bords du Rhin,
on semble d'ailleurs croire très généralement qu'une révolution est sur le
point d'éclater en France, et les bourgeois eux-mêmes disent que, cette fois,
cela marchera autrement qu'en 1848. Cette fois, on aura des hommes tels que
Robespierre, etc., au lieu de bavards comme en 1848. En tout cas, la
considération dont jouissait la démocratie a bien baissé sur les bords du Rhin.
Salut.
C'est une fort
bonne chose que notre parti puisse, cette fois-ci, se manifester sous de tout autres auspices 92. Toutes les bêtises « socialistes » que nous
avons été obligés de défendre en 1848 encore vis-à-vis des purs démocrates et
des républicains de l'Allemagne du Sud, les sottises de Louis Blanc, etc., que nous
étions obligés de
revendiquer ne serait-ce que pour trouver dans la confuse situation allemande
un point permettant d'enchaîner avec nos conceptions ‑ tout cela est
maintenant réclamé par nos adversaires, Messieurs Ruge, Heinzen, Kinkel et
consorts.
Les préliminaires
de la révolution prolétarienne, les mesures qui nous préparent le champ de
bataille et balaient la scène historique ‑ la république une et
indivisible, etc., revendications que nous devions affirmer autrefois contre des gens dont
c'eût été la vocation normale de les réaliser, ou du moins de les exiger ‑,
tout cela est maintenant convenu 93, et ces messieurs l'ont appris. Cette
fois-ci, nous commencerons tout de suite avec le Manifeste, grâce aussi notamment au procès de Cologne
dans lequel le communisme allemand (particulièrement en la personne de Röser) a
passé avec succès son examen de fin d'études secondaires.
Tout cela ne
concerne naturellement que la théorie.. Dans la pratique, nous serons toujours
amenés à prôner et à utiliser des mesures radicales sans nous laisser arrêter
par quelque considération théorique que ce soit. Et c'est bien là le malheur,
car j'ai bien peur que notre parti, en raison de l'indécision et de la mollesse
de tous les autres, soit un beau matin forcé à une fonction gouvernementale,
afin d'exécuter finalement tout de même les tâches qui ne sont pas directement les nôtres 94, mais sont révolutionnaires pour l'ensemble
historique et correspondent aux intérêts spécifiquement petits-bourgeois. Or, à
cette occasion, on serait contraint par le peuple prolétarien, par ses propres
revendications et plans interprétés plus ou moins faussement, sous la poussée
d'une lutte de parti plus ou moins passionnée, à tenter de faire des bonds en
procédant à des expériences communistes, dont on sait mieux que quiconque que
leur temps n'est pas encore venu. Ce faisant, on perd la tête ‑ et il est
à souhaiter que ce ne soit que physiquement parlant ‑, puis vient la
réaction, et jusqu'à ce que le monde soit en mesure de donner son jugement historique
sur de tels événements,
on n'est plus considéré que comme une bête enragée (ce dont on se fiche), et
pire encore comme bête tout court, ce qui est bien plus grave 95. J'espère que nous n'en viendrons pas là.
Si un pays arriéré comme l'Allemagne, disposant d'un parti avancé, se
trouve entraîné dans une révolution au côté d'un pays avancé comme la
France, il arrivera forcément, au premier conflit sérieux et sitôt
qu'apparaîtra un danger réel, que le parti avancé occupe le pouvoir. Or, ce serait avant son heure normale. Cependant, tout cela
est une salade, et le mieux c'est qu'en prévision d'un tel cas nous ayons déjà
à l'avance motivé sa réhabilitation dans l'histoire par la théorie au niveau de
la littérature de notre parti.
Au reste, c'est avec plus de dignité que la
fois précédente que nous apparaîtront sur la scène. Premièrement, en ce qui
concerne les personnes, nous sommes heureusement débarrassés de toutes les
vieilles badernes : Schapper, Willich et consorts ; deuxièmement, nous nous
sommes relativement renforcés ; troisièmement, nous pouvons compter sur de
jeunes recrues en Allemagne (s'il n'a servi à rien d'autre, le procès de
Cologne nous aura au moins garanti cela 96),
et, enfin nous avons tous bien mis à profit le temps passé en exil. Il y a
naturellement aussi des gens chez nous qui partent du principe : à quoi
bon nous crever au boulot, pour cela nous avons le père Marx, dont la tâche est
de tout savoir. Néanmoins, en général, le parti Marx travaille assez bien, et
si l'on considère les autres ânes de l'émigration qui se gargarisent de grands
mots et, à force de proclamations contradictoires, se trouvent eux-mêmes dans
la plus grande confusion, il est clair que la supériorité de notre parti a
augmenté aussi bien de manière absolue que relative. Mais nous en avons bien
besoin, car la besogne sera rude 97.
Retour à la table des
matières
J'ai demandé à nos gens d'ici d'apporter leur ‑‑ contribution : je crois que Dronke et Piepper vous ont déjà envoyé quelque chose 98. Je parlerai avec Jones. Dans l'ensemble, il nous est difficile de faire quelque chose. Moi-même, je suis surmené. Les autres sont, hélas, rebutés par les expériences précédentes. Wolff a des conditions de vie misérables. Eccarius fait son métier de tailleur de 5 heures du matin à 8 heures du soir, et souffre d'une très grave maladie pulmonaire. Lorsqu'il n'est pas lié à son travail de bureau, Engels est entièrement absorbé par ses études : il n'est certainement pas encore tout à fait remis des ennuis que lui a causés la presse américaine.
Notre parti est,
hélas, bien pauvre. Je m'adresserai aussi à l'ex-lieutenant Steffen qui est
intervenu dans le procès de Cologne comme témoin de la défense et occupe
actuellement un poste d'instituteur dans la région de Londres. C'est lui qui a
le plus de temps de libre, et il est plein de zèle. Pieper n'a pas encore
terminé l'article que tu lui as demandé : c'est ce qui explique que tu ne
l'aies pas encore reçu à ce jour.
Le parti a la
guigne depuis quelque temps 99.
Steffen a perdu sa place à Brighton, le directeur de l'institution où il
travaillait ayant fait faillite. La question se pose même de savoir s'il
touchera le salaire qu'on lui doit. Pieper a perdu sa place de correspondant,
car M. Pierce est également en faillite, et ses journaux n'ont plus d'argent
pour les correspondants étrangers. Mac Gowan, l'imprimeur et commanditaire de
Jones, est mort du choléra : c'est un coup dur pour Jones. Tout cela n'est pas
drôle !
Je ne connais pas
tous les détails de l'histoire d'Imandt. De plus amples recherches ne feraient
qu'apparaître une merde plus grande encore. Mais je couperai court désormais
sitôt qu'on me parlera de quelque chose qui soit lié à la personne de Dronke.
Dronke ne vaut pas la peine d'en parler 100.
Dronke ‑ entre nous 101 par manque de stimulation intellectuelle », passe son temps à faire une
enquête sur « Steffen » auquel il fait dire toutes sortes de choses dans
ses lettres à Imandt afin d'établir qu'il est politiquement « suspect ».
Je n'ai guère eu de mal à démontrer à Imandt l'absurdité de toutes les
élucubrations de Dronke. Tout cela est absurde 102. Je considère Steffen comme une excellente
acquisition pour notre parti. Il a du caractère et des connaissances. Il a des
idées très originales en géographie comparée, dont il a fait sa spécialité.
Malheureusement, il a laissé à Cologne le manuscrit dans lequel il avait
concrétisé son travail.
Que fait Wolff ? Miquel n'est pas venu ici
comme il en avait manifesté l'intention 103
: il a eu à Paris deux accès de choléra...
Si je pouvais
vivre à l'aise ou du moins sans soucis, je me moquerais ~de toutes ces basses
stupidités 104. Mais
que cette merde bourgeoise vienne encore, année après année, s'ajouter à mes
ennuis domestiques, c'est un peu fort 105. J'ai l'intention, à la première occasion, de
déclarer publiquement que je ne suis lié à aucun parti. Je ne veux pas que,
sous prétexte d'affaires de parti, n'importe quel imbécile puisse se permettre
de m'insulter.
Je dois d'abord
te dire que, depuis 1851, je n'ai plus la moindre relation avec aucune des sociétés ouvrières publiques (même
celles que l'on appelle communistes 106). Les
seuls ouvriers que je rencontre sont vingt à trente hommes sélectionnés
auxquels je fais en privé des exposés d'économie politique. Or, Liebknecht est président de la
Société ouvrière avec l'aide de laquelle Biskamp a fondé le journal Das
Volk 107.
Quelques jours
après la fondation de ce journal, Biskamp accompagné de Liebknecht vint me voir
et réclama ma collaboration. Je refusai alors catégoriquement, en partie parce
que je manque de temps, en partie parce que j'étais sur le point de quitter
Londres pour un temps assez long. Je promis simplement de leur procurer quelques
fonds chez des amis en Angleterre, ce qui fut fait. À cette occasion, je leur
racontai aussi ce que Blind, profondément indigné, m'avait un jour raconté sur
Vogt 108, en citant naturellement ma source.
Biskamp en fit un article, comme je le vis plus tard.
Si Lassalle se
permet de parler au nom du parti, il faut qu'il s'attende dorénavant à se voir
désavoué complètement par nous 109. La
situation est, en effet, trop grave pour que nous puissions prendre des gants ;
au lieu d'obéir à ses inspirations moitié feu, moitié logique 110, il faudra qu'il prenne au préalable l'avis qu'ont
d'autres que lui sur
la question. Nous sommes dans la nécessité absolue maintenant de nous en tenir
à la discipline de parti, si nous ne voulons pas que tout aille à vau-l'eau...
Tu te souviens
que M. Liebknecht a présenté ce clown d'Edgar Bauer à la société dite
communiste 111 au moment où j'ai rompu officiellement
avec elle, et que ce clown a pris la direction de la Neue Zeit, où ce lourdaud ignorant ridiculise notre
parti en outrant les quelques formules communistes apprises de Scherzer. Tout
cela m'était très déplaisant, non à cause des quelques
badernes de Londres, mais en raison des ricanements de joie mauvaise des démocrates, de la confusion jetée
par quelques exemplaires de l'ignoble feuille adroitement distribués en
Allemagne et aux États-Unis, de la connaissance précise que ce clown a de la
situation lamentable du parti, et enfin des relations qu'il a nouées avec le
comité international de Londres...
Après l'abandon
du clown, Biskamp créa Das Volk. Lui et les
vieilles badernes s'adressèrent à moi par le truchement de Liebknecht, puis
Biskamp lui-même vint me voir directement.
Je lui déclarai
que nous ne pouvions
collaborer directement à aucun petit journal, ni même à aucun journal de parti, à moins
que nous ne le rédigions nous-mêmes. Mais qu'en ce moment toutes les conditions pour cela faisaient défaut. En
revanche, il ne tenait qu'à M. Liebknecht de faire profiter Biskamp de son activité. Certes.
j'approuvai entièrement son intention de ne pas céder la place à Gottfried
Kinkel et de contrecarrer ses sales calculs. Tout ce à quoi je m'engageai,
c'était : de les faire profiter de temps à autre des articles déjà parus dans
la Tribune, d'inviter
mes connaissances à soutenir la feuille, enfin de leur donner de vive voix des nouvelles, indications et conseils sur
ce qui est de mon ressort. D'autre part, j'exigeai que Biskamp publiât, avec
preuves à l'appui, la combinaison malpropre de Bauer et de Kinkel (ce qui sera
fait dans le prochain numéro). Je fis ainsi d'une pierre deux coups, même si la
feuille cesse de paraître. J'ajoutai qu'il fallait passer outre à la grandeur
objective du clown et engager contre lui une polémique sur un ton aussi
humoristique que possible.
Je te prie donc
de t'abonner et de faire abonner Wolff, Cumpert et tous ceux que vous pourrez à
Das Volk en présentant
le journal comme étant dirigé contre Kinkel, sans que nous y soyons liés...
Le moment peut d'ailleurs venir ‑ et très vite ‑ où il sera d'une importance décisive que nos adversaires ne soient pas seuls à pouvoir exprimer leurs idées dans un journal de Londres, mais que nous puissions le faire aussi...
J'ai donné une
très belle leçon à ces badernes de l'Association. Cet âne de Scherzer, qui est
toujours empreint des vieilles idées de Weitling, se figurait qu'il lui
appartenait à lui de désigner les représentants du parti. Lors de mon entrevue avec une délégation de ces
vieilles badernes, j'ai refusé d'entrer dans une organisation quelconque,
présidée par Liebknecht, d'une part, et par Anders, de l'autre, en leur
déclarant tout crûment : c'est de nous seuls que nous tenons notre mission de représentants du
parti prolétarien, mais celle-ci est contresignée par la haine exclusive et
générale que nous vouent toutes les fractions et tous les partis de l'ancien
monde. Tu peux t'imaginer la stupeur de ces lourdauds...
Je ne puis
naturellement approfondir la question comme il conviendrait, et je te soumets
simplement quelques points 112. Mais
tu me permettras de faire une observation : les événements peuvent bientôt de
nouveau conduire à une crise. Dans ces conditions, de deux choses l'une :
ou bien nul n'intervient au nom du parti sans avoir consulté au préalable les
autres camarades, ou bien chacun a le droit d'exposer son opinion sans se
soucier de quiconque. Cette dernière éventualité n'est pas à conseiller en ce
moment, étant donné qu'une polémique publique ne pourrait être supportée par un
parti aussi peu nombreux que le nôtre (mais dont l'énergie remplace,
espérons-le, ce qui lui manque sur le plan numérique). Tout ce que je puis
dire, c'est qu'au cours de mon voyage, cet été, en Angleterre et en Écosse, je
n'ai rencontré aucun de nos vieux camarades de parti qui n'eût souhaité que tu
modifies ta brochure sur de nombreux points 113. Je m'explique cela tout simplement par le fait
que précisément la politique extérieure se présente sous un autre jour en
Angleterre que sur le continent. Salut.
Le vent de la
révolution qui commence à souffler sur le continent a naturellement tiré de
leur sommeil hivernal tous les grands hommes (du camp de la démocratie) 114.
En même temps que
cette lettre, j'en envoie une autre ‑ la première ‑ à Komp 115. J'ai renoncé à participer aux groupements organisés. Ici, en revanche, après les bassesses que j'ai subies
de la part des badernes qui se laissent utiliser comme purs instruments au
service d'un Kinkel, Willich et autres farceurs, je me suis complètement retiré
dans mon cabinet d'études depuis le procès de Cologne. Mon temps m'est trop
précieux pour le gaspiller en vains efforts et en chamailleries mesquines.
En ce qui
concerne les affaires du parti, je suis habitué à ce que toute la presse me
couvre de merde pour tout le parti et que mes intérêts privés soient constamment
lésés pour des raisons de parti ; d'autre part, je suis tout aussi habitué à ne
pas attendre que l'on ait des égards pour moi dans le parti 116.
Retour à la table des matières
En conséquence,
les Révélations que ce
procès apporte grâce à mon « matériel » libèrent les anciens membres de la
Ligue de l'apparence même d'une faute juridique, et révèlent la nature du
système policier prussien qui, mis en place par le « procès de Cologne » et l'infâme
lâcheté des jurés de Cologne, s'est développé jusqu'à devenir une puissance en
Prusse 117. Or, celle-ci a pris de telles
proportions qu'elle est devenue insupportable finalement aux bourgeois
eux-mêmes, voire au ministère Auerswald. Voilà tout...
2. Mon procès
contre la National-Zeitung.
Je te ferai
d'abord observer qu'après que, sur ma demande, la Ligue eut été dissoute en novembre 1852, je n'ai appartenu ‑ ni
n'appartiens ‑ à aucune organisation secrète ou publique ; autrement dit, le parti, dans le sens tout à fait éphémère
du terme, a cessé d'exister pour moi depuis huit ans. Les exposés d'économie
politique que j'ai faits depuis la parution de mon ouvrage (automne 1859)
devant quelques ouvriers bien choisis, parmi lesquels figurent d'anciens
membres de la Ligue, n'avaient rien de commun avec l'activité d'une société
fermée, moins même que les exposés de M. Gerstenberg au comité de Schiller, par
exemple.
Tu te souviens de
la lettre que j'ai reçue des dirigeants de la société communiste de New York
aux multiples ramifications (entre autres d'Albrecht Komp, manager de la
General Bank, 44, Exchange Place, New York), lettre qui est passée entre tes
mains et qui me sollicitait de réorganiser, pour ainsi dire, la vieille Ligue.
Il s'est écoulé toute une année avant que je réponde, et encore ai-je écrit que
je n'avais plus de liaison avec une quelconque association depuis 1852, et que
j'avais la ferme conviction que mes travaux théoriques servaient davantage la
classe ouvrière que mon entrée dans des associations qui ont fait leur temps
sur le continent. À la suite de quoi,, j'ai été attaqué à plusieurs reprises,
sinon ouvertement, du moins de façon compréhensible, à cause de mon
« inactivité ».
Lorsque Levy de
Dusseldorf ‑ qui te fréquentait également à l'époque ‑ vint me voir
pour la première fois, il m'offrit même sur un plateau d'argent une
insurrection ouvrière à Iserlohn, Solingen, etc. Je m'opposais avec rudesse à
des folies aussi vaines et dangereuses. En outre, je lui déclarai que je
n'appartenais plus à aucune « Ligue » ; à cause des dangers aussi que
couraient les gens avec lesquels j'aurais eu des contacts en Allemagne, je ne
pouvais absolument pas me laisser entraîner dans leurs projets. Levy retourna à
Dusseldorf et ‑ comme on me l'écrivit aussitôt après ‑ il s'exprima
en termes fort élogieux sur toi, tandis qu'il me dénonçait comme doctrinaire.
En conséquence,
du « parti » tel que tu m'en parles dans ta lettre, je ne sais plus rien depuis 1852. Si tu es un poète, je suis un critique, et j'en avais vraiment assez pour tirer la
leçon des expériences faites de 1849 à 1852. La Ligue aussi bien que la Société
des saisons de Paris et cent autres organisations n'ont été qu'un épisode dans l'histoire du parti qui naît
spontanément 118 du sol de la société moderne.
Ce que je veux
démontrer au procès de Berlin, c'est deux choses : d'abord que, depuis 1852, il
n'a existé aucune organisation à laquelle j'aie appartenu ; ensuite que M. Vogt
est un fieffé calomniateur lorsqu'il salit l'organisation communiste qui a
existé jusqu'en novembre 1852 avec des immondices du genre de celles du
mouchard Tellering. Sur ce dernier point, tu es en l'occurrence mon témoin, et ta lettre à Ruge
(été 1851) démontre qu'au cours de cette période, dont seul il s'agit ici, tu
considérais ce genre d'attaques comme dirigées aussi contre toi...
Tellering, Bangya, Fleury, etc., n'ont jamais appartenu à la Ligue. Il est indéniable que des saletés sont soulevées dans la tempête, qu'aucune période révolutionnaire ne sent l'eau de rose, qu'ici ou là il y a de la merde qui peut nous éclabousser. Il faut choisir. Au reste, si l'on pense aux efforts inouïs que déploie contre nous le monde bourgeois officiel qui, pour nous ruiner, n'a pas seulement égratigné le Code pénal, mais l'a amplement lacéré ; si l'on pense aux langues de vipère de la « démocratie de la bêtise » qui n'a jamais pu pardonner à notre parti d'avoir plus d'intelligence et de caractère qu'elle ; si l'on connaît les dessous de l'histoire officielle de tous les autres partis ; enfin, si l'on se demande ce que l'on peut vraiment reprocher au parti dans ‑son ensemble (et non pas les infamies d'un Vogt ou Tellering que l'on peut réfuter devant un tribunal) ‑ on en arrive à cette conclusion que, dans ce XIXe siècle, il tranche par sa propreté. Peut-on échapper à la boue dans les relations et les échanges bourgeois ? En fait, c'est dans cette ambiance qu'elle jaillit et se développe. Il suffit de lire le livre bleu parlementaire sur les corruptions électorales, cf. R. Carden... Selon moi, Bangya était plus convenable que Klapka : il entretenait une maîtresse, tandis que Klapka s'est fait entretenir pendant des années par une maîtresse, etc. L'ordure de Tellering peut compenser la propreté de Beta, et les écarts de Reiff peuvent trouver leur compensation dans la droiture de Paulo, qui de toute façon n'était pas membre du parti, ni n'a jamais prétendu l'être. Quoi qu'il en soit, l'honnête infamie ou l'infâme honnêteté solvable (toute relative d'ailleurs, comme on le voit à la première crise commerciale venue), je ne la place pas un centimètre plus haut que l'infamie non respectable, dont ni les premières communautés chrétiennes, ni le Club des Jacobins, ni même notre vieille Ligue n'ont jamais pu s'affranchir entièrement. Seulement, on s'habitue dans les relations bourgeoises à perdre le sens de la respectable infamie ou de la respectabilité infâme...
Et malgré tout,
pour ce qui nous concerne, nous préférerons toujours être au-dessus du
philistin plutôt qu'au-dessous
de lui 119.
J'ai exprimé
ouvertement mon opinion que tu partages pour l'essentiel, je l'espère. En
outre, j'ai essayé d'écarter ce malentendu qui ferait comprendre par
« parti »p une Ligue morte depuis huit ans ou une rédaction de
journal dissoute depuis douze ans 120,
Lorsque je parle cependant de parti, j'entends le terme parti dans son large
historique.
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Les affaires ont l'air de marcher moins bien ces derniers temps en Pologne 121. Le mouvement en Lituanie et en Petite-Russie est manifestement faible, et les insurgés ne semblent pas progresser en Pologne. Les chefs sont tous tués ou pris et fusillés, ‑ ce qui semble prouver qu'ils doivent s'exposer le plus possible pour entraîner leurs hommes. Du point de vue qualitatif, les insurgés ne sont plus ce qu'ils étaient en mars et en avril, les meilleurs d'entre eux ont été décimés. Cependant, ces Polonais défient toute prévision, et les choses peuvent tout de même prendre encore une tournure heureuse, bien que leurs chances diminuent manifestement. S'ils parviennent à tenir, ils peuvent encore être emportés par le mouvement général européen qui les sauvera alors ; en revanche, si les choses tournent mal, la Pologne sera fichue pour dix ans : une insurrection comme celle-ci épuise pour de longues années la population susceptible de se battre. Un mouvement européen me semble très probable, parce que le bourgeois a de nouveau perdu toute crainte des communistes et, en cas de besoin, se lancerait lui aussi dans la bataille.
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Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Quelques voix seulement avaient répondu lorsqu'il y a quarante-deux ans nous avons lancé ces mots par le monde, à la veille de la première révolution parisienne où le prolétariat est entré en scène avec ses propres revendications. Cependant, le 28 septembre 1864, des prolétaires de la plupart des pays d'Europe occidentale s'unirent pour constituer l'Association internationale des travailleurs, de glorieuse mémoire. Certes, l'Internationale n'a vécu que neuf ans, mais elle a fondé l'alliance éternelle des prolétaires de tous les pays, qui demeure toujours vivante et est plus vivace que jamais.
ENGELS, Préface allemande de 1890 du Manifeste
du parti communiste 1er
mai 1890.
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Ouvriers !
C'est un fait que la misère des masses ouvrières n'a point diminué de 1848 à 1864, dans une période qui, pourtant, se distingue dans les annales de l'histoire par un développement sans précédent de l'industrie et du commerce. En Grande-Bretagne, un organe modéré de la bourgeoisie généralement bien informé prédisait en 1850 que si les exportations et les importations s'élevaient de 50 % , le paupérisme anglais tomberait à zéro. De ce fait, le 7 avril 1864, le chancelier de l'Échiquier, Gladstone, affirmait, devant un Parlement ravi, que « le total des exportations et des importations se montait, en 1863, à la somme étonnante de 443 995 000 livres sterling, soit trois fois les chiffres de la période encore relativement proche de 1843 ». Cependant, il parla avec la même éloquence de la « misère » : « Pensez donc, s'exclama-t-il, à ceux qui sont au bord de la misère... aux salaires... qui ne se sont pas montés, à la vie humaine qui, dans neuf cas sur dix, n'est qu'une lutte pour l'existence 2. » Encore ne parlait-il pas des Irlandais, qui sont peu à peu supplantés par des machines, au Nord, et par des troupeaux de moutons, au Sud, dont le nombre diminue même dans ce malheureux pays ‑ moins rapidement il est vrai que l'homme. Il n'a pas répété ce que venaient de dévoiler, dans un subit accès de terreur, les représentants les plus haut placés des dix mille familles possédantes. Les étrangleurs semaient la panique au point que la Chambre des lords dut ordonner une enquête sur la déportation et les travaux forcés. L'ample livre bleu de 1863 en a rendu public le rapport prouvant, par des faits et des chiffres officiels, que les pires criminels des bagnes de l'Angleterre et de l'Écosse travaillent bien moins durement et sont beaucoup mieux nourris que les travailleurs agricoles. Mais ce n'est pas tout : la guerre civile en Amérique ayant eu pour conséquence de jeter sur le pavé les ouvriers du Lancashire et du Cheshire, la même Chambre des lords a délégué un médecin dans les zones industrielles pour établir quelles quantités minimales de carbone et d'azote il faut administrer (sous la forme la plus simple et la moins coûteuse) à l'individu moyen « pour empêcher les maladies dues à la « faim». Le docteur Smith, médecin délégué, a calculé qu'en moyenne 28 000 grains de carbone et 1 330 grains d'azote par semaine sont nécessaires pour maintenir un adulte ordinaire exactement au-dessus du niveau d'inanition, et que cette ration correspondait à la nourriture des ouvriers du coton dont on connaît l'extrême dénuement 3.
Mais attendez, il
y a mieux. Ce même médecin, ce savant, a été chargé ensuite par le responsable
médical du Conseil privé d'enquêter sur les conditions alimentaires des couches
les plus pauvres de la classe travailleuse. Le Sixième Rapport sur l'état de
la santé publique, publié
par ordre du Parlement dans le courant de l'année 1863, contient le résultat de
ses recherches. Qu'a découvert le docteur ? Que les tisserands en soie, les
couturières, les gantiers, les tisserands en bas, etc., ne reçoivent pas même,
en moyenne, la ration de misère des ouvriers en chômage du coton, pas même la
quantité de carbone et d'azote « strictement nécessaire pour prévenir les
maladies de l'inanition ».
« En outre ‑
nous citons textuellement le rapport ‑, l'examen de l'état des familles
d'agriculteurs a démontré que plus du cinquième d'entre elles reçoit moins que
ce qui est considéré comme le minimum d'aliments carboniques ; plus du tiers
reçoit moins que le minimum d'aliments azotés ; dans les comtés de Berks,
d'Oxford et de Somerset, l'insuffisance des aliments azotés est une constante
du régime alimentaire local. Il ne faut pas oublier ‑ ajoute le rapport
officiel ‑ que la privation de nourriture est supportée de mauvais gré,
et qu'en règle générale ces grandes privations alimentaires ne font jamais que
suivre bien d'autres restrictions. La propreté même est considérée comme une
chose très chère et difficile, et quand par respect de soi-même on s'efforce de
l'entretenir, chacun de ces efforts représente une aggravation des affres de la
faim... Ce sont là des réflexions pénibles, surtout si l'on sait qu'il ne
s'agit pas ici d'une pauvreté méritée par la paresse ; dans tous les cas, nous
parlons de la pauvreté des populations laborieuses. En vérité, le travail qui
n'assure qu'une si maigre ration alimentaire est, en général, prolongé à
l'excès. »
Le rapport révèle
un fait étrange, et certainement inattendu : « De toutes les parties du
Royaume-Uni » ‑ c'est-à-dire l'Angleterre, le Pays de Galles, l'Écosse et
l'Irlande ‑, « c'est la population agricole de l'Angleterre[c'est-à-dire
de la partie la plus riche] qui est de loin la plus mal nourrie » ; et les journaliers misérables des comtés de Berks,
d'Oxford et de Somerset sont mieux nourris que le grand nombre d'ouvriers
qualifiés qui travaillent à domicile dans l'est de Londres.
Telles sont les
données officielles publiées par ordre du Parlement en 1864, en plein millénium
du libre-échange, au moment même où le chancelier de l'Échiquier apprend à la
Chambre des communes « que la condition moyenne des ouvriers anglais s'est
améliorée d'une manière si extraordinaire que nous n'en connaissons point
d'exemple dans l'histoire d'aucun pays, ni d'aucun âge ».
Mais un grincement se fait entendre parmi ces congratulations officielles. C'est une remarque toute sèche du non moins officiel Rapport de la santé publique : « La santé publique d'un pays signifie la santé de ses masses ; et comment les masses pourraient-elles être bien portantes, si elles ne jouissent pas à tout le moins, jusqu'au plus bas de l'échelle sociale, d'une modeste prospérité ? »
Les statistiques
dansent devant les yeux du chancelier. Ébloui par le « progrès de la
richesse nationale », il s'écrie dans un délire extatique : « De 1842
à 1852, le revenu imposable du pays s'est accru de 6 % ; en prenant pour base
l'année 1853, nous sommes arrivés en 1861 à un accroissement de 20 %. C'est
un fait si étonnant qu'il est presque incroyable !... Cette enivrante augmentation de richesses
et de puissance, ajoute
M. Gladstone, est exclusivement réservée aux classes possédantes 4.»
Si vous voulez
savoir ce qu'il entre de santés brisées, de morale flétrie et de ruine intellectuelle
dans cette « enivrante augmentation de richesses et de puissance, exclusivement
réservée aux classes possédantes », que les classes laborieuses ont produites
et produisent, voyez la description des ateliers de tailleurs, d'imprimeurs et
de modistes dans le dernier Rapport sur l'état de la santé publique ! Voyez le Rapport de la commission
d'enquête sur le travail des enfants où il est constaté, par exemple, que « la classe des potiers, hommes et
femmes, représente une population tout à fait dégénérée, physiquement et
mentalement » ; que « les enfants mal portants seront un jour des parents
mal portants » ; que « la dégénérescence de la race en est une conséquence
absolue » ; que « la dégénérescence de la population du comté de Staaford
serait beaucoup plus avancée, n'était le recrutement continuel dans les régions
voisines, et les mariages avec des races plus saines ».
Jetez les yeux
sur le livre bleu de M. Tremenheere sur les plaintes et doléances des journaliers
de la boulangerie 5.
Et qui n'a pas frémi d'indignation à la lecture des paradoxes des inspecteurs
des fabriques, illustrés par lé registrateur général : la santé des ouvriers du
comté de Lancaster, alors même qu'ils en sont réduits à des rations de famine,
s'est réellement améliorée, parce que le manque de coton les a chassés
temporairement des filatures ; et la mortalité des enfants d'ouvriers a
diminué, parce qu'enfin il est permis aux mères de leur donner le sein, au lieu
de la mixture d'opium de Godfrey.
Retournez la médaille encore une fois ! Le relevé des impôts sur le revenu et sur la propriété, présenté à la Chambre des communes le 20 juillet 1864, nous apprend que du 5 avril 1852 au 5 avril 1863 treize personnes ont grossi les rangs de ces heureux de la terre, dont les revenus annuels sont évalués par le collecteur des impôts à 50 000 livres sterling, car leur nombre est monté, dans une seule année, de 67 à 80. Le même relevé fait apparaître que 3 000 personnes environ partagent entre elles un revenu annuel d'environ 25 millions de livres sterling. Or, ce montant dépasse celui qui est distribué annuellement entre tous les travailleurs agricoles de l'Angleterre et du Pays de Galles. Ouvrez le registre du cens de 1861, et vous trouverez que le nombre des propriétaires terriens de sexe masculin, en Angleterre et dans le Pays de Galles, s'est réduit de 16 934 en 1851 à 15 066 en 1861. En sorte que la concentration des terres s'est accrue en dix années de 11 %. Si les terres de ce pays continuent à se concentrer au même rythme dans quelques mains, la question agraire deviendra d'une simplicité singulière, à l'instar de ce qu'elle fut dans l'Empire romain, lorsque Néron ricanait en apprenant que la moitié de la province d'Afrique était possédée par six chevaliers.
Nous nous sommes
appesanti sur ces « faits si étonnants, qu'ils en sont presque incroyables »,
parce que l'Angleterre est à la tête de l'Europe des affaires et de
l'industrie. Il y a quelques mois, souvenez-vous-en, un des fils réfugiés de
Louis-Philippe félicitait publiquement les travailleurs agricoles anglais de la supériorité de leur sort par rapport
à celui moins prospère de leurs camarades d'outre-Manche. En vérité, si l'on
tient compte des différences locales, nous voyons les conditions anglaises se
reproduire à une échelle plus restreinte dans tous les pays industriels qui
progressent sur le continent. Dans tous ces pays, on assiste depuis 1848 à un
développement prodigieux de l'industrie et à une extension des exportations et
des importations, auxquelles on n'avait jamais rêvé auparavant. Partout,
« l'augmentation des richesses et de la puissance, exclusivement réservée
aux classes possédantes », a été véritablement « enivrante ». Là, comme en
Angleterre, au sein des classes travailleuses, une minorité a obtenu un certain
progrès du salaire réel 6, c'est-à-dire des moyens de subsistance que le
salaire peut acquérir. Mais, dans la plupart des cas, la hausse du salaire
en monnaie ne signifie
pas un bien-être accru, pas plus que les pensionnaires de l'hospice des pauvres
ou de l'orphelinat ne se trouvent mieux lorsqu'on augmente le coût de leur
entretien (par personne, 9 livres 15 sh 8 d en 1862 contre 7 livres 7 sh 4 d en
1852). Partout, on a vu la masse des classes travailleuses s'enfoncer plus
profond, dans la même proportion, à tout le moins, où les classes au-dessus
d'elles se sont élevées dans l'échelle sociale. Et à présent, il est une vérité
que tout esprit non prévenu tient pour démontrée, et que seuls dénient ceux-là
mêmes qui ont intérêt à barricader les autres dans le paradis des imbéciles :
cette vérité, c'est que, dans tous les pays d'Europe, il n'y a pas de
perfectionnement des machines, pas d'applications scientifiques dans la
production, pas d'amélioration dans les moyens de communication, pas de
colonies nouvelles, pas d'émigration, pas d'ouverture de marchés, pas de
libre-échange, il n'y a là rien, et même si l'on met toutes ces choses
ensemble, qui puisse mettre fin à la misère des classes laborieuses ; et qu'au
contraire, sur cette base instable, tout nouveau développement des forces
productives doit aboutir à des contrastes sociaux plus accentués, à des
antagonismes plus tranchés. Mourir de faim, mais c'est devenu une manière d'institution dans
la métropole de l'Empire britannique, au cours de cette « enivrante époque
» de progrès économique. Cette époque est marquée dans les annales du marché
mondial par la récurrence toujours plus rapide, par l'action toujours plus
étendue, par les effets toujours plus meurtriers de cette peste sociale qu'on
appelle la crise commerciale et industrielle.
Après l'échec des révolutions de 1848, une main de fer a broyé sur le continent toutes les organisations et les journaux du parti des classes travailleuses ; les plus éclairés des fils du travail perdirent tout espoir et se réfugièrent dans la République d'outre-Atlantique. Mais les rêves d'émancipation ont été de courte durée : ils s'évanouirent devant la fièvre industrielle, le marasme moral et la réaction politique. La défaite des classes travailleuses du continent, due en partie aux interventions diplomatiques du gouvernement anglais, qui, alors comme aujourd'hui, opère en fraternelle solidarité avec le cabinet de Saint-Pétersbourg, allait bientôt faire sentir ses effets de ce côté-ci de la Manche. Si la déroute de leurs frères du continent enlevait toute virilité aux travailleurs anglais et brisait leur foi en leur propre cause, en revanche elle raffermissait chez les lords de la terre et de la finance une confiance qui s'était trouvée quelque peu ébranlée. Ils retirèrent avec insolence des concessions qu'ils avaient déjà publiquement annoncées. La découverte de nouveaux gisements d'or provoqua un exode immense et laissa d'irréparables vides dans les rangs du prolétariat britannique. Certains de ses membres, autrefois actifs, se laissèrent corrompre par l'appât d'un emploi supérieur et de salaires passagèrement plus élevés, « en tenant compte des conditions du « moment». Tous les efforts pour maintenir le mouvement chartiste, ou pour le restaurer, connurent un échec retentissant ; les organes de presse de la classe ouvrière moururent l'un après l'autre de l'apathie des masses ; et il faut dire que jamais la classe ouvrière d'Angleterre ne sembla si parfaitement accoutumée à un état de nullité politique. En somme, il n'avait point existé de solidarité dans l'action entre les classes travailleuses de l'Angleterre et du continent, il y avait, en tout cas, une solidarité dans la défaite.
Cependant, la
période qui a suivi les révolutions de 1848 n'a pas été sans offrir quelques
compensations. Contentons-nous d'y relever deux grands faits.
Après une lutte
de trente ans, conduite avec la plus admirable persévérance, la classe ouvrière
d'Angleterre, bénéficiant d'un désaccord momentané entre les maîtres de la
terre et les maîtres de l'argent, réussit à conquérir la loi de dix heures
de travail. De tous
côtés, on a reconnu les immenses avantages, physiques, moraux et intellectuels,
qui en résultèrent pour les ouvriers, et les rapports semestriels des
inspecteurs des fabriques en font état à chaque fois depuis lors. Qui plus est,
la plupart des gouvernements du continent durent adopter la loi anglaise des
fabriques sous une forme plus ou moins modifiée, et le Parlement anglais
lui-même se vit contraint d'en étendre chaque année le domaine d'application.
Outre son
importance pratique, le succès de cette mesure ouvrière eut encore un autre
effet. Par ses porte-parole scientifiques les plus autorisés ‑ le docteur
Ure, le professeur Senior et autres sages du même acabit ‑, la
bourgeoisie avait prédit et prouvé à l'envi que la moindre réduction légale du
temps de travail sonnerait le glas de l'industrie anglaise, qui, tel un
vampire, ne peut pas vivre sans sucer le sang, et surtout le sang des enfants.
Jadis, le sacrifice d'un enfant était un rite mystérieux du culte de Moloch,
mais il n'était pratiqué qu'en des occasions particulièrement solennelles,
peut-être une fois par an, et puis Moloch n'avait pas une prédilection
particulière pour les enfants des pauvres.
La lutte pour la
limitation légale fut d'autant plus acharnée qu'à part la menace qu'elle
faisait peser sur la bourgeoisie, elle portait sur la grande querelle entre,
d'une part, l'aveugle loi de l'offre et de la demande qui forme l'essentiel de l'économie
politique de la classe bourgeoise et, d'autre part, le contrôle de la production sociale par l'action et la
prévision collectives qui forme l'essentiel de l'économie politique de la
classe ouvrière. C'est ce
qui explique que la loi de dix heures n'a pas été seulement un succès pratique,
mais encore la victoire d'un principe. Pour la première fois, l'économie
politique de la classe bourgeoise succombait au grand jour devant l'économie
politique de la classe ouvrière.
Mais une victoire
plus grande encore de l'économie politique du travail sur l'économie politique
du capital allait se produire.
Nous voulons
parler du mouvement coopératif et surtout des fabriques coopératives,
organisées, avec bien des efforts et sans aide officielle aucune, par quelques
bras audacieux. On ne saurait exagérer l'importance de ces grandes expériences
sociales. Par des actes et non des arguments, elles ont prouvé que la grande
production, à une vaste échelle et en harmonie avec les exigences de la science
moderne, peut être effectuée sans qu'une classe de maîtres emploie une classe
de bras, que les moyens de travail, pour porter des fruits, n'ont pas besoin
d'être monopolisés en dominant et exploitant le travailleur, et que le travail
salarié ‑ tout aussi bien que le travail des esclaves et
des serfs ‑ n'est qu'une forme transitoire et inférieure, destinée à
disparaître devant le travail associé, exécutant sa tâche de son plein gré, l'esprit
alerte et le cœur content.
En Angleterre, la
graine du système coopératif a été semée par Robert Owen. Les expériences
tentées par les travailleurs sur le continent sont en fait une application
pratique de théories qui n'ont pas été inventées en 1848, mais alors seulement
proclamées hautement.
En même temps;
l'expérience de la période de 1848 à 1864 a démontré sans aucun doute possible
ce que les plus clairvoyants des chefs de la classe ouvrière ont déjà exprimé
dans les années 1851 et 1852 à propos du mouvement coopératif en
Angleterre 7, à savoir : pour excellent qu'il soit en
principe, et utile qu'il soit dans la pratique, le travail coopératif, s'il
reste circonscrit dans un secteur étroit, lié à des tentatives, à des efforts
isolés et épars des travailleurs, ne sera jamais capable d'arrêter la
progression géométrique des monopoles, ni de libérer les masses, ni même
d'alléger de manière sensible le poids de la misère.
C'est sans doute
parce qu'ils l'ont compris que les lords beaux parleurs, les bourgeois
philanthropes et moralisateurs, voire certains économistes, coquettent à
présent avec ce système de travail coopératif qu'ils avaient dans le temps
cherché vainement à tuer dans l'œuf, en le raillant comme une utopie de rêveurs
ou comme un sacrilège de socialistes.
Pour pouvoir affranchir les masses laborieuses, le système coopératif doit être développé à l'échelle nationale, ce qui implique qu'il dispose de moyens nationaux. Mais, jusque-là, les propriétaires de la terre et du capital useront sans cesse de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs monopoles économiques. Loin de favoriser l'émancipation des travailleurs, ils s'évertueront à semer sur sa voie tous les obstacles possibles et imaginables.
Lord Palmerston
exprima le fond de leur pensée, quand il interpella les partisans du projet de
loi sur les droits des fermiers irlandais à la dernière session du Parlement en
s'écriant : « La Chambre des communes est une chambre de propriétaires
fonciers ! »
Dans ces
conditions, le grand devoir de la classe ouvrière, c'est de conquérir le
pouvoir politique. Il semble que les ouvriers en prennent conscience. En effet
on assiste à une reprise du mouvement aussi bien en Allemagne qu'en France et
en Italie, où l'on tente pareillement de restaurer le parti ouvrier. Un élément
de son succès, c'est le nombre. Toutefois, le nombre ne pèse dans la balance que s'il est uni par
l'association et guidé par une claire conscience. L'expérience du passé a
amplement démontré que si l'on dédaigne de nouer ce lien fraternel entre les
travailleurs des différents pays afin de les entraîner à faire front ensemble
dans leurs luttes pour l'émancipation la sanction en sera l'échec commun de ses
assauts désordonnés. C'est cette conviction qui a poussé les travailleurs de
différents pays à fonder l'Association internationale, lors de l'assemblée publique tenue le 28
septembre 1864 à St Martin's Hall.
Une autre conviction animait cette assemblée.
Si l'émancipation
des classes travailleuses ne peut se faire sans leur concours fraternel,
comment peuvent-elles donc remplir cette grande mission, quand la politique
étrangère ne nourrit que des desseins criminels, quand elle joue des préjugés
nationaux, quand elle gaspille dans des guerres de flibustiers le sang du
peuple et ses trésors? Ce ne fut pas la sagesse des classes dirigeantes, mais
bien l'héroïque résistance opposée par les classes travailleuses d'Angleterre à
leur folie criminelle, qui a retenu l'Europe occidentale de se jeter tête
baissée dans une infâme croisade pour la perpétuation et la propagation de
l'esclavage outre-Atlantique. L'approbation sans vergogne, la sympathie
hypocrite, ou l'indifférence stupide, avec lesquelles les classes supérieures
de l'Europe ont assisté à la conquête de la forteresse montagnarde du Caucase,
à l'assassinat de l'héroïque Pologne par les Russes ; les vastes empiétements,
jamais contrecarrés, de cette puissance barbare dont la tête est à
Saint-Pétersbourg et dont les mains agissent dans tous les cabinets d'Europe,
tout cela a appris aux travailleurs qu'ils ont un devoir : percer les mystères
de la politique internationale, surveiller les agissements diplomatiques de
leurs gouvernements, les contrecarrer au besoin, par tous les moyens qui sont
en leur pouvoir; et s'ils ne peuvent les empêcher, s'entendre pour les dénoncer
en même temps, et pour revendiquer les lois élémentaires de la morale et de la
justice, qui doivent régir les relations entre particuliers, comme règle
souveraine des rapports entre les nations.
La lutte pour une
telle politique étrangère fait partie de la lutte générale pour l'émancipation des classes
travailleuses.
Prolétaires de
tous les pays, unissez-vous !
Retour à la table des
matières
Considérant
Que
l'émancipation de la classe ouvrière doit être l'œuvre 8 de la classe ouvrière elle-même 9 ; que la lutte pour l'émancipation de la classe
ouvrière n'est pas une lutte pour des privilèges et des monopoles de classe,
mais pour des droits et des devoirs égaux 10, et pour l'abolition de tout régime de classe ;
Que l'assujettissement économique du travailleur à ceux qui se sont appropriés les moyens du travail, c'est-à-dire les sources de la vie, est la cause première de la servitude dans toutes ses formes ‑ la misère sociale, l'avilissement intellectuel et la dépendance politique ;
Que
l'émancipation économique de la classe ouvrière est donc le grand but auquel
tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen ;
Que tous les
efforts tendant à ce but ont jusqu'ici échoué, faute de solidarité entre les
travailleurs des différentes professions dans le même pays et d'une union
fraternelle entre les classes ouvrières des divers pays ;
Que
l'émancipation du travail, n'étant un problème ni local ni national, mais
social, embrasse tous les pays dans lesquels existe la société moderne, et
nécessite, pour sa solution, le concours théorique et pratique des pays les
plus avancés;
Que le mouvement
qui vient de renaître parmi les ouvriers des pays les plus industriels de
l'Europe, tout en réveillant de nouvelles espérances, donne un solennel
avertissement de ne pas tomber dans les vieilles erreurs, et de combiner le
plus tôt possible les efforts encore épars ;
Par ces
raisons :
Les soussignés,
membres du Conseil élu par l'assemblée tenue le 28 septembre 1864, à St
Martin's Hall, à Londres, ont pris les mesures nécessaires pour fonder l'Association
internationale des travailleurs. Ils déclarent que cette Association internationale ainsi que toutes les
sociétés et individus qui y adhèrent reconnaissent, comme devant être la base
de leur conduite envers tous les hommes, la vérité, la justice, la morale, sans distinction de couleur, de croyance ou de
nationalité. Ils considèrent comme un devoir de réclamer non seulement pour eux
les droits d'homme et de citoyen, mais encore pour quiconque accomplit ses
devoirs. Pas de droits sans devoirs, pas de devoirs sans droits. Et c'est dans
cet esprit qu'ils ont rédigé le règlement provisoire de l'Association
internationale 11.
Article 1. ‑ La présente Association est créée pour établir un point central de communication et de coopération 12 entre les sociétés ouvrières des différents pays aspirant au même but, à savoir la défense, le progrès et l'émancipation complète de la classe ouvrière.
Art. 2. ‑ Le nom de cette association sera : Association internationale des travailleurs.
Art. 3. ‑ En 1865, un congrès ouvrier international se tiendra en Belgique. Il sera composé de représentants de toutes les sociétés ouvrières qui, dans l'intervalle, auront rejoint l'Association internationale 13. Le congrès, face à l'Europe, proclamera les aspirations communes de la classe ouvrière, arrêtera les statuts définitifs de l'Association internationale, examinera les meilleurs moyens pour assurer le succès de son action, et nommera 14 le Conseil général de l'Association. Le congrès général devra se réunir une fois l'an 15.
Art. 4. ‑ Le Conseil central aura son siège à Londres et se composera de travailleurs appartenant aux différents pays représentés dans l'Association internationale. II choisira dans son sein les membres nécessaires à sa bonne marche, tels que président, trésorier, secrétaire général, secrétaires particuliers pour les différents pays 16.
Art. 5. ‑ À chaque congrès annuel, le Conseil central fera un rapport public sur les travaux de l'année. Le Conseil central, nommé à nouveau chaque année par le Congrès, a le pouvoir de s'adjoindre de nouveaux membres 17. En cas d'urgence, il pourra convoquer le Congrès avant le terme fixé.
Art. 6. ‑ Le Conseil central fonctionne comme agence internationale 18 entre les diverses sociétés qui collaborent, de telle sorte que les ouvriers de chaque pays sont constamment au courant des mouvements de leur classe dans tous les autres pays ; qu'une enquête sur la situation sociale des divers pays d'Europe soit faite simultanément et sous une direction commune 19 ; que les questions d'intérêt général, proposées par une société, soient reprises par toutes les autres, et qu'en cas de nécessité, comme dans le cas de querelles internationales, tous les groupes de l'Association puissent agir simultanément et d'une manière uniforme.
Suivant qu'il le jugera opportun, le Conseil central prendra l'initiative des propositions à soumettre aux sociétés locales et nationales.
Afin de faciliter ses relations avec les sections, le Conseil central publiera périodiquement des rapports 20.
Art. 7. ‑ Puisque, d'une part, le succès du mouvement ouvrier dans chaque pays ne peut être assuré que par la force résultant de l'union et de l'association, et que, d'autre part, l'action du Conseil central international 21 sera d'autant plus efficace qu'au lieu de traiter avec une foule de petites sociétés locales, isolées les unes des autres, il peut se mettre en relation avec quelques grands centres nationaux des sociétés ouvrières ‑ pour ces raisons, les membres de l'Association internationale devront rassembler tous leurs efforts pour réunir les sociétés ouvrières encore dispersées de leurs pays respectifs, en associations nationales, dotées d'organes nationaux centraux 22. Il va sans dire que l'application de cet article est subordonnée aux lois particulières à chaque pays, et qu'abstraction faite d'obstacles légaux, chaque société locale indépendante aura le droit de correspondre directement avec le Conseil général 23.
Art. 8. ‑ Jusqu'à la première réunion du congrès ouvrier, le comité élu le 28 septembre 1864 agira comme Conseil central provisoire. Il s'efforcera de nouer des relations avec les sociétés ouvrières des différents pays, de gagner des adhérents dans le Royaume-Uni, de prendre les mesures nécessaires pour préparer la tenue du congrès, et de discuter avec les sociétés locales et nationales les questions qui devront être présentées devant le congrès 24.
Art. 9. ‑ En changeant de domicile d'un pays à l'autre, chaque membre de l'Association internationale recevra l'appui fraternel des ouvriers organisés.
Art. 10. ‑ Quoique unies par un lien fraternel de solidarité et de coopération, les sociétés ouvrières qui adhèrent à l'Association internationale continueront à garder intacte leur organisation existante 25.
Règlements spéciaux
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1. Le Conseil central est tenu d'exécuter les résolutions du Congrès.
a) Il rassemble dans ce but tous les documents que les sections centrales des différents pays lui enverront ou qu'il aura pu se procurer par une autre voie.
b) Il est chargé d'organiser le Congrès et de porter son programme à la connaissance de toutes les sections par l'intermédiaire des conseils centraux des différents pays 26.
2. Le Conseil central publiera, autant et aussi souvent que ses moyens le lui permettront, un bulletin qui embrassera tout ce qui peut intéresser l'Association internationale. Ce bulletin traitera essentiellement de l'offre et la demande de travail, des sociétés coopératives et de la situation des classes laborieuses dans tous les pays.
3. Ce bulletin, rédigé en plusieurs langues, sera envoyé gratuitement à tous les comités correspondant avec le Conseil central, qui en communiqueront à chaque fois un exemplaire à chacune de leurs sections.
4. Pour faciliter au Conseil central l'exécution des devoirs qui lui sont imposés par les articles ci-dessus, tout membre de l'Association et des sociétés adhérentes versera par exception, pour l'année 1866-67, une cotisation fixe de 30 centimes.
5. Partout où les circonstances le permettront, des conseils centraux groupant un certain nombre de sections seront établis 27. Les membres, élus et révocables à tout moment par leurs sections respectives, doivent envoyer leurs rapports au Conseil central une fois par mois, et plus souvent s'il est nécessaire.
6. Les frais d'administration de ces conseils centraux seront supportés par les sections qui les ont établis.
7. Les conseils centraux, non moins que le Conseil central de l'Association, sont obligés de faire honneur au crédit qui sera donné aux membres de l'Association par leurs sections respectives, mais autant seulement que leurs carnets seront visés par le secrétaire de la section à laquelle appartient le membre qui lui demande le crédit.
Dans le cas où la section à laquelle le membre adresse la demande de crédit n'a pas de fonds disponibles, elle est en droit de tirer à vue sur la section qui garantit pour le crédit.
8. Les conseils centraux et les sections sont obligés d'admettre tout membre de l'Association à prendre connaissance des rapports du Conseil central.
9. Chaque section, nombreuse ou non, a le droit d'envoyer un délégué au Congrès. Si la section n'est pas en état d'envoyer un délégué, elle s'unira avec les sections voisines en un groupe qui nommera un délégué commun pour tout le groupe.
10. Les frais des délégués seront supportés par la section ou le groupe de sections.
11. Chaque membre de l'Association internationale a le droit de vote et est éligible.
12. Chaque section ou groupe de sections qui compte plus de 500 membres a le droit d'envoyer un délégué pour 500 membres au-dessus de ce nombre primitif.
13. Chaque délégué n'a qu'une voix au Congrès.
14. Chaque
section est libre de rédiger ses statuts particuliers et ses règlements selon
les circonstances locales et les lois de son pays, mais ils ne doivent en
rien être contraires aux statuts généraux et aux règlements généraux.
15. Les présents statuts et règlements peuvent être modifiés par chaque congrès, à la demande des deux tiers des délégués présents.
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Résolution sur l'admission des sociétés ouvrières à l'Association internationale des travailleurs 28
Les organisations ouvrières sont invitées à adhérer collectivement à l'Association, le montant de leur cotisation étant laissé à leur choix selon leurs moyens.
Les sociétés qui adhèrent à l'Association obtiennent le droit d'élire un représentant au Conseil central, tandis que le Conseil se réserve le droit d'accepter ou de refuser ces représentants 29.
Appel du Conseil central aux associations ouvrières
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Les organisations de métier, les sociétés
de secours mutuel et autres associations ouvrières sont invitées à adhérer
collectivement 30. La seule condition en est que les membres reconnaissent les
principes de l'Association et paient 5 sh pour leur déclaration d'adhésion (sur
toile de lin laquée et munie d'un fleuron). Il ne sera exigé aucune cotisation des associations adhérentes. On s'en remettra à
leur discrétion pour verser une cotisation selon leurs moyens, ou pour soutenir
l'Association de temps à autre, lorsqu'elles
jugeront que ses efforts justifient leur soutien.
Le Conseil central est tout disposé à envoyer à toute société qui le désire l'Adresse et les, statuts qui exposent dans le détail les principes et les buts de l'Association. À l'intérieur du district londonien, il est prêt à envoyer des délégations pour leur donner tous les renseignements ultérieurs souhaités. Les sociétés adhérentes obtiennent le droit de déléguer un représentant au Conseil central. La cotisation par membre individuel se monte à 1 sh par an, à quoi s'ajoute 1 penny pour la carte de membre. On peut obtenir la carte, ainsi que tous les renseignements relatifs à l'Association, du secrétaire honoraire ou aux séances du Conseil central qui se, tiennent tous les mardis de huit à dix heures du soir au n° 18, Greek Street.
E. DUPONT, secrétaire correspondant pour la France
K. MARX, secrétaire correspondant pour l'Allemagne
HOLTORP, secrétaire correspondant pour la Pologne
H. JUNG, secrétaire correspondant pour la Suisse
L. LEWIS, secrétaire correspondant pour l'Amérique
G. ODGER, président du Conseil central
G. W. WHEELER, trésorier honorifique
W. R. CRÉMER, secrétaire général honorifique.
L'Association ‑ ou plutôt son comité ‑ est importante 31, car les chefs des syndicats de Londres en font partie, ceux-là mêmes qui ont organisé l'énorme réception à Garibaldi, et ont fait échouer, grâce aux meetings monstres de Saint James Hall, le plan de Palmerston d'une guerre contre les États-Unis. Les chefs des ouvriers parisiens sont également en relation avec nous.
Notre association a fait de grands progrès 32. Elle possède déjà trois organes officiels, un à Londres, The Workman's Advocate, un autre à Bruxelles, La Tribune du peuple, et un de la section française de Suisse, Journal de la Suisse romande (Genève). Enfin, un journal de la section suisse allemande, Der Vorbote, paraîtra dans quelques jours, sous la direction de J. B. Becker (adresse : 6, rue du Môle, Genève, pour le cas où vous voudriez lui envoyer des correspondances politiques ou sociales).
Nous avons réussi à entraîner dans le
mouvement la seule
organisation ouvrière vraiment importante, les syndicats anglais qui,
autrefois, s'occupaient exclusivement de questions de salaire. Grâce à eux, la
société anglaise que nous avons fondée pour instaurer le suffrage
universel 33 (dont la direction se compose pour la
moitié de membres ‑ ouvriers ‑ de notre Conseil central) a
organisé, il y a quelques semaines, un meeting de masse où seuls des
travailleurs ont pris la parole 34. Vous
pouvez juger de l'effet produit, quand je vous aurai dit que le Times s'en est occupé dans ses éditoriaux de
deux numéros successifs.
Le comité
londonien des syndicats anglais (dont le secrétaire est le président de notre
association, Odger) discute en ce moment s'il doit s'appeler section
britannique de l'Association internationale35. S'il le fait, le gouvernement de la
classe ouvrière passera en Angleterre en un certain sens entre nos mains, et
nous pourrons fortement pousser en avant le mouvement.
Tout le monde
sait que le Conseil général des syndicats siégeant à Londres se compose de six
à sept membres, dont trois font partie du Conseil général de l'A. I. T. Odger
(secrétaire de la direction centrale et délégué des cordonniers), E. Applegarth
(délégué du syndicat des charpentiers et menuisiers) et Howell (délégué des
maçons et secrétaire de la Ligue pour la réforme 36.
– les
sociétés coopératives, qui
ont envoyé trois délégués au Congrès de l'Internationale à Bruxelles, par
Weston et Williams ;
‑ la Ligue
pour la réforme par Dell,
Cowell Stepney et Lucraft, tous trois membres de la commission exécutive de la Ligue
;
‑
l'Association pour une réforme nationale, créée par l'agitateur feu Bronterre O'Brien, et
représentée au Conseil général par son président A. E. Walton et Milner ;
‑ enfin, le
mouvement populaire athéiste, par la célèbre oratrice Mrs Harriet Law et Mr Copeland.
Comme on le voit,
il n'est pas d'organisation importante du prolétariat britannique qui ne soit
pas directement représentée par ses propres dirigeants au sein du Conseil
général de l'A. I. T. Enfin, le Bee-Hive, sous la direction de George Potter, l'organe
officiel des syndicats anglais, est en même temps l'organe officiel du Conseil
général de l'A. I. T., dont il fournit chaque semaine le compte rendu de
séance.
Mon cher Le Lubez,
Le succès de notre association doit nous inciter à la prudence. À mon avis, nous gâcherions tout si nous accueillions Mr Beales dans notre conseil 37.
Je le tiens pour un homme honnête et bien intentionné ; malgré cela, il est et ne peut rien être d'autre qu'un politicien bourgeois. Il est faible, médiocre et ambitieux. Il veut se présenter aux prochaines élections parlementaires comme candidat dans le Marylebone. Ce simple fait devrait suffire à ce que nous ne l'acceptions pas dans notre comité. Nous ne devons pas permettre qu'il serve de tremplin aux mesquines ambitions parlementaires.
Vous pouvez être sûr que si nous admettons Beales, le ton cordial, sincère et franc qui caractérise nos présents débats disparaîtrait et céderait la place au commerce des mots. Beales serait bientôt suivi par Taylor, cet insupportable voyou et lèche-cul.
Aux yeux du public, notre association obtiendrait un caractère tout autre si nous acceptions Beales : nous serions l'une des nombreuses associations qu'il honore de sa faveur 38. Là où il met pied, d'autres de sa classe suivront, et nos efforts jusqu'ici si fructueux pour libérer le mouvement ouvrier anglais de toute tutelle de la classe bourgeoise ou de l'aristocratie seraient anéantis.
Je sais d'avance que les questions, surtout de caractère social, qui surgiraient après l'admission de Beales le contraindraient bientôt de se retirer. Nous allons avoir à préparer des manifestes sur la question agraire, etc., auxquels il est impossible qu'il souscrive. Dans ces conditions, ne vaut-il pas mieux ne pas l'admettre du tout, au lieu de lui donner plus tard l'occasion de se dédire ?
Je sais qu'après la folle démarche de Mr Dell cette candidature posera quelques difficultés 39.
Je veux admettre que toute cette affaire pourra se régler paisiblement par des discussions avec les membres anglais dirigeants, avant qu'elle ne soit posée au comité.
En ce qui concerne l'élection des correspondants, le Conseil central a reconnu aux sociétés affiliées le droit d'élire elles-mêmes leurs représentants 40. Il s'est simplement réservé la faculté de les confirmer. À Bruxelles, les choses se sont passées autrement, parce qu'aucune société ne s'y est encore formée. Serait-il possible d'arriver au compromis selon lequel vous seriez accepté comme correspondant des sociétés, celles-ci élisant à leur tour un comité de gestion, comme cela s'est passé à Paris et à Genève ?
En ce qui concerne le paiement de la cotisation, les sociétés comprendront facilement que le Conseil central serait empêché d'entreprendre toute action générale, si aucune société affiliée ne voulait payer de contribution. Il semble que l'objection ne porte que sur le paiement d'une double cotisation. Ne serait-il pas possible de régler ces choses à l'amiable ? Le Conseil central fera toute concession qui est compatible avec sa responsabilité.
Pour ma part, je suis persuadé que vos mesures étaient exclusivement dictées par votre zèle pour la cause commune. J'en appelle à ce zèle, et vous prie de vous engager dans la voie de l'entente et de la collaboration future. Je vous serais très reconnaissant d'une réponse rapide, tout d'abord parce que je dois en informer le Conseil central, et ensuite parce qu'une préconférence des membres des différents comités de gestion doit avoir lieu le 25 septembre.
Le Conseil central s'est convaincu que le congrès ne peut pas avoir lieu cette année, la préconférence de Londres doit d'abord le préparer.
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La conférence a décidé de convoquer un congrès public à Genève pour la fin mai 41.Elle a préparé un programme des questions qui doivent y être débattues. Mais ne peuvent y participer que les membres de sociétés affiliées à l'Internationale et délégués par elles. Je te mets donc très sérieusement en demeure (je ferai faire la même chose à Stumpf de Mayence, et j'écrirai dans le même sens à Berlin) d'adhérer à l'Internationale avec quelques gens. Peu importe qu'ils soient nombreux ou non. Je t'enverrai des cartes que j'ai payées d'avance, si bien que tu peux les donner gratuitement. Mais agis maintenant ! Toute société (indépendamment du nombre de ses adhérents) peut devenir membre en bloc en payant 5 sh. Les cartes, en revanche, qui coûtent 1 sh, permettent d'être membre à titre individuel, ce qui est important pour tous les ouvriers qui vont à l'étranger. Mais considère ces questions d'argent comme tout à fait secondaires. L'essentiel, c'est de gagner des membres en Allemagne, des individus ou des sociétés...
Je viens de rouvrir cette lettre et, ce faisant, j'ai déchiré quelque chose. En effet, je voulais encore te dire que j'ai envoyé au printemps dernier au docteur Kugelmann une lettre avec des cartes d'adhésion de notre association 42. Il ne m'a pas répondu.
Cher ami,
J'étais très content de recevoir de nouveau,
par votre lettre du 28 septembre, un signe de vie des ouvriers de
Rhénanie 43.
B.
Becker ou M. Hess ? Je les connais tous deux : ce sont de vieux membres du
mouvement. Tous deux sont honnêtes, mais ni l'un ni l'autre n'est capable de
diriger un mouvement important. Becker est, au fond, un faible, et Hess un
esprit confus. Il est donc difficile de décider entre les deux. Ainsi je pense
qu'il est relativement indifférent de vous indiquer lequel des deux il faut
choisir, car au moment décisif les hommes nécessaires se trouveront aussi 44.
Plusieurs lettres me sont parvenues, notamment de Berlin, pour me demander si je voulais accepter la présidence (de l'Association générale des ouvriers allemands). J'ai répondu que cela m'était impossible, parce qu'on m'interdit pour l'heure encore que je m'établisse en Prusse 45. Cependant, je tiendrai pour une bonne démonstration de parti, à la fois contre le gouvernement prussien et contre la bourgeoisie, que le congrès ouvrier m'élise, a la suite de quoi je déclarerai, dans une réponse publique, pourquoi je ne suis pas en mesure d'accepter cette proposition. En outre, cette façon de procéder serait importante pour la raison suivante : le 28 septembre, il y eut ici à Londres un grand meeting public des ouvriers, réunissant des travailleurs anglais, allemands, français et italiens. En outre, les ouvriers parisiens y avaient dépêché spécialement une délégation, à la tête de laquelle se trouvait Tolain, un ouvrier que la classe ouvrière avait présenté à Paris, lors des dernières élections, comme candidat au Corps législatif.
Cette assemblée élut un comité ‑ un comité international pour représenter les intérêts ouvriers, qui se tient en liaison directe avec les ouvriers parisiens et dans lequel se trouvent les dirigeants des ouvriers londoniens. J'ai été choisi pour représenter les ouvriers allemands (et à mes côtés se trouve un vieil ami, le tailleur Eccarius). Ainsi donc, si j'étais élu par le congrès allemand ‑ bien que je dusse dans les conditions actuelles refuser ce choix ‑, cela équivaudrait à une démonstration de la part des ouvriers allemands aux yeux du comité, et donc des ouvriers londoniens et parisiens 46. Le comité convoquera pour l'année prochaine un congrès ouvrier international à Bruxelles 47. Je ne pourrai malheureusement y prendre part personnellement, puisque je reste toujours interdit de séjour dans l'État modèle de Belgique, aussi bien que de France et d'Allemagne.
Je vous ferai envoyer des exemplaires du Manifeste dès qu'il se présentera une occasion sûre.
Tout au long de l'année dernière, j'ai été malade (atteint de furonculose). Sinon mon ouvrage, Le Capital, sur l'économie politique serait déjà publié. J'espère pouvoir l'achever enfin d'ici quelques mois, afin de porter ainsi, sur le plan théorique, un coup à la bourgeoisie, dont elle ne se remettra plus.
Bien à vous, et soyez assuré que la classe ouvrière trouvera toujours en moi le fidèle militant de l'avant-garde.
Votre K. M.
Cher Siebel,
Tu as sans doute constaté qu'Engels et moi-même nous avons accepté de collaborer au Sozial-demokrat de Berlin 48. Cependant ‑ entre nous soit dit ‑, ou bien ce journal devra cesser de porter aux nues les idées de Lassalle, ou bien nous devrons cesser de le soutenir. Néanmoins, pour l'heure, les pauvres diables se débattent dans de grandes difficultés.
Tu as
sans doute reçu les exemplaires de l'Adresse inaugurale et des statuts de
l'Internationale que je t'ai fait envoyer, et tu auras reconnu le rédacteur. À
cause du mouvement d'ici, il est important pour nous que des organisations
ouvrières allemandes envoient leurs adhésions au comité central de
l'Internationale. Nous en avons déjà reçu de nombreuses d'Italie et de France.
Liebknecht vient de me faire savoir que l'association des linotypistes de
Berlin demande son adhésion, mais qu'en revanche celle de l'Association
générale des ouvriers allemands est douteuse 49
à cause des intrigues de Monsieur Bernhard Becker, dont Lassalle a « découvert
» qu'il était un personnage important. (Entre nous, c'est sans doute la seule
découverte que Lassalle ait faite.) J'ai écrit
aujourd'hui à la vieille Hatzfeld une sorte de mise en demeure, naturellement sub
rosa.
Dans ces conditions, il serait hautement souhaitable que tu te rendes rapidement à Solingen pour prendre contact avec le coutelier Klings en mon nom et pour lui exposer combien il importe que l'Association allemande des ouvriers décide d'adhérer à l'Internationale ouvrière à l'occasion de son congrès du 27 décembre de cette année. Tu peux naturellement faire allusion en confidence que ce qui importe a des nullités telles que B. Becker et consorts, ce n'est pas, évidemment, la cause, mais l'infiniment petit, c'est-à-dire leur propre personne. Cependant, de telles allusions doivent être faites diplomatiquement, sans me mêler à l'affaire 50.
Tu comprendras que l'adhésion de l'Association générale des ouvriers allemands n'est utile que pour le commencement, face à nos adversaires d'ici. Plus tard, il faudra disloquer tout cet appareil qui repose sur des bases erronées.
Si tu ne m'écris pas enfin quelques lignes, j'en tirerai la conclusion que tu m'es devenu tout à fait infidèle, et je te lancerai l'anathème.
Ton K. M
Projet des membres de l'Association générale des ouvriers allemands de Wiesbaden au Congrès de Hambourg pour l'affiliation à l'association internationale des travailleurs. Vers le 12 août 1868.
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Considérant :
1. que la pression du grand capital privé s'effectue à l'échelle internationale et n'est pas limitée aux frontières d'un État ; 2. que l'extension de la pauvreté des masses est tout aussi internationale ‑ il n'est pas simplement conseillé, mais proprement impératif de s'affilier à l'Association internationale afin de s'opposer aux empiètements capitalistes, et de déléguer notre président, Monsieur le docteur J. B. von Schweitzer, comme représentant de l'Association générale des ouvriers allemands au Congrès de l'Internationale qui se tient à Bruxelles du 6 au 11 septembre. Nous demandons donc au Congrès de bien vouloir prendre une décision en ce sens 51.
Aux président et comité directeur de l'Association générale des ouvriers allemands
En conclusion des travaux préparatoires au Congrès de Bruxelles, il se tiendra une réunion de la commission exécutive du Conseil général de l'Association internationale des travailleurs le 22 août, ainsi qu'une réunion plénière du Conseil général le 25 août 52. Comme je suis chargé de faire le compte rendu d'activité à ces deux réunions, je ne serai pas en mesure de donner suite à l'invitation flatteuse que vous m'avez faite de participer au Congrès de l'A. G. O. A. à Hambourg.
Je constate avec joie que le programme de votre congrès a fixé les points qui constituent en fait le point de départ de tout mouvement ouvrier sérieux : agitation pour une liberté entière, réglementation de la journée de travail, et coopération internationale systématique de la classe ouvrière en vue de la grande tâche historique qu'elle doit résoudre pour toute la société. Nous vous souhaitons bonne chance dans cette œuvre !
L'Association générale des ouvriers allemands a été dissoute non seulement sous le règne du suffrage universel, mais précisément parce que le suffrage universel règne 53. Engels lui avait prédit qu'elle serait persécutée dès qu'elle deviendrait dangereuse. Dans sa dernière assemblée générale 54, l'Association avait décidé : 1. de faire de l'agitation pour une pleine liberté politique ; et 2. de collaborer avec l'Internationale. Ces deux résolutions signifient une rupture complète avec tout le passé de l'Association. En les prenant, l'Association abandonnait la position de secte qu'elle occupait jusque-là pour s'engager dans le vaste champ d'un grand mouvement ouvrier. Mais, en haut lieu, on semble s'être imaginé que cela heurtait d'une certaine manière les accords. En d'autres temps, cela n'aurait pas tiré vraiment à conséquence. Mais, depuis l'instauration du suffrage universel, on a voulu soigneusement préserver le prolétariat des campagnes et des petites villes de telles tentatives de subversion. Le droit au suffrage universel fut donc le dernier clou enfoncé dans le cercueil de l'Association générale des ouvriers allemands.
C'est un honneur pour l'Association d'avoir succombé précisément à la suite de cette rupture avec le lassalléisme borné. Quelle que soit l'organisation qui la remplacera, elle devra être fondée sur une base et des principes plus généraux que ceux que pouvaient offrir les bavardages lassalléens, éternellement rabâchés, à propos de l'aide de l'État. Dès l'instant où les membres de l'Association dissoute commencèrent à penser, au lieu de croire, disparaissait le dernier obstacle qui se trouvait sur le chemin de la fusion de tous les ouvriers social-démocrates allemands en un grand parti 55.
Programme de l'Association des sociétés ouvrières allemandes adopté par la Conférence de Nuremberg, le 5-9-1868
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La cinquième conférence de l'Association des sociétés ouvrières allemandes déclare, dans les points suivants, son accord avec le programme de l'Association internationale des travailleurs :
1. L'émancipation (libération) des classes ouvrières doit être conquise par les classes laborieuses elles-mêmes. La lutte pour l'émancipation des classes ouvrières n'est pas une lutte pour des privilèges de classe et des monopoles, mais pour des droits égaux et des devoirs égaux, ainsi que pour l'élimination de toute domination de classe 56.
2. La dépendance économique de l'homme du travail vis-à-vis des monopoleurs (des propriétaires exclusifs) des instruments de travail constitue la base de l'asservissement sous toutes ses formes, de la misère sociale, de la dégradation intellectuelle et de la sujétion politique.
3. La liberté politique est l'indispensable condition préalable de la libération économique des classes ouvrières. La question sociale est donc inséparable de la politique, sa solution est donc conditionnée par cette dernière et n'est possible que dans l'État démocratique.
Considérant en outre :
Que tous les efforts tendant à l'émancipation économique ont échoué jusqu'ici en raison du manque de solidarité (unité) entre les travailleurs des multiples branches d'activité dans chaque pays, ainsi que de l'absence d'une union fraternelle reliant entre elles les classes ouvrières des différents pays,
Que l'émancipation du travail n'est un problème (devoir) ni local ni national, mais social, qui embrasse tous les pays dans lesquels existe la société moderne, et qu'elle nécessite, pour sa solution, le concours théorique et pratique des pays les plus avancés,
la cinquième conférence des sociétés
ouvrières allemandes décide d'adhérer aux efforts de l'Association
internationale des travailleurs.
Extraits du compte rendu de séance du Conseil général du 22 septembre 1868
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Le citoyen Marx annonce qu'il a reçu une lettre d'Essen (Allemagne) l'informant d'une grève de 1 300 mineurs qui s'opposent à une réduction de leur salaire et demandent qu'on leur envoie un secours pécuniaire...
Eccarius fait, ensuite, un bref rapport sur sa mission à la Conférence de Nuremberg, disant qu'il avait été hautement satisfait du tact que les travailleurs allemands avaient acquis durant la courte période où ils ont été en possession de la liberté de réunion publique. La question de l'affiliation à l'Association internationale a été acquise par 68 voix contre 46, la minorité étant formée d'hommes que l'emploi de moyens politiques effrayent. Ayant été obligé de quitter la conférence pour aller à Bruxelles après que le vote eut été acquis, il ne peut dire quelles autres mesures ont été prises.
Le citoyen Marx dit qu'un comité de 16 membres a été mis en place ensuite, afin de faire appliquer la résolution et d'agir comme comité exécutif de l'Association internationale des travailleurs pour l'Allemagne, après avoir été investi du pouvoir d'agir en tant que tel 57.
Résolution de la Conférence de Nuremberg sur la création de syndicats
Considérant
Que l'octroi par l'État existant de l'administration d'une caisse générale d'assurance-vieillesse donne inconsciemment aux ouvriers un intérêt conservateur aux formes existantes de l'État, en lequel il ne peut avoir la moindre confiance,
Que les caisses de maladie, de vieillesse et d'aide aux travailleurs en déplacement sont créées et fonctionnent dans les conditions les plus favorables lorsqu'elles sont gérées par les syndicats de métiers eux-mêmes, comme l'expérience le prouve 58,
la cinquième conférence des sociétés ouvrières allemandes charge les membres de l'Association et notamment du comité d'agir énergiquement pour l'unification des travailleurs dans des syndicats centralisés.
Déclaration à l'intention de l'Association allemande de formation des ouvriers de Londres
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On m'a appris que l'Association a décidé d'adresser une circulaire aux ouvriers allemands sur le thème « l'unification de masse des ouvriers d'Allemagne du Sud et du Nord à la suite du Congrès de Berlin du 26 septembre 59 ».
Cela étant, je me vois contraint de vous
déclarer par la présente que je quitte votre association.
Une telle circulaire a manifestement pour but, ou implique, une prise de position ouverte et publique de l'Association allemande de formation des ouvriers, en faveur de Schweitzer et de son organisation, contre l'organisation du Congrès de Nuremberg qui embrasse la majeure partie de l'Allemagne du Sud ainsi que différentes parties du Nord. Étant donné qu'en Allemagne, je suis connu comme membre, en fait membre le plus vieux de l'Association, on pourrait me rendre responsable de cette démarche, malgré tous les démentis que je pourrais élever.
Vous devez comprendre que je ne puis endosser une responsabilité pareille.
Premièrement : Durant les polémiques entre l'organisation de Nuremberg, représentée par Liebknecht et Bebel, etc., et celle de Berlin, représentée par Schweitzer, les deux parties se sont adressées à moi par écrit. J'ai répondu que, comme secrétaire du Conseil général de l'Association internationale des travailleurs pour l'Allemagne, je devais adopter une position impartiale. J'ai conseillé aux deux parties que si elles ne voulaient ni ne pouvaient fusionner, elles devaient trouver la voie et les moyens d'œuvrer pacifiquement côte à côte en vue du but commun.
Deuxièmement : Dans une lettre à M. von Schweitzer, je lui ai expliqué en détail pourquoi je ne pouvais approuver ni la façon dont avait été organisé le Congrès de Berlin, ni les statuts qu'ils y avaient fait adopter 60.
Troisièmement : Le Congrès de Nuremberg s'est directement affilié à l'Association internationale des travailleurs. Le Congrès
de Hambourg ‑ dont celui de Berlin n'a été qu'un prolongement ‑ n'a
adhéré qu'indirectement par des déclarations de sympathie, à cause des
obstacles que la législation prussienne est censée mettre sur son chemin. Mais,
en dépit de ces obstacles, l'Association ouvrière démocratique nouvelle constituée à Berlin 61
et appartenant à l'organisation de Nuremberg, s'est affiliée publiquement et
officiellement à l'Association internationale des travailleurs.
Je répète que, dans ces conditions, la décision de l'Association ne me laisse pas d'autre choix que de vous annoncer par la présente que je la quitte. Veuillez être assez aimables pour communiquer ma lettre à l'Association.
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À la suite de la demande pressante de nos correspondants français et suisses qui réclament que le Conseil central prenne des mesures pour remplir les engagements pris lors de la fondation de l'Association, à savoir convoquer cette année un congrès à Bruxelles afin d'examiner les questions d'intérêt général pour le prolétariat d'Europe, le comité a débattu de la question et vous soumet à présent les propositions suivantes 62 :
I. Comme il n'est pas possible actuellement de tenir un congrès à Bruxelles ou à Londres, nous proposons de réunir à la place une conférence pour lundi, le 25 septembre, à Londres.
II. La déclaration suivante doit être publiée dans les journaux du continent et d'Angleterre, qui sympathisent avec notre cause :
« Le Conseil central de l'Association internationale des travailleurs nous informe qu'il a décidé de remettre à plus tard le congrès ouvrier qui devait avoir lieu à Bruxelles ou dans une localité quelconque, et ce pour les raisons suivantes :
premièrement, parce qu'il en est arrivé à la conviction qu'il est plus utile de réunir une préconférence avec un nombre assez restreint de délégués des sections les plus importantes du continent, afin de délibérer sur le programme à présenter au prochain congrès ;
deuxièmement, parce que le mouvement de réforme, les élections générales et l'exposition industrielle en Grande-Bretagne, ainsi que les grèves en France, ont à ce point capté l'énergie et l'attention de la classe ouvrière que le développement de l'Association en a souffert ;
troisièmement, parce que le Parlement belge a promulgué cette année une loi contre les étrangers afin d'empêcher de réaliser le plan, prévu par l'Association, de tenir un congrès dans la capitale de la Belgique, ce qui exclut toute possibilité d'y tenir une conférence. »
III. La conférence doit être composée de la manière suivante : de chaque direction centrale sont invités deux délégués, outre les deux délégués de Lyon. Les frais de voyage des délégués sont supportés par les sections qu'ils représentent. Le Conseil central règle les frais de leur séjour à Londres.
IV. Pour ce qui est de ces frais, le citoyen Jung a fait au comité l'offre généreuse de prendre en charge la nourriture et le logis des délégués de Suisse. Pour couvrir les autres frais, le comité recommande :
premièrement, que les membres du Conseil central paient leur cotisation pour l'année prochaine dès septembre, soit avant la réunion de la conférence ;
deuxièmement, que le secrétaire général a été avisé que les secrétaires des sections, qui sont déjà affiliées à l'Association, sont invités à faire tous leurs efforts pour remettre des cartes d'adhésion à des membres individuels; afin de pouvoir couvrir les frais de la conférence ;
troisièmement, qu'il est recommandé aux membres du Conseil central de prendre des cartes d'adhésion afin de les placer, en les payant immédiatement au comptant, et ce pour couvrir les dépenses avec le produit de ces cartes d'adhésion 63.
V. Le comité propose au Conseil central d'adopter le programme suivant pour le soumettre à la conférence. Ce programme a été élaboré et adopté sous la forme suivante par le Conseil central
1. Questions qui concernent le congrès ;
2. Questions qui concernent l'organisation de l'Association ;
3. Combinaison des efforts dans la lutte entre travail et capital dans les différents pays par le moyen de l'association ;
4. Les syndicats, leur passé, leur présent, leur avenir ;
5. Travail coopératif
6. Impôts directs et indirects ;
7. Limitation de la journée de travail ;
8. Travail des femmes et des enfants ;
9. Le péril moscovite pour l'Europe et la restauration d'une Pologne indépendante et unitaire ;
10. Armées permanentes. Leur influence sur les intérêts des classes productives.
VI. Des séances communes entre délégués et comité prépareront les réunions décisives avec le Conseil central.
VII. Une soirée sera organisée le 28 septembre à l'occasion de trois événements : 1. pour commémorer la fondation de l'Association ; 2. pour honorer les délégués venus du continent ; 3. pour fêter le triomphe du fédéralisme et du libre travail sur l'esclavage en Amérique. Le programme de la soirée sera le suivant : thé, allocutions, entretiens et danse.
La raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas publier de rapport officiel sur la conférence, c'est ‑ abstraction faite du manque d'argent et de ce que les statuts nous imposent de présenter un rapport général au Congrès, donc afin d'éviter un double emploi – essentiellement que ce serait nous nuire plutôt que nous servir que d'initier le public dans les documents, notamment parce qu'ils sont de nature très « fragmentaire » et offriraient à nos adversaires une arme facile à tourner contre nous 64. Nous savions que deux membres du comité central, Le Lubez et Vésinier, n'attendaient que cette occasion. Les événements l'ont confirmé. C'est d'abord Vésinier qui a dénoncé le comité central et la conférence dans l'Écho de Verviers. Aussitôt après, le même journal publia la déclaration de principes et le projet de statuts de Le Lubez 65 que celui-ci pensait octroyer à l'Association au nom de la branche française fondée à Londres pour nous faire contrepoids. Dans l'intervalle, cette intrigue a tourné court. La branche s'est séparée de son fondateur, et ses meilleurs éléments ‑ Longuet, rédacteur de la Rive gauche, et Crespelle ‑ sont entrés au comité central.
Les Parisiens ont publié un rapport sur la
conférence [de septembre, à Londres] et, en même temps, le programme que nous
avons préparé pour le prochain congrès 66.
Ce programme a été publié dans tous les journaux libéraux, quasi-libéraux et
républicains de Paris. L'accueil a été bienveillant, comme tu peux le voir en
lisant le rapport de Fox sur la dernière séance de notre conseil dont je
t'envoie l'extrait paru dans Workman's Advocate. Nos Parisiens sont un peu ahuris que le paragraphe sur la Russie et
la Pologne, dont ils ne voulaient pas, soit précisément celui qui ait fait le plus sensation. J'espère qu'à
tes moments perdus tu écriras de temps en temps un article sur un projet
quelconque pour l'Advocate.
La publication parisienne [des travaux de la Conférence de Londres] m'épargne la peine d'écrire un rapport français.
Cher Becker,
Il est absolument nécessaire que Jung soit nommé président du Congrès [de l'A. I. T. à Genève] 67 ;
1. Parce qu'il parle trois langues, l'anglais, le français et l'allemand ;
2. Jung représente vraiment le Conseil général, Odger (qui, de toute façon, ne parle que sa langue maternelle) n'est pas élu par le Conseil central. Nous avons élu quatre délégués, Jung en tête. Odger n'y va que s'il trouve à emprunter lui-même l'argent (naturellement sous notre garantie). Il n'a rien fait pour l'Association.
3. Cremer et Odger ont noué une très basse intrigue pour empêcher, encore la veille du départ, le voyage de Jung et d'Eccarius ;
4. Odger souhaite être élu président du Congrès, afin d'en imposer
ensuite aux Anglais, et se faire nommer président du Conseil central l'an
prochain, contre la volonté de la grande majorité du Conseil ;
5. Cremer et Odger nous ont trahis dans la Reform League, où, contre notre volonté, ils ont fait des compromis avec les
bourgeois;
6. M. Cremer est complètement démoralisé par sa propre faute. Il ne spécule plus que sur un poste « payé
», afin de ne plus être obligé de travailler. En aucun cas, il ne doit donc être élu secrétaire général par le Congrès (le seul poste payé). Il faut élire Fox, sous le prétexte,
au reste vrai, que le secrétaire général doit savoir plus d'une langue.
7. Le président du Conseil central NE DOIT PAS être élu par le Congrès, mais nommé ici à Londres comme simple personnalité locale.
8. Lors de l'élection du président pour le Congrès, il faut que tu dises aussitôt qu'un congrès international ne peut être présidé que par un homme qui parle les différentes langues, ne serait-ce que pour gagner du temps, etc.
9. Fais part de tout cela à Dupleix.
10. Tu me ferais plaisir si, avant le Congrès, tu demandais à Eccarius de te traduire en allemand les Instructions que j'ai écrites au nom du comité central pour les délégués de Londres.
Salut et poignée de main.
Ton K. M.
1. Organisation de l'Association internationale
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Dans l'ensemble, le Conseil central provisoire recommande le plan d'organisation tel qu'il est tracé dans les statuts provisoires. L'expérience de deux années a prouvé qu'il est juste et peut être appliqué aux divers pays, sans nuire à l'unité d'action. Pour l'année prochaine, nous recommandons Londres comme siège du Conseil central, étant donné que la situation politique sur le continent est défavorable à un changement.
Les membres du Conseil central seront élus par le Congrès (conformément à l'article 5 des statuts provisoires) ; ils auront cependant le droit de s'adjoindre de nouveaux membres 69.
Le secrétaire général doit être élu pour un an par le Congrès, et sera le seul membre payé de l'Association 70. Nous proposons 50 francs par semaine pour son salaire.
La cotisation annuelle et uniforme de chaque membre de l'Association doit s'élever à un sou, peut-être deux. Le prix des, cartes ou livrets sera payé en sus 71.
Quoique conseillant aux membres de l'Association de former des sociétés de secours mutuel et d'établir une liaison internationale entre ces sociétés, nous laissons l'initiative de ces questions (établissement des sociétés de secours mutuel, appui moral et matériel aux orphelins de l'Association) aux Suisses qui les ont proposées à la conférence de septembre 1865.
2. Combinaison internationale des efforts, par le moyen de l'Association, pour la lutte du travail contre le capital
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a) D'un point de vue général, cette question embrasse toute l'activité de l'Association internationale, dont le but est d'unifier et de généraliser les efforts, encore dispersés, que la classe ouvrière accomplit dans les différents pays pour son émancipation.
b) L'une des principales fonctions de l'Association, fonction déjà remplie avec grand succès dans différentes circonstances, est de contrecarrer les machinations des capitalistes, qui sont toujours prêts, dans les cas de grève ou de lock-out, à se servir des travailleurs d'un pays étranger comme instrument contre les travailleurs de leur pays. C'est l'un des grands buts de l'Association de susciter chez les travailleurs des différents pays non seulement le sentiment, mais encore les actes de fraternité et de camaraderie au sein de l'armée de l'émancipation.
c) Nous proposons au Congrès d'adopter, comme « grande tâche internationale », une statistique des conditions de la classe ouvrière de tous les pays, faite par les ouvriers eux-mêmes 72. Pour agir de manière efficace, il faut connaître la matière sur laquelle on veut agir. Les travailleurs, en prenant l'initiative d'une si grande tâche, montreront qu'ils sont capables de tenir leurs destinées entre leurs mains. C'est pourquoi nous proposons
Que, dans chaque localité où il existe des branches de notre association, le travail soit commencé immédiatement, et les faits rassemblés sur les différents sujets spécifiés dans le sommaire ci-joint.
Que le Congrès appelle tous les ouvriers d'Europe et des États-Unis à collaborer pour rassembler les éléments d'une statistique de la classe ouvrière et envoyer au Conseil central leurs rapports et autres documents. Le Conseil central aura à les condenser en un rapport d'ensemble auquel il joindra en appendice les textes à l'appui. Ce rapport et cette annexe devront être prêts pour le prochain congrès annuel ; après en avoir reçu l'approbation de ce congrès, ils seront publiés aux frais de l'Association.
Sommaire général de l'enquête qui, il va de soi, peut être modifié et complété suivant les besoins de chaque localité
1. Métier, nom.
2. Age et sexe des ouvriers.
3. Nombre des ouvriers employés.
4. Salaires : a) apprentis et compagnons ; b) salaires à la journée ou aux pièces, tarifs payés par les sous-entrepreneurs. Salaire moyen pour la semaine et l'année, etc.
5. a) Heures de travail dans les manufactures ; b) Heures de travail chez les petits patrons et au travail domestique au cas où le métier fonctionnerait selon ces différentes façons ; c) Travail de jour et de nuit.
6. Heures de repas et traitement.
7. Description de l'atelier et du travail. Encombrement, ventilation insuffisante, manque de lumière, éclairage au gaz, conditions d'hygiène, etc.
8. Nature de l'occupation.
9. Effet du travail sur l'état de santé physique.
10. Conditions morales, éducation.
11. Description de l'industrie ; l'activité se distribue-t-elle avec plus ou moins d'uniformité tout au long de l'année, ou change-t-elle avec les saisons ? Y a-t-il de grandes fluctuations de prospérité et de stagnation ? Est-elle exposée à la concurrence étrangère ? Travaille-t-elle pour le marché intérieur ou le marché extérieur, etc. ?
3. Limitation de la journée de travail
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Nous déclarons que la limitation légale de la journée de travail représente la condition préalable sans laquelle toutes les tentatives ultérieures d'amélioration et d'émancipation avorteront.
Elle est indispensable pour rétablir l'énergie et la santé physique des classes laborieuses qui forment la grande masse de chaque nation. Elle n'est pas moins indispensable pour leur fournir la possibilité de se développer intellectuellement, de s'ouvrir au monde extérieur, et de déployer une activité politique et sociale.
Nous proposons huit heures de travail comme limite légale de la journée de travail. Cette limite étant généralement demandée par les ouvriers des États-Unis d'Amérique, le vote du Congrès en fera l'étendard commun de toutes les revendications des classes ouvrières de l'univers.
Pour l'instruction des membres de l'Association sur le continent, dont l'expérience sur les lois régissant les fabriques est d'une date plus récente que celle des ouvriers anglais, nous ajoutons que toute loi sur la limitation de la journée de travail avortera et sera brisée par les capitalistes, si l'on ne prend pas soin de déterminer précisément la période du jour qui doit englober les huit heures de travail. La langueur de cette période doit être déterminée par les huit heures de travail plus les pauses pour les repas. Par exemple, si les différentes interruptions pour les repas s'élèvent à une heure, il faudra limiter à neuf heures la période légale du travail, mettons de 7 heures du matin à 4 heures de l'après-midi, ou de 8 heures du matin à 5 heures de l'après-midi, etc.
Le travail de nuit ne doit être permis
qu'exceptionnellement dans des métiers ou industries spécifiées très exactement
par la loi. Il faut tendre à supprimer tout
travail de nuit.
Ce paragraphe ne concerne pas seulement les adultes des deux sexes ; les femmes doivent être rigoureusement exclues de n'importe quel travail de nuit, et de toute sorte de travail qui serait nuisible à l'organisme féminin si sensible et où leur corps serait exposé à des poisons ou à d'autres agents délétères. Par personne adulte, nous entendons toute personne ayant atteint l'âge de dix-huit ans 73.
4. Travail des adolescents et des enfants (des deux sexes)
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Nous considérons la tendance de l'industrie moderne à faire coopérer les enfants et les adolescents des deux sexes dans la grande œuvre de la production sociale comme un progrès légitime et salutaire, quoique la façon dont cette tendance se réalise sous le règne du capital soit tout simplement abominable 74.
Dans une société rationnelle, n'importe quel enfant, dès l'âge de neuf ans, doit être un travailleur productif, de même qu'un adulte en possession de tous ses moyens ne peut s'exempter de la loi générale de la nature, selon laquelle celui qui veut manger doit aussi travailler non seulement avec son cerveau mais encore avec ses mains 75. Mais, pour l'heure, nous n'avons à nous occuper que des enfants et jeunes gens des classes ouvrières. Nous jugeons utile de les diviser en trois catégories qui doivent être traitées différemment.
La première comprend les enfants de 9 à 12 ans ; la seconde, ceux de 13 à 15 ans ; la troisième, ceux de 16 à 17 ans. Nous proposons que l'emploi de la première, dans tout travail, en usine ou à domicile, soit légalement restreint à deux heures ; celui de la seconde, à quatre heures, et celui de la troisième à six. Pour la troisième catégorie, il doit y avoir une interruption d'une heure au moins pour le repas et la récréation 76.
Il serait souhaitable que les écoles élémentaires commencent l'instruction des enfants avant l'âge de neuf ans ; mais, pour le moment, nous ne nous préoccupons que des contrepoisons absolument indispensables pour contrecarrer les effets d'un système social qui dégrade l'ouvrier au point de le transformer en un simple instrument d'accumulation de capital, et qui fatalement change les parents en marchands d'esclaves de leurs propres enfants. Le droit des enfants et des adultes doit être défendu, puisqu'ils ne peuvent le faire eux-mêmes. C'est pourquoi il est du devoir de la société d'agir en leur nom.
Si la bourgeoisie et l'aristocratie négligent leurs devoirs envers leurs descendants, c'est leur affaire. L'enfant qui jouit des privilèges de ces classes est condamné à souffrir de leurs préjugés.
Le cas de la classe ouvrière est tout différent. Le travailleur individuel n'agit pas librement. Dans de très nombreux cas, il est trop ignorant pour comprendre l'intérêt véritable de son enfant ou les conditions normales du développement humain. Cependant, la partie la plus éclairée de la classe ouvrière comprend pleinement que l'avenir de sa classe, et par conséquent de l'espèce humaine, dépend de la formation de la génération ouvrière qui grandit. Elle comprend avant tout que les enfants et les adolescents doivent être préservés des effets destructeurs du système actuel. Cela ne peut être accompli que par la transformation de la raison sociale en force sociale et, dans les circonstances présentes, nous ne pouvons le faire que par des lois générales, imposées par le pouvoir d'État. En imposant de telles lois, les classes ouvrières ne fortifieront pas le pouvoir gouvernemental. Au contraire, elles transformeraient le pouvoir dirigé contre elles en leur agent. Le prolétariat fera alors par une mesure générale ce qu'il essaierait en vain d'accomplir par une multitude d'efforts individuels.
Partant de là, nous disons que la société
ne peut permettre ni aux parents ni aux patrons d'employer au travail les
enfants et les adolescents, à moins de combiner le travail productif avec
l'éducation.
Par éducation, nous entendons trois choses :
1. Éducation intellectuelle;
2. Éducation corporelle, telle qu'elle est produite par les exercices gymnastiques et militaires ;
3. Éducation technologique, embrassant les principes généraux et scientifiques de tous les procès de production, et en même temps initiant les enfants et les adolescents au maniement des instruments élémentaires de toutes les branches d'industrie.
À la division des enfants et des adolescents en trois catégories, de neuf à dix-huit ans, doit correspondre un cours gradué et progressif pour leur éducation intellectuelle, corporelle et polytechnique. Les frais de ces écoles polytechniques doivent être en partie couverts par la vente de leurs propres productions.
Cette combinaison du travail productif et payé avec l'éducation intellectuelle, les exercices corporels et la formation polytechnique élèvera la classe ouvrière bien au-dessus du niveau des classes bourgeoise et aristocratique.
Il va de soi que l'emploi de tout enfant ou adolescent de neuf à dix-huit ans dans tout travail de nuit, ou dans toute industrie dont les effets sont nuisibles à la santé, doit être sévèrement interdit par la loi.
5. Travail coopératif
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L'œuvre de l'Association internationale des travailleurs est de généraliser et d'unifier les mouvements spontanés de la classe ouvrière, mais non de leur prescrire ou de leur imposer un système doctrinaire quel qu'il soit. Par conséquent, le Congrès ne doit pas proclamer un système spécial de coopération, mais doit se limiter à l'énoncé de quelques principes généraux.
a) Nous
reconnaissons le mouvement coopératif comme une des forces transformatrices de
l'actuelle société, fondée sur l'antagonisme des classes. Son grand mérite est
de montrer pratiquement que le système actuel de subordination du travail au
capital, despotique et paupérisateur, peut être supplanté par le régime
républicain et fécond de l'association de producteurs libres et égaux.
b) Mais le système coopératif, restreint aux formes minuscules, issues des efforts individuels des esclaves salariés, est impuissant à transformer par lui-même la société capitaliste. Pour convertir la production sociale en un large et harmonieux système de travail coopératif, il faut des changements sociaux généraux, changements dans les conditions générales de la société qui ne peuvent être réalisés que par le moyen de la puissance organisée de la société ‑ le pouvoir d'État arraché des mains des capitalistes et des propriétaires fonciers, et transféré aux mains des producteurs eux-mêmes 77.
c) Nous recommandons aux ouvriers d'encourager la coopérative de production plutôt que la coopérative de consommation, celle-ci touchant seulement la surface du système économique actuel, l'autre l'attaquant dans sa base.
d) Nous recommandons à toutes les sociétés coopératives de consacrer une partie de leurs fonds à la propagande de leurs principes, de prendre l'initiative de nouvelles coopératives de production et de faire cette propagande aussi bien par la parole que par la presse.
e) Dans le
but d'empêcher les sociétés coopératives de dégénérer dans des sociétés
ordinaires de type bourgeois (sociétés par actions), tout ouvrier employé,
qu'il soit associé ou non, doit recevoir le même salaire. Comme compromis
purement temporaire, nous consentons à admettre un bénéfice très minime aux
sociétaires qui détiennent des actions.
6. Syndicats : leur passé, présent et futur
A. Leur passé
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Le capital est une force sociale
concentrée, tandis que l'ouvrier ne dispose que de sa force de travail
individuelle. Le contrat entre le capital et le travail ne peut donc jamais
être établi sur des bases équitables, même en donnant au mot « équitable »
le sens altéré qu'on lui connaît dans une société où les conditions matérielles
sont d'un côté et l'énergie productive vitale de l'autre. La seule puissance
sociale que possèdent les ouvriers, c'est leur nombre. Mais la force du nombre
est annulée par la désunion. Cette désunion des ouvriers est engendrée et
perpétuée par la concurrence inévitable qu'ils se font les uns aux autres.
Les syndicats sont nés des efforts spontanés d'ouvriers luttant contre les ordres despotiques du capital, pour empêcher ou, du moins, atténuer les effets de cette concurrence que se font les ouvriers entre eux. Ils voulaient changer les termes du contrat de telle sorte qu'ils pussent au moins s'élever au-dessus de la condition de simples esclaves.
L'objet immédiat des syndicats était toutefois limité aux nécessités des luttes journalières, à des expédients contre les empiétements incessants du capital, en un mot aux questions de salaire et d'heures de travail. Cette activité n'est pas seulement légitime, elle est nécessaire. On ne peut y renoncer tant que dure le système actuel ; qui plus est, les syndicats ouvriers doivent généraliser leur action en s'unissant dans tous les pays.
D'un autre côté, les syndicats ouvriers ont formé, sans même en être vraiment conscients, des centres d'organisation de la classe ouvrière, de même que les communes et les municipalités du Moyen Âge en avaient constitué jadis pour la classe bourgeoise. Si les syndicats sont indispensables dans la guerre de guérilla du travail et du capital, ils sont encore plus importants comme force organisée pour supprimer le système du travail salarié et la domination du capital 78.
B. Leur présent
Les syndicats s'occupent trop exclusivement des luttes locales et immédiates contre le capital, et ne sont pas encore tout à fait conscients de la force qu'ils représentent contre le système lui-même de l'esclavage salarié. Ils se sont trop tenus à l'écart des mouvements sociaux et politiques plus généraux. Néanmoins, dans ces derniers temps, ils semblent s'éveiller à la conscience de leur grande mission historique, comme on peut en conclure, par exemple, de leur participation aux récents mouvements politiques en Angleterre 79 et de l'idée plus haute qu'ils se font de leur fonction aux États-Unis 80, ainsi que de la résolution suivante, adoptée par la grande conférence des délégués des syndicats à Sheffield
« Cette conférence, appréciant à leur juste valeur les efforts faits par l'Association internationale des travailleurs pour unir dans une confédération fraternelle les ouvriers de tous les pays, recommande avec force à toutes les sociétés représentées ici de s'affilier à cette organisation, dans la conviction que l'Association internationale forme un élément nécessaire au progrès et à la prospérité de toute la communauté ouvrière. »
C. Leur futur
À part leur œuvre immédiate de réaction contre les manœuvres tracassières du capital, ils doivent agir maintenant comme foyers d'organisation de la classe ouvrière dans le grand but de son émancipation complète. Ils doivent soutenir tout mouvement politique et social tendant dans cette direction.
En se considérant et en agissant eux-mêmes comme les champions et les représentants de toute la classe ouvrière, ils réussiront à regrouper dans leur sein tous ceux qui ne sont pas organisés. Ils doivent s'occuper avec le plus grand soin des intérêts des métiers les plus mal payés, notamment des ouvriers agricoles que des circonstances particulièrement défavorables empêchent d'organiser une résistance organisée. Ils doivent faire naître ainsi la conviction dans les grandes masses ouvrières qu'au lieu d'être circonscrites dans des limites étroites et égoïstes, leur but tend à l'émancipation des millions de prolétaires foulés aux pieds 81.
7. Impôts directs et indirects
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A. Aucune modification de la forme de perception des impôts ne saurait produire un changement important dans les relations du capital et du travail 82.
B.
Néanmoins, s'il s'agit de choisir entre deux systèmes d'impôts, nous recommandons
l'abolition complète des impôts indirects. et leur substitution complète par
les impôts directs,
parce que les impôts indirects font hausser le prix des marchandises, de sorte que les commerçants les chargent non seulement du montant de ces impôts, mais encore de l'intérêt et du profit du capital avancé dans le paiement ;
parce que les impôts indirects cachent, à ceux qui les paient, le montant de ce qu'ils versent à l'État, tandis que les impôts directs apparaissent pour ce qu'ils sont en toute simplicité, le moins cultivé comprenant aussitôt leur mécanisme. C'est pourquoi les impôts directs poussent tout le monde à contrôler le gouvernement, tandis que les impôts indirects détruisent toute tendance à une administration autogérée.
8. Crédit international
L'initiative doit en être laissée aux Français 83
9. La question polonaise
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A) Pourquoi les ouvriers d'Europe se mêlent-ils de cette question ? En premier lieu, parce que les écrivains et agitateurs bourgeois sont convenus de faire une conspiration du silence sur ce sujet, quoiqu'ils prétendent prendre sous leur protection toutes les sortes de nationalités sur le continent, et même l'Irlande. Ensuite, parce que les aristocrates aussi bien que les bourgeois considèrent comme leur dernier rempart contre la vague montante de la classe ouvrière le sinistre pouvoir asiatique, qui se trouve à l'arrière-plan de la politique européenne. Or, cette puissance ne peut être véritablement brisée que par la restauration de la Pologne sur une base démocratique.
B) La situation ayant changé maintenant en Europe centrale, notamment en Allemagne, une Pologne démocratique est plus nécessaire que jamais. Sans elle, l'Allemagne deviendra l'avant-poste de la Sainte-Alliance, à moins qu'elle ne devienne l'alliée d'une France républicaine. Le mouvement ouvrier en sera continuellement troublé, entravé et retardé, tant que cette grande question ne sera pas résolue.
C) Il est spécialement du devoir de la classe ouvrière allemande de saisir l'initiative de cette question, car l'Allemagne s'est rendue coupable du démembrement de la Pologne 84.
10. Les armées
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A) L'influence délétère des grandes armées permanentes sur la production a été suffisamment dénoncée par les congrès bourgeois de toute couleur et de toute dénomination (congrès de la paix, congrès des économistes, congrès de statistique, congrès philanthropiques et congrès sociologiques). Nous estimons donc qu'il est tout à fait superflu de nous étendre sur ce point.
B) Nous proposons l'armement universel du peuple et son instruction complète dans le maniement des armes.
C) Comme nécessité transitoire, nous acceptons l'idée de petites armées permanentes pour servir d'école aux officiers de la milice, chaque citoyen devant passer un temps très court dans cette armée 85.
La question religieuse
Laissée à l'initiative des Français 86.
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Citoyens !
Dans sa séance du 22 mars, le Conseil général a fait connaître, par un vote unanime, que votre programme et vos statuts sont en accord avec les statuts généraux de l'Association internationale des travailleurs 87. Il s'empresse d'admettre votre section dans l'Internationale. C'est avec joie que j'assumerai le devoir, qui me fait honneur, d'être votre représentant au Conseil général, comme vous me le proposez.
Dans votre programme, il est dit « que le joug tsariste qui pèse sur la Pologne est une entrave préjudiciable à la liberté politique et sociale des deux pays ‑ russe aussi bien que polonais ».
Vous pouvez ajouter que la conquête violente de la Pologne par la Russie constitue un appui néfaste et la cause véritable de l'existence du régime militaire en Allemagne et, en conséquence, sur le continent européen tout entier. C'est pourquoi, en œuvrant à réduire en pièces les chaînes qui pèsent sur la Pologne, les socialistes russes assument la tâche élevée consistant en l'élimination du régime militaire qui est absolument indispensable, comme condition préalable, à l'émancipation générale du prolétariat européen.
Il y a quelques mois, on m'a envoyé de Pétersbourg le livre de Flerovsky sur La Situation de la classe ouvrière en Russie 88. Cet ouvrage est une véritable révélation pour l'Europe. L'optimisme russe, qui est répandu même parmi les prétendus révolutionnaires du continent, y est impitoyablement démasqué. Son ouvrage ne se trouve en rien diminué quand je dis qu'il n'est pas encore assez critique sur certains points, si l'on voit les choses au niveau purement théorique. C'est l'ouvrage d'un observateur sérieux, d'un travailleur infatigable et sans peur, d'un critique dénué de préjugés, d'un artiste puissant, et surtout d'un homme qui se révolte devant toute forme d'oppression et qui a horreur des divers hymnes nationaux et partage passionnément tous les efforts et souffrances de la classe productive.
Les travaux de Flerovsky et de votre maître Tchernitchevsky font véritablement honneur à la Russie et démontrent que votre pays aussi commence à participer au mouvement général de notre siècle 89.
Salut et fraternité.
K. Marx
La
vie de notre Marx, sans l'Internationale,
serait
comme une chevalière dont on aurait
arraché
le diamant.
Engels à Laura Marx, 24 juin 1883
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L'article 11 [des règlements spéciaux de l'A. I. T.] ainsi conçu : « Chaque membre de l'Association a le droit de participer au vote et est éligible », a été le sujet de la discussion suivante :
Le citoyen Tolain (Paris) : S'il est indifférent d'admettre, comme membre de l'Association internationale, des citoyens de toute classe, travailleurs ou non, il ne doit pas en être de même lorsqu'il s'agit de choisir un délégué. En présence de l'organisation sociale actuelle dans laquelle la classe ouvrière soutient une lutte sans trêve ni merci contre la classe bourgeoise, il est utile, indispensable même, que tous les hommes qui sont chargés de représenter des groupes ouvriers soient des travailleurs 1.
Le citoyen Perrachon (Paris) parle dans le même sens et va plus loin, car il croit que ce serait vouloir la perte de l'Association que d'admettre comme délégué un citoyen qui ne serait pas ouvrier.
Le citoyen Vuilleumier (Suisse) : En éliminant quelqu'un de notre association, nous nous mettrions en contradiction avec nos règlements généraux, qui admettent dans son sein tout individu sans distinction de race, ni de couleur, et par le seul fait de son admission il est apte à prétendre à l'honneur d'être délégué.
Le citoyen Cremer (Londres) s'étonne de voir cette question revenir de nouveau en discussion. Il n'en comprend pas la nécessité, car ‑ dit-il ‑ parmi les membres du Conseil central se trouvent plusieurs citoyens qui n'exercent pas de métiers manuels et qui n'ont donné aucun motif de suspicion, loin de là. Il est probable que, sans leur dévouement, l'Association n'aurait pu s'implanter en Angleterre .d'une façon aussi complète. Parmi ces membres, je vous citerai un seul, le citoyen Marx, qui a consacré toute sa vie au triomphe de la classe ouvrière.
Le citoyen Carter (Londres) : On vient de vous parler du
citoyen Karl Marx. Il a compris parfaitement l'importance de ce premier
congrès, où seulement devaient se trouver des délégués ouvriers. Aussi a-t-il
refusé la délégation que lui offrait le Conseil central 2. Mais ce n'est point une raison pour l'empêcher,
lui ou tout autre, de venir au milieu de nous, au contraire. Des hommes se
dévouant entièrement à la cause prolétaire sont trop rares pour les écarter de
notre route. La bourgeoisie n'a triomphé que du jour où, riche et puissante par
le nombre, elle, s'est alliée la science, et c'est la prétendue science
économique bourgeoise qui, en lui donnant du prestige, maintient encore son
pouvoir. Que les hommes qui se sont occupés de la question économique, et qui
ont reconnu la justice de notre cause et la nécessité d'une réforme sociale,
viennent au congrès ouvrier battre en brèche la science économique
bourgeoise 3.
Le citoyen Tolain
(Paris) : Comme ouvrier, je remercie le citoyen Marx de n'avoir pas accepté la
délégation qu'on lui offrait. En faisant cela, le citoyen Marx a montré que les
congrès ouvriers devaient être seulement composés d'ouvriers manuels 4. Si ici nous admettons des hommes appartenant à
d'autres classes, on ne manquera pas de dire que le congrès ne représente pas
les aspirations des classes ouvrières, qu'il n'est pas fait pour des
travailleurs, et je crois qu'il est utile de montrer au monde que nous sommes
assez avancés pour pouvoir agir par nous-mêmes.
L'amendement du
citoyen Tolain voulant la qualité d'ouvrier manuel pour recevoir le titre de
délégué est mis aux voix et rejeté, 20 pour et 25 contre.
L'article 11 est
mis aux voix et adopté à la majorité, 10 votant contre.
Les Anglais m'ont
proposé hier la présidence du Conseil central en guise de démonstration contre messieurs les
Français qui voulaient exclure tous ceux qui n'étaient pas des travailleurs
manuels, d'abord de l'Association internationale, puis, au moins, de la
possibilité d'être élus comme délégués au congrès 5. Je déclarai qu'en aucun cas je ne pouvais accepter cette solution, et je
proposai de mon côté Odger qui fut réélu, bien que malgré ma déclaration
certains membres eussent voté pour moi. Au reste, Dupont m'a fourni
l'explication de la manœuvre de Tolain et de Fribourg : ils veulent se
présenter en 1869 au Corps législatif comme candidats ouvriers 6, en s'appuyant sur le « principe » que seuls
des ouvriers peuvent
représenter des ouvriers. Ces messieurs avaient donc un intérêt primordial à faire
proclamer ce principe par le congrès.
À la séance d'hier du Conseil central, il y eut toutes sortes de scènes dramatiques. M. Cremer, par exemple, tomba des nues, lorsque Fox fut nommé secrétaire général à sa place. Il eut le plus grand mal à dominer sa fureur. Autre scène, quand il fallut informer M. Le Lubez qu'il était exclu du Conseil central par décret du congrès. Pour soulager la détresse de son âme, il se lança dans un discours de plusieurs heures, où il vomit tout son venin et tout son fiel contre les Parisiens. Il parla de lui-même avec une vénération étonnante, et fit toutes sortes d'allusions à des intrigues par lesquelles les nationalités qui lui étaient favorables (Belgique et Italie) avaient été tenues à l'écart du congrès. Il réclama finalement ‑ et cela sera discuté mardi prochain ‑ un vote de confiance du conseil central 7. Salut.
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Il y a environ un mois, un certain nombre de citoyens se sont constitués à Genève en comité central initiateur d'une nouvelle société internationale, dite l'Alliance internationale de la démocratie socialiste, se « donnant pour mission spéciale d'étudier les questions politiques et philosophiques sur la base même de ce grand principe de l'égalité », etc. 8. Le programme et le règlement imprimés de ce comité initiateur n'ont été communiqués au Conseil général de l'Association internationale des travailleurs que dans sa séance du 15 décembre. D'après ces documents, ladite « Association internationale est fondue entièrement dans l'Association internationale des travailleurs », en même temps qu'elle est fondée entièrement en dehors de cette Association.
À côté du Conseil
général de l'Association internationale, élu par les congrès ouvriers de Genève, de
Lausanne et de Bruxelles; il y aurait, d'après le règlement initiateur, un
autre Conseil central à Genève, qui s'est nommé lui-même. À côté des groupes
locaux de l'Association internationale, il y aurait ceux de l'Alliance internationale
qui, « par l'intermédiaire de leurs bureaux nationaux », fonctionnant en dehors
des bureaux nationaux de l'Association, demanderaient « au bureau central de
l'Alliance leur admission dans l'Association internationale des
travailleurs ». Le comité central de l'Alliance s'arroge ainsi le droit
d'admission dans l'Association internationale. Enfin, le Congrès général de l'Association
internationale trouverait
encore sa doublure dans le Congrès général de l'Alliance internationale. En effet, il est dit dans le règlement
initiateur : « Au congrès annuel des travailleurs, la délégation de l'Alliance
de la démocratie socialiste, comme branche de l'Association internationale des
travailleurs, tiendra ses séances publiques dans un local séparé. »
Considérant
Que la présence
d'un deuxième corps international fonctionnant à l'intérieur et à l'extérieur
de l'Association internationale des travailleurs serait le moyen le plus infaillible de la désorganiser
;
Que n'importe
quel autre groupe d'individus, résidant dans une localité quelconque, aurait le
droit d'imiter le groupe initiateur de Genève et, sous des prétextes plus ou
moins plausibles, de greffer sur l'Association internationale des travailleurs d'autres associations internationales
avec d'autres « missions spéciales » ;
Que de cette
manière l'Association internationale des travailleurs deviendrait bientôt le
jouet des intrigants de toute race et de toute nationalité ;
Que d'ailleurs
les statuts de l'Association internationale des travailleurs n'admettent dans son cadre que des
branches locales et nationales (voir l'article 1 et l'article 6 des statuts) ;
Que défense est
faite aux sections de l'Association internationale de se donner des statuts ou
règlements administratifs contraires aux statuts généraux et aux règlements
administratifs de l'Association internationale (voir l'article 12) ;
Que les statuts
et règlements administratifs de l'Association internationale ne peuvent être
révisés que par un congrès général où deux tiers des délégués présents
voteraient en faveur d'une telle révision (voir l'article 13 des règlements
administratifs) ;
Que la question a
déjà été jugée par les résolutions contre la Ligue de la paix, adoptées à l'unanimité par le Conseil
général de Bruxelles ;
Que, dans ses
résolutions, le congrès déclarait que la Ligue de la paix n'avait aucune raison d'être, puisque,
d'après ses récentes déclarations, son but et ses principes étaient identiques
à ceux de l'Association internationale des travailleurs ;
Que plusieurs
membres du groupe initiateur de l'Alliance, en leur qualité de délégués au
Congrès de Bruxelles, ont voté ces résolutions 9, le Conseil général, dans sa séance du 22
décembre 1868, a résolu à l'unanimité :
1. Tous les articles du règlement de l'Alliance
internationale de la démocratie socialiste, statuant sur ses relations avec l'Association
internationale des travailleurs, sont déclarés nuls et de nul effet ;
2. L'Alliance internationale de la
démocratie socialiste
n'est pas admise comme branche de l'Association internationale des
travailleurs ;
3. Ces résolutions seront publiées dans les
différents pays où l'Association internationale des travailleurs
existe 10.
Par ordre du Conseil général
de l'Association internationale des
travailleurs.
Ces messieurs de
l'Alliance ont mis beaucoup de temps pour réaliser leur œuvre 11. En fait, il eût été préférable qu'ils gardent
pour eux leurs « innombrables légions » en France, Espagne et Italie.
Bakounine pense : si nous approuvons son « programme radical », il peut l'utiliser pour une publicité accrocheuse, voire pour nous compromettre. En revanche, si nous nous y opposons, ils nous dénonceront à cor et à cri comme contre-révolutionnaires. En outre, si nous laissons faire, il s'arrangera au Congrès de Bâle pour s'allier avec les plus mauvais éléments. Je pense qu'il faut répondre en ce sens :
D'après le
paragraphe 1 des statuts, il faut admettre toute société ouvrière qui poursuit
le même but, à savoir le concours mutuel, le progrès et l'émancipation complète
des classes ouvrières.
Comme les phases
de développement des différentes sections ouvrières dans un même pays et de la
classe ouvrière dans les divers pays sont nécessairement très différentes, le
mouvement réel s'exprime forcément aussi sous des formes théoriques très
différentes.
La communauté
d'action que suscite l'Internationale, l'échange d'idées entre les différents
organes des sections de tous les pays, enfin les discussions directes dans les
congrès généraux ne manqueront pas d'engendrer peu à peu un programme
théorique, commun à tout le mouvement ouvrier.
En conséquence,
pour ce qui concerne le programme de l'Alliance, il n'incombe pas au Conseil général de le
soumettre à un examen critique, ni de rechercher s’il est une expression
scientifique correcte du mouvement ouvrier. Il doit simplement se demander si
sa tendance générale n'est pas en contradiction avec la tendance générale de
l'Association internationale des travailleurs.
Il n'y a qu'une
phrase du programme ‑ § 2 : « Elle veut avant tout l'égalisation
politique, économique et sociale des classes » ‑ qui pourrait mériter ce
reproche 12.
Le Conseil général de l'Association internationale des travailleurs au bureau central de l'Alliance de la démocratie socialiste
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Citoyens,
D'après l'article
premier de nos statuts, l'Association internationale des travailleurs admet « toutes les sociétés ouvrières qui
poursuivent le même but, à savoir le concours mutuel, le progrès et l'émancipation
complète de la classe ouvrière 13 ».
Étant donné que
les fractions de la classe ouvrière dans chaque pays et la classe ouvrière dans
les divers pays se trouvent à des niveaux de développement différents à l'heure
actuelle 14, il s'ensuit
nécessairement que leurs opinions théoriques, qui reflètent le mouvement réel,
sont également divergentes.
Il n'entre donc
pas dans les attributions du Conseil général de procéder à l'examen critique du
programme de l'Alliance. Nous n'avons pas à déterminer si, oui ou non, c'est
une expression adéquate du mouvement prolétarien. Il nous importe seulement de
savoir s'il ne contient rien de contraire à la tendance générale de notre
association, c'est-à-dire à l'émancipation complète de la classe ouvrière.
Il y a dans votre
programme une phrase qui, de ce point de vue, est erronée. Dans l'article 2, on
lit : « Elle [l'Alliance] veut avant tout l'égalisation politique, économique
et sociale des classes 15. »
Si on l'interprète
littéralement, l'égalisation des classes aboutit à l'harmonie du capital et
du travail, si
importunément prêchée par les socialistes bourgeois. Ce n'est pas l'égalisation
des classes ‑
contresens logique, impossible à réaliser ‑ mais au contraire l'abolition
des classes, ce véritable secret du mouvement prolétarien, qui constitue le
grand but de l'Association internationale des travailleurs.
Cependant, si
l'on considère le contexte dans lequel se trouve cette phrase sur l'égalisation
des classes, il semble qu'elle s'y soit glissée comme une simple erreur de
plume (slip of the pen). Le Conseil général ne doute pas que vous voudrez bien éliminer de votre
programme une phrase prêtant à des malentendus aussi graves.
À l'exception des
cas où la tendance générale de l'Association internationale serait contredite, il correspond à ses
principes de laisser à chaque section la liberté de formuler son programme
théorique. Il n'existe donc pas d'obstacle pour la conversion des branches de
l'Alliance en sections de l'Association internationale des travailleurs.
Si la dissolution de l'Alliance et l'entrée des sections dans l'Internationale étaient définitivement décidées, il deviendrait nécessaire, d'après nos règlements, d'informer le Conseil du lieu et de la force numérique de chaque nouvelle section 16.
Séance du Conseil général du 9 mars 1869
Tu constateras
que le vieux Becker ne peut pas s'empêcher de faire l'important 17. Son système d'organisation par groupes
linguistiques démolit tous nos statuts et leur esprit, et transforme notre
système tout naturel et rationnel en une méchante construction artificielle,
fondée sur des liens linguistiques au lieu de liens réels que forment les
États et les nations. Ce
procédé est archi-réactionnaire, digne des panslavistes 18 ! Et tout cela parce que nous lui avions permis provisoirement, en attendant que l'Internationale se
renforce en Allemagne, de demeurer le centre de ses anciens
correspondants 19.
J'ai aussitôt
fait obstruction à sa tentative de se prétendre le centre de l'Allemagne au
Congrès d'Eisenach.
Bebel m'a envoyé
25 talers pour les Belges de la part de son association de formation ouvrière.
J'ai aussitôt accusé réception, et utilisé l'occasion pour lui écrire à propos
des plans fantaisistes 20.
J'ai attiré son attention sur l'article 6 des statuts, qui n'admet que des comités centraux nationaux, reliés directement au Conseil général, et là où la police l'empêche absolument, oblige les groupes locaux de chaque pays de correspondre directement avec le Conseil général. Je lui ai expliqué que la prétention de Becker était absurde, et pour finir je lui ai déclaré que si le Congrès d'Eisenach adoptait le projet de Becker, pour autant qu'il concerne l'Internationale, nous le casserions aussitôt publiquement comme étant contraire aux statuts.
Au reste, avant
le congrès, Bebel et
Liebknecht m'avaient informé qu'ils avaient spontanément écrit à Becker pour lui
déclarer qu'ils ne le
reconnaissaient pas,
mais correspondraient directement avec Londres.
Becker lui-même
n'est pas dangereux. Mais son secrétaire Rémy ‑ à en croire les rapports
de Suisse ‑ lui aurait été octroyé par Monsieur Bakounine, dont il serait
l'instrument. Apparemment, ce Russe voudrait devenir le dictateur du mouvement
ouvrier européen. Qu'il prenne garde, sans quoi il sera officiellement
excommunié.
Retour à la table des matières
Le Russe
Bakounine (bien que je le connaisse depuis 1843, je passe sur tout ce qui n'est
pas absolument nécessaire à l'intelligence de ce qui va suivre) avait eu, peu
après la fondation de l'internationale, une entrevue avec Marx à Londres 21. Ce dernier reçut à ce moment son adhésion à
l'Association, pour laquelle Bakounine promit d'agir de son mieux. S'étant
rendu en Italie, il y reçut, envoyés par Marx, les statuts provisoires et l'«
Adresse » aux classes ouvrières. Il répondit de façon très «
enthousiaste », mais ne fit rien. Après plusieurs années, durant
lesquelles on n'entendit plus parler de lui, il reparut en Suisse, où il ne
rejoignit pas les rangs de l'Internationale, mais de la Ligue de la paix et de
la liberté. Après le congrès de cette Ligue (Genève, 1867), Bakounine
s'introduisit dans le comité exécutif de celle-ci, mais y trouva des adversaires
qui non seulement ne lui permirent d'exercer aucune influence dictatoriale,
mais le surveillèrent comme « Russe suspect ». Peu après le Congrès de
Bruxelles (septembre 1868) de l'Internationale, la Ligue de la paix tint son
congrès à Berne. Cette fois, Bakounine se fit boutefeu et, soit dit en passant,
pour dénoncer la bourgeoisie occidentale adopta le ton cher aux « optimistes »
moscovites quand ils attaquent la civilisation occidentale pour pallier leur
propre barbarie. Il proposa une série de résolutions, fadaises en soi, mais
calculées pour inspirer la terreur aux crétins bourgeois et pour permettre à M.
Bakounine de quitter avec éclat la Ligue de la paix pour rentrer dans
l'Internationale. Il suffit de dire que le programme qu'il avait proposé au Congrès
de Berne renferme des absurdités telles que l'égalité des classes,
l'abolition du droit d'héritage en tant que commencement de la révolution
sociale 22, etc., c'est-à-dire de vains bavardages,
un chapelet de phrases creuses, bref, une insipide improvisation calculée
simplement pour produire un effet sur le moment. Les amis de Bakounine à
Londres et à Paris (où un Russe est codirecteur de la Revue positiviste) annoncèrent au monde le départ de
Bakounine de la Ligue de la paix comme un événement, et présentèrent son grotesque programme,
pot-pourri de lieux communs usés, comme quelque chose de particulièrement
terrible et original.
Sur ces
entrefaites, Bakounine était entré dans la branche romande de l'Internationale
(à Genève). Mais alors qu'il lui avait fallu des années pour se décider à faire
ce pas, il lui suffit d'un jour pour se décider à bouleverser l'Internationale
pour en faire son instrument.
À l'insu du
Conseil général de Londres ‑qui n'en fut instruit que lorsque tout fut
apparemment prêt ‑,
il fonda une soi-disant Alliance de la démocratie socialiste. Le programme de celle-ci n'était autre
que celui proposé par Bakounine au Congrès de la paix à Berne. Cette
association se présentait ainsi dès le début comme n'ayant pas d'autre but que
de répandre la science ésotérique spécifiquement bakouninienne, et Bakounine
lui-même ‑ l'un des êtres les plus ignares dans le domaine de la théorie
sociale ‑ apparut subitement comme fondateur de secte. Au fond, le
programme théorique de cette Alliance n'était qu'une farce. Le côté sérieux,
c'était son organisation pratique. Cette société devait, en effet, être internationale, et son comité central siéger à Genève,
c'est-à-dire sous la direction personnelle de Bakounine. Mais, en même temps,
elle devait former une partie tout à fait intégrante de l'Association internationale des
travailleurs. Ses sections devaient, d'une part, être représentées au prochain
congrès de l'Internationale (à Bâle) et, en même temps, tenir leur propre
congrès à côté de l'autre dans des séances séparées, etc.
Le matériel
humain dont Bakounine disposa tout d'abord, ce fut la majorité d'alors du
comité fédéral romand de l'Internationale de Genève. J. P. Becker, à qui le zèle propagandiste tourne parfois la tête, fut
poussé en avant. Bakounine avait quelques alliés en Italie et en Espagne.
Le Conseil
général de Londres était parfaitement renseigné. Il laissa cependant Bakounine
aller tranquillement jusqu'au moment où J. P. Becker l'obligea à soumettre au
Conseil général à fin de ratification les statuts et le programme de l'Alliance
de la démocratie socialiste. Bakounine répondit alors par une décision
longuement motivée, très « juridique » et « objective » dans sa
teneur, mais dont les considérants ne manquaient pas d'ironie. En voici la conclusion
: 1. Le Conseil général n'admet pas l'Alliance comme section de
l'Internationale ; 2. Tous les articles du règlement de l'Alliance qui se
rapportent à l'Internationale sont considérés comme nuls et nuls d'effet. Les
considérants démontraient de manière claire et frappante que l'Alliance n'était
qu'une machine destinée à désorganiser l'Internationale.
Ce coup était
inattendu. Bakounine avait déjà transformé L'Égalité, l'organe central des membres de langue
française de l'Internationale en Suisse, en son organe personnel et, en outre,
il avait fondé à Locle un petit « Moniteur » privé, Le Progrès. Ce dernier continue encore à jouer ce
rôle sous la direction d'un partisan fanatique de Bakounine, un certain
Guillaume.
Après plusieurs
semaines d'attente, le comité central de l'Alliance fit enfin une réponse au
Conseil général, sous la signature de Perron, un Genevois : l'Alliance, dans
son zèle pour la bonne cause, se disait prête à sacrifier son organisation
séparatiste, mais à la condition toutefois que le Conseil général déclarât
qu'il reconnaissait ses principes « radicaux ».
Le Conseil
général répondit que sa fonction n'était pas de porter un jugement théorique
sur les programmes des différentes sections, qu'il avait seulement à veiller à
ce qu'ils ne continssent rien qui fût en contradiction directe avec les statuts
et avec leur esprit, qu'il devait en conséquence insister pour que la phrase
ridicule du programme de l'Alliance sur l'« égalisation des classes » fût
éliminée et remplacée par l'abolition des classes (ce qui fut fait), qu'enfin
l'Alliance serait admise après la dissolution de son organisation
internationale particulière, et après communication au Conseil général de la
liste de toutes ses sections (ce qui ne fut jamais fait).
L'incident fut
ainsi clos. L'Alliance prononça formellement sa dissolution, mais continua à subsister en
fait sous la direction de
Bakounine qui gouvernait en même temps le comité fédéral romand. Aux. journaux
qu'elle possédait déjà vint se joindre la Federacion de Barcelone et, après le Congrès de
Bâle, l'Eguaglianza de
Naples.
Bakounine chercha
alors d'une autre façon à atteindre son but ‑ transformer
l'Internationale en son instrument personnel. Il fit proposer au Conseil
général, par notre comité romand de Genève, de mettre au programme du Congrès
de Bâle la question de l'héritage. Le Conseil général y consentit, afin de pouvoir porter à Bakounine un
coup décisif. Le plan de Bakounine était le suivant : si le Congrès de
Bâle adoptait les « principes » (?) établis par lui à Berne, l'univers
saurait que ce n'est pas Bakounine qui est allé à l'Internationale, mais que
c'est l'Internationale qui est venue à Bakounine. Conséquence toute simple : le
Conseil général de Londres, dont l'opposition à cette exhumation de la
vieillerie saint-simonienne était connue de Bakounine, doit céder la place, et
le Congrès de Bâle transférera le Conseil général à Genève de sorte que
l'Internationale tombera sous la dictature de Bakounine.
Pour s'assurer la
majorité au Congrès de Bâle, Bakounine machina une véritable conspiration. Il y
eut même de faux mandats, comme celui de Guillaume pour le Locle. Bakounine
lui-même alla jusqu'à mendier des mandats à Naples et à Lyon: Toutes sortes de
calomnies furent répandues contre le Conseil général. Aux uns, on disait que
l'élément bourgeois y prédominait, aux autres qu'il était le foyer du communisme
autoritaire. Les
résultats du Congrès de Bâle sont connus : les propositions de Bakounine ne
furent pas adoptées, et le Conseil général resta à Londres.
Le dépit que lui
causa l'échec de ce plan, à la réussite duquel Bakounine avait peut-être
attaché dans « son cœur et sa sensibilité » toutes sortes de
spéculations privées, se donna libre cours dans les propos irrités de L'Egalité
et du Progrès. Ces journaux prirent d'ailleurs de plus
en plus l'allure d'oracles officiels. Tantôt l'une, tantôt l'autre des sections
suisses de l'Internationale était mise au ban, parce que, contrairement aux
prescriptions expresses de Bakounine, elles avaient participé au mouvement
politique, etc.
Enfin, la fureur
longtemps contenue contre le Conseil général éclata ouvertement. Le Progrès et L'Égalité commencèrent à se moquer du Conseil général, puis
l'attaquèrent et. déclarèrent publiquement qu'il ne remplissait pas ses
devoirs, par exemple au sujet du bulletin trimestriel ; le Conseil général
devait cesser de contrôler directement l'Angleterre et instaurer, à ses côtés,
distinct de lui, un comité central anglais qui s'occuperait uniquement des
affaires anglaises. Les décisions du Conseil général au sujet des
révolutionnaires irlandais emprisonnés constituaient un abus de pouvoir,
attendu qu'il ne devait pas se mêler de questions de politique locale. En
outre, Le Progrès et L'Egalité prirent de plus en plus position en faveur
de Schweitzer, et sommèrent catégoriquement le Conseil général de se prononcer
officiellement et publiquement sur la question Liebknecht-Schweitzer. Le
journal Le Travail de
Paris, où les amis de Schweitzer faisaient passer des articles en sa faveur, recevait
pour cela les éloges du Progrès et de L'Egalité,
et cette dernière l'invitait à faire cause commune contre le Conseil général.
Le moment était
donc venu d'intervenir. La pièce suivante est la copie littérale de la
circulaire du Conseil général au comité fédéral de la Suisse romande à Genève.
Elle est trop longue pour que je la traduise 23.
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Dans sa séance
extraordinaire du 1er janvier 1870, le Conseil général a
résolu 24 :
1. Nous lisons dans L'Egalité du 11 décembre 1869 : « Il est
certain qu'il [le Conseil général] néglige des choses extrêmement
importantes... Nous les [les obligations du Conseil général] lui rappelons avec
l'article premier du règlement... : ‘Le Conseil général est obligé d'exécuter
les résolutions du Congrès’... Nous aurions assez de questions à poser au
Conseil général pour que ses réponses constituent un assez long bulletin. Elles
viendront plus tard... En attendant... », etc.
Le Conseil
général ne connaît pas d'article, ni dans les statuts, ni dans les règlements,
qui l'oblige d'entrer en correspondance ou en polémique avec L'Égalité ou de faire des réponses aux « questions »
des journaux.
Seul le conseil
fédéral de la Suisse romande représente, face au Conseil général, les branches
de la Suisse romande. Lorsque le conseil fédéral romand nous adressera des
demandes ou des reproches par la seule voie légitime, à savoir par son
secrétaire, le Conseil général sera toujours prêt à y répondre. Mais le conseil
fédéral romand n'a le droit ni d'abdiquer ses fonctions dans les mains de L'Égalité et du Progrès, ni de laisser ces journaux usurper ses fonctions. D'une façon générale, la
correspondance du Conseil général avec les comités nationaux et locaux ne
pourrait pas être publiée sans porter grand préjudice à l'intérêt général de
l'Association. Ainsi donc, si les autres organes de l'Internationale imitaient Le
Progrès et L'Égalité, le Conseil général se trouverait placé
devant l'alternative, ou de se discréditer devant le public en se taisant, ou
de violer ses devoirs en répondant publiquement. Le Progrès, qui n'est pas envoyé au Conseil général,
comme il devrait l'être d'après les résolutions trois fois réitérées des
congrès généraux, a pris l'initiative de l'usurpation des fonctions du Conseil
général.
L'Égalité se joint au Progrès pour inviter Le
Travail [journal parisien
qui jusqu'ici ne s'est pas déclaré organe de l'Internationale et qui n'est pas
envoyé non plus au Conseil général] à exiger des explications au Conseil
général. C'est presque une ligue du Bien public. En fait, il semble que les
mêmes personnes qui, l'année passée, après une adhésion tardive, ont formé le
projet dangereux de fonder au sein de l'Association internationale des travailleurs une autre association internationale,
sous leur contrôle personnel et siégeant à Genève, aient repris leur projet, en
croyant toujours à leur mission spéciale d'usurper la direction suprême de
l'Association internationale.
Le Conseil
général rappelle au conseil fédéral romand qu'il est responsable des journaux L'Égalité et Le Progrès25.
2. En admettant que les questions posées
par L'Égalité procèdent
du conseil fédéral romand, nous allons y répondre à condition qu'à l'avenir de
telles questions ne nous parviennent pas par cette voie.
3. La question du bulletin
Les résolutions du Congrès de Genève
insérées dans les règlements prescrivent que les comités nationaux enverront au
Conseil général des documents sur le mouvement prolétarien, et qu'ensuite le
Conseil général publiera un bulletin dans les différentes langues aussi
souvent que ses moyens le lui permettront.
L'obligation du
Conseil général était donc liée à des conditions qui n'ont jamais été remplies. Même l'enquête
statistique, ordonnée par les statuts, décidée par les congrès généraux
consécutifs, annuellement demandée par le Conseil général, n'a jamais été
faite. Aucun document n'a jamais été remis au Conseil général. Quant aux moyens, le Conseil général aurait depuis
longtemps cessé d'exister sans les contributions « régionales » de
l'Angleterre et sans les sacrifices personnels de ses membres.
Ainsi le
règlement, passé au Congrès de Genève, est resté lettre morte, et traité comme
tel par le Congrès de Bâle.
Quant au Congrès
de Bâle, il n'a pas discuté l'exécution de ce règlement existant, il a discuté
l'opportunité d'un bulletin à faire, et il n'a pris aucune résolution (voir le
rapport allemand, imprimé à Bâle sous les yeux du congrès).
Au demeurant, le
Conseil général pense que le but primitif du bulletin est en ce moment
parfaitement rempli par les différents organes de l'Internationale publiés dans
les différentes langues et s'échangeant entre eux. Il serait absurde de faire
par des bulletins coûteux ce qui se fait déjà sans frais. De l'autre côté, un
bulletin qui publierait ce qui ne se dit pas dans les organes de
l'Internationale ne servirait qu'à admettre nos ennemis dans les coulisses.
4. Question de la séparation du Conseil
général d'avec le conseil régional pour l'Angleterre
Longtemps avant
la fondation de L'Egalité, cette proposition se faisait périodiquement au sein même du Conseil
général par un ou deux membres anglais. Elle a toujours été rejetée presque
unanimement.
Quoique l'initiative
révolutionnaire partira probablement de la France 26, l'Angleterre seule peut servir de levier à une
révolution sérieusement économique. En effet, c'est le seul pays où il n'y ait plus de grandes masses
paysannes et où la propriété foncière soit concentrée en peu de mains. C'est le
seul pays où la forme capitaliste, c'est-à-dire le travail combiné à une grande échelle sous la domination
de capitalistes, se soit emparée de presque toute la production. C'est le seul
pays où la grande majorité de la population consiste en ouvriers salariés. C'est le seul pays où la lutte de classes
et l'organisation de la classe ouvrière par le moyen des syndicats aient acquis un certain degré de maturité
et d'universalité.
À cause de sa
domination sur le marché mondial, c'est le seul pays où chaque révolution dans
les faits économiques doive réagir immédiatement sur le reste du monde. Si le
landlordisme et le capitalisme ont leur siège classique dans ce pays, par
contrecoup, les conditions matérielles de leur destruction y sont aussi les plus mûres.
Le Conseil général étant placé dans la position heureuse d'avoir la main directement sur ce grand levier de la révolution prolétaire, quelle folie, pour ne pas dire quel crime: que de le laisser tomber dans des mains purement anglaises 27 !
Les Anglais ont
toute la matière
nécessaire à la révolution sociale. Ce qui leur manque, c'est l'esprit
généralisateur et la passion
révolutionnaire. C'est
seulement le Conseil général qui peut y suppléer et accélérer ainsi le mouvement vraiment révolutionnaire dans ce pays, et
en conséquence partout.
Les grands effets
que nous avons déjà produits dans ce sens sont attestés jusque par les journaux
les plus intelligents et les mieux accrédités auprès des classes dominantes,
comme par exemple la Pall Mall Gazette, la Saturday Review, le Spectator et la Fortnightly Review, pour ne pas parler des membres,
prétendument radicaux, de la Chambre des communes et de celle des lords qui, il
y a peu de temps, exerçaient encore une grande influence sur ceux qui dirigent
les ouvriers anglais. Ne nous accusent-ils pas publiquement d'avoir empoisonné
et presque éteint l'esprit anglais de la classe ouvrière, et de l'avoir poussée dans la voie du socialisme
révolutionnaire ?
La seule manière
de produire ce changement est d'agir comme l'a fait le Conseil général de
l'Association internationale. En tant que Conseil général, nous pouvons prendre
l'initiative de mesures (par exemple, la Land and Labour League28) qui, plus tard, aux yeux du public, se
produisent dans l'exécution devant le public comme des mouvements spontanés de
la classe ouvrière anglaise.
Si un conseil
régional était formé en dehors du Conseil général, quels en seraient les effets
immédiats ?
Placé entre le
Conseil général de l'Internationale et celui des syndicats, le conseil régional
n'aurait aucune autorité. En outre, le Conseil général de l'Internationale
perdrait le maniement du grand levier. Si à notre action sérieuse et
souterraine nous voulions substituer l'éclat des tréteaux, nous serions amenés
à commettre la faute de répondre publiquement à la question de L'Égalité : pourquoi le Conseil général « subit ce cumul si fâcheux de
fonctions » ?
L'Angleterre ne
doit pas être traitée comme un pays parmi d'autres pays. Elle doit être considérée
comme la métropole du capital 29…
Au reste, les
doctrines plus que naïves de L'Égalité et du Progrès sur la liaison ou plutôt l'absence de liaison
entre le mouvement social et le mouvement politique n'ont jamais, à ce que nous
sachions, été reconnues par aucun de nos congrès internationaux. Elles sont
contraires à nos statuts, dans lesquels on lit : « Que par conséquent
l'émancipation économique de la classe ouvrière est le grand but auquel tout
mouvement politique doit être subordonné comme moyen. » Ces mots « comme moyen » ont
été supprimés dans la traduction française, faite en 1864 par le comité de
Paris 30. Interpellé par le Conseil général, le
comité de Paris s'excusa en invoquant les difficultés de sa situation
politique. Il existe encore d'autres mutilations du texte authentique. Le
premier considérant de nos statuts est ainsi conçu : « La lutte pour
l'émancipation de la classe ouvrière n'est pas une lutte pour des privilèges et des monopoles de classe, mais
pour l'établissement des droits et des devoirs égaux, et pour l'abolition de toute
domination de classe 31. »
La traduction
parisienne reproduit les « droits et devoirs égaux », c'est-à-dire la
phrase générale qui se trouve à peu près dans tous les manifestes
démocratiques depuis un
siècle et qui a un sens différent dans la bouche des différentes classes, mais
elle supprime la chose concrète : « l'abolition de toute domination de classe
».
Encore dans le
deuxième considérant de nos statuts, on lit : « Que l'assujettissement économique du travailleur aux
détenteurs des moyens de travail, c'est-à-dire des sources de la vie », etc., alors que la traduction
parisienne met « capital » au lieu des « moyens du travail, c'est-à-dire des
sources de la vie », expression qui inclut la terre aussi bien que les autres
moyens du travail.
Au reste, le
texte primitif et authentique a été restauré dans la traduction française,
publiée à Bruxelles par la Rive gauche (1866) et imprimée comme pamphlet.
5. La question Liebknecht-Schweitzer
L'Egalité écrit que « ces deux groupes font partie
de l'Internationale ». Or, c'est faux. Le groupe d'Eisenach (que Le Progrès et L'Egalité veulent ainsi transformer en groupe du citoyen
Liebknecht) appartient à l'Internationale. Le groupe de Schweitzer n'y
appartient pas. Dans son
journal (le Sozial-demokrat), Schweitzer lui-même a longuement expliqué pourquoi l'organisation
lassallienne ne pourrait se fondre dans l'Internationale sans se détruire elle-même ‑ sans le
savoir il a dit la vérité 32. En
effet, son organisation de secte est artificielle, et elle s'oppose à l'organisation
historique et spontanée de la classe ouvrière.
Le Progrès et L'Egalité ont sommé le Conseil général de donner
publiquement son « avis » sur les différends personnels de Liebknecht et
Schweitzer 33. Comme le citoyen Johann Philipp Becker
(que le journal de Schweitzer calomnie aussi bien que Liebknecht) est membre du
comité de rédaction de L'Egalité, il paraît vraiment étrange que ses éditeurs ne soient pas mieux informés
des faits. Ils devraient savoir que Liebknecht, dans le Demokratisches
Wochenblatt, a
publiquement invité Schweitzer à prendre le Conseil général pour arbitre dans
leurs différends, et que Schweitzer a non moins publiquement refusé de
reconnaître l'autorité du Conseil général 34.
Pour sa part, le
Conseil général n'a rien négligé pour mettre fin à ce scandale, qui fait honte
au parti prolétarien en Allemagne 35. Il a
chargé son secrétaire pour l'Allemagne d'entrer en correspondance avec
Schweitzer, ce qui a été fait pendant deux années. Cependant, toutes les
tentatives du Conseil ont échoué du fait de la résolution bien prise de
Schweitzer de conserver à tout prix son pouvoir autocrate en même temps que son
organisation de secte.
C'est au Conseil
général de déterminer le moment favorable pour intervenir publiquement dans
cette querelle de manière plus utile que nuisible.
6. Comme les accusations de L'Egalité sont publiques, et pourraient être
considérées comme émanant du comité romand de Genève, le Conseil général
communiquera cette réponse à tous les comités correspondant avec lui.
Par ordre du Conseil général 36.
Les comités
français (bien que Bakounine intrigue beaucoup à Lyon et à Marseille, et qu'il
a gagné. quelques jeunes têtes chaudes), de même que le conseil général belge
(Bruxelles), se sont déclarés en accord complet avec cette résolution du
Conseil général.
La copie pour
Genève a subi un léger retard (parce que le secrétaire pour la Suisse, Jung,
était très occupé). Elle se croisa donc avec une lettre officielle, envoyée au
Conseil général par Perret, le secrétaire du comité central romand de Genève.
En fait, la crise
avait éclaté à Genève avant l'arrivée de notre lettre. Certains rédacteurs de L'Egalité s'étaient opposés à l'orientation dictée
par Bakounine. Celui-ci et ses partisans (dont six rédacteurs de L'Egalité) voulaient forcer le comité central de
Genève à renvoyer les récalcitrants. En revanche, le comité de Genève en avait
assez depuis longtemps du despotisme de Bakounine, et à contrecœur se voyait
entraîné par lui dans un conflit avec les autres comités allemands de Suisse,
le Conseil général, etc. L'effet en fut donc inverse sur les rédacteurs de L'Egalité qui virent Bakounine d'un mauvais oeil.
Les six partisans de Bakounine donnèrent donc leur congé, en croyant ainsi
arrêter le journal.
En réponse à
notre missive, le comité central de Genève déclara que les attaques de L'Egalité avaient eu lieu contre sa volonté, qu'il
n'avait jamais souscrit à la politique qu'on y avait prêchée, que le journal
était maintenant rédigé sous le strict contrôle du comité, etc.
Sur ces
entrefaites, Bakounine quitta Genève pour se retirer dans le Tessin. En ce qui
concerne la Suisse, il ne tient plus en main que Le Progrès (Locle).
Peu après, Herzen
mourut. Bakounine, qui, au temps où il voulait prétendre être le guide du
mouvement ouvrier européen, avait renié son vieil ami et patron Herzen, emboucha aussitôt après sa
mort la trompette pour sa plus grande gloire. Pourquoi ? Parce que, malgré sa
fortune personnelle, Herzen se faisait envoyer chaque année 25 000 francs pour
la propagande par le parti panslaviste de Russie avec lequel il était lié 37. En chantant sa gloire, Bakounine a orienté ces
fonds vers lui et, ce
faisant, a repris « l'héritage de Herzen » ‑ malgré sa haine de l'héritage,
du point de vue pécuniaire et moral ‑ sans bénéfice d'inventaire.
En même temps,
une jeune colonie de réfugiés russes s'est établie à Genève, et elle se compose
d'étudiants en fuite qui sont vraiment honnêtes et le prouvent, en adoptant
dans leur programme la lutte contre le panslavisme comme point essentiel de leur programme.
Ils publient à
Genève un journal, La Voix du peuple.
Il y a environ
quinze jours, ils se sont adressés à Londres, lui ont envoyé leurs statuts et
leur programme, et ont demandé au Conseil général de confirmer la création
d'une branche russe.
Dans une lettre privée, ils ont prié Marx de les représenter provisoirement au Conseil central, et cette demande fut acceptée. Ils ont également annoncé ‑ et semblaient vouloir s'en excuser auprès de Marx ‑ qu'ils devraient bientôt arracher publiquement le masque à Bakounine, celui-ci parlant deux langages tout à fait différents, l'un pour la Russie, l'autre pour l'Europe.
De la sorte, ce
très dangereux intrigant aura bientôt fini de jouer son jeu ‑ du moins
sur le terrain de l'Internationale.
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Le Conseil
général au comité fédéral romand
Considérant
Que, quoiqu'une
majorité de délégués au Congrès de La Chaux-de-Fonds ait nommé un nouveau
comité fédéral, cette majorité n'était que nominale 38 ;
Que le comité
fédéral romand, à Genève, ayant toujours rempli ses obligations envers le
Conseil général et envers l'Association internationale des travailleurs, et s'étant toujours conformé aux statuts
de l'Association, le Conseil général n'a pas le droit de lui enlever son titre
;
Le Conseil
général, dans sa réunion du 28 juin 1870, a unanimement résolu que le comité
fédéral romand, siégeant à Genève, conserverait son titre, et que le comité
fédéral, siégeant à La Chaux-de-Fonds, adopterait tel autre titre local qu'il
lui plairait d'adopter.
Au nom et par
ordre du Conseil général de l'Association internationale des travailleurs.
Londres, le 29 juin
1870
H. JUNG
Secrétaire pour la Suisse
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Le citoyen Marx
pense que la seule chose que le Conseil puisse faire, c'est de laisser tel
qu'il est le comité de Genève qui a soutenu l'Association depuis sa fondation.
En effet, il a rempli son devoir à tous les points de vue et, même s'il a eu
moins de délégués au congrès suisse que l'autre parti, il représente cependant
une base bien plus large 40. Les
résolutions du Conseil général à propos de l'admission de l'Alliance devraient
aussi lui être communiquées 41. Le
nouveau comité pourrait adopter un nom local.
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Il va de soi que, dans des pays comme la Pologne et la Russie, les Internationaux peuvent entretenir uniquement des relations directes avec le Conseil général qui doit procéder avec la plus grande circonspection.
De même que tous les groupes de l'Internationale, le Conseil général a le devoir de faire de la propagande. Il la fait avec des personnes isolées dans les pays où l'Internationale n'est pas encore implantée. Il l'a accomplie par ses manifestes, par sa correspondance avec des particuliers dans les pays où l'Association n'est pas encore créée, par ses plénipotentiaires qui ont posé les premières pierres de l'Internationale en Amérique du Nord, en Allemagne et dans de nombreuses villes de France, voire en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Marx à P. Lafargue, 21 mars 1872
Je vous enverrai après-demain les papiers sur les affaires internationales dont je dispose 1. (Il est trop tard aujourd'hui pour la poste.) Je vous enverrai par la suite les autres documents sur le Congrès de Bâle. Dans ce que je vous enverrai, vous trouverez aussi certaines des résolutions prises par le Conseil général le 30 novembre sur l'amnistie irlandaise, dont vous avez entendu parler et que j'ai préparées, ainsi qu'un pamphlet irlandais sur le traitement des Fenians emprisonnés.
J'ai l'intention
de préparer d'autres résolutions sur la nécessité de transformer l'actuelle
Union (qui asservit l'Irlande) en une fédération libre et égale avec la
Grande-Bretagne. Pour l'heure, les choses restent en suspens pour ce qui est
des résolutions publiques, en raison de mon absence prolongée au Conseil
général. Aucun autre membre ne possède la connaissance nécessaire des affaires irlandaises
et une autorité suffisante auprès des membres anglais du Conseil général pour
pouvoir me remplacer.
Cependant, je
n'ai pas été inactif durant ce temps, et je vous demande de lire ce qui suit
avec la plus grande attention :
Après que je suis
préoccupé, durant de longues années, de la question irlandaise, j'en suis venu
à la conclusion que le coup décisif contre les classes dominantes anglaises (et
il sera décisif pour le mouvement ouvrier du monde entier) ne peut pas être
porté en Angleterre, mais seulement en Irlande.
Le 1er janvier 1870, j'ai
préparé pour le Conseil général une circulaire confidentielle en français (car
ce sont les publications françaises, et non allemandes, qui ont le plus d'effet
sur les Anglais) à propos du rapport entre la lutte nationale irlandaise et
l'émancipation de la classe ouvrière,
c'est-à-dire de la position que l'Internationale devrait adopter sur la
question irlandaise.
Je vous en donne
ici très brièvement les points essentiels :
L'Irlande est la citadelle de l'aristocratie
foncière anglaise. L'exploitation de ce pays ne
constitue pas seulement l'une des sources principales de sa richesse
matérielle, en même temps que sa plus grande force morale. De fait, elle représente la domination de l'Angleterre sur
l'Irlande. L'Irlande est donc le grand moyen grâce
auquel l'aristocratie anglaise maintient sa domination en Angleterre même.
D'autre part, si
demain l'armée et la police anglaises se retiraient d'Irlande, nous aurions
immédiatement une révolution agraire en Irlande. Le renversement de
l'aristocratie anglaise en Irlande aurait pour conséquence nécessaire son
renversement en Angleterre, de sorte que nous aurions les conditions préalables2 à une révolution prolétarienne en Angleterre. La
destruction de l'aristocratie foncière est une opération infiniment plus facile
à réaliser en Irlande qu'en Angleterre, parce que la question agraire a été
jusqu'ici, en Irlande, la seule forme qu'ait revêtu la question sociale, parce qu'il s'agit d'une question
d'existence même, de vie ou de mort, pour l'immense majorité du peuple
irlandais, et aussi parce qu'elle est inséparable de la question nationale. Tout cela abstraction faite du caractère
plus passionné et plus révolutionnaire des Irlandais que des Anglais.
En ce qui concerne la bourgeoisie anglaise, elle a d'abord un intérêt en commun avec l'aristocratie anglaise : transformer l'Irlande en un simple pâturage fournissant au marché anglais de la viande et de la laine au prix le plus bas possible. Elle a le même intérêt à réduire la population irlandaise ‑ soit en l'expropriant, soit en l'obligeant à s'expatrier ‑ à un nombre si petit que le capital fermier anglais puisse fonctionner en toute sécurité dans ce pays. Elle a le même intérêt à vider la terre irlandaise de ses habitants qu'elle en avait à vider les districts agricoles d'Écosse et d'Angleterre 3. Il ne faut pas négliger non plus les 6 à 10 000 livres sterling qui s'écoulent chaque année vers Londres comme rentes des propriétaires qui n'habitent pas leurs terres, ou comme autres revenus irlandais.
Mais la
bourgeoisie anglaise a encore d'autres intérêts, bien plus considérables, au
maintien de l'économie irlandaise dans son état actuel.
En raison de la
concentration toujours plus grande des exploitations agricoles, l'Irlande
fournit sans cesse un excédent de main-d'œuvre au marché du travail anglais et
exerce, de la sorte, une pression sur les salaires dans le sens d'une
dégradation des conditions matérielles et intellectuelles de la classe ouvrière
anglaise.
Ce qui est
primordial, c'est que chaque centre industriel et commercial d'Angleterre
possède maintenant une classe ouvrière divisée en deux camps hostiles : les prolétaires anglais
et les prolétaires irlandais. L'ouvrier anglais moyen déteste l'ouvrier
irlandais en qui il voit un concurrent qui dégrade son niveau de vie. Par
rapport à l'ouvrier irlandais, il se sent membre de la nation dominante et devient ainsi un instrument que les
aristocrates et capitalistes de son pays utilisent contre l'Irlande. Ce faisant, il renforce leur domination
sur lui-même. Il se berce de préjugés religieux, sociaux et nationaux contre
les travailleurs irlandais. Il se comporte à peu près comme les blancs pauvres
vis-à-vis des nègres dans les anciens États esclavagistes des États-Unis. L'Irlandais
lui rend avec intérêt la monnaie de sa pièce. Il voit dans l'ouvrier anglais à
la fois un complice et un instrument stupide de la domination anglaise en
Irlande.
Cet antagonisme
est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les
revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes
dominantes. Cet antagonisme est le secret de l'impuissance de la classe
ouvrière anglaise, malgré
son organisation. C'est le secret du maintien au pouvoir de la classe capitaliste,
et celle-ci en est parfaitement consciente.
Mais le mal ne s'arrête pas là. Il passe l'Océan. L'antagonisme entre Anglais et Irlandais est la base cachée du conflit entre les États-Unis et l'Angleterre. Il exclut toute coopération franche et sérieuse entre les classes ouvrières de ces deux pays. Il permet aux gouvernements des deux pays de désamorcer les conflits sociaux en agitant la menace de l'autre et, si besoin est, en déclarant la guerre 4.
Étant la
métropole du capital et dominant jusqu'ici le marché mondial, l'Angleterre est
pour l'heure le pays le plus important pour la révolution ouvrière ; qui plus
est, c'est le seul où les conditions matérielles de cette révolution soient
développées jusqu'à un certain degré de maturité. En conséquence, la principale
raison d'être de l'Association internationale des travailleurs est de hâter le déclenchement de la
révolution sociale en Angleterre. La seule façon d'accélérer ce processus,
c'est de rendre l'Irlande indépendante.
La tâche de
l'Internationale est donc en toute occasion de mettre au premier plan le
conflit entre l'Angleterre et l'Irlande, et de prendre partout ouvertement
parti pour l'Irlande. Le Conseil central à Londres doit s'attacher tout
particulièrement à éveiller dans la classe ouvrière anglaise la conscience que
l'émancipation
nationale de l'Irlande n'est pas pour elle une question abstraite de justice ou de
sentiments humanitaires, mais la condition première de leur propre
émancipation sociale.
Tels sont en gros
les points essentiels de la circulaire qui expliquait les raisons d'être des
résolutions du Conseil central sur l'amnistie irlandaise. Peu de temps après,
j'envoyai à L'Internationale, organe de notre comité central de Bruxelles, un article anonyme très
violent contre Gladstone sur le traitement que subissent les Fenians de la part
des Anglais. J'y accusai, entre autres, les républicains français (La
Marseillaise avait publié
des sottises sur l'Irlande, écrites par le misérable Talandier) d'économiser,
par une sorte d'égoïsme national, toute leur colère pour l'Empire.
Cela produisit
son effet : ma fille Jenny écrivit toute une série d'articles pour La
Marseillaise sous la
signature de J. Williams (nom sous lequel elle s'était dans sa lettre présentée
au comité de rédaction) et publia, entre autres choses, la lettre de O'Donavan
Rossa 5. Tout cela fit grand bruit.
Après avoir
refusé cyniquement pendant plusieurs années d'intervenir, Gladstone a
finalement été contraint d'accepter une enquête parlementaire sur le traitement réservé aux prisonniers
fenians. Jenny est maintenant le correspondant régulier de La Marseillaise pour les affaires irlandaises (cela soit
dit entre nous sous le sceau du secret). Le gouvernement et la presse
britanniques enragent de voir que la question irlandaise soit ainsi passée au
premier plan de l'actualité en France, de sorte que ces canailles sont
maintenant exposées aux regards et à la critique de tout le continent par le
truchement de Paris.
Nous avons fait
d'une pierre deux coups : nous avons ainsi obligé les dirigeants, journalistes,
etc., irlandais de Dublin à entrer en contact avec nous, ce que le Conseil
général n'avait jamais pu obtenir jusqu'ici.
Vous avez, en
Amérique, un champ très vaste pour œuvrer dans le même sens. Coalition des
ouvriers allemands et irlandais (et, naturellement, des ouvriers anglais et américains qui seraient
d'accord), telle est la tâche la plus importante que vous puissiez entreprendre
aujourd'hui. C'est ce qu'il faut faire au nom de l'Internationale. Il faut
exposer clairement la signification sociale de la question irlandaise.
À la prochaine
occasion, je vous ferai parvenir des précisions sur la situation des ouvriers
anglais. Salut et fraternité.
Projet de résolution du Conseil général sur l'attitude du gouvernement britannique dans la question de l'amnistie irlandaise
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Considérant
Que, dans sa
réponse à la demande faite par les Irlandais en vue de faire libérer les
patriotes irlandais emprisonnés (réponse contenue dans ses lettres à Mr O'Shea,
le 18 octobre 1869, à Mr Issac Butt, le 23 octobre, et aux anciens forestiers
de Dublin), Mr Gladstone a insulté la nation irlandaise 6;
Qu'il met à
l'amnistie politique des conditions qui dégradent à la fois les victimes d'un
mauvais gouvernement et le peuple gouverné ;
Qu'ayant, malgré
la responsabilité de sa position, publiquement et avec enthousiasme, applaudi à
la rébellion des esclavagistes américains, il vient de prêcher au peuple
irlandais la doctrine de l'obéissance passive ;
Que l'ensemble de
sa conduite dans la question de l'amnistie irlandaise est la continuation
fidèle et naturelle de cette politique de conquête qui, fièrement dénoncée par
Mr Gladstone, a chassé les conservateurs, ses rivaux, du ministère,
Le Conseil
général de l'Association internationale des travailleurs exprime son admiration
pour la magnanimité avec laquelle le peuple irlandais a conduit son mouvement
de l'amnistie.
Sur les
relations entre les sections irlandaises et le Conseil
général de l'A.
I. T.
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Le citoyen Engels dit que le sens véritable de cette motion 7, une fois dépouillée de tout son voile d'hypocrisie, est de placer les sections irlandaises sous la sujétion du conseil fédéral britannique, ce à quoi les sections irlandaises ne se résoudront jamais et ce que le Conseil général n'a ni le droit ni le pouvoir de leur imposer. Conformément aux statuts et aux règlements, ce Conseil n'a pas non plus le pouvoir de forcer une section ou une branche à reconnaître la suprématie d'un quelconque conseil fédéral. Certes, il a le devoir, avant d'admettre ou de rejeter toute nouvelle branche qui se trouve sous la juridiction d'un quelconque conseil fédéral, de consulter ce conseil, mais le citoyen Engels soutient avec force que les sections irlandaises en Angleterre ne se trouvent pas plus sous la juridiction du conseil fédéral britannique que les sections françaises, allemandes, italiennes ou polonaises. Les Irlandais forment à tous égards une nationalité propre, distincte de toutes les autres, et le fait qu'ils usent de la langue anglaise ne saurait en aucune façon les dépouiller de droits valables pour tous.
Le citoyen Hales a dépeint les rapports entre l'Angleterre et l'Irlande sous un jour tout à fait idyllique, comme si la plus grande harmonie régnait entre elles. Or, ce sont exactement les mêmes rapports qui ont existé entre la France et l'Angleterre au moment de la guerre de Crimée, lorsque les classes dominantes des deux pays ne trouvaient pas assez de mots pour se congratuler, et que tout respirait l'harmonie la plus parfaite. Mais le cas est tout différent. Il y a le fait de sept siècles de conquête et d'oppression de l'Irlande par l'Angleterre. Or, tant que durera cette oppression, c'est insulter les ouvriers irlandais que de leur demander de se soumettre à un conseil fédéral anglais. La position de l'Irlande vis-à-vis de l'Angleterre n'est en rien celle de l'égalité, mais bien plutôt celle de la Pologne vis-à-vis de la Russie. Que dirait-on si le Conseil général exigeait des sections polonaises qu'elles reconnaissent la suprématie du conseil fédéral russe de Pétersbourg, ou s'il demandait aux sections de la Pologne prussienne, du Schleswig septentrional et de l'Alsace de se soumettre au conseil fédéral berlinois ? Or, c'est exactement ce que l'on demande aux sections irlandaises.
Lorsque les
membres de l'Internationale appartenant à une nation conquérante demandent à
ceux appartenant à une nation opprimée, non seulement dans le passé, mais
encore dans le présent, d'oublier leur situation et leur nationalité
spécifiques, d'« effacer toutes les oppositions nationales », etc., ils ne
font pas preuve d'internationalisme. Ils défendent tout simplement l'assujettissement
des opprimés en tentant de justifier et de perpétuer la domination du
conquérant sous le voile de l'internationalisme. En l'occurrence, cela ne
ferait que renforcer l'opinion, déjà trop largement répandue parmi les ouvriers
anglais, selon laquelle, par rapport aux Irlandais, ils sont des êtres
supérieurs et représentent une sorte d'aristocratie, comme les blancs des États
esclavagistes américains se figuraient l'être par rapport aux noirs.
Dans un cas comme
celui des Irlandais, le véritable internationalisme doit nécessairement se
fonder sur une organisation nationale autonome : les Irlandais, tout comme les
autres nationalités opprimées, ne peuvent entrer dans l'Association ouvrière
internationale qu'à égalité avec les membres de la nation conquérante et en
protestant contre cette oppression. En conséquence, les sections irlandaises
n'ont pas seulement le droit mais encore le devoir de déclarer dans les
préambules à leurs statuts que leur première et plus urgente tâche, en tant
qu'Irlandais, est de conquérir leur propre indépendance nationale.
L'antagonisme
entre les ouvriers anglais et irlandais a toujours été l'un des moyens les plus
puissants pour maintenir la domination de classe en Angleterre. Que l'on se
souvienne du temps où Feargus O'Connor et les chartistes anglais ont été
expulsés par des Irlandais de la salle des Sciences à Manchester. À présent, il
existe pour la première fois une bonne occasion de faire œuvrer de concert
travailleurs anglais et irlandais en vue de leur émancipation commune, ce qui
est un résultat qu'aucun autre mouvement n'a jamais atteint dans un quelconque
pays. Or, avant même que l'on se soit assuré de ce résultat, on nous demande de
dire et d'imposer aux Irlandais de ne pas prendre les choses eux-mêmes en main
et de se soumettre à la direction d'un conseil anglais ! En fait, cela
reviendrait à introduire dans l'Internationale l'assujettissement des Irlandais
par les Anglais. Si les initiateurs de cette motion sont à ce point remplis
d'un authentique esprit internationaliste, qu'ils en fassent donc la preuve, en
transférant le siège du conseil fédéral britannique à Dublin et en le plaçant
sous la direction d'Irlandais !
En ce qui
concerne les prétendus heurts entre branches irlandaises et branches anglaises,
ils ont été suscités uniquement par les membres du conseil fédéral anglais qui
ont tenté de s'immiscer dans les affaires des sections irlandaises dans le but
de les amener à renoncer à leur caractère national spécifique et à se soumettre
à la direction du conseil anglais. Si elles se laissaient faire, les sections
irlandaises d'Angleterre ne seraient plus reliées aux sections irlandaises
d'Irlande. Il n'est pas possible de faire dépendre certains Irlandais d'un
conseil fédéral de Londres, et d'autres d'un conseil fédéral de Dublin. Les
sections irlandaises en Angleterre sont, en outre, notre base d'opération
vis-à-vis des ouvriers irlandais en Irlande. Elles sont plus progressistes,
parce qu'elles disposent de conditions plus favorables, et le mouvement ne peut
être propagé et organisé en Irlande que par leur truchement. Or, faut-il
délibérément anéantir soi-même cette base d'opération et renoncer au seul moyen
grâce auquel l'Irlande peut être gagnée efficacement à l'Internationale ?
Quoi qu'il en
soit, il ne faut pas perdre de vue que les sections irlandaises n'accepteraient
jamais ‑ et elles auraient parfaitement raison ‑ de renoncer à leur
organisation nationale autonome pour se subordonner au conseil anglais.
Tout se ramène
donc à l'alternative : doit-on permettre aux Irlandais d'être leurs propres
maîtres, ou les chasser de l'Association ? Si la motion était acceptée, le
Conseil général devrait informer les ouvriers irlandais qu'après la domination
de l'aristocratie anglaise sur l'Irlande, qu'après la domination de la bourgeoisie
anglaise sur l'Irlande ils doivent s'attendre maintenant à une domination de
l'aristocratie ouvrière anglaise sur l'Irlande.
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Coopérateurs !
Dans le programme
inaugural de notre association, nous avons affirmé : « Ce n'est pas la
sagesse des classes dominantes, mais la résistance héroïque de la classe
ouvrière anglaise contre leur folie criminelle, qui a empêché que l'Europe
occidentale ne se précipite à corps perdu dans une croisade infâme en vue
d'étendre et de perpétuer l'esclavage de l'autre côté de l'océan Atlantique. »
C'est à votre tour, maintenant, de prévenir une guerre dont le résultat le plus
clair serait de rejeter en arrière pour une période indéterminée le mouvement
ouvrier qui progresse des deux côtés de l'océan Atlantique 8.
Est-il besoin de vous dire qu'il existe des puissances européennes qui s'efforcent sérieusement de fomenter une guerre entre les États-Unis et l'Angleterre. Un simple coup d'œil sur les statistiques du commerce montre que l'exportation de produits bruts russes ‑ et la Russie n'a rien d'autre à exporter ‑ a reculé devant la concurrence américaine, lorsque la guerre civile américaine a pris un tournant décisif. Troquer la charrue américaine contre l'épée c'est, aujourd'hui précisément, la forte solution que vos hommes d'État républicains dans leur sagesse ont choisie comme auxiliaire intime, afin de se sauver de la menace d'une banqueroute imminente. Mais si nous faisons totalement abstraction des intérêts particuliers de tel ou tel gouvernement, n'est-ce pas l'intérêt le plus général de nos oppresseurs que de jeter le trouble, au moyen d'une guerre, dans la collaboration internationale de tous les ouvriers au moment où celle-ci se développe à pas de géant ?
Dans notre
adresse de félicitation à Monsieur Lincoln, lors de sa réélection comme
président, nous avons exprimé notre conviction que la guerre civile s'avérerait
aussi décisive pour le progrès de la classe ouvrière que la guerre
d'indépendance pour celui de la classe bourgeoise. Et de fait, l'issue
victorieuse de la guerre anti-esclavagiste a inauguré une ère nouvelle dans les
annales de la classe ouvrière. Depuis lors, aux États-Unis eux-mêmes, il est né
un mouvement ouvrier autonome qui est considéré d'un fort mauvais œil par les
politiciens professionnels et les anciens partis. Mais encore lui faut-il
quelques années de paix pour se fortifier et devenir fécond. Une guerre entre
les États-Unis et l'Angleterre serait très utile pour l'étouffer.
Le second effet
tangible de la guerre civile était certes de faire empirer les conditions de
l'ouvrier américain. Aux États-Unis comme en Europe, la charge gigantesque de
la dette publique est glissée de main en main jusqu'à ce qu'elle aboutisse sur
les épaules de la classe ouvrière. Le prix des denrées alimentaires, au dire de
l'un de vos hommes d'État, a monté de 78 % depuis 1860, tandis que le salaire
d'un ouvrier manuel n'a augmenté que de 50 % et celui d'un ouvrier qualifié de
60 %. Et de gémir : « Le paupérisme croît maintenant plus vite en Amérique que
la population. » En outre, les souffrances de la classe ouvrière contrastent
avec l'étalage de luxe des nouveaux parvenus de l'aristocratie financière et
autres bêtes malfaisantes produites par la guerre. La guerre civile apporta
néanmoins en compensation la libération des esclaves et le bond en avant de
votre propre mouvement de classe. En revanche, une seconde guerre qui ne serait
ni sanctifiée par un but noble ni élevée par une nécessité sociale, mais serait
effectuée d'après le modèle du vieux monde 9, ne ferait que souder les chaînes du libre
travailleur, au lieu de briser les chaînes de l'esclave. La misère accumulée
qui resterait sur ses traces accorderait subitement à vos capitalistes les
motifs et les moyens de couper la classe de ses efforts hardis et justifiés
grâce à l'épée dépourvue d'âme d'une armée permanente.
C'est donc à vous que revient la tâche glorieuse de faire en sorte qu'enfin la classe ouvrière fasse maintenant son entrée sur la scène de l'histoire, en cessant d'être une suite obéissante, qu'elle devienne une puissance autonome, une puissance consciente de ses propres responsabilités et capable d'ordonner la paix là où ceux qui se prétendent vos maîtres appellent à la guerre.
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Citoyens
!
C'est avec une
grande joie que le Conseil général a reçu votre lettre du 14 décembre. Votre
lettre précédente du 30 juillet nous est également parvenue 10. C'est le citoyen Serraillier, secrétaire pour
l'Espagne, qui était chargé de vous transmettre notre réponse. Mais il s'est
rendu peu après en France afin de combattre pour la République, et c'est alors
qu'il fut pris dans lé siège de Paris. Or donc, si vous n'avez pas reçu de
réponse à votre lettre du 30 juillet qui se trouve encore entre ses mains, cela
est dû aux circonstances. À présent, le Conseil général, dans sa séance du 7, a
chargé provisoirement le soussigné F. E. de la correspondance avec l'Espagne et
lui a remis votre dernière lettre.
Nous avons reçu régulièrement les journaux
ouvriers d'Espagne ‑ La Federacion de
Barcelone, La Solidaridad de Madrid (jusqu’à
décembre 1870), El Obrero de Palma (jusqu'à son interdiction) et récemment La
Revolucion social de
Palma (uniquement le n° 1). Ces journaux nous ont tenu au courant des faits du
mouvement ouvrier espagnol ; nous avons constaté avec une grande satisfaction
que les idées de la révolution sociale étaient de plus en plus le patrimoine
commun de la classe ouvrière de votre pays.
Comme vous le
dites, il ne fait pas de doute que les creuses déclamations des vieux partis
politiques ont orienté trop fortement l'attention du peuple sur eux, et de ce
fait sont devenues un grand obstacle pour notre propagande. Il en a été ainsi
partout dans les premières années du mouvement ouvrier. En France, en
Angleterre, en Allemagne, les socialistes sont aujourd'hui encore obligés de
combattre l'activité et l'influence des partis politiques traditionnels,
aristocratiques ou bourgeois, monarchistes et même républicains. Partout
l'expérience a démontré que le meilleur moyen de libérer les ouvriers de
l'emprise des partis traditionnels consiste à créer dans chaque pays un parti
du prolétariat ayant une politique propre, une politique qui se distingue
clairement de celle de tous les autres partis parce qu'elle doit exprimer les
conditions de l'émancipation de la classe ouvrière. Les détails de cette
politique peuvent varier selon les circonstances particulières de chaque pays.
Cependant, étant donné que les rapports fondamentaux du travail au capital sont
partout les mêmes et que le fait de la domination politique des classes
possédantes sur les classes exploitées subsiste partout, les principes et le
but de la politique prolétarienne sont identiques, du moins dans tous les pays
occidentaux.
Les classes possédantes,
aristocrates fonciers et bourgeois, tiennent le peuple travailleur en esclavage
non seulement par la puissance de leurs richesses et par l'exploitation directe
du travail par le capital, mais encore par le pouvoir d'État, l'armée, la
bureaucratie et la magistrature. Ce serait sacrifier l'un des moyens d'action
les plus puissants ‑ notamment en ce qui concerne l'organisation et la
propagande ‑ si nous renoncions à combattre nos ennemis sur le terrain
politique. Le suffrage universel nous met en main un excellent moyen d'action.
En Allemagne, où les ouvriers sont fortement organisés en parti politique, ils
ont réussi à envoyer six députés dans la prétendue représentation nationale.
L'opposition que nos camarades Bebel et Liebknecht ont pu y organiser contre la
guerre de conquête a servi beaucoup plus efficacement les intérêts de notre
mouvement international que des années de propagande par voie de presse et de
réunion 11. En ce moment même, des représentants
ouvriers ont été élus en France, et ils proclament à haute voix nos principes.
La même chose se passera en Angleterre lors des prochaines élections.
Nous apprenons avec joie que vous avez l'intention de nous transmettre les cotisations des diverses branches de votre organisation en Espagne. Nous les accepterons avec reconnaissance. Veuillez les transférer par chèque à une quelconque banque londonienne, payable à notre trésorier John Weston, ou par lettre recommandée à l'adresse du soussigné, soit 256, High Holborn, Londres (siège de notre Conseil), soit 122, Regent's Park Road (mon adresse privée).
Nous attendons
avec grand intérêt la statistique de votre fédération que vous avez promis de
nous envoyer.
En ce qui
concerne le congrès de l'Internationale, il ne saurait en être question tant
que dure l'actuelle guerre. Mais si, comme il est probable, la paix devait être
bientôt rétablie, le Conseil se préoccupera aussitôt de cette importante
question, et il prendra en considération l'aimable invitation que vous nous
avez fait parvenir au sujet de sa tenue à Barcelone.
Nous n'avons pas
encore de sections au Portugal. Il vous serait peut-être plus facile qu'à nous
d'entamer des relations avec les ouvriers de ce pays. Si vous y réussissez,
veuillez nous écrire à ce sujet. De même, nous pensons qu'il vaudrait mieux,
pour commencer du moins, que vous entriez en relation avec les imprimeurs de
Buenos Aires ; toutefois, vous devrez nous informer ensuite des résultats que
vous aurez obtenus. En attendant, vous nous feriez grand plaisir et vous
rendriez un bon service à la cause si vous pouviez nous faire parvenir un
exemplaire des Anales de la Sociedad tipografica de Buenos Aires afin que nous en prenions
connaissance.
Au reste, le
mouvement international continue de progresser, en dépit de tous les obstacles.
En Angleterre, les conseils centraux des syndicats (Trades' Councils) de
Birmingham et Manchester, et avec eux les ouvriers des deux centres industriels
les plus grands du pays, viennent d'adhérer directement à notre association.
En Allemagne, le
gouvernement persécute les nôtres, tout comme Louis Bonaparte le faisait en
France il y a un an. Nos amis allemands, dont plus de cinquante sont en prison,
souffrent littéralement pour la cause internationale : ils ont été poursuivis
et arrêtés parce qu'ils se sont opposés de toutes leurs forces à la politique
de conquête et ont demandé que le peuple allemand fraternise avec le peuple
français. En Autriche aussi, beaucoup de nos amis sont emprisonnés, tandis que
le mouvement progresse néanmoins. En France, nos sections ont été partout le
centre et l'âme de la résistance contre l'invasion ; dans les grandes villes du
Midi, ils se sont emparés du pouvoir local, et si Lyon, Marseille, Bordeaux et
Toulouse ont déployé une énergie inconnue jusqu'ici, c'est uniquement grâce aux
efforts des membres de l'Internationale. En Belgique, notre organisation est
puissante, et nos sections belges viennent tout récemment de tenir leur sixième
congrès national. En Suisse, il semble que les divergences de vues qui se sont
manifestées depuis quelque temps dans nos sections soient en train de se
réduire. D'Amérique, on nous annonce l'adhésion de nouvelles sections
françaises, allemandes et tchèques (de Bohème) ; en outre, nous continuons
d'entretenir des relations fraternelles avec la grande organisation, des
ouvriers américains, la Labor League 12.
Dans l'espoir de
recevoir bientôt de nouveau de vos nouvelles, nous vous envoyons nos
salutations fraternelles.
Pour le Conseil général de l'Association
internationale des travailleurs :
F. E.
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Citoyens,
Le Conseil
général de l'Association internationale des travailleurs adresse ses félicitations
à votre VIe Congrès 13. Le
simple fait de la réunion de ce congrès prouve de nouveau que le prolétariat
belge poursuit sans défaillance ses efforts pour l'émancipation de la classe
ouvrière, même pendant qu'une guerre meurtrière et fratricide, qui remplit
d'horreur l'Europe entière, supplante pour le moment tout autre intérêt dans la
pensée publique.
C'est avec une
satisfaction particulière que nous avons vu les sections belges suivre, à
l'égard de cette guerre, notre programme d'action et énoncer des idées que
prescrivaient les intérêts du prolétariat de tous les pays : rejet de
toute idée de conquête et maintien de la République en France. Sous ce rapport,
au reste, nos amis belges se trouvent en harmonie complète avec les ouvriers
des autres pays.
Depuis
l'occupation de Rouen par les Prussiens, les dernières liaisons qui
subsistaient encore entre nous et la France ont été interrompues. Mais, en
Angleterre, en Amérique et en Allemagne, le mouvement parmi les ouvriers contre
la guerre et pour le maintien de la République s'est développé rapidement. En
Allemagne surtout, ce mouvement a pris une telle ampleur que le gouvernement
prussien s'est vu obligé, dans l'intérêt de sa politique de conquête et de
réaction, de sévir contre les ouvriers. Les dirigeants du comité central du
parti social-démocrate d'Allemagne, siégeant à Brunswick, ont été arrêtés 14 ; beaucoup de membres du même parti ont subi le
même sort. Enfin, deux députés au parlement de l'Allemagne du Nord, les
citoyens Bebel et Liebknecht, qui y représentaient les idées et les intérêts de
la classe ouvrière, ont été mis sous verrou. L'Internationale est accusée
d'avoir donné à tous ces citoyens le mot d'ordre d'une vaste conspiration
révolutionnaire. Nous avons là, n'en doutons pas, la deuxième édition du
célèbre complot de l'Internationale à Paris, complot que la police bonapartiste
disait avoir découvert et qui, après, finit par s'évaporer si misérablement. En
dépit de ces persécutions, le mouvement international des ouvriers marche et
marchera toujours.
Le présent
congrès vous offre l'occasion de constater le nombre des sections et autres
sociétés affiliées, des membres dont se compose chacune d'entre elles, afin de
vous former une idée exacte du progrès qu'a fait notre mouvement en Belgique.
Nous désirerions que vous communiquiez au Conseil général le résultat de cette
statistique sur la position de notre association chez vous, statistique que
nous aurons à cœur de compléter aussi pour les autres pays. Il va sans dire que
cette communication sera considérée par nous comme confidentielle, et les faits
qu'elle nous fera connaître ne seront pas livrés à la publicité.
De plus, le Conseil général se permet d'espérer que les sections belges, dans le courant de l'année 1871, se trouveront à même de se rappeler les résolutions des divers congrès internationaux relativement aux cotisations qui lui sont destinées. La guerre actuelle met hors de question la rentrée des fonds de la plupart des pays continentaux, et nous savons bien que les ouvriers belges se ressentent aussi de la dépression générale qui résulte de cette guerre. Aussi le Conseil général ne relève-t-il cette question que pour rappeler aux sections belges l'impossibilité où il se trouverait, sans soutien matériel, de donner à la propagande toute l'étendue qu'il souhaiterait.
En l'absence du
secrétaire pour la Belgique, le citoyen Serraillier, l'absence Conseil général
a chargé le soussigné d'adresser cette communication au Congrès.
Salut et fraternité
F. E.
Le comité
exécutif de la section allemande de l'Association internationale 15, dont le siège est à Brunswick, a lancé
le 5 de ce mois un manifeste à la classe ouvrière allemande, dans lequel il
appelait celle-ci à faire obstacle à l'annexion de l'Alsace-Lorraine et à
contribuer à une paix honorable avec la République française. Sur l'ordre du
général Vogel von Falckenstein, non seulement ce manifeste a été saisi, mais
encore tous les membres du comité, et même le pauvre imprimeur de ce document,
ont été arrêtés et déportés, chargés de chaînes tels de vulgaires criminels, à
Lötzen, en Prusse orientale.
Chère
Madame Liebknecht,
Nous venons à l'instant d'apprendre que Liebknecht, Bebel et Hepner ont été arrêtés hier 16. C'est la revanche prussienne pour les défaites morales que Liebknecht et Bebel ont déjà infligées à l'Empire prussien avant même sa naissance. Nous nous sommes tous beaucoup réjouis ici de la manifestation courageuse de tous les deux au Reichstag dans des circonstances où ce n'était vraiment pas une mince affaire que de proclamer en face, librement et fièrement, nos conceptions. Nous supposons qu'il s'agit avant tout d'une vengeance mesquine, d'une tentative pour détruire le journal, ainsi que l'interdiction de se présenter à de nouvelles élections, si bien que l'accusation de haute trahison n'est qu'un pur prétexte. Cependant, messieurs les Prussiens peuvent se tromper lourdement. En effet, étant donné l'attitude vraiment tout à fait remarquable des ouvriers allemands ‑ qui a contraint jusqu'à cette fripouille de Schweitzer à se placer sous la direction de Liebknecht et de Bebel 17 ‑, ce coup de force manquera sans doute complètement son effet et suscitera plutôt la réaction contraire. Les ouvriers allemands ont fait preuve au cours de cette guerre d'une conscience et d'une énergie qui les ont d'un seul coup placés à la tête du mouvement ouvrier européen, et vous comprendrez avec quelle fierté nous vivons cet événement 18.
Mais nous avons aussi le devoir de faire en sorte, de toutes nos forces, que nos amis emprisonnés et leurs familles en Allemagne ne souffrent pas de la misère, alors que la fête de Noël, si proche, leur donne déjà un goût amer. Nous prenons donc la liberté de vous envoyer ci-inclus un billet de banque de 5 livres sterling, sous B/10 04841, Londres, 12 octobre 1870, dont vous voudrez bien partager le montant avec Madame Bebel.
En outre, nous y
joignons 7 talers qui ont été collectés par l'Association de formation ouvrière
de Londres et qui sont destinés aux familles de ceux qui ont été arrêtés à
Brunswick. Je vous prie de bien vouloir signer pour cela la quittance ci-jointe
que vous voudrez bien me renvoyer, afin que Marx puisse rendre compte à
l'Association qu'il a acquitté sa mission.
Ma femme est une
révolutionnaire irlandaise, et vous pouvez vous imaginer quelle joie a régné
hier à la maison lorsque nous avons appris que les Fenians ont été amnistiés ‑
même si ce fut de la manière la plus minablement prussienne. Et aussitôt après,
la nouvelle de l'arrestation de nos amis en Allemagne !
Adieu, chère
Madame Liebknecht, et ne perdez pas courage. Les Prussiens et leurs supérieurs
hiérarchiques, les Russes, se sont engagés dans une histoire dont ils ne seront
pas capables d'arrêter le cours.
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Les discours et
les articles de Bebel nous font un très grand plaisir 19.
Messieurs,
quelque regrettables ou insensés ‑ comme on l'a soufflé hier dans cette
Chambre ‑ que soient les efforts de la Commune, soyez persuadés que tout
le prolétariat européen et tous les hommes épris de liberté et d'indépendance
ont le regard tourné vers Paris 20. (Vive
hilarité.) Messieurs, si
Paris est momentanément écrasé, je vous rappelle alors que la lutte de Paris
n'aura été qu'un petit accrochage d'avant-poste, que la grande bataille nous
attend encore en Europe, et que le cri de guerre du prolétariat parisien :
« Guerre aux palais, paix dans les chaumières, mort à la misère et à
l'oisiveté ! », deviendra le cri de ralliement de tout le prolétariat d'Europe.
(Hilarité 21.)
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Il n'y a aucun
mystère à éclaircir, sauf peut-être celui de la sottise humaine de ceux qui
persistent à ne pas tenir compte du fait que notre association est publique,
tout comme son action, et que ses débats sont consignés dans le détail dans des
procès-verbaux que n'importe qui peut lire 22. Vous pouvez vous procurer nos statuts pour un
penny, et si vous achetez pour un shilling de brochures, vous en saurez bientôt
sur nous autant que nous-mêmes.
‑ Qu'est-ce que l'Association internationale ?
‑ Vous
n'avez qu'à regarder les hommes qui la composent : les travailleurs...
‑ Et le dernier soulèvement à Paris ?
‑ Je voudrais tout d'abord que vous me prouviez qu'il y a eu complot, et que tout ce qui est arrivé n'a pas été l'effet normal des circonstances du moment. Oui, à supposer qu'il y ait eu complot, je demande à voir les preuves d'une participation de l'Association internationale.
‑ La présence de tant de membres de l'Association dans la Commune 23.
‑ Elle pourrait tout aussi bien avoir été un complot de francs-maçons, car leur participation, en tant qu'individus, ne fut pas négligeable 24. Je ne serais pas surpris si le pape leur mettait toute l'insurrection sur le dos. Mais essayons de trouver une autre explication. Le soulèvement de Paris fut réalisé par les ouvriers parisiens. Les ouvriers les plus capables d'entre eux devaient donc nécessairement être aussi les chefs et les responsables du mouvement. Or, il se trouve que les ouvriers les plus capables sont en même temps membres de l'Association internationale. Et, néanmoins, l'Association en tant que telle n'a pas pris en quoi que ce soit la décision de leur action.
‑ N'y a-t-il pas eu de communication secrète ?
‑ Y a-t-il
jamais eu d'association qui ait poursuivi son activité sans avoir recours à des
moyens aussi bien privés que publics ? Cependant, ce serait méconnaître
entièrement la nature de l'Internationale que de parler d'instructions secrètes
émanant de Londres sous forme de décrets en matière de foi et de morale
provenant de quelque centre pontifical de domination et d'intrigue. Cela
impliquerait que l'Internationale forme une sorte de gouvernement central,
alors qu'en réalité la forme d'organisation garantit au contraire la plus
grande marge de jeu à l'initiative locale et à l'esprit d'entreprise. En
pratique, l'Internationale n'a rien d'un gouvernement de la classe ouvrière en
général, c'est un organe d'unification plutôt que de commandement.
‑ Quel est le but de cette union ?
‑ Conquérir l'émancipation
économique de la classe ouvrière grâce à la conquête du pouvoir politique, et
utiliser cette force politique pour la réalisation de ses buts sociaux. Les
objectifs de l'Internationale doivent nécessairement être assez vastes pour
embrasser toutes les formes d'activité de la classe ouvrière. Leur donner un
caractère particulier, ce serait les adapter aux besoins d'une seule section ou
aux besoins des travailleurs d'une seule nation. Or, comment pourrait-on
demander à tous de s'unir pour réaliser les intérêts de quelques-uns seulement ? Si notre association agissait de
la sorte, elle n'aurait plus le droit de s'appeler Internationale. L'Association
ne dicte aucune forme déterminée aux mouvements politiques : elle exige
seulement que ces mouvements tendent vers un seul et même but final. Elle
embrasse un réseau de sociétés affiliées qui s'étend à l'ensemble du monde du
travail. Dans chaque partie du monde surgissent des aspects particuliers du
problème général, et les ouvriers doivent en tenir compte dans leurs actions et
leurs revendications 25. Les
ententes ouvrières ne peuvent pas être identiques dans tous les détails à
Newcastle et à Barcelone, à Londres et à Berlin. En Angleterre, par exemple, la
voie par laquelle la classe ouvrière entend développer sa puissance politique
lui est ouverte. Une insurrection serait une sottise là où l'agitation
pacifique peut atteindre plus vite et plus sûrement le but 26. En France, la multitude des lois de répression
et l'antagonisme mortel entre les classes semblent rendre inévitable une
solution violente aux conflits sociaux. Le choix de cette solution concerne la
classe ouvrière de ce pays. L'Internationale ne prétend pas dicter ses volontés
en la matière : elle a déjà assez de peine à donner des conseils. Cependant,
elle exprime à tout mouvement sa sympathie, et lui accorde son aide dans le
cadre que lui assignent ses propres statuts.
‑ En quoi consiste cette aide ?
‑ Voici un exemple de cette aide. L'un des moyens qu'utilise le plus fréquemment le mouvement d'émancipation, c'est la grève. Quand une grève éclatait jadis dans un pays, elle était étouffée par l'importation de main-d'œuvre étrangère. L'Internationale a pratiquement mis un terme à ces procédés. Après qu'on l'a informée d'une grève qui se prépare, elle transmet la nouvelle à ses membres qui apprennent ainsi que le lieu de la lutte est un terrain défendu. Ainsi, les fabricants ne peuvent plus compter que sur leurs propres ouvriers. Dans la plupart des cas, les grévistes n'ont pas besoin d'une autre aide. Leurs propres fonds ou les collectes faites par d'autres associations auxquelles ils sont plus ou moins directement affiliés leur fournissent une assistance. Cependant, si leur situation devient trop difficile et si la grève a trouvé l'appui de l'Internationale, les ressources nécessaires sont tirées d'une caisse commune. C'est ainsi que la grève des ouvriers des usines textiles de Barcelone a été couronnée de succès il y a quelques jours.
Toutefois,
l'Internationale n'a pas intérêt à fomenter des grèves : elle les soutient dans
certaines conditions 27. Elle
n'y gagne rien du point de vue pécuniaire, au contraire.
Résumons tout
cela en un mot. La classe ouvrière reste pauvre au milieu d'un accroissement de
richesses et végète misérablement au milieu d'un luxe toujours croissant. La
misère matérielle débilite l'ouvrier, moralement aussi bien que physiquement.
La classe ouvrière n'a rien à espérer d'une autre classe. C'est pourquoi il est
absolument nécessaire qu'elle défende elle-même sa cause. Elle doit modifier
son attitude envers les capitalistes et les propriétaires fonciers, et cela
signifie qu'elle doit transformer toute la société. Tel est, pratiquement, le
but général de toute l'organisation ouvrière : les ligues ouvrières et
paysannes, les syndicats et sociétés de secours mutuel, les coopératives de
production et de consommation ne sont tous que des moyens pour atteindre ce
but.
L'Association
internationale des travailleurs a pour devoir de réaliser une solidarité authentique et effective entre
ces organisations. Son influence commence à se faire sentir partout. Deux
journaux propagent ses idées en Espagne, trois en Allemagne, trois en Autriche
et en Hollande, six en Belgique et six en Suisse. Après ce que je vous ai dit
de l'Internationale, vous pouvez peut-être vous former une opinion vous-même
sur les prétendus complots.
‑ Je ne vous suis pas très bien.
‑ Ne
voyez-vous pas que la vieille société, qui n'a pas la force de nous affronter
avec les armes de la discussion ou de la coalition régulière, doit user de
fraude et nous accuser de conspiration ?
‑ La police française ne déclare-t-elle pas être en mesure de prouver la complicité de l'Internationale dans le dernier conflit, pour ne pas parler des précédents ?
‑ Mais
parlons donc de ces tentatives précédentes. Cela nous permettra d'apprécier à
leur juste valeur les accusations portées contre l'Internationale. Vous vous
souvenez de l'avant-dernier « complot » lors du plébiscite. Bien des
électeurs paraissaient irrésolus et n'avaient plus un sentiment positif sur le
régime impérial, sur ce régime dont on leur avait dit qu'il avait sauvé la
société de redoutables dangers auxquels ils ne croyaient plus à présent. Il
fallut donc un nouvel épouvantail, et la police se mit en chasse. Toutes les
coalitions ouvrières lui étaient odieuses, et elle avait, bien entendu, un
compte à régler avec l'Internationale. Une idée lumineuse lui vint : l'Internationale
ne ferait-elle pas un magnifique épouvantail 28 ? Ce choix aurait le double avantage de
discréditer l'Association et de racoler des sympathies pour la cause impériale.
C'est cette heureuse idée qui a donné naissance au ridicule « complot » contre
la vie de l'Empereur ‑ comme si nous avions la moindre envie de tuer
cette ridicule vieille baderne. On a arrêté les membres dirigeants de
l'Internationale. On a fabriqué de faux témoignages, et dans le même temps on a
procédé au plébiscite. Mais la comédie qu'on voulait monter prit rapidement les
allures d'une farce, et de l'espèce la plus grossière 29.
Il y a en Europe des gens avertis qui ont été les témoins de toute cette affaire et dont le jugement n'a pas été abusé un seul instant. Seul l'électeur des campagnes françaises a avalé la couleuvre. Les journaux anglais ont raconté le début de cette affaire, mais ils ont omis d'en publier la fin. Par respect envers le pouvoir, les juges français durent admettre l'existence du complot, mais ils furent bien obligés de reconnaître qu'aucune preuve n'existait de la complicité de l'Internationale. Or, il en est du second complot comme du premier. Un fonctionnaire français est chargé de faire son rapport sur le plus grand mouvement politique que le monde ait jamais connu. Les conditions de l'époque sont là qui, en cent occasions, pourraient lui suggérer une explication raisonnable : les ouvriers gagnent chaque jour en intelligence, les puissances dominantes sombrent dans le goût du luxe et l'incompétence ; l'histoire continue d'avancer, et elle doit aboutir au transfert du pouvoir d'une seule classe à celle de tout le peuple. De toute évidence, l'époque, les lieux, les conditions se prêtent au grand mouvement de l'émancipation. Mais, pour apercevoir ces signes, le fonctionnaire devrait être un philosophe, et il n'est qu'un mouchard. Comme le veut la loi de sa fonction, il en vient donc à une explication de mouchard ‑ à une conspiration. Il a gardé un vieux dossier de documents fabriqués, il en extraira ses preuves, et cette fois l'Europe qui tremble ajoutera foi à sa fable.
Tenez, voici un
exemple : le journal La Situation. Il y est dit : « Le docteur Karl Marx, de l'Internationale, a été arrêté
en Belgique, alors qu'il cherchait à passer en France. Depuis longtemps, la
police londonienne avait l'œil sur l'Association à laquelle il est rattaché, et
prend en ce moment des mesures énergiques pour la supprimer. »
Deux phrases,
deux mensonges. Vous éprouverez la véracité de la première grâce au témoignage
de vos sens : constatez que je ne suis point dans une prison belge, mais bien à
mon domicile en Angleterre. D'autre part, vous n'êtes pas sans savoir que la
police anglaise a aussi peu le pouvoir de se mêler des affaires de
l'Internationale que notre Association n'en a de se mêler des affaires de la
police. Et pourtant, une chose est sûre : ce rapport fera le tour de la
presse du continent sans recevoir le moindre démenti, et il irait son chemin
quand bien même je m'aviserais d'envoyer ici, à chacun des journaux d'Europe,
une lettre circulaire...
‑ Pourquoi avez-vous établi ici votre quartier général ?
‑ Pour des
raisons bien simples : ici, le droit d'association est chose bien établie. Il
existe en Allemagne, c'est certain, mais il y est entravé par mille difficultés
; et, en France, il n'existe plus depuis bien des années.
‑ Et aux États-Unis ?
‑ Les
centres principaux de notre activité se trouvent pour le moment au sein des
vieilles sociétés européennes. Jusqu'à présent, de nombreuses circonstances ont
empêché les problèmes du travail de prendre une importance universelle aux
États-Unis. Mais ces conditions disparaissent rapidement, et le problème est en
passe d'y devenir essentiel. En effet, là-bas tout comme en Europe, on y voit
se développer une classe de travailleurs distincte de la société et en rupture
avec le capital.
‑ Il semble qu'en Angleterre la solution espérée, quelle qu'elle soit, puisse être obtenue sans révolution violente. Le système anglais permet l'agitation par la tribune et la presse, jusqu'à conversion des minorités en majorités. Il y a là de quoi espérer.
‑ Je ne
suis pas aussi optimiste que vous. La bourgeoisie anglaise a toujours accepté
de bonne grâce le verdict de la majorité, tant qu'elle se réservait le monopole
du droit de vote. Mais, croyez-moi, aussitôt qu'elle se verra mise en minorité
sur des questions qu'elle considère comme vitales, nous verrons ici une
nouvelle guerre esclavagiste 30.
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Vous recevrez la
semaine prochaine un appel du Conseil général de l'Internationale en faveur des
Communards réfugiés 31. La
masse principale s'en trouve à Londres (plus de 80 à 90 maintenant). Le Conseil général
les a préservés jusqu'ici de la ruine, mais, depuis ces deux dernières
semaines, nos moyens financiers ont fondu, tandis que le nombre des nouveaux
arrivants s'accroît de jour en jour, et ils sont dans un état digne de
compassion. J'espère que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir à New
York 32. En Allemagne, tous les moyens du parti
sont encore absorbés par les victimes des persécutions policières de ces
derniers temps 33, de même en Autriche, en Espagne et en
Italie. En Suisse, ils n'ont pas seulement à aider leur propre lot de réfugiés
de la Commune, mais encore à soutenir les ouvriers lock-outés de Saint-Gallien,
qui font partie de l'Internationale. En Belgique, enfin, il y a aussi une
partie non négligeable de Communards qui a trouvé refuge, et les Belges doivent
en outre assister ceux qui y passent lorsqu'ils se rendent à Londres.
En raison de ces
circonstances, tout l'argent pour la masse des réfugiés à Londres a été tiré
jusqu'ici presque exclusivement d'Angleterre. Le Conseil général comprend
maintenant les membres suivants de la Commune : Serraillier, Vaillant, Theisz,
Longuet et Frankel, et les agents de la Commune suivants : Delahaye,
Rochat-Bastelica, Chalain.
Retour à la table des matières
Comme je vous en
informais dans ma dernière lettre 34, j'ai
estimé qu'il était de mon devoir de communiquer le contenu de votre lettre sur
la grève des cigariers au Conseil général dans sa séance d'hier 35. En même temps, j'ai demandé au Conseil de bien
vouloir faire parvenir à nos membres d'Anvers 36 toute l'aide et le soutien possibles.
Ma proposition a
trouvé un soutien chaleureux, notamment chez le citoyen Cohn, président des
cigariers de Londres. Il avait juste auparavant communiqué au Conseil que, pour
soutenir la grève, les cigariers de son syndicat avaient approuvé un prêt de
150 livres sterling ‑ soit environ 3 750 francs ‑ à vos frères
d'Anvers ; que l'association des cigariers belges qui travaillent ici a accordé
20 livres sterling ; un autre syndicat d'ici ainsi que les cigariers de
Liverpool sont prêts à vous consentir des avances pour soutenir la grève, etc.
Là-dessus, le Conseil a décidé à l'unanimité :
1. de faire rédiger aussitôt un appel à
tous les syndicats anglais de Londres et de la province, de le faire imprimer
et de l'envoyer à toutes les associations, afin de réclamer qu'elles
soutiennent les grévistes d'Anvers ;
2. d'envoyer des délégations du Conseil à
tous les grands syndicats centralisés de Londres avec lesquels il est en
relation, afin de les gagner à la même cause.
Comme nous avons
appris du citoyen Cohn que vous avez déjà entrepris les démarches nécessaires
pour éviter que les fabricants anversois n'embauchent des cigariers hollandais
pour contrecarrer de semblables tentatives en Angleterre aussi, nous nous
sommes bornés à faire paraître dans notre journal allemand ‑ le Volksstaat de Leipzig ‑ un entrefilet dans
lequel nous informons les cigariers allemands de la grève que vous avez
déclenchée en soulignant
qu'ils ont le devoir d'empêcher tout enrôlement d'ouvriers pour briser la grève
d'Anvers et, si possible, qu'ils mettent à votre disposition des fonds de
soutien. Il paraîtra la semaine prochaine ; nous avons, en outre, attiré
l'attention du rédacteur (W. Liebknecht) sur votre grève et lui avons demandé
de se préoccuper de votre cause.
Il est difficile
de préjuger des résultats de ces diverses démarches. Si les syndicats anglais
nous consentent des prêts, il faudra quelques semaines pour accomplir les
formalités indispensables. On peut supposer que les syndicats allemands ne
pourront pas rassembler des fonds et la guerre a sans doute vidé les caisses.
Je vous prie de
bien vouloir me tenir au courant de l'évolution de la grève des cigariers, afin
que je puisse, le cas échéant, agir dans les délais les plus rapides, sans
perte de temps. Est-il vrai que les 300 cigariers de Bruxelles font également
grève, comme le dit le citoyen Cohn ? Le Conseil n'en a pas été informé, et si
cela était vrai, les Bruxellois auraient bien tort. En effet, comment
pouvons-nous entreprendre quoi que ce soit si l'on ne nous informe pas ?
Depuis un certain
temps, le Conseil n'a plus reçu les exemplaires du Werker. Le Conseil général doit recevoir deux
exemplaires de chaque
journal : le premier pour sa bibliothèque, où nous avons entrepris d'établir
une collection complète de tous les journaux ouvriers, afin de faciliter la
rédaction future de l'histoire du mouvement prolétarien de tous les pays ; le
second pour le secrétaire du pays dans lequel paraît le journal. Il serait
vraiment dommage que nous ne recevions plus le Werker que nous avons lu attentivement à chaque
fois.
Les 150 livres
sterling ont dû partir aujourd'hui. Si vous ne les avez pas reçues vingt-quatre
heures après cette lettre, écrivez immédiatement au citoyen Cohn, dont vous
avez l'adresse.
Je considérerai
qu'il est de mon devoir de faire tout ce qu'il est possible pour les ouvriers
d'Anvers que j'ai l'honneur de représenter au Conseil 37.
Les cigariers
anversois prétendent qu'à l'époque ils ont envoyé 3 000 francs pour soutenir la
grande grève des cigariers allemands 38. La grève dure toujours à Anvers et Bruxelles, et
si ce que l'on me dit de ces 3 000 francs est exact, il serait bougrement de
votre devoir en Allemagne de payer votre dette. Je te prie de te renseigner à
ce sujet, et lorsque tu auras appris quelque chose, tu feras bien d'écrire
quelque chose à ce sujet dans le Volksstaat.
J'ai reçu normalement vos deux lettres du 1er mai et 1er août, dans lesquelles j'apprends que les cigariers d'Anvers n'étaient pas rattachés à l'Internationale, et ne le sont même pas aujourd'hui 39. Je suis très étonné de ce qu'on ne m'en ait pas informé dès le début de la grève, car tout ce que nous avons fait pour eux ici ‑ et cela n'a pas été une petite chose puisque nous leur avons tout de même procuré quelque 15 000 francs ‑, nous l'avons fait dans la croyance que nous le faisions pour des membres de l'Internationale. Or, voilà que l'on nous apprend que non seulement ils n'étaient pas rattachés à l'Internationale, mais que même aujourd'hui ils ne se sont pas affiliés à elle, après tout ce que nous avons fait pour eux ! C'est tout de même un peu fort, et en ce qui me concerne j'ai décidé de ne plus rien faire pour des gens qui manquent à ce point de reconnaissance. Ces messieurs appellent-ils solidarité le fait qu'ils empochent l'argent des ouvriers d'Angleterre et d'ailleurs que leur procure l'Internationale et, après l'avoir empoché, n'adhèrent même pas à notre association pour démontrer par là qu'ils sont prêts à leur tour à agir solidairement avec les autres ?
Cela ne
correspond pas à notre conception, et ce n'est pas le devoir de
l'Internationale d'œuvrer pour des gens de cette sorte. Quiconque est disposé à
recevoir le soutien de notre association doit être prêt aussi à contribuer pour
sa part à ses charges, et le moins que vous puissiez faire pour le démontrer,
c'est que vous adhériez à l'Internationale. Des gens qui demandent à cor et à
cri de l'argent à l'Internationale, et refusent en même temps de reconnaître
notre cause, méritent d'être exploités par les bourgeois, puisqu'ils rejettent
le seul moyen de salut possible contre l'exploitation capitaliste : l'union et
l'organisation des ouvriers de toute l'Europe.
Depuis que
l'Internationale existe, il n'y a pas eu un seul cas du même genre : il
demeurait réservé aux cigariers d'Anvers de mendier le secours de
l'Internationale et, après l'avoir obtenu, de nous faire dire : merci,
Messieurs, vous pouvez vous retirer, nous n'avons plus besoin de vous, la porte
est là !
J'espère que je
vous juge trop durement, et que vous vous serez affiliés avant ce jour ; mais
si vous ne le faites pas immédiatement vous devrez reconnaître que votre
comportement est d'une grande bassesse, et tant que je n'aurai pas reçu la
nouvelle de votre affiliation, je m'opposerai à ce que l'on vous envoie encore
un seul centime. Nous pouvons utiliser notre argent avec une utilité bien plus
grande pour des hommes qui sont des nôtres.
Vous me demandez
si les cigariers de Londres sont affiliés ? Mais oui, et cela va de soi, depuis
la création de l'Internationale. Leur président ‑ le citoyen Cohn ‑les
représente au Conseil général. J'ai discuté avec lui de la lettre qu'il doit
écrire à votre demande aux Anversois pour leur affiliation. Je me demande
cependant quel effet peut avoir une lettre là où 15 000 francs n'ont eu aucun
résultat ?
Le Werker continue de nous arriver très
irrégulièrement, et en un seul exemplaire seulement. Étant donné que très peu
d'ouvriers comprennent le flamand ici, il sera difficile de vous trouver des
abonnements en Angleterre ; j'ai cependant prié les membres du Conseil de faire
la propagande pour votre journal.
1 Cf. MARx, Révélations sur le procès des communistes, 1852.
Les textes de la révolution de 1848‑1849 s'achèvent avec les procès-verbaux des réunions de parti. L'échec de la tentative révolutionnaire se répercute sur l'organisation, qui se désagrège et s'éteint pour une période assez longue.
Les débats des rares procès-verbaux qui sont parvenus jusqu'à nous ont le plus haut intérêt : toutes les thèses qui sont passées par l'épreuve du feu révolutionnaire s'y heurtent et y sont soumises à une critique impitoyable. L'organisation formelle du parti n'y résistera pas, en dépit des efforts de Marx. Cependant, la prochaine organisation qui naîtra profitera de la lutte et de l'expérience de ces batailles de parti, et n'en sera que plus forte.
Ces combats révolutionnaires d'arrière-garde au sein même de l'organisation constituent les sommets de l'activité du parti ; c'est là où s'effectue la synthèse vibrante de l'expérience d'une classe qui vient de vivre ses moments les plus dramatiques et cruciaux.
2 Marx fait allusion au comité central de la démocratie européenne, fondée à Londres en juin 1850 à l'initiative de Mazzini et rassemblant les émigrés politiques de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie des divers pays du continent.
3 Faute d'avoir trouvé ce procès-verbal dans le texte original, nous le reprenons de la plume de Marx. Notons que certains passages en sont similaires à ceux du procès-verbal de la réunion du 17 septembre, mais des détails diffèrent, et ils ne manquent pas d'intérêt, ce qui saute aux yeux si l'on complète un texte par l'autre.
4 Cette formule définit l'opportunisme, dont l'un des traits fondamentaux est de préférer la voie la plus courte, la plus commode et la moins ardue à la voie la plus longue, la plus difficile et la plus hérissée d'obstacles, mais la plus directe. La voie directe est celle où l'action pratique immédiate, dans la situation donnée du moment, répond le mieux aux principes et au programme communistes, c'est-à-dire au but historique du prolétariat.
L'opportunisme n'est pas une tare morale, mais l'expression de la prédominance politique dans les rangs ouvriers de couches proches de la petite bourgeoisie (comme Marx et Engels le montrent ici : la prédominance d'artisans de type petit-bourgeois, et plus tard en Angleterre : l'aristocratie ouvrière), dont les positions sont plus ou moins consciemment inspirées par les idées-mères de la classe dominante, et donc par ses intérêts sociaux.
De l'expérience amère de tous les opportunismes successifs à l'échelle historique, il faut tirer aujourd'hui cet avertissement : le parti doit éviter toute décision et tout choix qui pourraient être dictés par le désir d'obtenir de bons résultats pour un travail et un sacrifice moindres. Un tel désir peut sembler innocent, mais il traduit la tendance des petits-bourgeois à la paresse, et il obéit au principe fondamental du capitalisme qui est d'obtenir le maximum de profit pour le minimum de frais. Marx et Engels ont fait de la règle contraire leur maxime de vie, prenant sur eux les tâches ingrates de « taupe », et fuyant la facilité et la popularité. Il pourrait sembler que cette position ne se trouve pas à la lettre dans la tactique de Lénine ; mais elle n'est qu'une généralisation poussée de l'expérience historique, et Lénine était à l'école de l'histoire.
Dans la Critique du projet de programme social-démocrate de 1891, Engels définit l'opportunisme ou immédiatisme d'une manière classique : « Cet oubli des grandes considérations essentielles devant les intérêts passagers du jour, cette course aux succès éphémères et la lutte qui se livre tout autour, sans souci des conséquences ultérieures [sur le programme et le but communistes], cet abandon de l'avenir du mouvement que l'on sacrifie au présent, tout cela a peut-être des mobiles honnêtes. Mais cela est et reste de l'opportunisme. Or, l'opportunisme 'honnête' est sans doute le, plus dangereux de tous. »
À chaque phase successive du mouvement ouvrier, les tâches deviennent non plus faciles, mais au contraire plus amples et difficiles. L'opportunisme est alors toujours en retard d'une phase.
La phase de l'insurrection armée et de la transformation économique de la société arrachée par la violence au contrôle du capital est certes plus difficile que celle de la préparation révolutionnaire, de la constitution du prolétariat en classe. L'opportunisme qui se présente toujours comme parti d'action, de construction et de réalisme ne s'active alors que dans les réformes possibles, reculant devant les tâches révolutionnaires difficiles. En période de préparation révolutionnaire, il évite ainsi comme la peste le travail illégal et ingrat pour se pavaner sur la scène politique du parlement où il excelle, trouvant dans la méthode démocratique la forme commode d'une action légale et rituelle.
Les braves artisans comme Schapper, qui exprimaient avec une certaine logique leur impatience et leur paresse, étaient moins dangereux et ne sévissaient qu'en période révolutionnaire. C'est pourquoi leur emprise idéologique sur les masses était bien moins ample, comme Marx le notera dans la suite de son exposé. La social-démocratie, qui donnera infiniment plus de fil à retordre à Marx-Engels, n'apparaîtra que bien plus tard, au cours de la période de développement idyllique du capitalisme, et ‑ hélas ‑ ne fera que se gonfler au cours de la phase impérialiste et sénile du capital.
5 Si la lecture de Marx-Engels a un sens plus d'un siècle après qu'ils ont écrit leur théorie dans le feu de la bataille, dans ses phases les plus diverses, leur critique des fétichistes du peuple s'applique aujourd'hui à tous les communistes dégénérés, qu'ils relèvent de Moscou ou de Pékin, mais qui se retrouvent tous pour tourner le dos au prolétariat vivant et actuel pour adorer la masse confuse et hybride du peuple cher aux démocrates bourgeois classiques, mais surannés.
6 Cf. MARX-ENGELS, Werke, 8, texte établi d'après le manuscrit.
7 Il s'agit de l'Association allemande pour la formation des ouvriers que Marx-Engels quitteront ce jour même, parce qu'elle s'était rangée aux côtés de la minorité Willich-Schapper de la Lire des communistes.
8 De fait, le projet de Schapper, en coiffant toutes les communes d'Allemagne par une direction à Cologne, brisait l'unité et le principe de centralisation de la Ligue des communistes. En transférant le centre pour les différents pays à Cologne, le projet de Marx maintenait, au contraire, son unité, sa centralisation et son internationalisme.
9 En décembre 1850, le Conseil central de Cologne rédigera de nouveaux statuts d'après les indications de Marx. Cf. Werke, 7, p. 565-567.
10 Marx fait allusion à l' « Adresse du Conseil central à la Ligue » (mars 1850) que nous ne reproduisons pas ici, ainsi que celle fort importante de juin 1850, cf. en traduction française en annexe du volume édité par Costes, Karl Marx devant les jurés de Cologne.
11 Marx définit l'action politique comme le domaine de la volonté par excellence. Dans la conception idéaliste bourgeoise, l'État découle de l'acte des innombrables volontés souveraines des libres citoyens d'un pays. Toute décision politique découle de même d'une volonté et dune conscience : toute déviation ou déformation de la vision révolutionnaire marxiste tend à cette conception volontariste du développement social. Au reste, tous les rapports de la société bourgeoise suggèrent irrésistiblement l'idée d'un choix politique, bien ou mal fait, par la ou les volontés. De la sorte, tout opportunisme repose sur l'idée qu'il existe une autre voie ‑ plus courte et plus rapide ‑ que la volonté doit imposer, ou qu'on peut modifier son Influence l'accroître ‑ auprès du grand nombre par des manœuvres, des manipulations de programme, quitte à revenir sur la voie initiale, comme si tout cela n'entraînait pas ses conséquences (qui sont trop matérielles pour être effacées par un acte de volonté).
Certes, comme le dit Marx, les hommes font leur histoire, mais non comme ils le pensent ni comme ils le veulent. Toute la question est, en effet, de savoir comment les hommes interviennent dans leur histoire. Aux yeux du marxisme, ce sont les classes qui sont les grandes forces de l'histoire, et leur lutte constitue le moteur du développement. Dans la classe, l'uniformité et le parallélisme des conditions créent une force et constituent une cause du développement historique. Mais là encore l'action précède la volonté, et à plus forte raison la conscience de classe.
La classe devient sujet de conscience (c'est-à-dire de buts programmatiques) quand s'est formé le parti, quand s'est formée la doctrine, au travers de dures luttes. C'est dans la collectivité plus restreinte constituée par le parti que l'on commence, en tant qu'organe unitaire, à trouver un sujet d'interprétation de l'histoire, de ses possibilités et de ses voies. L'intervention révolutionnaire ne peut s'effectuer à tous moments, mais seulement dans de rares situations dues à la complète maturation des contradictions de la base productive. C'est alors que le parti est non seulement un sujet de conscience, mais de volonté ‑ liée à des déterminations matérielles et à l'action passée et cette volonté est politique, en s'appuyant sur des forces ou superstructures de l'organisation de parti ou d'État. La classe trouve, dans l'histoire, un guide dans la mesure où les facteurs matériels qui la meuvent se cristallisent dans le parti, et où celui-ci possède une théorie complète et continue, une organisation elle aussi universelle et continue, qui ne se fait ni ne se défait à chaque tournant par des agrégations et des scissions.
12 Marx fait allusion à l'Association allemande pour la formation des ouvriers.
13 De 1848 à 1851 le parti radical-démocratique petit-bourgeois de Ledru-Rollin porta le nom de Montagne, en souvenir de l’aile radicale des Jacobins siégeant à l'Assemblée nationale de la Révolution française.
La Presse, organe des républicains bourgeois de 1848‑1849, puis des bonapartistes.
14 Les positions du parti révolutionnaire ‑ ou mieux de classe ‑ ne doivent pas seulement synthétiser l'expérience et les tâches de la révolution, mais encore celles de la contre-révolution. Schapper en fournit un exemple ici, qui éclate dans les divergences séparant les deux tendances de la Ligue.
Les positions exprimées par Marx sur la nature de la révolution en Allemagne, à savoir le déroulement selon des phases économiques, politiques et sociales nécessaires (d'abord phase bourgeoise, puis prolétarienne), sont dictées non par les désirs ou la volonté, mais par le cours matériel de 1’histoire vivante. La théorie révolutionnaire doit englober les phases de la contre-révolution : les positions de Marx-Engels dans la tourmente révolutionnaire impliquaient effectivement qu'en cas d'échec de la tentative prolétarienne l'histoire mettrait à l'ordre du jour la lutte pour la révolution bourgeoise nationale, effectuée finalement par Bismarck et achevée par la formation de l'Empire unitaire allemand. La position de Schapper, en revanche, heurte toute l'évolution ultérieure, donc tous ses apports positifs et négatifs, qui forment la base de l'assaut futur.
15 Le 26 janvier 1894 encore, Engels écrivait à ce propos à Turati : « Après la victoire commune, on pourrait nous offrir quelques sièges au gouvernement, mais toujours en minorité. Cela est le plus grand danger. Après février 1848 les démocrates socialistes français (La Réforme, Ledru-Rollin, L. Blanc, Flocon, etc.) ont commis la faute d'accepter de pareils sièges. Minorité au gouvernement des républicains purs (National, Marrast, Bastide, Marie), ils ont partagé volontairement toutes les infamies votées et commises par la majorité, toutes les trahisons de la classe ouvrière à l'intérieur. Et pendant que tout cela se passait, la classe ouvrière était paralysée par la présence au gouvernement de ces messieurs qui prétendaient l'y représenter. »
16 De 1792 à 1794, la Commune dirigea en fait la lutte des masses vers l'application de diverses mesures révolutionnaires par « une pression de l'extérieur ». Elle joua un rôle important dans le renversement de la monarchie, l'instauration de la dictature jacobine, l'introduction des prix maxima, l'adoption de la loi des suspects dirigée contre les éléments contre-révolutionnaires, etc. L'organisation de la Commune fut mise en pièces lors du coup d'État contre-révolutionnaire du 9 Thermidor (27‑7‑1794).
17 Cf. Engels, introduction à la troisième édition allemande de l'ouvrage de Marx, Révélations sur le procès des communistes de Cologne, Londres, le 8 octobre 1885.
Ce texte et celui de Marx de La Nouvelle Gazette ont été écrits par Engels bien après l'événement comme contribution à l'histoire du mouvement ouvrier allemand afin que l'expérience des années héroïques ne soit pas perdue pour les générations ultérieures. N'étant pas écrits dans le feu de l'action, ils forment une sorte de synthèse et de conclusion des luttes révolutionnaires de la première avant-garde communiste du mouvement ouvrier moderne.
18 Le premier tome renferme l' « histoire » du mouvement ouvrier à l'intention des policiers ; les annexes reproduisent les documents de la Ligue des communistes tombés entre les mains de la police. Le second tome reproduit une « liste noire » avec des indications biographiques sur les personnes qui étaient en relation avec le mouvement ouvrier et le mouvement démocratique.
19 Cf. traduction française : Karl Marx devant les jurés de Cologne (9 février 1849) suivi de Révélations sur le procès des communistes (4 octobre 1852), par J. Molitor, Paris, éd. Costes, 1939. Ce volume contient en annexe les deux « Adresses du Conseil central à la Ligue » (mars et juin 1850), le tout est précédé de la préface d'Engels de 1885.
20 Engels fait allusion à un épisode caractéristique de la lutte des démocrates allemands contre la réaction qui avait relevé la tête après le Congrès de Vienne. Le 3 avril 1833, un groupe d'éléments radicaux, essentiellement étudiants, tenta, en attaquant la Garde du Constable et la Grande-Garde de Francfort, de donner le signal à un assaut contre le siège de la Diète et, par là, à un soulèvement révolutionnaire dans toute l'Allemagne. L'entreprise, insuffisamment préparée, voire trahie au préalable, ne donna aucun résultat révolutionnaire.
21 En février 1834, le démocrate bourgeois Mazzini, en liaison avec des membres de la ligue secrète Jeune Italie (qu'il avait fondée en 1831) et un groupe d'émigrés révolutionnaires, réfugiés en Suisse, tenta de pénétrer en Savoie qui faisait alors partie du royaume de Sardaigne (Piémont). Il voulait y organiser un soulèvement populaire afin d'unifier l'Italie et d'y instaurer une république démocratique bourgeoise. Les troupes piémontaises mirent en pièces le groupe révolutionnaire.
22 Nom donné par les autorités prussiennes, après la défaite de Napoléon Ier et la victoire de la monarchie constitutionnelle de Prusse, aux patriotes allemands qui voulaient poursuivre la lutte pour l'indépendance et l'unité de l'Allemagne. En 1819, les autorités instaurèrent une commission spéciale afin d'enquêter sur les « méfaits des démagogues » dans tous les États allemands. La répression fut extrêmement dure contre les éléments libéraux et démocratiques.
23 Comme je l'ai déjà dit, j'entends par communisme égalitaire celui qui s'appuie exclusivement ou essentiellement sur la revendication de l'égalité. (Note d'Engels.)
24 Cette association fut fondée à Londres le 7 février 1840 par Karl Schapper, Joseph Moll, Heinrich Bauer et d'autres membres de la Ligue des justes. Marx et Engels prirent une part active au travail de cette association en 1847 et 1849-1850. Le 17 septembre, Marx, Engels et quelques-uns de leurs amis quittèrent l'Association, parce que la majorité avait pris parti pour la fraction Willich-Schapper qui s'opposait au Conseil central de Marx-Engels dans la Ligue des communistes. Marx-Engels reprirent leur activité dans l'Association vers 1860. Le gouvernement anglais interdit l'Association en 1918 ; de nombreux réfugiés russes animaient alors les activités de cette association.
25 Engels cite un extrait des « Notes critiques relatives à l'article Le roi de Prusse et la Réforme sociale. Par un Prussien » écrites par Marx et publiées le 7 août 1844 dans le Vorwärts (trad. fr. : Écrits militaires, p. 156‑176).
Vorwärts !, journal allemand bihebdomadaire qui parut à Paris de janvier à décembre 1844 et auquel Marx-Engels collaborèrent. Sous l'influence de Marx qui fit partie de la rédaction à partir de l'été 1844, le journal prit un tour communiste. À la demande du gouvernement prussien, le ministère Guizot décréta l'expulsion de Marx et de quelques autres collaborateurs du Vorwärts en janvier 1845, date à laquelle le journal cessa de paraître.
26 Les Annales franco-allemandes, publiées en langue allemande à Paris sous la direction de Marx et de Ruge. Le premier numéro sortit en double livraison en février 1844, et renfermait « La Question juive »» et la « Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, introduction » de Marx, ainsi que l'étude d'Engels, « Esquisse d'une critique de 1 économie politique » et « La Situation de l'Angleterre. Passé et Présent par Thomas Carlyle », Londres, 1843. La revue cessa de paraître à la suite des divergences théoriques survenues entre Marx et le radical bourgeois Ruge.
27 Il s'agit d'un journal bihebdomadaire, fondé par des réfugiés politiques allemands à Bruxelles. Il parut du 3 janvier 1847 à février 1848. Son orientation était d'abord déterminée par le démocrate petit-bourgeois Adalbert von Bornstedt qui s'efforçait de concilier entre elles les diverses tendances du camp radical et démocratique. Cependant, sous l'influence de Marx-Engels, à partir de 1’été 1847, ce journal devint de plus en plus le porte- parole des éléments démocratiques-révolutionnaires et communistes. En septembre 1847, Marx-Engels collaborèrent en permanence au journal et eurent une influence déterminante sur son orientation. Ils prirent pratiquement la tête du journal au cours des derniers mois de 1817. Sous leur influence, le journal devint l'organe du parti révolutionnaire en formation : la Ligue des communistes.
28 Hebdomadaire anglais, organe central des chartistes, de 1837 à 1852, paraissant d'abord à Leeds, puis à Londres à partir de novembre 1844. Le fondateur et le directeur en fut Feargus O'Connor ; au cours des années 1840, ce fut George Julian Harney qui se chargea de la rédaction. Engels collabora à ce journal de septembre 1845 à mars 1848.
29 Quotidien français, porte-parole des démocrates petits-bourgeois, des républicains ainsi que des socialistes petits-bourgeois. Il parut de 1843 à 1830 à Paris ; d'octobre 1847 à janvier 1848, Engels y publia plusieurs articles.
30 Il s'agit de l'hebdomadaire Der Volks-Tribun, fondé par les « vrais socialistes » à New York et publié du 5 janvier au 31 décembre 1846.
31 Cf. la circulaire rédigée par Marx-Engels expliquant la résolution d'exclusion de Hermann Kriege, Bruxelles le 11-5-1846. Traduction française : Cahiers de l'I. S. E. A., Série S, Études de marxologie, no 4.
32 Pfänder est mort en 1876 à Londres. C'était un homme d'une profonde finesse d'esprit plein d'humour et d'ironie, à la dialectique subtile. Comme on le sait, Eccarius fut plus tard secrétaire général de 1 Association internationale des travailleurs, dont le Conseil général comprenait, entre autres, les membres suivants de l'ancienne Ligue : Eccarius Pfänder, Lessner, Lochner Marx et moi-même. Par la suite, Eccarius se consacra exclusivement au mouvement syndical anglais. (Note d'Engels.)
33 L'ancien article 1 exprimait une vague aspiration au communisme, sans aucune liaison avec la réalité économique et sociale, bref, de manière toute utopique et sentimentale, sans aucun caractère de classe : « La Ligue a pour but la suppression de l'esclavage des hommes par la diffusion de la théorie de la communauté des biens et, dès que possible, par son introduction dans la pratique. »
34 Marx et Engels élaborèrent le texte de ces revendications entre le 21 et 29 mars 1848. Ce fut le programme politique de la Ligue des communistes dans la phase bourgeoise de la révolution en Allemagne. On peut comparer ces revendications à celles établies en avril 1917 par Lénine, cf. « Les Tâches du prolétariat dans notre révolution » Œuvres, t. XXIV, p. 47-84 Nous avons placé entre crochets les passages omis par Engels dans son texte de 1885.
35 En français dans le texte.
36 Une fois une orientation politique prise, la praxis consécutive donne du poids au choix réalisé et fait suivre aux protagonistes une dialectique propre qui les entraîne dans le courant où ils se sont engagés. C'est de la sorte aussi que la théorie, dans un sens comme dans l'autre, devient une force matérielle, ayant ses lois propres qui s'imposent ensuite aux hommes. En fonction de cette expérience, le marxisme juge à l'avance ‑ dès le premier principe énoncé ‑ le sort ultérieur de tel ou tel organisme politique ou économique. D'où l'importance de la critique de toutes les positions tant soit peu erronées dans l'activité du parti. Cette vision matérialiste du devenir des principes s'intègre dans la prévision générale du cours historique matériel des diverses forces en présence.
37 Engels fait allusion au Club des ouvriers allemands, fondé début mars 1848 par des représentants de la Ligue des communistes. Marx, qui dirigeait ce club, s'efforça d y regrouper les ouvriers allemands émigrés à Paris, et leur exposa la tactique à suivre par le prolétariat dans la révolution bourgeoise démocrate qui éclatait en Allemagne.
38 L'article d'Engels sur le rôle de Marx à la tête de La Nouvelle Gazette rhénane complète tout naturellement le présent texte.
39 Le soulèvement armé de Dresde se produisit du 3 au 8 mai 1849. La cause en était le refus du roi de Saxe de reconnaître la Constitution impériale et la nomination de l'archi-réactionnaire Zschinsky comme Premier ministre. La bourgeoisie et la petite bourgeoisie ne prirent pratiquement aucune part à la lutte, de sorte que les ouvriers et artisans luttèrent seuls sur les barricades. L'insurrection fut réprimée par la troupe saxonne et prussienne. Ce soulèvement fut le début des luttes armées pour la défense de la Constitution impériale qui se déroulèrent de mai à juillet 1849 en Allemagne méridionale et occidentale, et s'achevèrent par la défaite des forces démocratiques.
40 Le 13 juin 1849, le parti petit-bourgeois de la Montagne appela à une démonstration pacifique à Paris pour protester contre l'envoi de troupes françaises en Italie pour mater la révolution. L'article 4 de la Constitution française interdisait en effet l'envoi de troupes dans un pays étranger pour y réprimer la liberté. Ayant été purement et simplement dispersée par la troupe, cette manifestation rendit patent l'échec de la démocratie petite-bourgeoise. Après le 13 juin, de nombreux dirigeants du parti de la Montagne, ainsi que des démocrates petits-bourgeois étrangers, furent arrêtés ou expulsés.
41 Cf. l'ouvrage d'Engels sur « La Campagne pour la constitution du Reich », La Révolution démocratique-bourgeoise en Allemagne, Éd sociales, Paris, 1952, p 115-200, ainsi que, dans le même volume, « Révolution et contre-révolution en Allemagne » p. 203-307.
42 Cf. MARX-ENGELS, Écrits militaires, p. 221-268.
43 À l'époque d'Engels, la cavalerie était une arme dans laquelle la troupe était essentiellement réactionnaire, donc peu favorable au travail de noyautage révolutionnaire. En revanche, le génie ou l'artillerie étaient des armes modernes, dans lesquelles te travail s'alliait aux connaissances techniques et à l’esprit d'initiative. La troupe y avait donc un esprit plus ouvert aux choses et idées nouvelles, non-conformistes. Ce qui est plus important encore et justifie les efforts des révolutionnaires de la Ligue en vue de gagner la sympathie des artilleurs et leur neutralité, c'est qu'« on ne peut pas employer utilement la cavalerie dans les combats de barricades : or, c'est la lutte sur les barricades des grandes villes, et surtout l'attitude qu'y adoptent l'infanterie et l'artillerie, qui, de nos jours, décident du sort de tous les coups d'État » (ENGELS, « La Question militaire prussienne et le parti ouvrier allemand » , in MARX-ENGELS, Écris militaires, p. 462-463).
44 Nous n'avons pas reproduit les deux « Adresses du Conseil central à la Ligue » rédigées par Marx en mars et juin 1850, en dépit de leur importance. Le lecteur les trouvera, en traduction française, dans MARX-ENGELS, Karl Marx devant les jurés de Cologne, éd. Costes, en annexe, p. 237-261.
45 Ibid., p. 253.
46 De décembre 1849 à novembre 1850, Marx et Engels publièrent La Nouvelle Gazette rhénane ‑ Revue politique et économique. Ce fut l’organe politique et économique de la Ligue des communistes la continuation, sous forme de revue, du grand journal dirigé par Marx-Engels au cours de la révolution de 1848-1849, La Nouvelle Gazette rhénane. Ils y tirèrent les leçons de la grande révolution européenne, y analysèrent le nouveau rapport de forces et définirent la nouvelle tactique à suivre au cours de la phase historique nouvelle (1850 à 1871), d'où l'importance des études publiées dans les six cahiers de la revue, par exemple « Les Luttes de classe en France », « La Guerre des paysans « Révolution et contre-révolution en Allemagne ». À la suite des chicanes policières en Allemagne et d'ennuis financiers, la revue cessa de paraître, en même temps que s'éteignait la dernière vague révolutionnaire de cette période tourmentée.
La partie politique de la revue de mai à octobre 1850 a été insérée par Engels dans la réédition des Luttes de classe en France, chap. 4 (1895), à l'exception de quelques passages. La partie économique a été traduite en français et publiée dans Études de marxologie, 7, p. 135-158.
47 Schapper mourut à Londres vers 1870. Willich se distingua au cours de la guerre civile américaine. Il participa à la bataille de Murfresboro (Tennessee) avec le grade de général de brigade, et y fut touché d'une balle en pleine poitrine. Il en réchappa néanmoins et mourut il y a, quelque dix ans en. Amérique. Quant aux autres que j'ai cités plus haut, remarquons que Heinrich Bauer a disparu en Australie et que Weitling et Ewerbeck sont morts en Amérique. (Note d'Engels.)
En ce qui concerne la participation à la guerre de Sécession des anciens amis de Marx et d'Engels ou des militants allemands en général, cf. MARX-ENGELS, La Guerre civile aux États-Unis, 1861-1865, 10/18, note 58, p. 267-268.
48 Engels qualifie de « Ligue séparatiste » la fraction de Willich-Schapper de caractère sectaire qui se forma en organisation particulière après la scission intervenue dans la Ligue des communistes le 15 septembre 1850. L'expression fait allusion à l'analogie de son mode d'organisation avec celui des confédérations séparatistes des cantons catholiques réactionnaires de Suisse des années 1840.
49 Comme il ressort de toute son activité et de toute sa conception, Engels n'entend nullement par là que l'organisation de parti est superflue à ce stade historique. Il ironise bien plutôt à l'intention de la politique anti-ouvrière de Bismarck qui, comme on le verra pour la période de la loi antisocialiste, a contribué à aguerrir l'avant-garde de la classe ouvrière allemande, plutôt qu'à l'affaiblir.
50 Engels fait allusion à la solidarité toute matérielle de la classe ouvrière de tous les pays, du simple fait de son existence objective, vivante. C'est sur cette réalité gigantesque que doit se fonder le parti, ou mieux l'Internationale, s'il ne veut pas être une secte, mais un mouvement réel.
51 La Ligue des communistes a essaimé jusqu'aux États-Unis, et la contribution des anciens membres de la Ligue émigrés en Amérique à la formation du parti ouvrier américain a été considérable. Nous ne pouvons reproduire dans ce recueil les textes de Marx-Engels relatifs à la formation du mouvement ouvrier des États-Unis. Ils représenteraient, à eux tout seuls, tout un volume.
En
ce qui concerne la contribution des anciens de la Ligue des communistes à la formation
des organisations ouvrières américaines, cf. Karl OBERMANN, « The Communist
League : A Forerunner of the American Labor Movement », in Science &
Society, vol. XXX,
no 4, p. 433-446.
52 ENGELS, Révolution et contre-révolution en Allemagne, premier article du 25-10-1851, in New York Tribune.
53 La question d'un changement radical de tactique se pose pour le parti à l'occasion de la défaite du mouvement révolutionnaire soit sur le terrain brûlant de la lutte physique, soit sur celui, plus dégradant, de la dégénérescence du parti ou des organisations ouvrières (ce dernier type de défaite est le plus grave qui soit, étant donné que le prolétariat y perd jusqu'à son programme et la claire vision de sa nature propre et de son but historique, en même temps que des moyens, et des voies pour parvenir à son émancipation). La tâche première du parti, dans ces moments, n'est pas sans liaison avec ses tâches militaires de la période de lutte révolutionnaire directe : sauver de la débâcle ce qui peut l'être, et organiser, autant que faire se peut, les forces qui restent, en vue du prochain assaut qui ne saurait manquer d'advenir au bout d'un laps de temps plus ou moins long.
L'idée de périodes de flux et de reflux de la; vague révolutionnaire implique la vision de cycles historiques de crise révolutionnaire générale de la société et de triomphe de la contre-révolution. Cette vision rejoint évidemment la conception de cycles déterminés de l'économie.
Le stalinisme a purement et simplement effacé du marxisme la méthode qui consiste à analyser l'économie et la société dans des buts révolutionnaires, à des fins politiques. Il ne parle plus de période de flux ou de reflux, ni de prévision, donc de direction consciente du mouvement, révolutionnaire. Le trotskysme a hérité certaines positions de la phase initiale de dégénérescence de l'Internationale communiste, notamment l'idée selon laquelle «la situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat », les contions économiques étant archi-mûres, au point que le capitalisme est désormais en déclin. Pour le marxisme, le capitalisme se caractérise par la production de plus-value, donc par la surproduction, c'est dire qu'il ne peut pas stagner longtemps. Au reste le capitalisme ne peut changer sur un point aussi fondamental sa caractéristique première.
Le seul mouvement qui ait continué l'œuvre révolutionnaire dans la voie tracée par Marx-Engels est la gauche communiste italienne (qui, au reste, a défendu avec vigueur le grand Trotsky face à Staline lui-même, par exemple dans les séances de l'exécutif élargi). Celle-ci, s'étant rendue pleinement compte de l'ampleur de la dégénérescence politique de l'Internationale communiste après Lénine, n'a pas craint de confronter le recul du mouvement ouvrier avec la montée extraordinaire du capitalisme, et notamment de la production qui ‑ à l'Est comme à l’Ouest battit tous ses records après la Seconde Guerre mondiale qui scella la défaite complète du prolétariat. Cette gauche fit un travail théorique immense. non seulement au niveau de la lutte des principes, mais encore de l'analyse des conditions réelles et des perspectives politiques qui en découlent pour le mouvement mondial. Cf., par exemple, la série d'articles relatifs à l'évolution économique de la production mondiale, par pays les plus importants, à long et court terme, dans Programma communista.
54 Étant particulièrement bien placés au cœur de la mêlée, et n'ayant jamais cessé d appliquer au cours révolutionnaire la méthode d'analyse scientifique pour en tirer les mots d'ordre d'action, Marx et Engels s'aperçurent bientôt de l'immensité de la crise et de l'ampleur du recul général du mouvement ouvrier.
Certes, ils ne virent pas, au premier coup d'œil, que le règne de la contre-révolution durerait aussi longtemps. Mais il n'est pas si grave qu'un révolutionnaire soit trop optimiste sur l'arrivée de la prochaine crise. Ce qui serait grave, en effet, c'est qu'il désespère de ne jamais la vivre.
En attendant, ce qui importe c'est que Marx-Engels, malgré leur relatif optimisme, n'ont pas cédé aux impulsions occasionnelles pour lancer des mots d'ordre « aventuristes » Leur correcte vision d'ensemble du mouvement ‑ liaison dialectique entre économie et politique ‑ les incita à se pencher « en dernier ressort » sur les causes fondamentales, l'évolution de la base économique. Certes, ils espéraient, en 1858, à la veille de la crise générale de surproduction économique, qu'une révolution politique s'y rattacherait. Cependant, l’analyse des faits leur apprit que crise économique et crise politique ne coïncident pas forcément, ce qui d'ailleurs s'explique par la nature contradictoire de l'activité sociale, divisée en base économique et superstructures politiques.
55 L'homme s'imagine toujours que l'histoire dépend de l'homme, et surtout de sa volonté, parce qu'il croit agir par sa tête. C'est pourquoi l'homme résiste difficilement à l'envie de changer par la pensée ce qui pourtant devait inexorablement se produire ; en fait, personne n'y échappe, et ce n'est qu'après des ruminations répétées que l'on réussit à tirer cette conclusion matérialiste : ce qui est arrivé devait arriver.
Cela n'a donc pas grand sens de se demander comment « il aurait fallu faire » pour empêcher ce résultat. Il est plus raisonnable de rechercher quelles causes ont, au tournant révolutionnaire de l'histoire, poussé le mouvement dans une voie donnée, et d'en tirer les enseignements pour le moment où les forces révolutionnaires entreront de nouveau en action, afin de ne pas renouveler les erreurs (qui s'expliquaient alors peut-être par l'immaturité des conditions économiques et sociales, donc l'inexpérience politique des organes dirigeants et des masses).
« La liberté n'est pas dans une indépendance rêvée à l’égard des lois de la nature, mais dans la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par là même de les mettre en œuvre méthodiquement pour des fins déterminées [ce qui n'est pas possible à l'échelle individuelle trop atomistique, mais à échelle de la classe du prolétariat par sa constitution en parti conscient et agissant]. Cela est vrai aussi bien des lois de la nature extérieure que de celles qui régissent l'existence physique et psychique de l’homme lui-même [non de l'homme aliéné de la société capitaliste, mais de l'homme universel de la société communiste] ‑ deux catégories de lois que nous pouvons séparer tout au plus dans la représentation mais non dans la réalité. La liberté de la volonté ne signifie donc pas autre chose que la faculté de décider en connaissance de cause. Donc, plus le jugement d'un homme est libre sur une question déterminée, plus grande est la nécessité qui détermine la teneur de ce jugement ; tandis que l'incertitude reposant sur l’ignorance, qui choisit en apparence arbitrairement entre de nombreuses possibilités de décision diverses et contradictoires, ne manifeste précisément par là que sa non-liberté, sa soumission à l'objet qu’elle devrait justement se soumettre. La liberté consiste par conséquent dans l'empire sur nous-mêmes et sur la nature extérieure, fondée sur la connaissance des nécessités naturelles ;ainsi, elle est nécessairement un produit du développement historique. » (ENGELS, Anti-Dühring, Éd. sociales, p. 146‑147.)
56 Allusion à la Société universelle des communistes révolutionnaires, fondée en avril 1850 par les blanquistes, Harney et les dirigeants de la Ligue des communistes, dont Marx-Engels.
En ce qui concerne le rapport entre Marx-Engels, d'une part, et les blanquistes, d'autre part, cf. le recueil sur Le Mouvement ouvrier français, Petite Collection Maspero. (À paraître.)
57 Cf. Engels à Marx, 11 décembre 1851.
58 En français dans le texte.
59 En français dans le texte.
60 Engels fait allusion à l'introduction : « À la bourgeoisie » écrite par Proudhon pour son livre Idée générale de la révolution au XIXe siècle.
61 En français dans le texte.
62 Engels s'est penché longuement sur les raisons pour lesquelles le prolétariat français, déjà exsangue après la terrible bataille de juin 1848. n'a pas jeté ses forces dans la balance pour éviter l'instauration progressive et sournoise du bonapartisme, avec le coup d’État final du 10 décembre. Cf. ENGELS, « Les Véritables Raisons de l'inactivité relative du prolétariat français au mois de décembre dernier », dans Notes to the People, février 1852, Cf. MARX-ENGELS, Le Mouvement ouvrier français, Maspero. (À paraître.)
63 Dans son article du Notes to the People du 21 février 1852, Engels écrit à ce propos : « La loi électorale ? Mais elle leur avait déjà été enlevée par la loi de mai 1850. La liberté de réunion ? Les classes les plus "sûres" et les "mieux intentionnées" de la société étaient les seules à en jouir depuis longtemps déjà. La liberté de la presse ? Eh bien, la presse véritablement prolétarienne avait été étouffée dans le sang des insurgés au cours de la grande bataille de juin.»
64 En français dans le texte.
65 L'analyse d'Engels des causes de l'apathie du prolétariat français lors des crises sociales de 1850 à 1852, qui apparemment ont présenté des occasions révolutionnaires que les ouvriers parisiens n'ont pas saisies, permet de dégager plusieurs facteurs qui interviennent pour une action révolutionnaire : d'abord l'élément fondamental de la crise sociale, économique ou politique qui existait alors indubitablement ; ensuite, la volonté du prolétariat (qui peut se manifester dans ses organisations économiques et politiques de classe) d'intervenir dans la crise pour lui donner un sens révolutionnaire. Cette volonté est indubitablement liée à la force et à la santé du prolétariat. Or, c'est précisément ce dernier élément qui avait été durement ébranlé par la défaite du prolétariat en juin 1848 et explique toute la période consécutive du bonapartisme, « forme nécessaire de l’État dans un pays où la classe ouvrière, très développée dans les villes, mais numériquement inférieure aux petits paysans à la campagne, a été vaincue dans un grand combat révolutionnaire par la classe des capitalistes, la petite bourgeoisie et l'armée. Lorsqu'en France les ouvriers de Paris furent écrasés dans la lutte gigantesque de juin 1848, la bourgeoisie se trouva, elle aussi, complètement épuisée par sa victoire... La caractéristique du bonapartisme vis-à-vis des ouvriers comme des capitalistes, c'est qu’il les empêche de se battre entre eux... Tout ce qu'un tel régime puisse apporter aux ouvriers et à la bourgeoisie est qu'ils se reposent de la lutte et que l'industrie se développe puissamment [si les conditions s'y prêtent], de sorte que se forment les éléments d'une nouvelle lutte, plus violente encore ; bref, que cette lutte éclate dès que le besoin d'un tel temps de repos disparaît. » (ENGELS, La Question militaire prussienne et le parti ouvrier allemand, trad. fr. : Écrits militaires, p. 482-484.)
66 Engels fait remarquer ici que les illusions ou auto-mystifications du prolétariat qui le fourvoient ont une base objective si le prolétariat admet qu'on lui jette en pâture un expédient aussi artificieux que les élections pour le détourner des tâches de la révolution, et s'il y mord (ou fait semblant d'y croire), c'est que le prolétariat est affaibli physiquement aussi (soit des suites d'un combat sanglant, soit d’un lent procès de dégénérescence ou de corruption). Dès lors, de nombreuses crises économiques ne servent pas d'occasion révolutionnaire.
Dans Un chapitre inédit du « Capital » (10/18 p. 246-56), Marx montre que la mystification est un processus dicté par les conditions matérielles de fonctionnement du capital et qu'elle porte sur l'ouvrier lui-même. Les conditions dites subjectives sont de nature toute matérielle et se relient aux rapports de vie et de production réelle. Toute autre vision aboutit à l'idéalisme, qui est la prémisse du volontarisme en politique.
67 Engels à Marx, 13 février 1851.
La doctrine du parti n'est pas seulement théorie de la révolution, mais encore de la contre-révolution (qui, dans les sociétés de classe, forment un cycle du développement social). De fait, c'est seulement l'ensemble de la vie et de la production sociales qui permet de ne pas perdre le fil de l'évolution et de préparer les phases d'avancée révolutionnaire ‑ ce qui est par excellence œuvre de parti.
68 En français dans le texte.
69 Pour le marxiste véritable, les phases de recul de la vague révolutionnaire ne signifient nullement un démenti à ses positions, ni donc un motif de découragement voire de démoralisation. Ce n'est même pas une phase d'inactivité forcée ‑ à moins que l'on entende uniquement par activité le prosélytisme, l'agitation ou la lutte physique directe.
70 En français dans le texte.
71 En français dans le texte.
72 L'une des difficultés inhérentes à ce recueil de textes sur le parti, c'est qu'il se compose d'écrits ou de passages disparates, extraits des sources les plus diverses (correspondance officielle ou privée, textes publics ou messages confidentiels de parti, ouvrages théoriques ou polémiques) et, pire encore, détachés de leur contexte littéraire ou matériel.
Dans cette lettre, par exemple, Engels n'explicite pas les faits qui étayent son raisonnement, ceux-ci étant parfaitement connus de son correspondant. De même, il ne prend. pas de gant et ne craint, pas que son correspondant généralise ou interprète ce qu'il écrit autrement que lui-même.
On ne saurait déduire de ce passage qu'à partir de cette période ou au cours de celle-ci, Engels ait rejeté, l'idée d'appartenir â un parti. (N'écrit-il pas lui-même que ces messieurs viendront bientôt faire appel à lui et à Marx ?) Il fait sans doute allusion au gros des inscrits du parti qui suit les dirigeants sans trop comprendre et constitue la masse qui lâche organisation au moment du reflux, ou fait nombre lors des scissions. Cette catégorie gonfle démesurément dans les partis de masse ou les partis moins radicaux.
73 En matérialiste et dialecticien, Engels admet parfaitement que la volonté, la passion et la conscience révolutionnaires puissent se maintenir contre le courant général, mais seulement dans une minorité qui progressivement s'amenuise. Et même, ajoute Engels, la volonté et les individus ne peuvent tenir à la longue, sans la confirmation de leurs positions par les bouleversements matériels de la société.
Il ressort clairement des textes de Marx qu'aucune forme d'organisation ne peut maintenir l'influence du parti sur les masses (et sur les effectifs de ses militants) en cas de reflux de la vague révolutionnaire : la conscience et l'activité révolutionnaires sont liées à la base matérielle ‑ sinon en rapport direct, du moins indirect ‑ et aucune astuce d'organisation ne peut suppléer aux conditions générales défavorables. À la limite, la forme parti elle-même ne peut garantir contre le dévoiement et la dégénérescence du mouvement ouvrier et de son programme révolutionnaire. Surtout en l'absence de traditions et de fermeté dans l'action et les principes, elle subit rapidement le contrecoup de la situation objective. Plutôt que les règles d'organisations (qui aboutissent à un fétichisme conventionnel et artificiel si elles ne sont pas corroborées par une pratique et un programme révolutionnaires), c'est la fidélité au programme historique du communisme qui, dans les limites tracées par Engels, demeure en fin de compte la seule et unique « garantie ».
74 Tout le contenu de cette lettre implique une prévision du cours historique. En effet les directives qu'Engels assigne à l'action pour toute la période qui suit la révolution de 1848-1849, en ce qui concerne des questions tout à fait pratiques, découlent d'une vision déterminée de l'avenir économique et politique de la société.
Selon l'idée que l'on se fait du temps dont on dispose, on se fixe des tâches différentes. Une erreur d'appréciation aboutit donc à se fixer des tâches erronées. En ce sens déjà, la prévision est le fondement de l'action révolutionnaire, et pour le parti la condition sine qua non de sa faculté de diriger les forces révolutionnaires et les masses.
Si Engels condamne avec violence les réfugiés politiques qui, en dépit des conditions générales foncièrement défavorables, continuent à lancer des mots d'ordre de subversion, à ourdir des machinations politiques et à préparer des coups de main révolutionnaires, cela ne s'explique pas du fait que le marxisme condamne le prosélytisme, la violence, les coups de mains hardis, la subversion de groupes forcément limités. À certains moments, ce ne sont que des substituts de l'action qu'exige impérieusement la période historique, et c'est le moyen le plus sûr de dévoyer l'action révolutionnaire et de démoraliser les quelques forces disponibles
75 Engels à Marx, 12 février 1851.
76 Après 1849, ceux qui avaient le plus tendance à continuer l'agitation, même en 1’absence de crise plus ou moins grave ou de mouvement social réel, c'était évidemment les réfugiés politiques démocrates bourgeois qui avaient le plus failli à leur tâche au cours de la révolution même.
Ce n'est donc pas aux réfugiés politiques en général que Marx et Engels dénient la possibilité de faire œuvre utile ‑ eux-mêmes ne faisaient-ils pas partie du lot ?
77 Cf. Engels au directeur du Daily News, H. J. Lincoln, 30 mars 1854.
Engels fait allusion aux articles « Le Journal de Cologne et la lutte des Magyars » « La Guerre en Italie et en Hongrie »
« Hongrie », ainsi qu’aux diverses études sur les événements militaires de Hongrie parues dans La Nouvelle Gazette rhénane de février à mai 1849. Cf. Écrits militaires, p. 225-242.
78 Pour sa part, Marx apprendra l'espagnol (plus tard seulement, le russe) afin de suivre les événements révolutionnaires qui se déroulent en 1853 dans la péninsule Ibérique. Il se lancera essentiellement dans les études économiques, notamment la rente foncière et la production agricole en général qui expliquent l'attitude des masses humaines des campagnes et des pays précapitalistes.
Cependant, c'est à ses travaux théoriques que Marx s'attachera surtout. À propos de ceux-ci, il affirmera :
« En ce qui me concerne, ce n'est pas à moi que revient le mérite d'avoir découvert ni l'existence des classes clans la société moderne, ni leur lutte entre elles. Rien avant moi, des historiens bourgeois ont décrit le développement historique de cette lutte des classes, et des économistes bourgeois en ont présenté l'anatomie économique.
« Ce que j'ai fait de nouveau, c'est : 1. de démontrer que l'existence des classes n'est liée qu'à des phases déterminées du développement historique de la production ; 2. que la lutte des classes conduit nécessairement à la dictature du prolétariat ; que cette dictature elle-même ne constitue qu'une transition à l'abolition de toutes les classes et à une société sans classes. » (Marx à Joseph Weydemeyer, 5 mars 1852.)
79 Cf. Engels à Marx, 8 mars 1852.
80 Dans cette lettre, Engels donne un échantillon significatif de ses travaux de « taupe », en période de reflux révolutionnaire : ces « études » ont un caractère tout à fait pratique pour la préparation du prochain assaut révolutionnaire.
C'est en apprenant une quinzaine de langues qu'Engels put devenir le conseiller de tous les partis ouvriers européens, dont il connaissait non seulement la presse locale, mais souvent les conditions historiques, économiques, diplomatiques et politiques propres.
Engels apprit les langues slaves entre 1851 et 1854 (le russe, le serbe, le slovène et le tchèque) et voulut même écrire une grammaire comparée des langues slaves. En même temps qu'il apprenait ces langues, il étudia l'histoire et la civilisation de ces peuples. Par exemple, Engels apprit la langue russe en autodidacte jusqu'au printemps 1852, puis il prit des leçons de conversation avec un émigré russe ‑ Pindar ‑, se familiarisa avec la grammaire et se mit en devoir de lire les classiques de la littérature russe dans l'original.
81 Cf. Engels à Marx, 12 février 1851.
82 Cf. Engels à Marx, 18 mars 1852.
Engels trace, dans ce passage, les grandes lignes de l'action à entreprendre pour maintenir l'influence du parti sur les masses ouvrières dans un pays de capitalisme développé où, après une défaite, les organisations ouvrières n'ont pas été détruites et réduites au silence.
Il apparaît, cependant, qu'en gros les effets d'une grande défaite du prolétariat dans une révolution se font sentir irrépressiblement sur tous les pays, même ceux qui n'en ont pas été touchés directement.
83 Cf. Marx à Engels, 24 novembre 1857.
Marx
trace ici les limites de la revendication démocratique de la charte : en
faisant du suffrage universel le but de son action, Jones est amené à s'allier
avec la bourgeoisie, croyant relancer un mouvement de masse, mais ruinant en
réalité le parti chartiste. Marx rompt désormais ses liens personnels avec
Jones.
L'impatience d'agir, lorsque les conditions de l'action n'existent pas est le plus souvent le premier pas qui mène à la perte : On prendra peut-être pour un paradoxe l'affirmation qui consisterait à dire que le trait psychologique de l'opportunisme, c'est son INCAPACITÉ D'ATTENDRE. Il en est pourtant ainsi. Dans les périodes où les forces sociales alliées et adversaires, par leur antagonisme comme par leurs réactions mutuelles, amènent, en politique, un calme plat ; quand le travail moléculaire du développement économique, renforçant encore les contradictions, au lieu de rompre l'équilibre POLITIQUE, semble plutôt l'affermir provisoirement et lui assurer une sorte de pérennité ‑ l'opportunisme, dévoré d'impatience, cherche autour de lui de ‘nouvelles’ voies, de ‘nouveaux’ moyens pour réaliser. Il s'épuise en plaintes sur l'insuffisance et l'incertitude de ses propres forces en même temps qu'il recherche des ‘alliés’. » (TROTSKY, 1905.)
84 Cf. Marx à Engels, 8 octobre 1858.
85 À l'exploitation des prolétaires par le capital s'ajoutent toutes sortes d'autres exploitations, dont la moins importante n'est pas celle d'une nation par l'autre. Dans les Fondements de 1859, Marx consacre tout un chapitre au problème suivant : « Deux nations peuvent procéder entre elles à des échanges d'après la loi du profit, de telle sorte qu'elles y gagnent toutes les deux; bien que l'une exploite et vole constamment l'autre. » (T. II, p. 426-436.)
86 Marx à Joseph Weydemeyer, en février 1859.
87 En anglais dans le texte.
88 Certes, Marx explique la faillite de Jones par des raisons matérielles : « La seule excuse de Jones est la mollesse et l'apathie dont la classe ouvrière d'Angleterre fait preuve en ce moment. Quoi qu'il en soit, s'il continue sur la même voie, il sera dupe de la bourgeoisie ou renégat. » (Marx à Engels, 16 janvier 1858.)
Parmi les causes objectives qui ont abouti à ce que la grave crise économique et sociale de 1858 ait passé sans intervention du prolétariat anglais, Marx fait figurer le facteur de volonté et de conscience du parti qui intervient au cours de l'évolution. Or, ce facteur n'est pas seulement le résultat du rapport de forces général entre bourgeoisie et prolétariat, dicté en grande partie par les conditions économiques cycliques, mais encore le produit de toute l'évolution politique antérieure, peu brillante en Angleterre depuis l'échec du chartisme en 1848. Tous ces avatars successifs expliquent en dernière instance, que le facteur conscient et volontaire du parti ait lui-même été si faible, dépendant apparemment d'une poignée d'individus, voire de Jones.
89 Cf. Marx à Engels, 5 mars 1856.
Les ouvriers de Dusseldorf avaient envoyé Lévy chez Marx à Londres, pour dénoncer les agissements de Lassalle (« utilisant le parti à des fins privées ») et leur rendre compte de la situation.
90 Marx et Engels relieront toujours les tâches de direction politique à celles de la direction militaire, en dernière analyse, les deux se rejoignant dans l'activité révolutionnaire. Ainsi, pressentant une crise, Engels écrivait à Marx le 15 novembre 1857 : « Je constate dès à présent que la crise me fait corporellement autant de bien qu'un bain de mer. En 1848 nous disions, notre temps à nous vient maintenant, et il en fut ainsi en un certain sens. Mais, cette fois-ci, il vient complètement : l'enjeu est à présent la tête même. Mes Études militaires deviennent tout à fait pratiques. Je me précipite derechef sur l'analyse de l'organisation et les éléments de tactique des armées prussienne, autrichienne, bavaroise et française. » En 1871, Engels ne put accepter l'offre de diriger les forces armées de la Commune, pour la raison idiote, mais péremptoire, qu'à la première défaite il eût été suspecté d'être un agent prussien : or, « aucun général ne peut garantir de gagner toutes les batailles sur le chemin de la victoire ». Cf. ENGELS, Études militaires, en préparation aux éditions Maspero.
91Cet épisode est particulièrement significatif de la conception générale de la révolution et de la contre-révolution et du rôle du parti de Marx-Engels. La révolution ne peut éclater avec des chances sérieuses d'être autre chose qu'une simple révolte, voire un putsch, qu'à un certain cycle du développement économique et social ans lequel la phase contre-révolutionnaire elle-même est un élément nécessaire. La révolution ne peut s'accomplir que si l’économie a développé au maximum les contradictions entre l'appropriation privée et la production sociale de la période historique en question. Il faut donc que les « destinées se fassent ».
Aux époques de contre-révolution correspondent des tâches bien déterminées pour le parti, et il peut arriver que l'activisme ou une tentative de révolution soit alors nuisible. En effet, le parti doit diriger l'activité de l'avant-garde (et des masses, si possible) à tout moment, et dans les périodes de reflux en prêchant le travail en profondeur et non l'agitation.
Si en 1848, Marx eût applaudi à l'initiative d'un coup de main en Rhénanie, il ne le pouvait plus en 1856.
92 Cf. Engels à Joseph Weydemer, 12 avril 1853.
93 En français dans le texte.
Engels: est, naturellement, optimiste. En réalité, la bourgeoisie, afin de prolonger son règne, en esquivant la lutte frontale entre prolétariat et bourgeoisie, tend sans cesse à ralentir la marche de l'histoire, et même l'instauration de ses propres pleines conditions de domination. En 1863 encore, Engels écrira : « Au cas extrême où, par peur des ouvriers, la bourgeoisie se réfugierait dans le giron de la réaction, en faisant appel à la puissance de ses ennemis pour se protéger des ouvriers, il ne resterait au parti ouvrier qu'à poursuivre, en dépit des bourgeois, l'agitation trahie par eux en faveur des libertés bourgeoises, de la presse, du droit d'association et de réunion. Sans ces libertés, il ne peut avoir lui-même les coudées franches ; il y a lutte pour son élément vital pour l'air qu'il lui faut afin de respirer. Il va de soi que, dans toutes ces hypothèses, le parti ouvrier n'interviendra pas en simple appendice de la bourgeoisie, mais en parti indépendant, absolument distinct d'elle. » (La Question militaire prussienne et le Parti ouvrier allemand, trad. fr. : Écrits militaires, p. 490.)
94 Engels reprend sur ce point la conclusion tirée par Marx de l'expérience révolutionnaire du prolétariat français : « Si donc le prolétariat renverse le pouvoir politique de la bourgeoisie, sa victoire ne sera que passagère, un simple facteur au service de la révolution bourgeoise elle-même, tout comme en 1794 ; et il en sera ainsi tant que, dans le cours de l'histoire et du mouvement, ne se trouvent pas produites les conditions matérielles qui rendent nécessaires la déchéance du mode de production bourgeois, et donc la chute définitive du pouvoir politique de la bourgeoisie. »
95 Lorsqu'il déclare qu'il vaut mieux perdre la tête physiquement que de perdre la juste vision programmatique, ou qu'il vaut mieux être pris pour une bête enragée que pour bête tout court, Engels suppose qu'il est glus grave d'être pris en défaut sur le programme que d'être vaincu physiquement dans la lutte des classes. En d'autres termes : une défaite progressive accompagnée d'une édulcoration du programme qui jette la confusion sur le but et le sens du communisme est pire qu'une défaite sanglante sur le terrain de classe, en revendiquant bien haut les principes (Commune de Paris, par exemple).
Ainsi
Rosa Luxemburg écrivait, à propos des conséquences de la falsification des
principes qui entraîna les prolétaires dans le carnage de la guerre
impérialiste au nom du socialisme et de la défense de la patrie : « La fleur du
mouvement ouvrier, la force juvénile de centaines de milliers d'hommes, dont la
formation socialiste en Angleterre, France, Belgique, Allemagne et Russie était
le produit de décennies de travail d'éducation et d'agitation, est fauchée et
pourrit misérablement sur les champs de bataille. Elle meurt sans espoir dans
les ténèbres où ne luit plus l'espoir, théorique ou sentimental, du véritable
socialisme. » Brochure
de Junius, 1915.)
96 Les tâches de parti
auxquelles Marx ‑ plus que tout autre socialiste ‑ a été le plus
sensible, bien qu'elles fussent les plus ingrates et les plus absorbantes,
c'est le secours aux réfugiés politiques, ainsi que la préparation des dossiers
et la défense des accusés dans les procès politiques. Au reste, ses propres
défenses sont un modèle classique insurpassable. Cf. S. CZOBEI, et C. CAHN, Karl Marx as
Labor Defender, 1848‑1871, New York, 1933.
En ce qui concerne le procès des communistes de Cologne, nous renvoyons le lecteur à l'échange de lettres entre Marx et Engels (en traduction française aux éditions Costes, t. III) en date des 13, 17 20-7-1851, 23-9-1851, 14-11-1851, 25, 27, 29-4-1852, 10-8-1852, 10, 27, 28-10-1852 4, 5, 13-11-1852, et 7-12-1855, ainsi qu'au volume intitulé Révélations sur le procès des communistes (4 octobre 1852) suivi de Karl Marx devant les jurés de Cologne (9 février 1849).
97 En français dans le texte.
98 Marx à Adolf Cluss, 17 avril 1853.
On a écrit toute sorte de choses sur le « parti Marx », le petit groupe de fidèles restés en contact avec Marx-Engels après le reflux de la vague révolutionnaire de 1849. Or, cette situation n'a rien de particulier, ni de personnel. Elle s'est reproduite lors de l'effondrement de la IIe Internationale, après la trahison de ses chefs au moment de la déclaration de la guerre de 1914. À ce moment, Lénine, par exemple, n'a pu réunir que sept signatures pour son manifeste sur les Tâches de la social‑démocratie révolutionnaire dans la guerre européenne, il a fallu attendre 1970 pour trouver une réimpression des importants articles de Lénine et de Zinoviev dans le recueil intitulé de manière significative Contre le courant (Maspero, 2 volumes). Évidemment, on a moins écrit encore sur les communistes restés fidèles aux positions marxistes révolutionnaires de la IIIe Internationale après la dégénérescence du mouvement lié à Moscou, notamment la gauche communiste italienne dirigée par Bordiga.
Mais il y a plus : Marx a théorisé cette situation d'isolement après l'échec du mouvement révolutionnaire général dans la lettre à Freiligrath que nous reproduisons ci-après, en distinguant entre parti formel et parti historique, l'un étant le parti programmatique, l'autre le parti d'action organisé. Pour éviter toute équivoque, notons que le parti programmatique lui-même n'est pas un parti abstrait pouvant, par exemple, se réduire à une sorte de bibliothèque où seraient consignés tous les ouvrages fondamentaux du socialisme. Lui-même est vivant et assure une continuité essentielle dans l'activité d'un groupe de militants, et non d'érudits : cf. « En mémoire d'Amadeo Bordiga », Fil du temps, novembre 1970, no 7, p. 1-15. Marx-Engels eux-mêmes insisteront sur l'importance fondamentale du maintien d'un réseau de quelques militants dispersés dans la plupart des pays civilisés du monde. On ne saurait nouer avec 1e programme originel sans un lien vivant avec lui et une analyse des événements, des partis et groupes de la période de reflux à partir des positions révolutionnaires orthodoxes : la reprise ne peut s'effectuer spontanément.
99 Cf. Marx à Engels, 13 septembre 1853.
Le parti étant réduit à une poignée d'individus, il est inévitable que les questions personnelles ‑ « les misères de la vie privée bourgeoise » ‑ viennent interférer dans les questions de parti. Au reste, Marx et Engels ont organisé toute leur vie privée en fonction du meilleur travail possible pour le parti, sans jamais dépendre financièrement de la caisse de l'organisation en se transformant en fonctionnaires du parti.
« Je vis très isolé ici, étant donné qu'en dehors de Freiligrath tous mes amis ont quitté Londres. Au reste, je ne souhaite pas avoir de fréquentations... Je suis forcé de travailler la journée pour gagner ma vie Il ne me reste que la nuit pour mes travaux véritables, et c'est là où ma mauvaise santé a le plus de répercussion. » (Marx à Lassalle, 21 décembre 1837.)
100 En français dans le texte.
101 En français dans le texte.
102 Cf. Marx à Engels, 2 septembre 1854.
103 Miquel, ancien de la Ligue des communistes, devint plus tard ministre de Bismarck. Néanmoins, il resta toujours attaché à Marx et lui fit parvenir des informations politiques en confidence : en juillet-août 1851, il informa Marx (de l’effet de l'arrestation des communistes sur les démocrates allemands ; par le truchement de Kugelmann, il prévient ensuite Marx que s'il faisait un voyage en Allemagne, il serait arrêté (15-4-1871), enfin, c'est à Miquel auquel Marx fait allusion en écrivant : « Le 11 mai. dix jours avant la catastrophe [la chute de la Commune] , j'ai envoyé par le même canal tous les détails de l'accord secret entre Bismarck et Favre à Francfort. L'information m'avait été transmise par un collaborateur direct de Bismarck qui appartint jadis à une société secrète (1848‑1852) que je dirigeais. Cet homme sait que je détiens encore tous les rapports qu'il m'a expédiés d'Allemagne sur la situation de ce pays, en sorte qu'il dépend de ma discrétion. » (Marx à E. S. Beesly, 12-6-1871, in La Commune de 1871, 10/18, p. 133.)
104 Marx à Engels, 8 octobre 1853.
105 En français dans le texte.
106 Cf. Marx à Ferdinand Lasalle, 6 novembre 1859.
107 Même durant la période où Marx-Engels n'appartinrent plus formellement à une organisation quelconque, ils ne freinèrent pas leur activité. Cependant, comme il faut tenir compte du rapport de forces existant, c'est-à-dire des éléments dont on dispose, et que ceux-ci sont réduits au maximum, l'activité que l'on peut et doit développer à tout prix, c'est la clarification théorique, l'analyse objective de la situation et des forces en mouvement, la liaison internationale et la propagande écrite, sinon orale. Marx-Engels ont consacré l'essentiel de leurs forces, durant cette période, à ces tâches primordiales. Cependant, dans leurs interventions à l'extérieur, ils n'ont pas imité ceux qu'ils critiquaient si vivement, en utilisant la première occasion venue pour faire connaître leurs idées et accrocher les gens. Au contraire reliant solidement la théorie à la pratique, ils ne prenaient parole que sur des faits fondamentaux devant déterminer le sens de l'action des masses dans la période successive : s'il n'est pas d'action ni de parti révolutionnaires sans prévision historique, il n'est pas de prévision historique sans action et connaissance théorique préalables.
Tout en refusant de renouer avec l'organisation dont il émane, parce que ces relations ne représenteraient qu'une perte de temps et d'énergie (qu'il faut réserver pour l'essentiel), Marx collaborera finalement à Das Volk, dont il prendra en fait la direction puisqu'il en déterminera l'orientation tout entière. Le choix de cette activité a été déterminé par l'ensemble de la conception et de l'analyse de Marx-Engels. Dans Das Volk, Marx pourra aborder la question qui représente le nœud où convergent les lignes de force de toute la période historique, question qui prélude aux futurs affrontements de masse sur les champs de bataille, question qui permet le plus clairement de se délimiter des autres forces, notamment de celles qui se prétendent les plus proches. Cette façon de procéder dans les interventions extérieures et la propagande caractérise le mieux le parti marxiste, face à tous les partis opportunistes ou immédiatistes, qui courent toujours après l'événement qui passionne un instant et tombe aussitôt après dans l'oubli, remplacé par un autre.
108 La grande tâche historique des années 1860 à 1871 sur le continent fut la réalisation de l'unité nationale de l'Allemagne, de la Pologne, de la Hongrie, de l'Italie, de l'Espagne, etc., prélude à l'affrontement des classes. L'occasion saisie par Marx pour exposer la position du parti sur cette grande tâche historique fut l'affaire Vogt. Cet agent stipendié de Napoléon III prônait dans ses écrits une unité de type fédératif et petit-bourgeois, qui avait une certaine résonance en Allemagne méridionale, très particulariste, donc perméable aux influences françaises. En passant, Marx pouvait attaquer le bonapartisme en la personne de l'un de ses agents le plus en vue, et démontrer le caractère trompeur de la solution nationale réglée avec l'aide de l'impérialisme français.
En même temps, il étendra cette polémique à Lassalle qui, précisément, est en train de créer en Allemagne un parti ouvrier sur des positions qui, hélas, furent loin d'être véritablement révolutionnaires ou communistes. Et c'est encore en collaborant avec les puissances établies de l'État que Lassalle estime pouvoir lancer le mouvement ouvrier (dogme lassalléen de l'aide de l'État aux coopératives, soutien ouvrier à la politique d'unification nationale de Bismarck, sous l'égide de la Prusse, donc révolution par le haut, en échange du démocratique suffrage universel).
Marx
et Engels, en revanche, prônaient l'unité nationale bourgeoise en Allemagne (et
ailleurs) comme révolution qui met en mouvement les masses, la crise mettant en
branle des forces de plus en plus radicales qui arracheraient la direction des
opérations aux États officiels, autrichien et prussien, et finalement à la
bourgeoisie elle-même. Ainsi la question du parti est étroitement liée, qu'on
le veuille ou non, à la conception générale aussi bien qu'à la situation
historique tout entière. En faisant confiance à l'État établi, au lieu de
s'appuyer uniquement sur les masses, Lassalle, non seulement contribua à la
mise en place d'institutions politiques, administratives prussiennes dans la
future Allemagne, mais il fourvoya encore le mouvement ouvrier : « Il
s'avéra très vite, écrivit Marx à Kugelmann, le 23 février 1865, que Lassalle
avait, en fait, trahi le parti, et nous en reçûmes
bientôt la preuve. Il avait conclu un accord formel avec Bismarck (et
naturellement sans recevoir de ce dernier aucune espèce de garantie). En effet,
il devait se rendre à Hambourg, fin septembre 1864, pour y rencontrer
l'imbécile de Schramm et l'espion de police prussien Marr, afin de pousser
Bismarck à annexer le Schleswig-Holstein, en proclamant cette annexion au nom
des « ouvriers », etc. Bismarck avait promis en contrepartie le suffrage
universel et quelques mesures pseudo-socialistes. Dommage que Lassalle n'ait pu
jouer cette comédie jusqu'au bout. » Il se serait démasqué lui-même et
discrédité auprès des ouvriers révolutionnaires. L'élaboration de son écrit
polémique ‑ Herr Vogt (trad. fr. aux éditions
Costes) coûtera à Marx un immense effort, presque tous ses partisans y
apporteront leur concours, tout un réseau de relations politiques et littéraires
sera mobilisé, et Marx devra interrompre son œuvre théorique et négliger même
son gagne-pain journalistique. En ce qui concerne la politique générale de
Marx-Engels au cours de cette période cruciale, cf. Écrits militaires, « Stratégie dans la période des luttes nationales progressives », p.
433-446. Dans son étude sur « Karl Marx et le journal londonien Das Vo1k » I. A. Bach étudie la signification de cette collaboration
journalistique dans le mouvement national progressif qui reprit en 1859. Cette étude se trouve dans l'ouvrage
collectif Aus der Geschichte des Kampfes von Marx und Engels für die proletarische Partei, Dietz
Verlag, Berlin, 1961.
109 Cf. Marx à Engels, 18 mai 1859.
110 À propos de sa brochure sur La Guerre italienne et le devoir de la Prusse, Lassalle écrivit à Marx vers le 15 mai 1859 qu’« au cours de ces derniers jours, écrivant toute la nuit, [il s'était] efforcé de construire un ensemble de logique et de feu qui... en tout cas ne manquera pas de faire son effet sur le peuple ».
111 Marx fait allusion à la Société allemande de formation des ouvriers de Londres.
112 Cf. Marx à Ferdinand Lassalle, 22 novembre 1859.
113 Marx fait allusion à la brochure intitulée La Guerre italienne et le devoir de la Prusse, dans laquelle Lassalle exposa ses conceptions sur la position à adopter dans la guerre qui se préparait en Italie. Lassalle y défendait une position prusso-bonapartiste en promut la neutralité de l’Allemagne dans le conflit, justifiant ainsi « la politique de libération des nationalités » de Napoléon III, et se prononçant contre une action commune entre la Prusse et l'Autriche qui aurait opéré un rapprochement de ces deux puissances allemandes qui devaient, hélas, se battre entre elles, en 1866, affaiblissant ainsi le mouvement national allemand en général.
114 Cf. Marx à Jaser Weydemeyer, 1er février 1859.
115
Comme Weydemeyer, Albrecht Komp était un ancien dirigeant de la Ligue des
communistes émigré aux États-Unis où il développa
une grande activité politique. En ce qui concerne l'importance de la Ligue des
communistes pour le mouvement ouvrier américain, cf. l'article de Karl OBEMANN,
« The Communist League : A Forerunner on the American Labor Movement », in Science
& Society, Fall, 1966, vol. XXX, no 4, p. 433-446.
116 Cf. Marx à Ferdinand Freiligrath, 28 novembre 1859.
117Cf. Marx à Ferdinand Freiligrath, 29 février 1860.
Au moment où s'achève la longue période de reflux de la vague révolutionnaire qui a vu s'éteindre la Ligue des communistes, Marx, au lieu de céder au découragement ou de s'épuiser dans de vaines et stériles agitations, considère froidement la situation telle qu'elle est et fait le bilan de sa propre activité dans un texte qui fait la synthèse du rapport entre parti révolutionnaire et période de triomphe général de la contre-révolution.
C'est toujours dans les périodes extrêmes (de révolution ou de contre-révolution) que les questions du parti apparaissent le plus crûment. Lorsque, dans son travail de sape, la taupe Marx refait jour, c'est avec une vision encore plus claire et plus incisive : l'assurance que le programme communiste, le parti historique, est indestructible, que la victoire théorique du communisme est déjà complète ; que seul le parti formel, contingent, local, statutaire, peut être détruit momentanément sous les coups écrasants de l’adversaire, mais qu'avec la jonction entre le travail de sape théorique et l'activité des forces productives prolétariennes la crise reviendra et avec elle le parti formel, plus fort que jamais.
118 Le mot allemand naturwüchsig, que nous traduisons par « spontanément », signifie en fait « qui croît tout naturellement »
ce qui est plus logique et déterministe en même temps que plus conforme à la conception générale de Marx-Engels qui lient le devenir du parti au développement de la base économique et sociale qui détermine le rapport des forces entre les classes, donc leurs organisations.
119 Contrairement aux anarchistes, Marx admet donc qu'il faille se salir les mains tant que subsistent les conditions matérielles de classe, autrement dit qu'il faut utiliser ‑ pas n'importe comment d'ailleurs, mais en tendant à la destruction des conditions capitalistes ‑ les moyens existant dans les conditions actuelles, par exemple l'argent, la violence, avec toutes les douleurs morales et physiques qui y sont liées, et last but not least ‑ ce monstre froid qu'est l'État avec l'exercice du pouvoir politique (proclamé transitoire et voué à l'extinction à mesure que disparaissent les vestiges de l'ancienne société capitaliste de classes).
Certes, Marx n'admet pas que l'on se place au-dessous de la corruption des philistins. Mais sa formule, toute négative et toute relative, est la seule que l'on puisse proposer : tout ce que le parti peut faire dans la société capitaliste, c'est s'entourer d'une sorte de cordon sanitaire pour le préserver des miasmes de la force vive du capital : le trafic mercantiliste. Par exemple, s'il faut utiliser l'argent, ne serait-ce que pour imprimer les idées, il faut bannir toute publicité de la presse communiste. Dans une société de totale aliénation (il est pitoyable de voir recourir les propagandistes et autres activistes ou manipulateurs au remède de la culture ou de la morale prolétarienne ou populaire, comme un idéal de vie), le militant communiste peut être tout au plus un désintoxiqué, c'est-à-dire refuser les drogues nocives à sa santé physique et intellectuelle, les mythes de l’affairisme, de l'arrivisme, du carriérisme (en tant que moyen de gagner le plus possible en ne faisant que du vent), du culturalisme, tous ces beaux produits de la civilisation pourrie d'aujourd'hui, bref il doit baigner le moins possible dans la pollution générale, surtout lorsqu'elle est concentrée.
Du point de vue « subjectif »l'une des drogues les plus nocives pour les consciences, c'est le personnalisme, non seulement le culte de son propre individu, de ses intérêts et de sa gloire, mais le culte de la personne des autres, du rédempteur, du Messie, entre les mains duquel on abdique son propre destin, renonçant soi-même à lutter et à comprendre.
120 Marx fait allusion à La Nouvelle Gazette rhénane. Étant donné son importance que Marx souligne lui-même, nous avons reproduit l'article d'Engels qui retrace l'activité de Mars à la tête de ce journal.
121 Cf. Engels à Marx, 11 juin 1863.
Comme
on le sait, le point de départ de la fondation de la Ire
Internationale a été la rencontre entre ouvriers anglais et français à un
meeting de soutien à la Pologne insurgée, le 22 juillet 1863. L'Adresse des ouvriers anglais au meeting de fondation de l'Internationale
(24-9-1864) commence elle aussi par cette phrase : « Soyez les bienvenus chez
nous à l'occasion de notre grand rassemblement organisé pour exprimer notre
indignation contre les criminels qui depuis des années ont fait subir au noble mais
malheureux peuple polonais les pires affronts et cruautés. Votre venue éveille
en nous l'espoir que nous verrons bientôt un avenir plus lumineux et heureux
pour les peuples négliges et méprisés d'Europe. » (Cf. Kart Marx und die Grundung der I. Internationale, Dietz, Berlin, 1964,
p. 7.)
L'intuition de classe des ouvriers français et anglais qui se sont organisés à cette occasion rejoint l'analyse scientifique et la longue expérience de parti de Marx-Engels sur les conditions qui permettent au prolétariat européen de se constituer, pour la première fois de son histoire, en classe internationale face à toutes les puissances et classes précapitalistes ou capitalistes existantes.
1 Le manifeste ci-dessus est plus connu comme Adresse inaugurale. I1 fut écrit par Marx de même que les statuts qui lui font suite. Il révèle aussitôt quelle fut la part de Marx dans la création ‑ non pas cérémonielle, mais effective ‑ de la Ire‑ Internationale.
Ce manifeste forme, en quelque sorte, l'aboutissement de tous les efforts antérieurs de Marx-Engels en faveur d'une organisation internationale du prolétariat en classe, et il mérite bien d'être au centre des textes de Marx sur le parti révolutionnaire.
Dans ce manifeste, Marx trace de manière incomparable le programme des tâches pratiques que le prolétariat international doit faire sien, en se fondant sur une analyse extrêmement fouillée de la situation historique et économique générale. La disproportion entre les faibles effectifs numériques de l'organisation internationale du prolétariat et l'immensité des forces économiques et politiques au sein desquelles il importait d'agir ne peut heurter qu'un immédiatiste. Elle fait la gloire de l'Internationale de Marx-Engels, dont les effets ne se sont pas évanouis avec sa dissolution, au contraire.
En dépit des apparences, ce manifeste fondé sur les tâches historiques précises du prolétariat de l'époque n'a rien d'un écrit de circonstance, les conclusions qu'il dégage ont une valeur de principe, par-delà les générations.
2 Marx a extrait ce passage du Times qui reproduisait, le 7 avril 1861, un discours de Gladstone aux Communes.
3 Il serait superflu de rappeler au lecteur qu'à part l'eau et quelques substances inorganiques, ce sont le carbone et l'azote qui constituent la matière brute de la nourriture humaine. Mais pour nourrir l'organisme humain, ces simples éléments chimiques doivent lui être fournis sous la forme de substances végétales et animales. La pomme de terre par exemple, contient surtout du carbone, tandis que le pain de froment contient des substances carboniques et azotiques dans une proportion convenable. (Note de Marx à l'édition anglaise de 1864.)
4 La critique de Marx à l'encontre des vantardises statistiques de la bourgeoisie sur la progression continue du rythme de production capitaliste et ses effets bénéfiques sur le bien-être général de la classe ouvrière n'a rien de circonstanciel, comme pourrait le suggérer l'aveu tombé des lèvres de Gladstone.
Marx n'entend pas simplement démontrer que la masse de misère des ouvriers croit avec le développement de la production capitaliste, mais encore que tout développement nouveau des forces productives tend à aggraver les contradictions générales du capitalisme. Sa démonstration vaut donc pour tout le développement capitaliste vers sa crise définitive. On s'en rend compte au premier coup d'œil par le simple fait que Marx la reprit dans le chapitre fondamental du Capital sur la loi générale de l'accumulation capitaliste (Éd. sociales, t. III, p. 91-96).
Tout ministre de la première bourgeoisie du monde qu'il fût Gladstone accusa les coups du pauvre et obscur émigré qu'était Marx. Il s'ensuivit une polémique fameuse qui dura de longues années. L'économiste allemand Brentano vint au secours de Gladstone, et insinua que Marx avait falsifié la citation de Gladstone, celui-ci ayant parlé du revenu imposable concernant les seules classes possédantes, et non des revenus du salaire, non imposables. Les chiffres n'auraient donc pas concerné le revenu national, mais seulement les revenus et profits dérivant de la propriété et de l’entreprise. La fille de Marx publia une réponse indignée, et Brentano produisit un nouvel article. Finalement, Engels fit une synthèse de toute l'affaire, rapportant toutes les allégations opposées, les fac-similés des textes anglais et allemands ainsi que les pages du Times invoquées par les deux parties et les actes de la Chambre des communes, etc. Cf. In Sachen Brentano contra Marx wegen angleblicher Zitatsfälschung. Geschichtserzälhlung und Dokumente, Meissner, Hambourg, 1891. L'accusation de faux n'était pas peu de chose, non seulement eu égard aux personnes, mais encore au sérieux de la démonstration.
Engels consacra la préface de la quatrième édition allemande du Capital à exposer cette affaire et sa signification (cf. Éd. sociales, p. 38-43).
5 Cf. Le Capital, livre I, 2e section, chap. VI.
6 Marx ne nie pas, dans sa théorie de la paupérisation des masses, qu'une minorité de la classe ouvrière, sorte d'aristocratie ouvrière, voit augmenter son niveau de vie. Cf. MARX-ENGELS, Le Syndicalisme, Maspero, t. I, p. 215-216.
En revanche, Marx énonce clairement ici l'idée d'une prolétarisation et d'une paupérisation croissantes à l'échelle mondiale, au fur et à mesure du développement du capitalisme de pays en pays, voire de continent en continent.
7 Dans sa traduction allemande du Sozial-demokrat du 30-12-1861, Marx a ajouté toute la partie de la phrase en italique.
8 En allemand : Eroberung « conquête ».
9 Nous reproduisons d'abord les statuts provisoires et, en note, nous ajoutons les articles ou passages ajoutés au texte provisoire lors des divers congrès. Ces adjonctions sont le plus souvent le fruit d'une lutte dirigée, d'une part, contre les édulcorations introduites par les divers traducteurs ou sectaires de l'Internationale, d'autre part, pour le renforcement progressif de l'organisation dans le sens dune radicalisation.
10 Dans sa lettre du 4 novembre 1861 à Engels, Marx explique les difficultés auxquelles il s'était heurté pour la rédaction de l'Adresse et des statuts, et il indique quelles concessions initiales il avait dû faire en la circonstance :
« Je savais que de vraies ‘puissances’ étaient cette fois présentes aussi bien du côté de Londres que du côté de Paris, et je me suis donc décidé à faire une entorse à la règle que je m'étais fixée : décliner ce genre d'invitation... [Au sous-comité], le major Wolff avait présenté, afin d'être utilisé pour la nouvelle Association, le règlement [statuts] des associations ouvrières italiennes, qui sont essentiellement des sociétés de secours associées et pourvues d'une organisation centrale. J'ai vu le factum par la suite. C'était naturellement une élucubration de Mazzini, et tu sais donc d'avance dans quel esprit et dans quelle phraséologie y était traitée la véritable question, celle des ouvriers, et aussi comment s'y trouvent introduites les questions des nationalités. En outre, un vieil owéniste, Weston, lui-même fabricant, brave homme d'ailleurs et très aimable, avait élaboré le programme d'une confusion extrême et d'une verbosité incroyable. À la séance qui suivit, le comité général chargea le sous-comité de modifier le programme de Weston ainsi que les statuts de Wolff...
« Je m'aperçus qu'il était impossible d'en tirer quelque chose. Pour justifier la façon très particulière dont je me proposais de rédiger les ‘sentiments déjà votés’, j'écrivis une Adresse à la classe ouvrière (ce qui ne figurait pas dans le plan primitif), sorte de revue des vicissitudes des classes ouvrières depuis 1845. Sous le prétexte que tout était, en fait, contenu dans cette adresse, et qu'il ne fallait pas répéter trois fois la même chose, je modifiai tout le préambule, j'éliminai la déclaration de principes et remplaçai les quarante articles par dix. Dans la mesure où la politique internationale intervient dans l'Adresse, je parle de pays et non de nationalités ; en outre, je dénonce la Russie, et non les puissances mineures Toutes mes propositions ont été acceptées par le sous-comité Cependant, j'ai été obligé d'accueillir dans le préambule des statuts deux phrases contenant les mots devoir et droit, de même que les mots vérité, morale et justice, mais je les ai placés de telle sorte qu'elles ne causent pas de dommage. »
Plus explicitement encore, dans une lettre du 29 novembre 1864 à L. Philips : « Par politesse pour les Français et les Italiens qui emploient toujours de grandes phrases, j'ai dû accueillir dans le préambule des statuts, mais non dans l'Adresse, quelques figures de style inutiles. »
11 Marx a inclus ce paragraphe dans les statuts à la demande pressante des membres du sous-comité.
Ce paragraphe a été raccourci dans la version d'octobre 1871, rédigée après la Conférence de Londres. Marx s'en explique en ces termes : « Le passage : ‘Ils considèrent comme un devoir…’ a été écarté, parce que deux textes également authentiques et inconciliables entre eux sont en présence. En outre, son véritable sens se trouve dans le passage qui le précède immédiatement et celui qui le suit : ‘Pas de devoirs sans droits...’
« En somme, tout ce passage devient le suivant : ‘Que toutes les sociétés et individus qui y adhèrent reconnaissent comme base de leur conduite envers tous les hommes, sans distinction de couleur, de croyance et de nationalité, la vérité, la justice et la morale. Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans devoirs. C'est dans cet esprit que les statuts suivants ont été conçus. »
12 Dans le texte de 1871, l'adjectif planmässig, « systématique », suit le mot « coopération » renforçant encore l'idée de centralisation qui ressort déjà amplement de cet article 1.
13Cet article 3 qui fixe les tâches pour le prochain congrès général est évidemment largement modifié dans sa rédaction définitive
Art. 3. ‑ Tous les ans aura lieu un congrès ouvrier général composé de délégués des branches de l’Association [au lieu des représentants de toutes les sociétés ouvrières qui auront adhéré]. Ce congrès proclamera les aspirations communes de la classe ouvrière, prendra les mesures nécessaires pour l'action efficace de l'Association internationale, et en nommera le Conseil général.
14 Ernennen en allemand ; dans la version française « élira ».
15 Le premier congrès n'eut pas lieu, comme prévu, à Bruxelles, les sections de l'Internationale ne s'étant pas encore suffisamment consolidées. Marx s'efforça en conséquence de remettre à plus tard le congrès en convoquant à sa place une conférence réduite des délégués (Londres, septembre 1865).
16 Cet article, qui donne une autonomie et personnalité au Conseil central pour remplir sa fonction de centralisation et de direction, a été particulièrement controversé. Notons d'abord que l'exigence qu'il soit composé de travailleurs peut prêter à controverse, si le terme travailleurs est traduit par « ouvriers », voire par « manuels ». Mais il y a plus, la seconde phrase qui permet au Conseil central de choisir lui-même ses membres et de créer des postes nécessaires à la bonne marche de ses fonctions a été fortement contestée par la suite. Cet article 4 deviendra en 1871 l'article 5.
17 Cet article 5 confirme nettement le contenu du précédent. La version française de 1866 supprime purement et simplement cette dernière phrase. Cet article devenu 4 précisera en 1871 : « Chaque congrès fixera la date et le siège de la réunion du congrès suivant. Les délégués se réuniront aux lieu et jour désignés sans qu'une convocation spéciale ne soit nécessaire. En cas d'urgence. le Conseil général pourra changer le lieu du congrès, sans en remettre toutefois la date. Tous les ans, le congrès réuni indiquera le siège du Conseil général, et en nommera les membres. Le Conseil général ainsi nommé a le pouvoir de s'adjoindre des membres nouveaux. À chaque congrès annuel, le Conseil général fera un rapport public de ses travaux. Il pourra, en cas de besoin, convoquer le congrès avant le terme fixé. »
18 La version française traduit fonctionne comme agence internationale par « établira des relations », ce qui est pour le moins vague.
19 La version française de 1866 traduit sous une direction commune par « dans un même esprit », marquant nettement sa tendance fédéraliste face à l'orientation centraliste de l’organisation.
20 Cette phrase a été supprimée par la suite, la presse internationaliste ayant largement rempli ce rôle, comme Marx l'indique dans sa polémique avec les rédacteurs bakouninistes de L'Égalité.
21 Le mot « international » manque dans la version française qui supprime par ailleurs aussi « les organes nationaux centraux », vis-à-vis desquels le Conseil central international faisait office de direction suprême.
22 Le texte français de 1866 traduit organes nationaux centraux par « un organe spécial ».
23 L'article 7 a suivant fut inséré dans les statuts, afin de préciser, face aux éléments anarchisants, le rôle du parti. Il correspond à la résolution adoptée au Congrès de La Haye (septembre 1872) qui résume le contenu de la résolution de la Conférence de Londres de l'année précédente. Le vote de cet article, obtenu par 29 voix contre 5 et 8 abstentions, consacra le triomphe des éléments marxistes sur la fraction jurassienne de Guillaume et Bakounine qui seront expulsés de l'Internationale. C'est dire toute l'importance de cet article.
7 a : « Dans sa lutte contre le pouvoir collectif des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir comme classe qu'en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes.
« Cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de son but suprême :l'abolition des classes.
« La coalition des forces ouvrières, déjà obtenue par la lutte économique, doit aussi servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs. »
C'est avec la plus grande fermeté que le dernier congrès de la Ire Internationale renoue avec les termes du Manifeste de 1848.
24 Les derniers articles sont nettement décalés et différents.
25 La version française de 1866 traduit ce dernier membre de phrase par les mots « n'en continueront pas moins d'exister sur les bases qui leur sont particulières », insistant nettement sur la particularité des sociétés membres.
En réalité, comme l'indiquent les articles nouveaux, la tendance était au contraire de dissoudre l'autonomie des organisations à l'intérieur de l'Internationale pour réduire l'adhésion au mode individuel qui est la caractéristique du parti politique.
Voici
les articles de 1871 :
Art. 8. ‑ Chaque section a le droit de nommer ses secrétaires correspondants avec le Conseil général.
Art. 9. ‑ Quiconque adopte et défend les principes de l'Association internationale des travailleurs peut en être reçu membre. Chaque section est responsable pour l'intégrité de ses membres.
L'article 11 reproduit l'ancien article 9.
Art. 12. ‑ Les présents statuts peuvent être modifiés par chaque congrès, si les deux tiers des délégués présents le demandent.
Art. 13. ‑ Tout ce qui n'est pas prévu par les présents statuts sera complété par des règlements spéciaux que chaque congrès pourra réviser.
26 Ce texte a été adopté au premier congrès de l'Internationale (Genève, 1866). Nous le reproduisons d'après le texte de Marx et de Lafargue. L'intérêt en rebondira lors de la polémique entre L'Égalité et le Conseil central.
27 Le texte français du Congrès de Genève affirme : « un certain nombre de sections de la même langue ».
Cependant, Marx a toujours manifesté une préférence pour une organisation reposant plutôt sur des superstructures politiques de délimitation territoriale, superstructures qui sont liées aux groupements économiques nationaux, créés par la révolution anti-féodale. Marx polémiquera d'ailleurs avec Becker qui prétendait soumettre les organisations allemandes au conseil de Genève.
28 Ce projet a été élaboré par Marx et soumis le 22 novembre 1864 au Conseil central qui l’adopta à l'unanimité.
L'Internationale étant un parti politique, l'adhésion est en principe individuelle. Cependant, si Marx a estimé que des organisations ouvrières pouvaient y adhérer collectivement dans certaines conditions, c'est sans doute qu'il s'agissait de rassembler un certain nombre d'éléments et notamment de réaliser une liaison avec les syndicats de toute urgence. Dans l'introduction, nous avons déjà reproduit une citation expliquant que Marx rédigea les statuts de l'A. I. T. de manière que tous les socialistes de la classe ouvrière de cette époque pussent y participer (proudhoniens, Pierre-Lerouxistes, et même la partie la plus avancée des syndicats anglais), et que seule sur cette large base l'Internationale est devenue ce qu'elle fut : le moyen de dissoudre et d'absorber progressivement ces petites sectes, à l'exception des anarchistes. Dans une lettre à Bolte du 23 novembre 1871, Marx précise encore : « Tant que les sectes se justifient historiquement, la classe ouvrière n'est pas encre mûre pour un mouvement historique indépendant. » C'est sans doute la raison pour laquelle l’Internationale pouvait admettre ces organisations qui avaient encore leur raison d'être historique. On ne saurait donc extrapoler cette méthode, comme technique d'organisation durant la première période de la vie d'un parti ou d'une Internationale.
Dans la suite de la lettre, Marx affirme clairement que, dans l'organisation formelle de l'Internationale, le rôle du parti historique ‑ Conseil général où Marx jouait un rôle prépondérant ‑ a été déterminant pour élever l'Internationale à la hauteur de ses tâches historiques : « L'histoire de l'Internationale a été une lutte continuelle du Conseil général contre les sectes et les tentatives d'amateurs qui tentaient sans cesse de se maintenir contre le mouvement réel de la classe ouvrière au sein de l’Internationale elle-même. Cette lutte a été menée dans les congrès, mais bien davantage encore dans les tractations privées du Conseil général avec chaque section particulière. »
Si ces tensions s'expliquent par la marge qui existe entre le parti formel et historique au sein d'une même organisation, elles doivent diminuer, voire cesser, puisque, avec le temps, le parti historique doit pratiquement coïncider avec le parti formel, les conditions matérielles et idéologiques étant plus mûres.
29 Dans le Bee-Hive Newspaper, la seconde résolution est rédigée en ces termes : « Les sociétés londoniennes qui adhèrent à l'Association obtiennent le droit d'élire un représentant au Conseil central, le Conseil se réservant le droit d'accepter ou de refuser ce représentant. Les sociétés de province qui désirent adhérer obtiennent le droit d'élire un membre correspondant de l'Association.
À la séance du Conseil central provisoire du 22 novembre 1864, les citoyens Dick et Dell proposèrent que le journal des syndicats devint l'organe officiel qui publierait les comptes rendus de séance du Conseil central de l'A. I. T. ainsi que les documents officiels de l'internationale. Cette proposition fut acceptée à l'unanimité. Cependant, Marx dut protester à plusieurs reprises contre les déformations ou coupures auxquelles ce journal procédait dans la publication des documents. Étant pratiquement devenu un organe bourgeois, le Conseil général rompit avec lui à la demande de Marx en avril 1870.
30 Le sous-comité décida, dans sa séance du 6-6-1865, de lancer ce tract qui s'efforcerait en premier lieu de gagner les syndicats anglais à l'Internationale. Cette décision fait suite à la discussion sur les conditions d'admission à l'A. I. T.
31 Cf. Marx à Ludwig Kugelmann, 29 novembre 1864.
Profitant d'une tendance à la politisation des syndicats anglais dans les années 1864-1865, le Conseil central de l'Internationale établit des liens avec les dirigeants syndicaux, afin de souder les organisations économiques du prolétariat au programme politique de l'A. I. T.
32 Marx à Kugelmann, 15 janvier 1866.
33 Allusion à la Reform League, créée à l'initiative du Conseil central sur des positions qui renouaient avec le chartisme.
34 Les démocrates bourgeois anglais, à leur tour, cherchèrent à profiter non seulement de la disponibilité politique des syndicats, mais encore du concours de l’Internationale. Marx explique, dans une lettre à Engels du ler février 1865, quelles mesures organisatrices il proposa au Conseil central pour déjouer la manœuvre des politiciens bourgeois :
Ce dont nous nous sommes occupés hier [au Conseil central], c'est :notre association ‑ c'est-à-dire notre conseil ‑doit-elle, conformément au vœu exprimé par ces gaillards (parmi lesquels se trouvent tous ces vieux agitateurs professionnels de la City, tels que Samuel Morley, etc.), envoyer quelques délégués chargés d'assister en observateurs aux discussions de leur comité provisoire ? Ensuite, si ces gaillards s'engagent directement à se prononcer en faveur du suffrage universel et à convoquer dans ce but un meeting public, allons-nous leur accorder notre appui ? Pour eux, il est décisif, et ils en ont besoin tout autant que lors des manifestations contre la déclaration de guerre à l’Amérique en 1862. Sans les syndicats, il n'est pas possible d'organiser une manifestation de masse, et sans nous les syndicats ne marcheront pas. C'est du reste pour cela que ces messieurs se tournent vers nous. Les opinions étaient très partagées [au Conseil central], et les dernières flagorneries de Bright à Birmingham y avaient fortement contribué.
« Sur ma proposition, il fut décidé : 1. d'envoyer une délégation (j'en avais exclu les étrangers, mais Eccarius et Le Lubez furent tout de même désignés, mais comme Anglais et témoins muets) ; 2. pour ce qui est du meeting, d'agir avec eux à condition que : a) leur programme réclame directement et publiquement le suffrage universel ; b) que des hommes choisis par nous fassent partie du comité définitif pour pouvoir observer ces gens et être en mesure de les compromettre, au cas où ils trahiraient, comme c'est leur intention, quoi qu'il arrive. J'écris aujourd'hui à ce sujet à E. Jones. »
35 Cf. Marx à Ludwig Kugelmann, 13 octobre 1866.
Le 14 janvier 1867, le Conseil général des syndicats de Londres adopta une résolution, selon laquelle il se ralliait aux principes de l'Internationale, mais s'opposait à toute fusion organisationnelle. La liaison entre les deux organisations fut assurée par les dirigeants syndicalistes qui faisaient partie du Conseil général.
36 MARX,
article paru dans Demokratisches Wochenblatt, 17-10-1868.
37 Marx à Le Lubez, 15 février 1865.
Sur un ton de confiance et d'amitié, Marx s'efforce de convaincre Le Lubez qu'il faut fermer la porte du Conseil central à des chasseurs de postes, dont les intérêts privés sont en contradiction avec les intérêts généraux que doit défendre le Conseil central.
Dans sa lettre à Engels du 25 février 1865, Marx évoque longuement le personnage et les manies de Beales, cf. Correspondance, éd Costes, t. VIII, p 174-76.
38 Beales était président de la Ligue nationale britannique pour l'indépendance de la Pologne, l’un des dirigeants de la Société d'émancipation (des esclaves, et président de la Reform League.
39 Le 21 février 1865, Marx réussit à empêcher l'admission de Beales au Conseil central. Il s'en explique à Engels le 25 février 1865 : « J'ai obtenu que l'auteur de la candidature Beales ne renouvelât pas sa motion. Comme raison officielle, j’ai fait valoir 1, qu'aux prochaines élections parlementaires Beales sera candidat dans le Marylebone, et que notre association doit absolument éviter d'avoir l'air de servir les intérêts d'une ambition parlementaire quelconque ; 2, que Beales et nous pouvons nous rendre bien plus de services en suivant chacun notre voie particulière. Le danger est ainsi momentanément écarté... J'ai fait répondre par notre conseil que la classe ouvrière a sa propre politique étrangère qui n'a pas du tout à se demander ce que la bourgeoisie tient pour opportun La bourgeoisie a toujours tenu pour opportun d'exciter les Polonais au début de toute nouvelle insurrection, de les trahir, au cours de l'insurrection, par leur diplomatie, et de les abandonner dès que les Russes les ont vaincus.»
40 Cf. Marx à Léon Fontaine, 25 juillet 1865.
41 Cf. Marx à Wilhelm Liebknecht, 21 novembre 1865.
Le Congrès de Genève se tint, en fait, du 3 au 6 septembre 1866.
42 Cf. Marx à Kugelmann 23 février 1865. Trad. fr. : Karl MARX, Lettres à Kugelmann (1862-1874), préface de Lénine, rééd. Anthropos, 1968 p. 43-50.
43 Marx à Karl Klings, 4 octobre 1864.
Marx avait gardé le contact avec Klings, lié à quelques anciens membres de la Ligue des communistes durant la période de réaction. Klings avait demandé conseil à Marx à propos d'un successeur éventuel de Lassalle ‑ tué dans un duel, début septembre 1864 ‑ à la tête de l'Association générale des ouvriers allemands, qui était à cette époque l'unique organisation politique quelque peu indépendante de la bourgeoisie. D'où les efforts de Marx-Engels pour la rattacher à l'Internationale en vue de la transformer en parti prolétarien révolutionnaire.
44 L'un des effets de la longue période d'incubation du mouvement ouvrier de 1849 à 1864 a été d'écarter les dirigeants plus ou moins prestigieux et capables de la période révolutionnaire de 1848 et d'éveiller, chez les masses ouvrières en général et une avant-garde d'ouvriers en particulier, une capacité politique plus grande. Il semble qu'avec la maturation des conditions économiques et sociales du capitalisme la classe ouvrière soit de plus en plus en mesure de susciter elle-même ses propres dirigeants. La création de la Ire Internationale confirme cette tendance.
En ce qui concerne la question des « chefs », Marx-Engels s'efforcent toujours de la ramener à deux principes : d'abord, le milieu et le mouvement produisent à chaque fois les hommes de la situation (c'est par un tour de passe-passe qu'on substitue la question des chefs à celle ‑ véritable ‑ du parti qui doit être, dans les conditions énoncées par Marx-Engels, structuré, hiérarchisé et autoritaire pour remplir ses multiples fonctions). Ensuite, c'est la continuité, la cohérence et le caractère militant du parti en général qui forment les militants et aguerrissent les dirigeants capables et expérimentés. Ce n'est pas l'individualité, mais la fonction active qui constitue « les chefs »
Marx-Engels n'ont pas pensé qu'en prenant, par exemple, la présidence de l'Association générale des ouvriers allemands, ils eussent plus efficacement influé sur l'orientation de cette organisation : celle-ci dépendait de facteurs bien plus importants. Sans être jamais nommé officiellement à la direction de l'Association internationale des travailleurs, Marx pouvait néanmoins dire : « L'Association internationale me prend énormément de temps, étant donné que je suis en fait à la tête de cette affaire. » (Marx à Engels, 13 mars 1865.) Pour des raisons de circonstance, Engels sera moins actif que Marx dans les affaires de l'Internationale. En revanche, il le sera plus que lui à d'autres moments.
45 Le gouvernement prussien avait amnistié, le 12 janvier 1861, tous les émigrés politiques et leur avait garanti qu'il ne ferait pas obstacle à leur retour éventuel À la suite de quoi, au printemps 1861, durant son séjour à Berlin, Marx entreprit des démarches pour réintégrer sa nationalité prussienne. Celle-ci lui fut néanmoins refusée.
Bernhard Becker, nommé par Lassalle dans son testament pour lui succéder, fut « élu » à la présidence de l'Association générale des ouvriers allemands.
À plusieurs reprises, Liebknecht avait demandé à Marx de bien vouloir se faire élire à la présidence de l'Association, en spécifiant que Bernhard Becker et J. R. Schweitzer l'y avaient incité. Apparemment, Marx n'eût voulu qu'une nomination symbolique.
46À côté de nombreux dirigeants des syndicats londoniens, on trouvait, au début dans l'A. I. T., de nombreux éléments petits-bourgeois venus des milieux de l'émigration française et italienne. Marx s'attacha à isoler et à neutraliser ces éléments et, pour cela, s'appuya sur des organisations ouvrières, d'où son désir de se voir choisi par les ouvriers allemands.
Par la suite, il se constitua un noyau prolétarien révolutionnaire, sous l’impulsion de Marx. Il fut formé, entre autres, par Robert Shaw, Hermann Jung, Eugène Dupont, Auguste Serraillier, Paul Lafargue, Léo Frankel et les anciens membres de la Ligue des communistes Friedrich Lessner, Johann Georg Eccarius, Georg Lochner et Carl Pfänder.
47 Contrairement à ce qui avait été prévu initialement, le premier congrès de l'Association internationale des travailleurs (A.I.T.) ne fut pas tenu à Bruxelles en 1865, mais eut lieu à Genève du 3 au 8 septembre 1866. À l'initiative de Marx, une conférence préparatoire de ce congrès fut convoquée à Londres du 25 au 9 septembre 1865.
48 Marx à Carl Siebel, 21 janvier 1865.
Les textes que nous reproduisons témoignent de l'action du « parti Marx » dans l'Internationale, sans prétendre nullement faire l'historique de ce vaste mouvement. Ils rendent compte plutôt de l'activité du parti historique dans l'organisation du prolétariat international, à partir de l'action et des écrits de Marx-Engels. Ils n'ont donc rien d'académique et ne font pas appel à l'érudition, mais s'efforcent de tirer l'expérience pratique du mouvement communiste authentique, avec les moyens disponibles et dans le cadre de ces volumes.
49 Dans sa lettre à Marx du 21 janvier 1865 Liebknecht informe Marx qu'à cause des diverses intrigues de M. Hess, B. Becker, etc., l’adhésion de l’A. G. O. A, était retardée et qu'elle ne pourrait sans doute pas s'effectuer par voie directe, parce que les lois prussiennes interdisaient l'affiliation à une organisation internationale.
50 Dans sa lettre du ler février 1865, C. Siebel relate les vives polémiques soulevées par Klings au congrès de l'A. G. O. A., et écrit entre autres :« À propos de l'affiliation à Londres, Klings a déclaré : l'Association de formation des ouvriers de Solingen a l'intention de faire scission et de s'affilier à Londres. Mais elle veut d'abord s'efforcer d'épurer toute l'organisation allemande, et c'est alors que le moment serait choisi pour s'affilier. »
Tous
les textes sur les rapports de Marx-Engels, au nom de l'Internationale, avec le
mouvement ouvrier allemand sont extraits du volume intitulé Die I.
Internationale in Deutschland (1864-1872). Dokumente und Materialien, Dietz Verlag, Berlin, 1864.
51 Cf.
Sozial-demokrat, 12
août 1868.
Ce projet fut présenté par Bornhorst. Le Congrès adopta effectivement une motion sur la nécessité d'œuvrer en commun avec tous les partis ouvriers des pays civilisés à partir des mêmes principes, mais Schweitzer parvint à éviter l’affiliation à l'Internationale, ainsi que l'envoi d'un délégué au Congrès de Bruxelles.
En revanche, la section de Leipzig, influencée par Bebel et Liebknecht, décida d'envoyer un délégué à Bruxelles et se prononça directement pour l'affiliation à l'Internationale. C'était le point de départ du futur programme du Congrès de Nuremberg de l'Association des sociétés ouvrières allemandes (5-7 septembre 1868).
L'organisation du prolétariat allemand en parti se fera en liaison directe avec l'Internationale de Marx, et la pression spontanée de la base s'exercera d'abord sur l'organisation lassalléenne et ne sera pas sans influence sur le sort ultérieur de celle-ci. En outre, c'est à partir de cette position fondamentale que se formera le parti ouvrier allemand qui se donnera une organisation autonome au Congrès d'Eisenach en août 1869.
52 Cf.
Marx. Sozial-demokrat, 28 août 1868.
J. B. Von Schweitzer, président de l'A. G. O. A., avait demandé à Marx d'assister, comme invité d'honneur, à la réunion générale de l'Association à Hambourg du 22 au 26 août 1868. Sous la pression du mouvement ouvrier allemand, de l'agitation économique et des grèves, les dirigeants lassalléens avaient de plus en plus de mal à garder leur influence sur le mouvement, et ils durent composer et manœuvrer. Les partisans de Marx ‑ et Marx lui-même ‑ proposèrent un programme qui n'avait pratiquement plus rien de commun avec celui de Lassalle. Pour prévenir l’action de Bebel et de Liebknecht qui travaillaient déjà a la constitution de syndicats, Schweitzer et Fritzsche proposèrent de tenir à Berlin un congrès des syndicats allemands. Le Congrès de Hambourg reconnut le principe selon lequel il est nécessaire de travailler en commun avec les travailleurs des autres pays. Mais, en pratique, les dirigeants réussirent à empêcher l'affiliation de l'Association à l'Internationale. Le texte ci-dessus de Marx fut lu et applaudi à la séance publique du 21 août, puis publié dans l'organe de l'Association.
En ce qui concerne l'aspect syndical de la question des rapports avec l'A. G. O. A., cf. les textes reproduits dans MARX-ENGELS, Le Syndicalisme, t. I, p. 87-94.
53 Cf. ENGELS, « À propos de la dissolution de l'association ouvrière de Lassalle » Demokratisches Wochenblatt, 3-10-1868.
54 Sous la pression des masses et des partisans de Marx, la direction lassalléenne avait été obligée d'adopter des résolutions en opposition flagrante avec les principes lassalléens défendus jusque-là Le 16 septembre 1868, la police de Leipzig ordonna la dissolution de l’Association générale des travailleurs allemands, dont le siège était à Leipzig, en même temps que la fermeture de sa section berlinoise.
Néanmoins, trois semaines plus tard à peine, l'Association fut reconstituée à Berlin sous le même nom, par un groupe de lassalléens dirigés par Schweitzer. Dans les statuts de la nou‑velle Association, publiés le 1-10-1868 par le Sozial-démokrat, la direction de l'Association manifestait clairement son intention d'agir strictement dans le cadre de la loi prussienne, en s'en tenant aux moyens purement pacifiques et légaux. La direction s'était inclinée devant l'État prussien et se mit en devoir de dissoudre ses sections locales.
Von Schweitzer s'engageait davantage encore dans la collaboration avec Bismarck dont il soutint, de fait, la politique d'unification de l'Allemagne sous hégémonie prussienne : il s'opposa à l'affiliation des ouvriers allemands à l'Internationale, et lutta contre le parti ouvrier social-démocrate. Il fut finalement exclu de l’Association générale des ouvriers allemands en 1872, lorsque ses rapports avec le gouvernement prussien furent rendus publics.
55 Le parti ouvrier allemand se constituera en revendiquant les principes internationalistes, énoncés par Marx dans l'Adresse inaugurale et les statuts de l'A. I. T., et en luttant contre les éléments démocrates libéraux et les chefs lassalléens liés au socialisme d'État de Bismarck. À la séance du Conseil général du 28 juillet 1868, Marx lut une lettre de A. Bebel, accompagnée d'un mot de Liebknecht, invitant une délégation du Conseil général à assister à la conférence de l'Association des sociétés ouvrières allemandes de septembre 1868 dans laquelle devait se discuter la question de l'affiliation de cent sociétés ouvrières à l'Internationale. Voici le texte de l'adresse envoyée par Bebel au Conseil général de l'A. I. T., le 23 juillet 1868 : « Un événement considérable qui se passe dans la majeure partie des sociétés ouvrières allemandes nous incite à vous adresser cette missive. L'Association des sociétés ouvrières allemandes tiendra son congrès les 5, 6 et 7 septembre à Nuremberg. Entre autres, l'ordre du jour contient la question très importante du programme, qui décidera si l'Association continuera à l'avenir de travailler comme elle le fait actuellement sans aucun principe ni plan, ou si elle agira d'après une ligne directrice fondamentale, dans une orientation bien déterminée. Nous avons choisi cette dernière voie et sommes décidés à proposer l'adoption du programme de l'Association internationale des travailleurs tel qu'il est exposé dans le premier numéro du Vorbot, ainsi que 1 affiliation à l'Internationale... »
56 Aux yeux de Marx, la formation du parti révolutionnaire allemand devait s'effectuer par l'action directe des ouvriers eux-mêmes, en réaction non seulement contre les chefs lassalléens, notamment von Schweitzer et Fritzsche, plus ou moins liés au gouvernement prussien, dont l'Internationale était l'ennemi numéro un, mais encore de chefs tels , que Eccarius et Liebknecht qui voulaient régenter la classe ouvrière. C'est ce qui ressort de la lettre de Marx à Engels du 26 septembre 1868 à propos des Congrès de Hambourg et de Nuremberg
« Je ne crois pas
que Schweitzer ait eu un pressentiment du coup qui vient, de le frapper. Si
cela avait été le cas, il n'aurait pas glorifié avec tant d'ardeur les vertus
d'une ‘organisation qui marche au pas’. Je crois que c'est l'Internationale qui
a poussé le gouvernement prussien à prendre cette mesure [la dissolution de
l'Association générale des ouvriers allemands]. Ce qui explique la lettre ‘si
chaudement fraternelle’ que Schweitzer m'a adressée, c'est tout simplement
qu'il craint qu'après la décision de Nuremberg je prenne parti publiquement
pour Liebknecht et contre lui. Après l'affaire de Hambourg (le bonhomme m'avait
écrit de bien vouloir venir moi-même Hambourg ‘pour que l'on me charge des
lauriers tant mérités’), une telle polémique serait périlleuse pour lui.
« Mais ce qui est le plus nécessaire pour la classe ouvrière allemande, c'est qu'elle cesse d'agir avec l'autorisation préalable de ses hautes autorités. Une race aussi bureaucratiquement éduquée doit suivre un cours complet de formation en agissant d'après sa seule initiative. Au reste, elle bénéficie d'un avantage absolu : elle commence le mouvement dans des conditions de maturité d'une époque bien plus avancée que les ouvriers anglais et, du fait de la situation allemande, les ouvriers ont un esprit généralisateur solidement ancré en eux. Eccarius (qui vient d'assister à la Conférence de Nuremberg comme délégué de l'Internationale) ne tarit pas d'éloges sur les bonnes manières parlementaires et le tact avec lesquels les Allemands ont dirigé le Congrès de Nuremberg et ce à la différence de l'attitude des Français au Congrès de Bruxelles. »
57 Dans sa lettre à Marx du 7 septembre 1868 Eichhoff précise : « La minorité qui a ensuite déposé une protestation contre les actes du comité a tenu aujourd'hui une réunion à part dans la salle de l'Association ouvrière de formation et n'a plus assisté à la réunion générale dans la salle de la mairie locale ; elle a donc fait scission dans toutes les formes, et se constituera sans doute en une nouvelle association... L'attitude des délégués de Saxe a été exemplaire à tous les points de vue et témoigne d'une préparation tout à fait remarquable : le mérite en revient essentiellement à Bebel et à Liebknecht. Nous leur devons la victoire remportée contre la plupart des sociétés d'Allemagne du Sud, notamment du Wurtemberg, du Hanovre, de Bielefeld, d'Oldenburg, de Hambourg et d'autres sociétés isolées d'Allemagne du Nord. »
58 Le syndicalisme est par excellence le terrain où s'exerce ce que Marx appelle l'activité autonome du prolétariat, voulue et animée par les ouvriers eux-mêmes, à la différence et en opposition à toutes les autres classes, au niveau de leurs conditions réelles de vie et de travail en vue de leurs intérêts immédiats et collectifs de classe.
Nous ne reproduisons pas ici les textes de Marx-Engels sur l'Internationale et les syndicats, ainsi que leur action syndicale dans l'A. I. T., nous renvoyons le lecteur au recueil de MARX-ENGELS, Le Syndicalisme, vol. 1, 57-170.
L'initiative de la Conférence de Nuremberg s'inscrit directement dans les préoccupations du Conseil général de l'A. I. T. sur les syndicats, comme en témoigne la résolution du troisième congrès de l'A. I. T. élaborée par Marx et adoptée à Bruxelles en septembre 1868 : « En ce qui concerne l’organisation des grèves, dans les branches de production où il n'y a pas encore de syndicats, de sociétés de résistance, de secours mutuel, il importe d'en créer, puis de solidariser entre eux tous les syndicats de toutes les professions et de tous les pays, en instituant, dans chaque fédération locale, une caisse destinée à soutenir les grévistes. En un mot, il faut continuer dans ce sens l'œuvre entreprise par l'Association internationale des travailleurs, et s'efforcer de faire entrer le prolétariat en masse dans cette association... Le Congrès sera nanti chaque année d'un rapport sur les syndicats émanant de chaque groupe ou de chaque section, afin de se rendre compte de leurs progrès. » (Ibid., p. 70-71.)
59 Cette déclaration de Marx, datée du 23 novembre 1868, fait suite à la position adoptée par cette association vis-à-vis du Congrès des lassalléens de Berlin. Dans sa lettre à Engels du 25 novembre 1868, Marx écrivait : « Les lassalléens importés de Paris et d'Allemagne, en contact secret avec Schweitzer, ont utilisé l'absence de Lessner [dirigeant de l'Association et membre du Conseil central, après avoir été membre de la Ligue des communistes] à la suite de la maladie de sa femme, pour faire passer en douce un vote en faveur de Schweitzer contre le Congrès de Nuremberg. »
En fait, l'Association allemande de formation des ouvriers de Londres avait pris position par surprise en faveur des syndicats créés par Schweitzer au Congrès de Berlin du 26 septembre 1868 (d'où les associations et syndicats de l'organisation de Nuremberg avaient été écartés), et le conflit fut finalement réglé par l'adoption de modifications proposées par Marx à la circulaire. L'Association allemande de formation des ouvriers demeura une section allemande de l'Internationale à Londres.
60 Cf. MARX-ENGELS, Le Syndicalisme, vol. I, p. 87-94, sur l'agitation de J. B. von Schweitzer en vue de la création de syndicats, ainsi que sur la position personnelle de Marx sur cette question.
61 Cette association s'était formée en octobre 1868 à la suite d'une scission d'avec les éléments lassalléens. Elle se donna deux ouvriers pour dirigeants ‑ Wilcke et Kämmerer ‑ afin de marquer son caractère prolétarien. Elle conduisit une lutte sévère contre les lassalléens, et entra au parti ouvrier social-démocrate en 1869 au Congrès d'Eisenach.
62 Ce rapport, présenté au sous-comité de l'A. I. T. le 25-10-1865, est le résultat d'efforts inlassables de Marx. Celui-ci parvint à convaincre les membres du Conseil central que les sections locales de l'Internationale n'étaient pas encore assez affermies pour tenir le congrès général prévu par les statuts.
Le Conseil central adopta le programme proposé dans ce rapport à quelques modifications mineures près (Cremer et Eccarius proposèrent d'y inclure le point 10 soulevé par la section parisienne).
63 Tout parti vraiment ouvrier et révolutionnaire traite en présence de tous de ses questions d'organisation, et ce jusque dans ses détails les plus matériels et les plus humbles. Ce sont précisément les questions de fonctionnement matériel ‑ organisation des réunions, diffusion, répartition des tâches les plus diverses ‑ qui soudent les militants en une collectivité vivante et agissante, et font qu'en général chacun a le sentiment que la vie de l'organisation est l'œuvre consciente des efforts collectifs de ses membres.
64 Cf. Marx à Johann Philipp Becker, 13 janvier 1866.
Marx nous donne ici de précieuses indications sur les travaux de la Conférence de Londres de septembre 1865.
65 Ce factum déniait au Conseil central le droit de diriger l'Internationale et limitait ses pouvoirs à des fonctions purement techniques d'information et de statistique.
66 Cf. Marx à Engels, 20 novembre 1865.
Par suite de la publication par les délégués français d'un rapport sur la Conférence de Londres, Marx est, à sa demande, déchargé par le Conseil central de cette tâche.
Ce compte rendu fut publié par L'opinion nationale du 8-10-1865, L'Avenir social du 12-10-1865 et Le Siècle du 14-10-1865. Il est reproduit dans La Ire Internationale, recueil de documents, t. I, p, 16-24: Il est signé : « Pour le Conseil central : les correspondants de Paris, Fribourg, C. Limousin. »
67 Marx à Johann Philipp Becker, 31-8-1866.
Cette lettre fait pendant aux « Instructions aux délégués du Conseil central au Congrès de Genève » Il s'agit évidemment de directives confidentielles qui, cependant, n'ont aucun caractère d'intrigue, tous les conseils étant justifiés par le souci de la bonne marche du Congrès, en dehors de tout formalisme. Le compte rendu des débats mentionne que le citoyen Jung, délégué du Conseil central, a été choisi pour diriger les débats du congrès à une majorité de 45 voix (sur un total de 60).
Comme on le voit, pour Marx, la direction est confiée en fonction non pas de la préséance ou du mérite, mais des qualités requises pour exercer la tâche.
68 À la séance du Conseil central du 17 juillet 1866 Marx aborda la discussion sur les questions à mettre à l'ordre du jour du premier congrès de l'Internationale. Les débats à ce sujet se poursuivront tant au Conseil central qu'au sous-comité du 28 septembre au 14 août. Sous forme d'instructions aux délégués du Conseil central au congrès; Marx sera chargé de rédiger le texte du programme qui devait en résulter et dont le Congrès de Genève tira ses principales résolutions.
Dans
une lettre à Kugelmann du 9 octobre 1866, Marx s'explique lui-même sur ses
intentions : « J'avais de vives appréhensions pour le premier congrès de
Genève. Mais, en somme, il a dépassé, en bien, mes attentes. Son effet en
France, en Angleterre et en Amérique a été inespéré. Je ne pouvais ni ne
voulais m’y rendre, mais j'ai rédigé le programme des délégués de Londres. J'ai
limité à dessein ce programme aux points qui permettent d'obtenir un accord
immédiat et une action commune des ouvriers, de manière à donner un aliment et
une impulsion directe aux exigences de la lutte de classe et à l’organisation
des ouvriers en classe. »
Soixante délégués, dont quarante représentaient les diverses sections et quinze les sociétés adhérentes, prirent part au Congrès de Genève. Les proudhoniens, qui disposaient du tiers des voix, présentèrent un programme séparé sur tous les points de l'ordre du jour. Le Congrès adopta six des neuf points des « Instructions » de Marx sous forme de résolutions : la combinaison internationale des efforts, par le moyen de l'association, pour la lutte du travail contre le capital ; la limitation des heures de travail ; le travail des enfants et des femmes ; le travail coopératif, les syndicats, et les armées permanentes. Sur la Pologne, on adopta la résolution de compromis de Johann Philipp Becker. Enfin, le Congrès de Genève ratifia les statuts et le règlement de l'Association internationale des travailleurs, élaborés par Marx.
69 Le principe démocratique est appliqué de manière purement formelle, a posteriori pour ainsi dire, puisque les membres du Conseil central se recrutent par cooptation selon les besoins et les tâches à remplir.
70 Ce poste était purement artificiel, et ce fut Marx qui le fit supprimer : « À propos de l'Internationale, le poste de président a été aboli à ma demande, alors qu'Odger était sur le point d'être réélu. » (Marx à Engels, 4 octobre 1867.) Odger se comporta indignement à l'occasion de la Commune, et dans son exposé contre Odger à la réunion du Conseil général du ler août 1871, Marx dit : « Au cours des cinq dernières années, Mr Odger a complètement ignoré l'Internationale et n'a jamais rempli les devoirs de sa charge. Le poste de président du Conseil général a été supprimé par le Congrès, parce qu'il était inutile et purement fictif. Mr Odger a été le premier et le seul président de l'Internationale. Il n'a jamais rempli ses devoirs et le Conseil général a très bien pu agir sans lui, c'est pourquoi le poste de président a été supprimé. » (MARX-ENGELS, La Commune de 1871, 10/18, p. 153, 160-162.)
La décision de supprimer le poste de président fut prise au Conseil général, le 24 septembre 1867, et Marx proposa qu'à chaque réunion on choisisse un président de séance. La décision de la suppression de ce poste fut ratifiée par le Congrès de Bâle en septembre 1869.
71 Le Courrier international introduisit ici le paragraphe suivant, d'inspiration démocratique : « Le comité permanent, formant en fait l'exécutif du Conseil central, sera choisi par le Congrès ; la fonction de chacun de ses membres sera déterminée par le Conseil central. »
72 Cette tâche est encore le signe de la volonté de Marx de développer au maximum l'activité autonome du prolétariat. C'est l'intérêt ‑ et non le moindre ‑ de cette enquête établie d'après le schéma exposé dans Le Capital sur les conditions de vie et de travail des ouvriers, en se basant sur les rapports des inspecteurs de fabrique anglais. Ce faisant, les ouvriers eussent pu dégager une vision précise de leur situation, afin d'agir en connaissance de cause dans le sens de leur émancipation. La question portait, en effet, leur attention sur les conditions particulières de travail de chacun, ainsi que sur ses imbrications complexes avec le cadre tout entier du système immédiat d'exploitation.
73 Lors des débats sur la limitation du temps de travail, le proudhonien Fribourg de Paris dit « qu'il ne demande pas une réduction semblable, la délégation parisienne demande seulement que le travail des ouvriers ne soit pas défavorable au développement naturel de leurs facultés et aptitudes, et qu'il ne croit pas qu'il soit possible d'établir aucune réglementation à ce sujet » (Cf. La Ire Internationale, recueil de documents publiés sous la direction de Jacques Freymond, E. Droz, Genève, 1962, t. I, p. 49.) Cette science de politique sociale trouvera son apogée à Saragosse, au printemps 1872, dans le refus de discuter de la journée de travail de huit heures, « parce qu'elle est une limitation au grand but, l'abolition du salariat, c’est-à-dire de l'identité du consommateur, du producteur et du capitaliste amenée par la coopération » (ibid., p. 46).
74 Tandis que Marx part des données réelles de la société capitaliste pour établir les revendications matérielles des ouvriers, comme il part de l'acquis de la production capitaliste (grande industrie, échanges internationaux des produits, travail associé des producteurs et des machines, application de la science à l'activité productive, etc.) pour déterminer la nature des rapports sociaux de la société socialiste, les proudhoniens partent d'idées préconçues, découlant de la production idyllique de l'artisanat patriarcal de l'époque précapitaliste, pour prôner un socialisme petit-bourgeois réactionnaire.
À propos du travail des femmes et des enfants les citoyens Chemalé, Fribourg, Perrachon, Camélinat firent la proposition philistine suivante :
« Au point de vue physique, moral et social, le travail des femmes et des enfants dans les manufactures doit être énergiquement condamné en principe comme une des causes les plus actives de la dégénérescence de l'espèce humaine et comme un des plus puissants moyens de démoralisation mis en œuvre par la caste capitaliste.
«
La femme n'est point faite pour travailler [sic] ; sa place est au foyer de la
famille, elle est l'éducatrice naturelle de l'enfant, elle seule peut le
préparer à l'existence civique, mâle et libre [sic]. » (Cf. ibid., p. 50.)
75 Tous ces développements correspondent à l'exposé du Capital, livre I, chap. XV, sur la législation de fabrique (Éd. sociales, t. III, p. 159-178). La liaison entre les travaux théoriques de Mars et son activité militante est évidente. Mieux : dans cette partie du Capital, Marx établit la synthèse de ce que seront le travail humain et l'éducation dans la société communiste à partir des conditions créées par la grande production capitaliste, ainsi que comme résultat des luttes revendicatives exemplaires du prolétariat anglais pour des conditions de vie et de travail meilleures. De cette synthèse, Marx déduit ensuite les mots d'ordre pratiques de revendication et d'organisation du prolétariat international. La théorie est inséparable, à tous ses stades, de la pratique.
76 Ces données concrètes correspondent évidemment au développement des forces productives du siècle dernier.
77 Au centre de la transformation économique du mode de sur production actuel en mode de production communiste, fondé le travail associé des libres producteurs, il y a la question fondamentale de l'État politique qu'il faut briser et remplacer provisoirement par un autre jusqu'à ce que les superstructures politiques bourgeoises d'oppression aient été définitivement balayées dans le monde. La même exigence se pose pour les soviets, conseils de fabrique ou comités d'autogestion, qui ne peuvent transformer véritablement l'économie qu'après la conquête du pouvoir politique par le prolétariat.
78 Les proudhoniens n'avaient aucune vision de classe sur cette question et ignoraient donc toute action (et organisation) du prolétariat par les syndicats, comme en témoigne leur contre-proposition au Congrès de Genève : « Dans le passé, les sociétés ouvrières, avec le système des corporations et des maîtrises, c'était l'esclavage pour le travailleur ; aujourd'hui, la situation est l'insolidarité et l'anarchie. L'avenir doit réaliser l'identité de ces trois termes : travailleur, capitaliste et consommateur ; l'ouvrier doit devenir le propriétaire de son produit. » (Ibid., p. 72.) Et « la grève est loin d'être la solution du problème social ; le but poursuivi par l'Association est la suppression du salariat, à quoi l'on ne pourra arriver que par l'association, et surtout par l'association coopérative » (ibid., p. 71).
79 Au printemps 1865, à l'initiative du Conseil central de l'A. I. T., fut fondée la Ligue nationale pour la réforme qui devait inciter les syndicats à abandonner autant que possible leur apolitisme traditionnel. Cette Ligue renouait avec les principes démocratiques du chartisme. Elle poursuivit l'activité, du prolétariat anglais dans le domaine politique en empêchant une intervention militaire de la bourgeoisie aux côtés des esclavagistes sudistes durant la guerre de Sécession.
80 C'est après la guerre civile aux États-Unis (1861-1865) que se développa le mouvement revendicatif ouvrier en Amérique. Celui-ci se concentra sur l'objectif de la journée de travail de huit heures, avec les Eight-Hour Leagues dont les ramifications s'étendirent à presque tout le pays. L'Union nationale des ouvriers se greffa sur ce mouvement et, à son Congrès de Baltimore d'août 1866, elle proclama que la revendication de la journée de travail de huit heures était la condition préalable de l'émancipation ouvrière du joug capitaliste.
81 En une formule ramassée, Lénine a tiré la conclusion de l'œuvre de la Ire Internationale sur ce point : « L'idée que la lutte de classe unitaire doit nécessairement lier en elle la lutte politique et économique est passée depuis dans la chair et le sang de la social-démocratie internationale. »
Au Congrès de Genève, les anciens de la Ligue des communistes menèrent la lutte aux côtés des délégués anglais du Conseil général et des syndicats pour défendre les thèses de Marx contre les attaques des proudhoniens français et suisses, qui représentaient les aspirations des travailleurs parcellaires, artisans et petits paysans, dont la seule vision collective est la coopérative de production locale.
82 Les deux points 7 et 8 appellent des solutions établies par des idéologues créateurs de systèmes et permettant de résoudre la « question sociale » grâce à une panacée, et non grâce à l'action concertée des classes ouvrières sur le terrain réel du développement économique et social. Marx dit d'emblée, comme pour le système des coopératives, que les véritables changements s'effectuent par la lutte des classes.
À côté de l'Angleterre, pays le plus avancé du capitalisme, et donc aussi sa classe ouvrière, l'autre citadelle de la Ire Ire Internationale a été la Suisse petite-bourgeoise des coopératives. Sa population multilingue, sa situation entre la France bonapartiste et les pays où le problème des nationalités se posait encore avec acuité ainsi que les libertés d'association qui y existaient firent de ce pays le centre politique de l'Europe continentale et le modèle dune fédération opposée à la centralisation. Au début de 1866, la section allemande du comité central de Genève prit en charge les affaires ouvrières d'Allemagne : des sociétés allemandes et autrichiennes s'affilièrent au comité de langue allemande à Genève. De même, Genève fut le centre d'organisation et d'agitation pour le Jura français, et son influence s'exerça jusqu'à Lyon et Marseille. De nombreux réfugiés politiques petits-bourgeois, luttant pour les droits nationaux de la Hongrie, de l'Allemagne, du Danemark, de la Suède, de l'Italie, etc., se trouvaient en Suisse, mêlant l'agitation pour la liberté, la démocratie et les droits du citoyen à l'agitation sociale.
Finalement, l'opposition entre les forces prolétariennes et les forces petites-bourgeoises se cristallisera autour de Londres et de Genève, et les marxistes appuyés sur les syndicats affronteront les anarchistes appuyés sur les coopératives.
Très tôt déjà, la Suisse s'était opposée aux tentatives de constitution du prolétariat sur des positions de classe. Par exemple, en août 1869, lorsque se créa le Parti ouvrier social-démocrate allemand, le comité central de Genève s'opposa à sa formation en organisation politique stable, en arguant que « le champ d'action de la direction nationale ne doit pas se borner aux frontières de l'État, mais s'étendre selon l'usage de la langue », pour justifier ses empiètements et ses projets de société de propagande fluide ayant comme base organisationnelle les sociétés coopératives. Sur ce point, il rejoignait les positions lassalléennes.
83 Dans sa lettre à Kugelmann, du 9 octobre 1866, Marx dit à ce propos :
« Messieurs les
Parisiens avaient la tête pleine des phrases proudhoniennes les plus creuses.
Ils bavardent de science et ne savent rien. Ils dédaignent toute action
révolutionnaire, qui jaillisse de la lutte de classe elle-même, et tout
mouvement concentré, social, donc réalisable aussi par des moyens politiques
(par exemple, la diminution légale de la journée de travail). Sous le prétexte
de la liberté et de l'antigouvernementalisme, ou de l'individualisme
anti-autoritaire, ces messieurs, qui ont sup‑ porté
et supportent allégrement depuis seize ans le plus misérable despotisme, ne
prêchent en fait que l'économie bourgeoise la plus ordinaire, idéalisée
seulement de manière proudhonienne. Proudhon a causé un mal terrible. Son
semblant de critique et son apparente opposition aux utopistes ‑ alors
que lui-même n'est qu'un utopiste petit-bourgeois, alors que les utopies d'un Fourier ou d'un Owen sont le
pressentiment et l'expression imaginaire d'un monde nouveau ‑ ont d'abord
séduit et corrompu la « jeunesse brillante » et les étudiants, puis les
ouvriers, les Parisiens qui, en tant qu'ouvriers de luxe, restent sans le savoir
fortement attachés à toutes ces choses du passé. Ignorants, vaniteux,
arrogants, bavards, emphatiques, enflés, ils étaient sur le point de tout
gâter, car ils étaient venus en nombre au congrès, nombre qui ne correspondait
nullement à celui de leurs adhérents. En sous-main, je leur donnerai sur les
doigts dans le rapport.
« Le congrès des ouvriers américains, qui s'est tenu au même moment à Baltimore, m'a causé beaucoup de joie : ici, le mot d'ordre était l’organisation de la lutte contre le capital, et ‑ chose remarquable ‑ la plupart des revendications que j'avais rédigées pour Genève ont été également posées là-bas, par le sûr instinct des travailleurs.
« La Ligue nationale pour la réforme, que notre Conseil général (où j'ai pris une grande part) a appelé à la vie prend maintenant des dimensions immenses et irrésistibles. Je suis toujours demeuré en coulisse, et je n'ai plus à m'occuper de l'affaire à présent qu'elle suit son train. »
84 Marx reprend ici l'un des points qui dominent toute la politique extérieure objective de l'Europe du siècle dernier. Ce point, qui avait fourni l'occasion aux classes ouvrières d'Europe de se constituer en classe internationale, avec la création de la Ire Internationale, est repris ici par Marx pour être soumis à la discussion du congrès, dont la politique doit s'inscrire dans la vision générale développée à la fin de l'« Adresse inaugurale » de l'A. I. T. Cette question concrète et brûlante divisa au plus haut point le congrès en avivant tous les antagonismes existant au sein de l'Internationale. Au nom de la délégation française ‑ qui avait pourtant participé deux ans auparavant au meeting polonais à Londres ‑, Fribourg déposa une motion déclarant que le parti ne devait pas prendre position dans « la question embrouillée des nationalités » qui est une question politique, mais admit que « les membres allemands et suisses aient cependant la faculté de signer la proposition ‑ de compromis ‑ de Becker en faveur de la reconstitution de la Pologne ».
C'est sur ce point qu'apparaît le plus visiblement l'immaturité sociale et politique des participants du congrès : tout le siècle fut pourtant rempli et dominé par les luttes pour la formation des États nationaux modernes en Europe. Cette faiblesse se retrouva dans la IIe Internationale et la social-démocratie allemande, qui ne surent pas utiliser l'immense héritage politique de Marx-Engels sur l'impérialisme. De fait, celle-ci succomba au moment du heurt impérialiste de 1914. Cette incapacité politique empêcha les social-démocrates de lire dans le sous-sol social les forces réelles qui firent échouer les tentatives du prolétariat international à l'heure décisive de la crise mondiale.
85 Aux yeux de Marx-Engels, la question militaire est toujours l'une des plus épineuses qui soient. En effet, elle exige, d'une part, un maximum de sens de classe pour ne pas tomber dans les excès du militarisme bourgeois, d’autre part, une vision aiguë du développement de la politique de la société en général. Dans ces conditions, on comprend que Marx se soit limité dans ses instructions à des directives générales, au demeurant fort claires, toujours antipacifistes.
En fait, au moment du congrès, la guerre austro-prussienne venait tout juste de s'achever, et Marx-Engels savaient fort bien qu'elle était le prélude à des conflits autrement plus graves. Au lieu de considérer ces guerres de manière dialectique, avec leur côté positif et leur côté négatif, les Français se lancèrent dans des grandes phrases sur les « tyrans ».
86 La question des idées religieuses « et leur influence sur le développement social, politique et intellectuel » donna lieu, elle aussi, à un flot de paroles et d'éloquence.
87 Lettre de Marx publiée dans le Narodnoje Delo, 15-4-1870.
Bien que ce texte outrepasse les limites chronologiques du présent tome, nous l'avons repris ici, parce qu'en substance il fait partie de la période d'aménagement de la Ire Internationale. Avec la création de la section russe de l’A. I. T., l’Internationale est en place, du moins dans ses lignes essentielles.
Le 12 mars 1870, le comité de la section russe qui allait se créer envoya à Marx son programme et ses statuts, en lui demandant de les examiner et de bien vouloir représenter la section au Conseil général. À la séance du 22 avril, le Conseil général décida d'admettre la section russe. Par la suite, elle soutint Marx-Engels dans leur lutte contre Bakounine. La section russe fut très active non seulement sur place, en Suisse, mais elle noua encore des relations étroites avec le mouvement révolutionnaire de Russie. Elle se désagrégea en 1872.
En ce qui concerne la pénétration et la propagation des idées de Marx-Engels en Russie, notamment dans les années 1960, cf. W. N. KOTOV, Eindringen der Ideen von Karl Marx und Friedrich Engels in Russland, Dietz Verlag, Berlin, 1956.
88 De même, Engels a commencé avec l'étude sur La Situation de la classe ouvrière en Angleterre.
89 La section russe se fixa pour but de faire connaître le programme et les statuts de la Ire Internationale aux révolutionnaires russes, de les familiariser avec les textes de Marx- Engels et d'établir des contacts avec le mouvement révolutionnaire des pays développés de l'Ouest. C'est ce qui ressort de son programme même :
« 1. Propager en Russie, avec tous les moyens rationnels possibles qui peuvent résulter des particularités de situation de ce pays les idées et les principes fondamentaux de l'Association internationale ;
« 2. Contribuer à la fondation de sections internationales parmi les masses laborieuses russes ;
« 3. Contribuer à réaliser une liaison solide et fraternelle entre les classes laborieuses de Russie et celles d'Europe occidentale, et à atteindre leur but commun d'émancipation, grâce à une action et une aide mutuelles. »
1 Séance du 6 septembre 1866 (Congrès de Genève de l'Association internationale des travailleurs). Cf. La Ire Internationale, recueil de documents, I. U. E. I., t. 1, p. 55-56.
L'action prédominante de Marx dans l'établissement du programme et des règles d'organisation ‑ comme il ressort du précédent tome de ce recueil ‑ ne pouvait pas ne pas susciter une réaction du parti opposé, proudhonien et sectaire, au sein de l'Internationale même. Au cours des polémiques qui s'ensuivront, les conceptions de Marx-Engels tout comme celles de leurs adversaires s'affirmeront avec une netteté et un tranchant toujours plus grands, et l'on aboutira à la scission.
La motion sectaire visant à exclure les « intellectuels » ‑ non pas des rangs de l'Internationale, mais des postes de délégués aux congrès, où se décide en dernier ressort la ligne politique générale ‑ est directement dirigée contre Marx. Aux yeux de celui-ci, ce n'est qu'une manœuvre, de l'espèce la plus basse : parlementaire.
2 En mars 1866, la question des « chefs » et des « intellectuels » avait déjà fait l'objet de débats assez vifs au Conseil central, comme Marx en informe Engels dans sa lettre du 24 mars 1866
« L'intrigue au Conseil central était étroitement liée aux rivalités et aux jalousies suscitées par le journal (M. Howell voudrait devenir rédacteur en chef, et de même M. Cremer). M. Le Lubez en avait profité pour intriguer contre l'influence allemande, et dans la séance du 6 mars eut lieu une scène soigneusement mijotée dans le plus grand secret. Le major Wolff fit soudainement apparition et ‑ en son nom, au nom de Mazzini et de la société italienne ‑ il fit un discours solennel contre ma réponse à l'attaque de Vésinier, réponse envoyée par Jung, au nom du Conseil central, à l'Écho de Verviers. Il attaqua violemment Jung et moi-même (implicitement). Le vieux mazzinisme d'Odger, de Howell, de Cremer, etc., se fit jour. Le Lubez attisa le feu et, à tout hasard, on adopta une résolution faisant plus ou moins amende honorable vis-à-vis de Mazzini, Wolff, etc. Tu le vois, l'affaire prenait un tour sérieux. (Peu d'étrangers étaient là, et pas un ne vota.) C'eût été un joli tour de la part de Mazzini que de s'approprier l'Association, après m'avoir laissé la peine de l'amener à son point actuel. Il demanda aux Anglais de le reconnaître comme chef de la démocratie continentale, comme si les Anglais avaient à nous désigner comme chefs !
« Le samedi 10 mars, les secrétaires étrangers de l’Association se réunirent chez moi afin de tenir un conseil de guerre (Dupont, Jung, Longuet, Lafargue, Bobczynski). Il fut décidé qu'en tout état de cause j'assisterai le mardi 13 au Conseil pour y protester, au nom de tous les secrétaires étrangers, contre la procédure qui avait été employée...
« Tout se passa bien mieux que nous ne l'escomptions même ; malheureusement, à cause d'une réunion de cette merde de Reform League, les Anglais n'étaient guère représentés. J'ai lavé la tête à Le Lubez. En tout cas, il est devenu clair pour les Anglais (en fait, il, ne s'agit ici encore que d'une minorité) que tous les éléments du continent font bloc derrière moi, et qu'il ne s'agit donc nullement ‑ comme Le Lubez le prétend ‑ d'influence allemande. Le Lubez avait essayé de leur faire accroire que je dominais les éléments du continent en étant le chef des Anglais. Messieurs les Anglais savent maintenant, au contraire, que, grâce aux éléments du continent, je les ai complètement en main, et le leur ferai sentir dès qu'ils feront des bêtises. »
3 Marx était
d'avis en effet que ses travaux théoriques, notamment Le Capital, étaient plus importants que sa présence au congrès : « Bien que je
consacre beaucoup de temps aux travaux préparatoires de Genève, je ne puis ni
ne veux m'y rendre, car il m'est impossible d'interrompre mon travail pendant
longtemps. Je considère qu'avec ce travail je fais quelque chose de bien plus
important pour la classe ouvrière que tout ce que je pourrais faire
personnellement dans un congrès quelconque. » (Cf. Marx à Kugelmann, 23 août 1866.)
4 Souligné par nous.
5 Cf. Marx à Engels, 20 septembre 1866.
6 La question des chefs ‑ qu'ils soient nécessairement des ouvriers ou des personnages hors du rang, intellectuels, demi-génies, etc. ‑ se pose dès lors qu'on l'abstrait de celle du parti structuré, discipliné, mais impersonnel dans ses fonctions. Elle est liée non seulement, comme Marx l'évoque ici, au parlementarisme, mais est elle-même une forme de l’esprit et de l’organisation parlementaires (délégation formelle de pouvoirs).
7 Cette discussion n'eut pas lieu à la séance du 2 octobre, mais à celle du 16 où il fut décidé de soumettre la question à l'examen du sous-comité. Celui-ci confirma, au vu du protocole du congrès, l'exclusion unanime de Le Lubez.
8 Marx écrivit cette circulaire, approuvée par le Conseil général dans sa séance du 22 décembre 1868, à la suite de la demande d'affiliation de l'Alliance bakouniniste à l'Internationale. Cf. Documents of The First International, t. III, p; 299-301. L'Alliance avait été fondée en octobre 1868 par un comité initiateur composé de Bakounine, Brosset, Duval, Gouétat,, Sagordki et J. P. Becker.
Marx se concerta avec Engels, afin de mettre au point sa réponse. Dans sa lettre du 15 décembre 1868 à son ami, il lui demanda son concours, puis il lui expliqua : « M. Bakounine, qui est à l'arrière-plan de toute cette entreprise, condescend à vouloir mettre le mouvement ouvrier sous la direction russe. Cette merde existe depuis deux mois, et c'est hier seulement que le vieux Becker en a informé le Conseil général par lettre (Becker devait rompre tout de suite après avec l'Alliance bakouniniste). Comme il l'écrit, cette organisation doit suppléer au manque d' ‘idéalisme’ de notre association. L'idéalisme russe ! Il régnait une grande indignation ce soir à notre Conseil général, surtout parmi les Français, à propos de ce document. Je connaissais l’affaire depuis longtemps, et je la considérais comme mort-née et, par égard pour Becker, j'ai voulu la laisser mourir de sa belle mort. Cependant, elle est devenue plus sérieuse que je ne le pensais. »
Engels répondit le 18 décembre : « Les documents de Genève sont bien naïfs. Le vieux Becker n'a jamais pu s'empêcher de faire de l'agitation dans les petits cercles. Dès que deux ou trois personnes se rencontrent, il faut qu'il y soit. Si tu l'avais prévenu à temps, il s'en serait probablement retiré. Maintenant, il va être étonné que ses efforts bien intentionnés produisent un mauvais effet. Il est clair, comme le jour que l'Internationale ne peut céder à cette duperie. Il y aurait deux conseils généraux et même deux congrès ;.c'est l'État dans l'État, et dès le premier moment, le conflit éclaterait entre le conseil pratique à Londres et le conseil théorique, ‘idéaliste’, à Genève. Il ne peut y avoir deux corps internationaux (par profession) dans l'Internationale, pas plus que deux conseils généraux. Du reste, qui vous donne le droit de reconnaître un soi-disant bureau central sans mandataires, dont les membres appartenant à la même nationalité se constituent (§ 3 du règlement, on omet le ‘si’ et pour cause !) en bureau national de leur pays ! Ces messieurs, n'ayant pas de constituants, eux-mêmes exceptés, veulent que l'Internationale se constitue en mandataire pour eux. Si l'Internationale refuse de le faire, qui reconnaîtrait ‘le groupe initiateur’, autrement dit le ‘bureau central’ pour ses représentants ? Le Conseil central de l'Internationale au moins a passé par trois élections successives, et tout le monde sait qu'il représente des myriades d'ouvriers. Mais ces ‘initiateurs’ ?
«
Et puis, si nous voulons bien faire abstraction de la formalité des élections,
que représentent les noms qui forment ce groupe initiateur ? Ce groupe qui
prétend se donner ‘pour mission spéciale d'étudier les questions politiques et
philosophiques’, etc. ? Ce ne peut être que la science qu'ils représentent.
Trouverons-nous parmi eux des hommes dont il est notoire qu'ils ont passé leur
vie entière à l'étude de ces questions ? Au contraire. Pas un nom dont le
porteur ait, jusqu'ici, même osé prétendre passer pour un horaire d'études.
S'ils sont sans mandats comme représentants de la démocratie sociale, ils le
sont encore mille fois plus comme représentants de la science. [Ces deux
derniers paragraphes sont rédigés en français par Engels.]
« Tu as déjà traité de tout le reste dans tes notes. Je considère aussi toute l'entreprise comme mort-née, simple excroissance genevoise. Elle ne pourrait vivre que si vous l'attaquiez trop vivement, lui attribuant trop d'importance. Le mieux serait, à mon avis, de repousser calmement mais fermement, la prétention de ces gens de s'insinuer dans l'Internationale, et de dire, pour le reste, qu'ils se sont découvert un terrain particulier, et nous attendons ce qu'ils seront capables d'y faire. On pourrait même dire que, pour le moment, rien n'empêche que les membres d'une association fassent aussi partie de l'autre. Comme ces gaillards n'ont pour seule action que de faire du battage, ils finiront par ne plus pouvoir s entendre entre eux. On peut donc s'attendre qu'ils ne trouveront guère d'adeptes à l'extérieur pour grossir leurs rangs, étant donné les conditions, et tout se disloquera. »
9 Les trois derniers points ont été ajoutés sur proposition de Dupont et rédigés par Marx.
10 Ce dernier point n'a pas été repris dans la version définitive des résolutions.
11 Cf. Marx à Engels, 5 mars 1869.
Le 27 février, l’Alliance avait répondu aux résolutions du Conseil général, se disant prête à dissoudre son organisation, si son programme était ratifié et ses sections locales admises dans l’Internationale.
Bakounine lui-même avait écrit à Marx, le 22 décembre 1869 : « Mieux que jamais, je suis arrivé à comprendre que tu avais raison en suivant et en nous invitant tous à marcher sur la grande route de la révolution économique, et en dénigrant ceux d'entre nous qui allaient se perdre dans les sentiers des entreprises soit nationales, soit exclusivement politiques. Je fais maintenant ce que tu as commencé à faire toi, il y a plus de vingt ans. Depuis les adieux solennels et publics que j'ai adressés aux bourgeois du Congrès de Berne, je ne connais plus d'autre société, d'autre milieu que le monde des travailleurs. Ma patrie maintenant, c'est l'Internationale, dont tu es l'un des principaux fondateurs. Tu vois donc, cher ami, que je suis ton disciple, et je suis fier de l'être. Voilà tout ce qui était nécessaire pour t'expliquer mes rapports et mes sentiments personnels. »
L'excès même des protestations d'amitié démontre qu'il ne s'agissait pour Bakounine que de manœuvrer Marx. Celui-ci n'en fut pas dupe, car, sachant que les alliancistes avaient tenté de gagner à leur cause De Paepe, l'un des dirigeants les plus influents de Belgique, Marx demanda à Jung de communiquer les résolutions du Conseil général au conseil fédéral de Bruxelles, notamment à De Paepe que Bakounine avait déjà contacté afin de le gagner à sa faction (22-12-1868).
12 La lettre de Marx à Engels est, à quelques variantes significatives près, la même que le texte suivant, adressé à l'Alliance le 9 mars.
13 Ce texte de Marx a été approuvé à l'unanimité par le Conseil général dans sa séance du 9 mars 1869. Il sera communiqué pour information aux secrétaires correspondants de toutes les sections, et publié pour la première fois en 1872 dans la brochure sur Les Prétendues scissions dans l’Internationale (cf. MARX-ENGELS, Textes sur l'organisation, Paris, Spartacus, pages 48-98).
14 Souligné par nous.
15 Cet article reproduisait textuellement l'article 2 du programme de l’Alliance avec lequel Bakounine s'était présenté en septembre 1868 au congrès bourgeois de la paix et de la liberté à Berne.
À la suite de la lettre de Marx, cet article fut transformé en avril 1869 de la manière suivante : « Elle veut avant tout l'abolition complète et définitive des classes et l'égalisation politique, économique et sociale des individus des deux sexes. » Cette façon de surenchérir sur la simple abolition complète et définitive, tout en reprenant l'égalisation politique, etc., comme si la politique et les surperstructures politiques subsistaient après l'abolition des classes montre, d'une part, l'indulgence de Marx et, d'autre part, qu'il est pour le moins, difficile de « rectifier » un programme.
16 Marx lui-même indique dans Les Prétendues scissions quel fut le résultat de cette circulaire : « L'Alliance, ayant accepté ces conditions, fut admise dans l'Internationale par le Conseil général, lequel, induit en erreur par quelques signatures du programme Bakounine, la supposa reconnue par le comité fédéral romand de Genève qui, au contraire, ne cessa jamais de la tenir à l'écart. Désormais, elle avait atteint son but immédiat : se faire représenter au Congrès de Bâle. En dépit des moyens déloyaux dont ses partisans se servirent ‑ moyens employés, à cette occasion, et cette fois-là seulement, dans un congrès de l'Internationale ‑, Bakounine fut déçu dans son attente de voir le congrès transférer le siège du conseil fédéral et sanctionner officiellement la vieillerie saint-simonienne, l'abolition immédiate du droit d'héritage, dont Bakounine avait fait le point de départ pratique du socialisme. Ce fut le signal de la guerre ouverte et incessante que fit l'Alliance non seulement au Conseil général, mais encore à toutes les sections de l'Internationale qui refusèrent le programme de cette coterie sectaire et surtout la doctrine de l'abstention absolue en matière politique. » Cf. La Ire Internationale, recueil de documents, t. II, p. 271-272.
17 Cf. Marx à Engels, 27 juillet 1869.
18 Dans la succession historique des, structures sociales, la formation des nationalités s'effectue au moyen de pactes de fédérations (forme de rapports sociaux dans la vision marxiste entre peuples de race et de langue plus ou moins proches). Ce stade précède, de loin, la formation des nations modernes (amorcée par a monarchie absolue et achevée par la bourgeoisie révolutionnaire) qui repose sur le mercantilisme et le système capitaliste réels. D'où la comparaison, rien moins que polémique, de la tentative de Becker avec les efforts réactionnaires du panslavisme.
19 Le 13 janvier 1866, en effet Marx avait écrit à Becker : « Les sections allemandes feront le mieux de s'affilier pour l'heure à Genève et d'entrer en relation suivie avec toi. Dès que cela arrivera, tu nous le feras savoir, afin que je puisse enfin signaler ici un progrès en Allemagne. »
20 Cette lettre n'a pas pu être retrouvée.
21En tant que secrétaire pour l'Allemagne, Marx envoya ce texte à Kugelmann, le 28 mars 1870 pour le comité exécutif du parti social-démocrate allemand. Il contient la circulaire du Conseil général du ler janvier 1870, précédée d'un commentaire qui porte essentiellement sur Bakounine et suivie d'une narration des faits qui se sont déroulés entre ces deux dates.
Ces deux adjonctions complètent, pour une fois, a posteriori, la circulaire par des considérations d'abord sur Bakounine et ses activités, puis sur l'évolution de l'Alliance. À distance elles permettent de mieux comprendre la polémique centrale entre « communisme autoritaire » et communisme libertaire qui dominera toute la vie de l'Internationale après la Commune, car elle y trouve son amorce et, à bien des égards, son explication.
En général, nous avons choisi les textes de Marx-Engels dans leur version la plus propre, celle rédigée dans le feu même de l'action. Nous les avons préférés aux versions officielles ou traduites en anglais, voire en français. Lorsque des modifications ou des adjonctions out été apportées aux textes originaux, nous les avons signalées, dès lors qu'elles étaient significatives. Cependant, nous n'avons pas voulu alourdir le recueil par des notes de détail trop nombreuses. Il ne s'agit pas, pour nous, de reproduire les textes officiels de Marx-Engels dans les diverses organisations ouvrières, mais de dégager leur œuvre et participation dans le mouvement. Ce n'est donc pas une présentation académique de leurs écrits que nous avons recherchée, elle n'était pas possible dans le cadre de cette collection; voire elle est tout simplement impossible sur un sujet qui mêle autant la théorie à l’action que les problèmes historiques du parti à l’activité de parti de Marx-Engels.
22 Marx fit un exposé sur le droit d'héritage (qui figurait au programme du Congrès de Bâle et y fut discuté le 10-9-1809) au Conseil général dans sa séance du 20 juillet 1869. Cf. ses exposés sur les effets du machinisme (28-7-1868), sur la propriété foncière (6-7-1869) et l'instruction obligatoire dans la société moderne (14 et 17-8-1869), trad. fr. : Cahiers de l’I. S. E. A., no 152, série S, p. 199-212.
23 Cette circulaire est rédigée en français. Cf. Documents of the First International, vol. III, p. 354-363.
24Le 1er janvier 1870 Marx rédigea cette circulaire en réponse à la campagne de dénigrement menée contre le Conseil général par Bakounine et ses partisans en novembre 1869. Comme Marx l'a précisé dans le préambule à cette circulaire, Bakounine. après avoir échoué dans sa tentative de faire transférer le Conseil général à Genève, changea de tactique et attaqua directement le Conseil général, après que ses partisans eurent mis la main sur l'hebdomadaire L'Égalité. Dès le 6 novembre, un éditorial y accusait le Conseil général d'avoir violé un article des statuts prévoyant la publication d'un bulletin d'informations sur la situation des ouvriers dans les différents pays. Le 13 novembre, un second éditorial proposait la création en Angleterre d'un conseil fédéral distinct du Conseil général. Dans sa réponse, Marx en profitera pour exprimer de manière inégalable le principe prolétarien de la centralisation du parti de classe. Un autre éditorial prôna ensuite l'abstention en matière politique et publia une traduction française erronée des statuts. Enfin, un éditorial critiqua violemment la position du Conseil général relative à la résolution en faveur de l'amnistie irlandaise.
Le Conseil général évoque pour la première fois les attaques de L'Égalité et du Progrès dans sa séance du 14 décembre. Le texte ci-dessus de Marx fut adopté le 1er janvier 1870 et envoyé aux différentes sections de l'Internationale.
Mais, avant même l'arrivée de cette circulaire, 1e conseil fédéral romand mena une vive lutte contre les bakouninistes, et réussit à chasser les alliancistes (Robin, Perron, etc.) de la rédaction de L'Égalité.
25 Dans sa lettre à Engels 17 décembre 1869 Marx explique sa position dans cette affaire : « Ce gaillard [Bakounine] dispose maintenant de quatre organes de l'Internationale : L'Egalité et Le Progrès à Locle, Federacion à Barcelone et l'Eguaglianza à Naples. Il cherche à prendre pied en Allemagne, en s'alliant avec Schweitzer, et à Paris en flagornant le journal Le Travail. Il croit que le moment est venu d'ouvrir une polémique publique avec nous. Il se donne pour le gardien du vrai prolétarianisme. Mais des surprises l'attendent. La semaine prochaine (heureusement que le Conseil central s'est ajourné jusqu'à mardi, de sorte que nous pourrons agir librement au sous-comité sans la brave intervention des Anglais), nous enverrons un avertissement au conseil fédéral romand à Genève, et comme ces messieurs (dont au demeurant la plus grande partie est sans doute contre Bakounine) savent que nous pouvons le cas échéant les suspendre conformément aux résolutions du dernier congrès, ils y réfléchiront à deux fois.
« Le point essentiel de notre missive sera : la seule représentation des branches romandes en Suisse est pour nous le comité fédéral. Celui-ci doit nous faire parvenir ses demandes et réprimandes en privé par son secrétaire Perret...
« En ce qui concerne les criailleries des cosaques (Bakounine et ses partisans), voici ce qui en est : le Congrès de Bruxelles avait décidé que nous fassions publier des bulletins sur les grèves, etc., dans les diverses langues ‘aussi souvent que ses moyens [du Conseil général] le permettront’. Mais à condition que, pour notre part, nous recevions des comptes rendus, documents, etc., des comités fédéraux au moins tous les trois mois. Comme nous n'avons reçu ni les informations ni les moyens de publier ces comptes rendus, cette résolution est naturellement restée lettre morte. En fait, la création des nombreux journaux internationaux qui procèdent à des échanges (Bee-Hive enregistrant les grèves anglaises, etc.) a rendu et projet superflu.
« La question fut de nouveau présentée au Congrès de Bâle. Celui-ci traite les décisions sur le bulletin comme non existantes. Sinon, il aurait dû charger simplement le Conseil central de les exécuter (ce qui de nouveau eût été lettre morte sans les moyens d'exécution matériels). Il s'agissait d'un bulletin dans un autre sens (non pas un résumé des grèves, etc., mais des réflexions générales sur le mouvement). Cependant, le congrès ne vota pas le projet. »
26 Lorsqu'il s'agit du phénomène révolutionnaire, Marx distingue fondamentalement, en théorie comme en pratique, entre l'élément politique et l'élément économique. À tous les niveaux, géographique, historique, organisationnel, cette distinction est essentielle. Dans les statuts de l'Internationale, Marx proclamait que « l'émancipation économique de la classe ouvrière est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen ». C'est effectivement par le moyen politique ‑ pouvoir politique ‑ que le prolétariat peut transformer le mode de production capitaliste en socialiste. C'est toujours dans les pays les moins développés ‑ France du siècle dernier, puis Russie, Chine, etc. ‑ que se trouve le maillon le plus faible du système mondial capitaliste et qu'éclate en premier la révolution politique qui se propage ensuite dans les pays économiquement plus développés du point de vue de la production capitaliste.
27 Le parti de classe ‑ dirigé par le Conseil général de Marx ‑ a pour tâche principale de pénétrer, d'organiser et de diriger les syndicats, qui sont les moyens ultérieurs de la transformation économique socialiste, sans limiter son action aux frontières de telle nation, ni à telle ou telle branche d'activité particulière. Conscient du développement social et international, il développe son action sur le plan international en se basant économiquement sur les centres industriels les plus développés et politiquement sur les conditions de tous les autres pays peu développés, ce qui exige précisément une centralisation stricte et rigoureuse du parti de classe. Ainsi, aux yeux de Marx, la direction de l'action révolutionnaire ne sera pas le privilège du prolétariat ou du parti de la nation économiquement la plus avancée ‑ l'Angleterre du siècle dernier ‑, mais sera confiée à la direction de l'Internationale qui, seule„ peut défendre efficacement les intérêts généraux du mouvement révolutionnaire dans son ensemble en unifiant toutes ses luttes en un développement cohérent, de façon qu'elles aient un objectif et une méthode communs, grâce à quoi seulement on peut parler d'une classe, par-delà les situations locales, les diverses catégories professionnelles, les frontières et les races.
28La Ligue de la terre et du travail fut fondée en octobre 1869 à Londres grâce à l'action du Conseil général. Le comité exécutif de la Ligue comprenait plus de dix membres du Conseil général. Eccarius en élabora le programme d'après les directives de Marx outre les revendications de caractère général (réforme de l'impôt et de la finance, questions d'éducation, etc.), la Ligue réclamait la nationalisation de la terre, la réduction du temps de travail, ainsi que l'instauration du suffrage universel et la formation de colonies agricoles.
En reprenant en quelque sorte les revendications chartistes, Marx espérait contribuer à une prise de conscience révolutionnaire de la classe ouvrière anglaise en assurant la continuité de son mouvement. En ce sens, la Ligue devait ouvrir la voie à un parti prolétarien en Angleterre. Cependant l'influence des éléments bourgeois y prévalut dès l'automne 1870, et la Ligue finit par perdre toute attache avec l'Internationale.
29 Nous ne reproduisons pas ici le texte de la résolution du Conseil général à propos de l'amnistie irlandaise. Cette question est abordée dans la suite du recueil. En revanche, nous relevons ici la remarque supprimée dans le texte officiel, publié par l’organe du Conseil général, le Bee-Hive. Marx y fait état des difficultés auxquelles le Conseil général s'est heurté dans cette question vitale pour la classe ouvrière et la révolution internationale :
« On peut juger des difficultés et même des dangers personnels que le Conseil général encourt au fait que le Bee-Hive a supprimé nos résolutions dans le compte rendu qu'il faisait de nos séances et, qui plus est, a passé complètement sous silence le fait que le Conseil général se préoccupait de la question irlandaise. En conséquence, le Conseil général a été forcé de faire imprimer ses résolutions afin de les envoyer séparément à chaque société ouvrière et syndicat. Libre maintenant aux oracles de L'Égalité d'affirmer qu'il s'agit là d'un ‘mouvement politique local’ qu'elle veut bien permettre à un conseil régional de s'occuper de pareilles bagatelles et qu'il n'est pas nécessaire d' ‘améliorer les gouvernements existants’. Elle aurait pu dire avec le même droit que nous avions l'intention d' ‘améliorer’ le gouvernement belge, lorsque nous avons dénoncé les massacres d'ouvriers auxquels il a procédé. »
30 Le texte parisien de 1864 du préambule et des statuts provisoires est reproduit dans La Ire Internationale, recueil de documents, Librairie E. Droz, t. I, p. 10-12. On trouvera le texte de la traduction Longuet (1866) p. 13-15.
31 Le texte parisien en donne la version suivante : « Les efforts des travailleurs pour conquérir leur émancipation ne doivent pas tendre à constituer de nouveaux privilèges, mais à établir pour tous les mêmes droits et les mêmes devoirs. »
32 Alors que Schweitzer pensait que si son organisation entrait dans l'Internationale, la police prussienne la dissoudrait, Marx pensait que dans ce cas elle cesserait d'exister comme secte indépendante du mouvement ouvrier véritable.
33 Marx reprochait à Liebknecht d'utiliser l'Internationale et le Conseil général quand cela l'arrangeait dans ses manœuvres (par exemple, pour « excommunier » certains lassalléens) et de ne pas en parler (par exemple, lorsqu'il s'alliait avec d'autres lassalléens qualifiés de bons par lui). Et Marx de condamner dans une formule tranchante tous les pieux mensonges qui font que le « parti » a toujours raison, quoi qu'il fasse, même s'il se contredit d'un jour à l'autre : « Le bonhomme pense que des mensonges officiels, comme ceux sur les prétendues décisions du Conseil général, sont, dans sa bouche, autorisés, mais, dans la bouche de Schweitzer, tout à fait inadmissibles. Et pourquoi donc s'est-il réconcilié à Lausanne avec ce monstre de Schweitzer ? » (Cf. Marx à Engels 24-7-1869.)
34 Schweitzer avait publié ce refus dans le Sozial-demokrat du 24 février 1869.
35 Ce dernier membre de phrase a été ajouté à l'exemplaire envoyé à Hermann Jung.
36 La circulaire du 1er janvier 1870 incorporée à la communication confidentielle s'arrête à ce point.
37 Le 13 mars 1870, J. P. Becker avait informé Marx que le propriétaire foncier russe P. A. Bachmetchev avait fait parvenir à Herzen des fonds pour des buts de propagande en 1858.
38 Cette résolution montre qu'aux yeux de Marx-Engels le mécanisme démocratique est un instrument que l'on utilise lorsqu'il est avantageux, et que ce n'est pas la majorité qui décide, mais le programme (conforme aux statuts de l'Internationale).
Après la refonte de L'Égalité, les bakouninistes, s'efforçant de reconquérir les positions perdues, assistèrent en masse au congrès ordinaire de la Fédération romande de La Chaux-de-Fonds (4-6 avril 1870). Ils y obtinrent la majorité, avec 21 mandats (dont certains représentant des sections fictives ou insignifiantes) face aux 12 mandats des sections de Genève et aux 6 autres de sections locales. Les bakouninistes y firent donc passer leur programme. N. Outine, l'un des dirigeants de la section russe de Genève, dénonça l'activité néfaste de Bakounine, et ce fut la scission.
Les alliancistes élirent un nouveau comité fédéral et transférèrent son siège à La Chaux-de-Fonds. Il y eut donc deux comités fédéraux en Suisse romande.
39 Séance du Conseil général, 28-6-1870.
40 Il est toujours possible de mettre en cause les résultats du mécanisme démocratique, en arguant de ses propres contradictions.
41 Marx fait allusion aux diverses décisions du Conseil général à propos de l'Alliance de la démocratie socialiste que nous avons reproduites ci-dessus.
1 Cf. Marx à Siegfried Mayer et August Vogt, 9 avril 1870.
Nous avons choisi ce texte de préférence à d'autres, non seulement parce qu'il permet de donner sur cette question la synthèse la plus complète et concise, mais encore parce qu'il élargit le problème de l'Irlande à l'Angleterre et jusqu'aux États-Unis. En effet, Marx informe Mayer et Vogt, socialistes allemands émigrés en Amérique, des grandes lignes de la politique de l'Internationale vis-à-vis des Irlandais telle qu'elle s'applique aussi dans la pratique américaine. Nous abordons du même coup l'activité de l'Internationale et du Conseil général de Marx-Engels aux États-Unis.
2 Les problèmes nationaux sont, en général, des questions préalables de la lutte du prolétariat pour ses buts propres, le socialisme. En ce sens, ce sont des conditions objectives, mais elles n'en demeurent pas moins de simples prémisses, et non des objectifs prolétariens. Il en va de même pour les droits de réunion, de presse, d'association, dits démocratiques, qui sont des conquêtes de l'ère bourgeoise et en quelque sorte des prémisses à l'action autonome du prolétariat (certes, pas de manière absolue, puisqu'en plein régime bourgeois développé la classe capitaliste peut fort bien supprimer ces droits).
Quoi qu'il en soit, il faut absolument faire la distinction entre conditions préalables de la lutte du prolétariat et objectifs propres de celle-ci, sous peine de brouiller la claire vision du programme de classe du prolétariat, donc aussi sa lutte.
3 Marx a décrit ce processus sous le titre de « Clearing of estates, champs convertis en pâturages et pâturages convertis en réserves de chasse dans la haute Écosse », dans Le Capital, I, Éd. sociales, vol. III, p. 168-173.
4 Dans la circulaire du 1er janvier 1870 du Conseil général au conseil fédéral de la Suisse romande, Marx donne la précision suivante sur ce point : « Cet antagonisme se reproduit au-delà de l'Atlantique. Les Irlandais, chassés de leur sol natal par des bœufs et des moutons, se retrouvent en Amérique du Nord où ils constituent une fraction formidable et toujours croissante de la population. Leur seule pensée, leur seule passion, c'est la haine de l'Angleterre. Le gouvernement anglais et le gouvernement américain (c'est-à-dire les classes qu'ils représentent) alimentent ces passions pour éterniser la lutte souterraine entre les États-Unis et l'Angleterre ; c'est ainsi qu'ils empêchent l'alliance sincère et sérieuse, par conséquent toute émancipation, des classes ouvrières des deux côtés de l'Atlantique.
« De plus, l'Irlande est le seul prétexte du gouvernement anglais pour entretenir une grande armée permanente qui, en cas de besoin, comme cela s'est vu, est lancée sur les ouvriers anglais, après avoir fait ses études soldatesques en Irlande. » (Cf. Documents of the First International, vol. Ill, p. 359-360.)
5 Du 1er mars au 17 avril 1870, La Marseillaise publia huit articles de Jenny Marx consacrés à la défense des Fenians.
6 Résolution élaborée par Marx, adoptée le 30 octobre 1869 par le Conseil général, et publiée à Bruxelles le 12 décembre dans L'Internationale.
7 Extrait du protocole de la séance du Conseil général du 14 mai 1872.
« Le citoyen Hales y avait proposé : ‘Que, dans l'opinion du Conseil, la formation de branches irlandaises nationalistes, en Angleterre, est en opposition aux statuts généraux et aux principes de l'Association’. Et d'ajouter qu'il ne présente pas cette motion dans un esprit antagonique vis-à-vis des membres irlandais, mais estime que la politique qu'elle vise présenterait les plus graves périls pour l'Association, abstraction faite de ce quelle serait en opposition avec ses statuts et principes. En effet, le principe fondamental de l'Association est de détruire toute velléité de doctrine nationaliste, et de détruire toutes les barrières qui séparent un homme de l'autre : la formation de branches irlandaises ou anglaises quelconques ne pourrait que retarder le mouvement, au lieu de le servir. La formation de branches irlandaises en Angleterre ne pourrait qu'aviver cet antagonisme national qui a malencontreusement existé si longtemps entre les peuples de ces deux pays. » (Extrait du protocole de la même séance.)
Il est évident que, sous une phraséologie internationaliste de caractère humanitaire, Hales ne tolérait que des sections anglaises en Angleterre, bref refusent aux Irlandais le droit à une existence au même titre que les Anglais.
8 Adresse préparée par Marx en mai 1869.
En ce qui concerne le défaitisme révolutionnaire de la classe ouvrière anglaise face aux tentatives du gouvernement britannique d'entraîner l'Angleterre dans une guerre contre les Nordistes, afin de bénéficier du coton sudiste qui alimentait la première industrie anglaise ainsi que la tentative de Napoléon III d'utiliser le tremplin du Mexique pour une intervention en faveur des esclavagistes du Sud, cf. MARX-ENGELS, La Guerre civile aux États-Unis, 10/18, Paris, 1970, p. 141-214.
9 Marx a décrit la guerre de Crimée de 1854-1855 avec ses hécatombes humaines, comme la première guerre contre-révolutionnaire de la bourgeoisie moderne ; cf. MARX-ENGELS, Écrits militaires, p. 307-316.
10 Cf. Engels, 13 février 1871.
Cette lettre est un exemple significatif des relations entre le Conseil général et ce que l'on pourrait appeler les sections nationales. Le centre y donne des conseils en même temps qu'il incite à des activités de propagande et d'organisation en utilisant au maximum les capacités d'initiative locales. Il resserre ainsi la liaison internationale à tous les niveaux.
11 Engels considère manifestement la propagande comme l'activité du parti à l'extérieur. Dès lors, c'est tout simplement l'autre face, l'application, dans des conditions données, de son programme et de ses principes. Rien n'est plus significatif que l’action de propagande des partis politiques. C'est là où se manifeste le plus souvent la coupure entre l'organisation et ses mandants ou les masses. Étant devenu une entité particulière, ayant sa propre vie et ses propres intérêts, le parti n'effectue plus dès lors la propagation des principes des masses dans leur intérêt, mais utilise les masses, par le moyen de sa propagande, pour ses intérêts particuliers. Dans La Dialectique du concret (Maspero, 1971 p. 49), Karel Kosik montre comment la propagande des partis officiels relève de la manipulation des masses, qui ne sont plus sujets actifs, mais objets passifs, et en fin de compte relève de la conception générale bourgeoise qui n'a d'yeux que pour la technique, c'est-à-dire de l'exploitation matérielle d'objets.
Dans la conception marxiste, la propagande est l'intervention concentrée de toutes les forces mobilisables sur un point, considéré comme fondamental ‑ ce qui caractérise donc le parti ‑pour le devenir de la classe. Les sujets de propagande doivent donc exprimer non pas les caprices, la mode, mais les besoins vitaux et généraux de la classe. C'est alors que les masses se sensibilisent et interviennent, en prenant conscience du mouvement et de l'action historiques. La paix ou la guerre, avec l'alternative : pouvoir bourgeois ou prolétarien, faute de quoi on abandonne le point de vue de classe, est l'un de ces moments critiques qui mettent en jeu le sort des masses pour des décennies.
12 La National Labor Union des États-Unis fut fondée en août 1866 au Congrès de Baltimore. Le dirigeant ouvrier bien connu William H. Sylvis y prit une part très active. Bientôt la Ligue entra en contact avec l'Internationale. Elle joua un rôle important dans la lutte pour une politique autonome des organisations ouvrières aux États-Unis, pour la solidarité entre travailleurs de couleur et travailleurs blancs, pour la journée de huit heures et pour les droits des ouvrières. Un délégué de la Labor Union, Cameron, participa en 1869 aux dernières séances du Congrès de Bâle. En août 1870, le Congrès de Cincinnati adopta une résolution selon laquelle, la Labor Union « adhérait aux principes de l'Association internationale des travailleurs, et espérait s'affilier directement dans un délai rapproché ». Cette résolution ne fut pas appliquée, les éléments petits-bourgeois ayant fini par prendre la direction de l'organisation. Celle-ci se préoccupa alors de plans utopiques, par exemple une réforme monétaire tendant à éliminer le système bancaire et à accorder un crédit bon marché par l'intermédiaire de l'État. On adopta une résolution selon laquelle la Labor Union cessa pratiquement d'exister en 1872.
13 Manifeste rédigé par Engels à la demande du Conseil général, séance du 20 décembre 1870 Seuls les trois premiers paragraphes furent publiés dans L'Internationale du 1er janvier 1871, les trois autres étant confidentiels.
Dans ce texte, L'Internationale prend position vis-à-vis de la guerre franco-prussienne de 1870
14 Cf. MARX-ENGELS, Écrits militaires, p. 514-523 et 566-582.
15Cf. Communication de Marx à la Pall Mall Gazette, 15 septembre 1870.
Pour
bien marquer la solidarité de l'Internationale, sur le plan des principes
énoncés et de l'organisation réelle, et non formelle, Marx appelle, comme on le
voit, le parti social-démocrate allemand section de l'Internationale.
Marx avait rédigé lui-même le manifeste auquel il fait allusion ici : cf. MARX-ENGELS, Écrits militaires, p. 517-523.
16 Cf. Engels à Nathalie Liebknecht, 19 décembre 1870.
17 Engels fait allusion au vote des crédits de guerre : le 28 décembre 1870, sous la pression des membres de leurs propres troupes, Schweitzer, Fritzsche, le Dr Ewald, Hasenclever et Schraps se joignirent à Bebel et Liebknecht ‑ qui avaient voté seuls contre les crédits le 20 ‑ dans le second vote sur les crédits nécessaires à la poursuite de la guerre.
L'attitude courageuse de Bebel et Liebknecht entraîna de la sorte derrière eux de larges secteurs de la classe ouvrière et même certains éléments de la bourgeoisie.
18 C'est de manière toute objective, par l'évolution du champ de forces physiques de la société, ainsi que par la lutte réelle du prolétariat, qu'un mouvement localement déterminé prend la tête du mouvement ouvrier d'une certaine époque. C'est dans la lutte contre sa propre bourgeoisie que le prolétariat allemand a fait la preuve de sa supériorité. Du même coup, c'était le socialisme marxiste qui triomphait au niveau international. C'est en ce sens qu'Engels pouvait écrire, pour le Volksstaat du 20 juin 1874, dans un article intitulé « Le Programme des réfugiés blanquistes de la Commune » : « Les ouvriers socialistes allemands, qui ont démontré qu'ils étaient totalement affranchis de tout chauvinisme national, peuvent considérer comme un symptôme de bon augure le fait que des ouvriers français adoptent des principes théoriques justes, bien qu'ils viennent d'Allemagne. »
L'événement qui a confirmé le déplacement temporaire du centre de gravité du mouvement international vers l'Allemagne – l’attitude du parti allemand dans la guerre de sa bourgeoisie ‑ a été celui-là même qui, en 1914, a été l'épreuve suprême pour la social-démocratie allemande, et où, hélas, elle s'est complètement effondrée. L'histoire est plus obstinée que les découvreurs de nouveautés à tous les tournants : les grandes tâches vers lesquelles tendent les efforts des masses prolétariennes restent posées durant des décennies entières, pour un cycle historique entier.
19 Cf.
Engels à Wilhelm Liebknecht, 24 mai 1871.
20 Extrait du discours de Bebel au Reichstag, 5 mai 1871.
21 Bebel poursuit en dénonçant avec force l'annexion de l'Alsace-Lorraine et la politique impérialiste de la Prusse en général.
La Commune de Paris est considérée sous l'angle de l'Internationale et de l'activité de Marx-Engels dans l'ouvrage déjà cité sur La Commune de 1871, 10/18. Nous y renvoyons le lecteur.
22 Ce panorama général sur la Commune a été dressé par Marx dans une interview à un journaliste américain, cf. Woodhull & Claflin's Weekly. Nous donnons les questions du journaliste en résumé, évitant ainsi ses commentaires vaniteux à l'adresse des lecteurs de son journal.
23 Les membres suivants des sections parisiennes de l'Internationale faisaient partie de la Commune : Assi, Avrial, Beslay, Chalain, Clémence, Lefrançais Malon, Pindy, Theisz, Vaillant, Varlin, Amouroux et Géresme (un doute subsiste cependant pour un certain nombre d'entre eux, reposant sur des témoignages pas toujours probants). D'autres membres, inscrits plus tard à l'Internationale ou venant d'autres sections, ont fait partie de la Commune : Jacques Durand, Johannard, Longuet, Eugène Pottier, Babick, Chardon, Léo Meillet, Regère, Vésinier, Serraillier (délégué de Marx à Paris et élu le 16 avril)
24 Marx réfute l'idée d'une initiative (le la franc-maçonnerie en tant que telle dans la Commune mais souligne la participation individuelle de francs-maçons. À propos de cette action, cf. l'ouvrage de LISSAGARAY, Histoire de la Commune de 1871, chap. XIX (fac-similé aux éditions Maspero).
25 La première règle d'une organisation révolutionnaire ‑ et elle exige une position générale extrêmement claire des principes et de l’action ‑, c'est qu'elle n'entreprenne jamais rien qui puisse entraver le mouvement spontané de la révolution ou des masses vers la révolution.
26 Après le Congrès de La Haye, Marx tiendra un discours célèbre sur les possibilités de passage pacifique au socialisme dans des conditions bien précises et des pays bien déterminés, pour une période donnée : cf. La Liberté, 15 septembre 1872.
Toutes ces prémisses d'un passage pacifique ont cessé d'exister de nos jours : « Cette violence est nécessitée surtout, comme Marx et Engels l'ont expliqué maintes fois et de la façon la plus explicite (notamment dans La Guerre civile en France et dans la Préface de cet ouvrage), par l'existence du militarisme et de la bureaucratie. Or, ce sont justement ces institutions, justement en Angleterre et en Amérique, qui, justement, dans les années 70 du XIXe siècle, époque à laquelle Marx fit sa remarque, n'existaient pas. Maintenant elles existent, et en Angleterre et en Amérique. » (LÉNINE, « La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky » (1918), Œuvres, t. XXVIII, p. 247.)
27 Comme Marx-Engels l'ont répété à satiété, le parti ne suscite pas la lutte de classes qui est un phénomène naturel dans les conditions économiques et sociales actuelles : le parti la dirige dans la mesure de ses forces et de ses moyens.
28 Par exemple, le
dossier de la police française sur Marx contient les faits les plus
fantaisistes. Cf. Helmut
HIRSCH, « Marx in den Augen der Pariser Polizei », Denker und Kämpfer, Europäische Verlagsanstalt, 1955.
29 Le gouvernement bonapartiste avait fait l'amalgame de deux procès différents pour des raisons électorales évidentes, comme le fait remarquer Marx. Au reste, après le plébiscite, le gouvernement le reconnut pratiquement lui-même. Il s'agit d'abord de ce que l'on appelle le « troisième procès » de l'Internationale, intenté pour délit de « société secrète ». À ce propos, Marx fit adopter la résolution classique par le Conseil général de l'A. I. T. : « S'il y a conspiration de la part de la classe ouvrière, qui forme la grande masse des nations, crée toutes les richesses, et au nom de laquelle tout pouvoir, même usurpateur, prétend régner, c'est en public, comme le soleil contre les ténèbres avec la pleine conscience qu'en dehors de son champ d'activité il n'est aucun pouvoir légitime. » (Londres, 4-3-1870 publié dans La Marseillaise de Rochefort, 7-5-1870) 37 membres des sections parisiennes, parmi lesquels Varlin, Malon, Johannard, Pindy, Combault Avrial, Franquin, Assi Langevin, Theisz, Landeck, Chalain, Duval et Léo Frankel, furent poursuivis. L'autre procès, jugé à Blois et dit « du complot», était dirigé plus particulièrement contre des blanquistes ayant préparé « un attentat contre la sûreté de l'État et contre la vie de l'Empereur » ; parmi eux figuraient Ferré, Gromier, les frères Villeneuve, Sapia, Dereure et Mégy. Ces deux derniers étant membres de l'Internationale, on fit l'amalgame des deux procès.
30 Marx lui-même indique ici une limite à la conquête pacifique du pouvoir politique : lorsque cette menace devient sérieuse et touche la bourgeoisie dans ses intérêts vitaux, celle-ci contraindra le prolétariat à se battre pour instaurer le socialisme, même dans les pays qui n'avaient guère d'armée, de bureaucratie, de police. Avec l'élargissement du droit de vote aux masses, de deux choses l'une : ou bien ce droit devient de plus en plus artificiel, ou bien, s'il devient réel, la bourgeoisie doit instaurer en même temps des forces en d'autres points pour compenser l'avantage accordé à son adversaire. L'expérience historique a démontré que les deux moyens allaient de pair, si l'on peut dire.
31 Cf. Marx à Friedrich Bolte, 25 août 1871. Quels que soient ses moyens matériels, le parti du prolétariat ne peut pas ne pas venir en aide aux victimes politiques des forces de répression bourgeoises. Ne disposant pas des ressources de l'État, il doit faire appel aux moyens limités individuellement, mais plus considérables collectivement, de tous les ouvriers.
32 Dans sa lettre du 7 août 1871, Bolte avait demandé spontanément « si le Conseil général ne devait pas mettre toutes les sections en demeure de soutenir de toutes leurs forces les Communards en détresse ».
33 Bismarck avait sévi en Allemagne contre les éléments qui s'étaient opposés à sa politique d'annexion en France, notamment le comité social-démocrate de Brunswick. Cf. MARX-ENGELS, La Commune de 1871, Paris, 10/18, p. 101-105.
34 La correspondance antérieure a été perdue.
35 Cf. Engels à Philippe Coenen, 5 avril 1871.
La liaison entre parti et syndicat forme une sphère d'activité fondamentale ; elle est abordée dans MARX-ENGELS, Le Syndicalisme (notamment dans le volume I, p. 57-170, à propos de l'activité syndicale de Marx-Engels au sein de la 1re Internationale). Nous ne l'évoquons ici que pour mémoire. Cette activité syndicale représente, mieux que la propagande et le prosélytisme, le moyen efficace pour évoluer sur le terrain solide de la lutte de classe du prolétariat. C'est le moyen le plus sûr de réaliser la jonction nécessaire avec la classe ouvrière, en opposition à la bourgeoisie et autres couches sociales.
C'est en plein paroxysme de la lutte pour la Commune, notons-le, que le Conseil général de l'A. I. T. et Marx-Engels trouvèrent nécessaire de consacrer leurs quelques forces à cette question qui va bien au-delà du beefsteak.
36 La suite du courrier montrera que les Anversois n'étaient pas ‑ hélas ‑ membres de l'A. I. T.
37 Dans sa lettre à
Liebknecht, Engels écrivait : « Cette grève est précisément de la plus haute
importance pour l'Internationale en Belgique... Si les cigariers allemands
avaient les moyens d'avancer des fonds aux Anversois, il faudrait s'en occuper.
Le manifeste d'Elberfeld est arrivé hier au Conseil général, et a été aussitôt
retransmis. Je l'ai lu. » Le 26 mars 1871, les membres de l'Association
générale des ouvriers allemands d'Elberfeld avaient adopté une adresse en faveur
de la Commune de Paris. Elle fut aussitôt envoyée à Paris, mais craignant que
l'exemplaire ne soit intercepté par la police, ils décidèrent d'en envoyer un
second au Conseil général, afin que celui-ci le transmette aux représentants de
la Commune. En ce qui concerne le mouvement de solidarité des ouvriers
allemands, par-delà le front militaire, pour le mouvement ouvrier français en
général et la Commune en particulier, cf. Die I. Internationale in
Deutschland (1864‑1872). Dokumente und Materialien, Dietz Verlag, 1964.
38 Cf.
Engels à Wilhelm Liebknecht, 4 mai 1871.
39 Cf. Engels à Philippe Coenen, 4 août 1871.
Dans cette lettre, Engels évoque la question de la conquête des ouvriers par le parti ou, en l'occurrence, l'Internationale.